L’origine de soi.
7.5 Celui-là je l’attendais nettement moins que le film de Thomas Salvador. J’y suis allé dans la foulée le même soir et il n’a pourtant pas souffert d’être passé après La montagne : j’ai adoré. De bout en bout, aussi bien sa première partie que le chapitre plus elliptique suivant. J’aime sa façon de capter chacun des lieux, la finesse de son écriture, ce personnage à la fois un peu antipathique qu’on adore malgré tout, ce qu’il fait de la musique en général, toutes les scènes avec le père notamment, très émouvantes. Je connais peu Davy Chou, mais si la Corée du sud n’est pas son pays, il y investit surtout l’idée de la double culture, qu’il partage avec son personnage (qui serait inspiré d’une amie à lui), puisqu’il est français et cambodgien d’origine.
Comme son titre l’annonce fidèlement, c’est l’histoire d’un retour. Précisément celui d’un retour aux origines. Celui de Freddie, vingt-cinq ans, née en Corée mais adoptée dès sa naissance, par une famille française. C’est aussi un très beau portrait de femme, sur dix années de son existence, que couvre cette quête d’identité. Une quête dont on ne saura finalement si elle a été forcée par son héroïne ou par le hasard : C’est en partant au préalable pour le Japon, que Freddie atterrit à in fine à Séoul.
Plusieurs fois, Freddie (magnifique Park Ji-min), femme imprévisible et instable, fuit, la fixité, l’habitude, la norme. Ici elle crée une rencontre collective, là elle se propulse sur une piste de danse. Cette dépendance au « décadrage » est à double tranchant, d’une part car il offre au personnage un statut quasi antipathique, chaotique, parfois même cruel, d’autre part car le film épouse ses humeurs, et de fait, braque constamment, par rupture de tons, ellipses variées. Freddie est habitée d’une liberté et d’une colère, qui se nourrissent l’une et l’autre. C’est un personnage dur. Qui d’une ellipse à l’autre, change d’apparence, de métier, d’énergie. C’est aussi grisant que perturbant.
A chaque bifurcation, chaque rebond, le film change donc aussi au même titre que le personnage se transforme. Son univers aussi. Ainsi, lorsqu’elle retrouve son père, le choc est immense pour lui, d’affronter un échec et de vouloir le réparer à tout prix, contre cette culpabilité qui le ronge mais aussi contre ce manque qu’il s’était forcé à oublier. Freddie, elle, semble ne pas être touchée par ces retrouvailles, comme aidée par ce moteur de l’incompréhension de l’abandon, qui la guide au quotidien. Mais, contre ses attentes, elle doit composer avec ce père bientôt envahissant et le fait qu’elle soit hantée par l’absence de sa mère. Très beau film.