Sexual warrios.
8.0 J’ai longtemps refoulé mon plaisir éprouvé devant Dirty Dancing. Oui, je parle bien du film d’Emile Ardolino, sorti en 1987, avec Jennifer Grey et Patrick Swayze. Non pas que c’était un plaisir coupable, mais j’ai toujours eu l’impression que j’appréciais le film pour des raisons uniquement reliées au fait qu’il a bercé mon enfance, comme plein d’autres films, certes, mais aussi parce qu’il touchait un genre qui à priori n’était pas celui qui me parlait en priorité. Je le voyais comme mon film de midinette, relativement inavouable quand t’as quinze ans. Du coup j’en gardais de beaux souvenirs, le plaisir toujours intact à croiser quelques morceaux de la (très belle) bande originale mais je ne l’avais pas revu depuis longtemps. J’étais tombé dessus une fois il y a quelques années sans que ça me fasse ni chaud ni froid. Effet La La Land ou effet Danse avec les stars (Oui, je regarde, ça te pose un problème ?) ou le fait que j’ai remis la main récemment sur un dossier contenant moult musiques de films dont She’s like the wind ou le fait d’avoir revu Crazy Stupid Love (superbe séquence hommage – Gosling ferait un très beau Swayze dans un éventuel remake, j’en suis persuadé) ou simple hasard – tu choisiras – j’ai eu soudain très envie de revoir Dirty Dancing. Fallait bien réactiver le truc. Et en même temps, briser quelque chose : Je l’ai donc regardé en version originale. Ça au moins j’en suis certain, c’était la première fois.
Et c’est une superbe redécouverte. Objectivement parlant, je veux dire. La plupart des gens (Ceux qui le défendent comme ceux qui vomissent dessus) vous diront que le scénario est écrit par une gamine de dix ans, mais franchement, s’il y a bien un domaine dont je me fiche éperdument, dès qu’il s’agit de comédie musicale (au sens large du terme) c’est bien le scénario. Ce qui relève de l’écriture cinématographique m’intéresse davantage c’est-à-dire la manière de filmer la danse, le choix de faire durer ou non telle séquence, le story-board, l’espace qu’on utilise, la volonté de faire parler un mouvement ou un regard plutôt que d’employer des mots. Il me semble que Dirty Dancing est un film passionnant de ce point de vue. Tout simplement car Emile Ardolino vise la comédie romantique et musicale qui va transpirer le sexe, la sueur, le désir. C’est palpable. Et le fait que la visée soit archi populaire rend la chose d’autant plus déroutante. Danser c’est un peu baiser, dans Dirty Dancing. Lorsque Baby débarque dans une soirée parallèle il n’est question que de cela : Les couples de danseurs font littéralement l’amour sur la piste, c’est punk, on se croirait dans une version érotico-musicale des Guerriers de la nuit. De la danse sale (comme l’indique le titre) mais que le film va ériger en sommet de sensualité par l’intermédiaire d’une histoire vieille comme le monde : la rencontre entre deux êtres opposés, la fille à son papa, encore adolescente, curieuse et inconsciente, et l’homme à femme, garçon rebelle au passé sulfureux.
Leur histoire est la plus belle de toute puisqu’elle est impossible. L’enchainement pivot du film consistant à remplacer la partenaire habituelle de Johnny par Frances (Oui c’est Frances en VO, pas Frédérique, eh ouais, magie absurde des traductions) est à ce titre complètement improbable, mais on a envie d’y croire, tout simplement parce qu’il y a des échanges de regards qui sont des tremblements de terre érotiques, qui peuvent faire tomber les convenances et faire oublier les fines coutures scénaristiques. Avec tout plein de trouvailles pour accentuer cette dimension érotique, à l’image de la séquence où ils rampent l’un vers l’autre et récupèrent en play back les paroles de la chanson. De toutes les comédies musicales, c’est sans doute celle qu’on a le plus taxé de film pour midinettes et pourtant, c’est celle qui respire le plus le cul. Il y a quelque chose de très bestial dans la relation entre Frances et Johnny, et quelque chose de très violent dans le petit monde qui s’agite autour d’eux. Les vieux sont des voleurs, une femme est accouchée par un boucher, la caricature du gendre idéal s’avère être une belle raclure, le jeune gérant (aux faux airs d’Emmanuel Macron) veut lisser chaque spectacle à base de fox-trot ou pachanga. C’est un monde qui implose. Une page qui se tourne comme elle se tourne aussi pour Baby, devenue femme, de sentiments, de désirs et de sexe.