Mimics day.
8.5 Bon sang, mais oui ! Quel pied ! Au diable les Pacific Rim, Avengers et autre Godzilla ! Le blockbuster idéal, le vrai, celui qu’on n’attendait plus, le voilà !
Le blockbuster avec Tom Cruise est presque devenu un genre en soi, ces derniers temps. Depuis Mission Impossible jusqu’à Oblivion, en passant par Jack Reacher et Knight and day on commence à se sentir en terrain familier. Pourtant, rien ne va se dérouler comme on l’imaginait dans cette nouvelle superproduction hollywoodienne, signée Doug Liman, capable d’être un excellent (La mémoire dans la peau), honnête (Jumper) ou médiocre (Mr & Mrs Smith) faiseur. Disons-le tout net : Edge of tomorrow est (avec le premier volet de la trilogie Bourne) ce qu’il a fait de mieux.
Le major William Cage (Tom Cruise, donc) au service des relations publiques est convoqué, arrêté puis injecté en pleine guerre, contre une horde extraterrestre, sans trop savoir ce qui lui arrive. Est-ce une erreur ? Est-il vraiment soldat déserteur, comme on l’affecte à son réveil dans cet aéroport londonien ? Qu’importe, le voilà plongé au sein d’une escouade et bientôt au-dessus des plages françaises, fringué d’un exosquelette, pour un débarquement suicide qui tourne vite au fiasco.
Le postulat du film est difficilement explicable sans en dévoiler le bel effet de surprise que constitue le génial basculement narratif provoqué par la première scène pivot. So, spoilers inside. Toute l’escouade se fait massacrée sous les yeux de Cage, ahuri qui explose bientôt lui aussi avec un extraterrestre. Oui, Tom Cruise meurt. Et se réveille, dans cet aéroport. C’est le premier d’une longue série de restart.
Pris dans une boucle temporelle faisant à la fois écho au Mythe de Sisyphe, à Groundhog day ou Source code (pour citer un autre film d’action) Tom Cruise va repousser chaque fois ses limites dans le combat, se perfectionnant au gré de la répétition de ses échecs. Edge of tomorrow serait au départ un jeu vidéo, ce film en constituerait l’adaptation rêvée. Jouer, mourir et recommencer. Indéfiniment. Mémoriser le parcours jusqu’à obtenir la combinaison parfaite pour progresser de niveaux ou atteindre la fin du jeu. Tout un programme. On pourrait se lasser. D’autant qu’une fois la mayonnaise lancée et le plaisir du running gag éculé tout devient mécanique et épileptique. On ne nous montre même bientôt plus son réveil.
Sauf que Doug Liman a la malice de tout réinventer d’un revers chaque fois que sa mécanique est trop huilée et donc sur le point de s’enrailler. C’est d’abord la rencontre sur le champ de bataille de Rita Vrataski (Emily Blunt) surnommée Full Metal Bitch, héroïne (elle aussi dans une journée à boucle) de la bataille de Verdun, qui demande à Cage, peu avant d’exploser pour la énième fois, de venir la voir à son réveil. Plus tard, ce seront les nombreuses ellipses qui bousculeront nos attentes de la répétition. Là, au débotté, je pense à cette séquence esseulée, sans suite, où Cage est en stand-by dans un bar londonien, un peu las, expliquant qu’habituellement à cette heure-ci, il est déjà mort depuis longtemps. Et bien entendu je pense à cette séquence sublime des trois sucres où il explique à sa compère, dans une ferme reculée, qu’il n’arrive plus à aller plus loin sans elle, qu’il a tout essayé, en vain, qu’elle meurt ici, quoiqu’il arrive. Que le film double son sens du spectacle par une histoire d’amour impossible le rend hyper humble et touchant et rappelle lointainement le cinéma de Cameron.
Afin de contourner cet élément de scénario cruel, le film joue alors la carte de la fausse piste, comme Nolan jouissait de ses paradoxes dans Inception. Essayer autrement est la condition pour rester ensemble. Le film ne répond jamais à cette cruciale question chère aux jeux vidéo (ça m’a rappelé Heavy Rain) : Y a-t-il plusieurs moyens d’y arriver ?
En jouant constamment sur un total remodelage de la journée, à l’infini, Edge of tomorrow s’éloigne de ses modèles au sens où si ses fameux restart réutilisent régulièrement le réveil sur ce chariot de valises sur cette jetée d’aéroport, ils vont parfois se focaliser sur une autre parcelle de la journée de Cage, autant de niveaux dans lesquels il peut tenter de faire progresser sa mission autrement, avant de se jeter dans la gueule du loup. On peut le voir comme un jeu où le joueur choisirait lui-même ses niveaux, en somme.
En ce sens il me semble que le film pousse la méta réflexion sur le médium plus loin encore que dans un Source code, dans la mesure où il ne cesse de penser la durée, de se jouer de l’espace proposé, de choisir ce qui fait récit et non continuité triviale. Son programme est celui d’un personnage prisonnier d’un rouage, qui expérimente tout ce qui est mis à sa disponibilité afin d’éviter de mourir, à l’instar de Jason Bourne, à la seule différence qu’il peut mourir, autant de fois qu’il le souhaite et même souvent doit mourir – d’où un nombre incalculable de mise à mort par Emily Blunt archi jouissives – pour avoir accès à son reboot continuel.
La question de l’ennui et de la jouissance se pose alors, en ce sens que Cage doit chaque fois tout recommencer, bien que cela soit forcément sous-traité – plutôt revoir Un jour sans fin – et c’est là où l’œuvre méta prend toute sa mesure puisque l’acteur que l’on voyait au départ malmené – on avait d’ailleurs peu l’habitude de voir Tom Cruise aussi lâche et ridicule - devient la bête de guerre qui va sauver le monde – que l’on connait – au moyen d’un récit éclaté et répétitif. En un sens, le film synthétise à lui seul tous les héros Cruisiens.
Il faut signaler que le film est bourré d’humour, totalement décomplexé, à l’image des innombrables morts du personnage, évidemment, mais aussi dans certains enchainements qui appuient sur le caractère réitératif, rappelant combien Cage a déjà vécu plusieurs fois ce qu’il refait ad aeternam, ici déglinguant des araignées (convoquant le métal liquide de T2) avant qu’elles n’apparaissent dans son champ de vision, là sauvant plusieurs soldats d’une explosion qui surgit la seconde suivante. Plus loin, Cage et Rita vont jusqu’à noter, chaque jour, les divers obstacles de leur parcours sur un plan de combat, agencé en véritable chorégraphie. Le plus drôle et absurde là-dedans (et le film en joue un temps avant de complètement l’évacuer et tant mieux) c’est d’imaginer les techniques mise en pratique par le personnage pour effectuer les nombreuses connaissances qu’il effectue durant sa journée et tout particulièrement avec elle, dans cette salle d’entrainement.
On pourrait par ailleurs trouver le film moins bon dans son dernier tiers où le procédé finit par disparaître. C’est en effet moins jouissif. Quant à la pirouette sur la dernière boucle, en apparence moins inspirée, je l’ai pris comme un truc méta, super léger, quasi indépendant du récit – où le joueur aurait atteint son objectif sans vraiment trop comprendre pourquoi. Et puis j’adore l’idée de finir sur un sourire, le même que celui que tu affiches quand tu termines un jeu, le sourire face au dérisoire, ici simplement un film d’action. Il faudrait faire un dossier sur les dernières images qui sont des sourires au cinéma, il y en a un paquet cette année il me semble.