A trois on y va.
5.5 Une lycéenne bourgeoise observe une bande de minots qui passe ses journées à sauter d’une corniche, en face de chez elle. Elle les filme, les envie, les approche, plus fascinée par cet écrin hors du temps, hors du monde, cette bouffée de liberté singulière et du danger qui l’accompagne que par ses révisions du bac.
Postulat séduisant qui pouvait marquer le retour de la sensualité des corps juvéniles au cinéma, dans la lignée de ceux de Claire Denis ou plus récemment et dans un monde opposé, Jean-Charles Hue. On y pense au début. L’aspect solaire, l’interdit, la bulle hors du monde, la roche, la hauteur, la mer, il y a quelque chose de très beau et sensuel capté par la caméra de Dominique Cabrera.
Quelque chose de troublant aussi dans ces rencontres, un mélange de douceur et de domination, d’un peu emprunté dans les interactions entre ces acteurs, tous non professionnels qui sont pour la plupart des plongeurs de l’extrême à la vie. Le lien qui se crée entre eux et Lola Creton (déjà croisée dans Un amour de jeunesse et Après mai, deux merveilles), entre ces deux dynamiques sociales, est très réussi. Entre ces deux mondes – Le réel et la route d’un côté, la mer et l’imaginaire de l’autre – qu’un saut et donc un choix d’un quart de seconde peuvent dissocier net.
Mais très vite il y a aussi une affaire policière complètement anecdotique, filmée platement, hyper saccadée, qui vient se greffer et briser cet élan lyrique. Comme ce sont des acteurs plus connus (Aïssa Maïga, Moussa Maaskri) ils prennent beaucoup de place, pour rien. On s’en fiche complètement d’eux. Corniche Kennedy aurait fait un très beau court, entièrement dévoué à cette corniche, fenêtre de liberté sur la Méditerranée. Vraiment dommage.
Qu’un film comme Mange tes morts (de Jean-Charles Hue, donc) parviennent à me fasciner, me laisser béat avec son univers de bagnoles chez les gitans et pas celui-ci avec ses plongeurs de falaises (Probablement l’un de mes gros fantasmes de gosse, sous adrénaline, avec le surf et le parachute) c’est qu’il y a un gros problème ailleurs, d’autant que ça partait vraiment très bien, dans l’approche du groupe, le saut vu comme instant de gloire, la possibilité qu’il devienne un acte de rébellion – Le désir de sauter de nuit, avec des fumigènes. De belles choses, donc, gâchées par une partie polar, ratée de chez ratée.
Toutefois, la plus belle idée du film, celle qui fait que je l’aime quand même malgré ses défauts, que je l’aimerai toujours plus que Neruda, car il est plus humble, plus que Primaire car il vise moins large (Pour citer les deux autres films vus [et modérément aimé] au cinéma ces dix derniers jours) c’est son intérêt pour le trio, jamais remis en question pour un quelconque différend amoureux, comme on l’aurait vu partout ailleurs. Suzanne, Mehdi & Marco plongent à trois (lors du baptême de la demoiselle) et partent en cavale à trois, dans la partie la plus bancale du film. Mais ce trio aura illuminé Corniche Kennedy. Le film l’aura fait exister là où sur un format court, il n’aurait probablement pas eu les moyens de le faire exister.