Archives pour la catégorie Francis Ford Coppola

Peggy Sue s’est mariée (Peggy Sue got married) – Francis Ford Coppola – 1987

01. Peggy Sue s'est mariée - Peggy Sue got married - Francis Ford Coppola - 1987Falling in love, again.

   6.0   Découvrir Peggy Sue s’est mariée aujourd’hui m’aura permis de constater (ce que je savais déjà) combien Noémie Lvovsky il y a dix ans, avec Camille redouble (que j’aime beaucoup) a tout pompé – au point que c’en est un peu gênant, surtout qu’elle ne le revendiquait pas tant que ça dans mon souvenir – sur le film de Coppola.

     Peggy Sue, mère de famille sur le point de divorcer, se rend à une soirée organisée par les anciens élèves de son lycée. Au moment où elle s’apprête à faire un discours en tant que reine du bal, elle s’évanouit et se réveille en 1960, dans la peau de celle qu’elle était vingt-six ans auparavant.

     Peggy Sue redécouvre le monde de ses dix-sept ans avec le regard de la quarantenaire d’aujourd’hui. Et tout ce qui lui semblait normal ou anodin jadis, prend une tournure extraordinaire. Faire un repas de famille, chanter l’hymne national, se retrouver à l’arrière d’une voiture, tout devient grandiose et libère donc un enthousiasme décalé, une énergie anachronique.

     Peggy Sue s’est mariée fait partie de ces nombreux films des années 80, initiés évidemment par Spielberg et d’autres, qui fantasment l’Amérique des années 50/60. Un peu comme le faisait déjà American graffiti, de Lucas (produit par Coppola) en 1974.

     J’aime que le film soit un anti Retour vers le futur dans sa façon si singulière de replonger dans ces années-là. Il n’y a rien de vraiment rutilant, rien qui soit dans le gadget, rien qui soit non plus politique : Peggy Sue avouant son secret à l’intello du lycée, évoquera les transformations high tech, les découvertes (le premier pas de l’homme sur la lune par exemple) mais jamais ne parlera de Kennedy ni du Watergate. Tout y est plus intime, du point de vue d’une seule femme, un peu hors du monde, dans la peau d’elle-même ado.

     Et il y a des moments déchirants comme lorsqu’elle entend la voix de sa grand-mère au téléphone. Ou comme lorsque plus tard elle rend visite à ses grands-parents et leur fait part de son secret. Ou un simple retour dans sa propre chambre. Un simple repas de famille qu’on partage.

      Oui mais voilà, il y a un Mais. Je sais que certains sont fans du film et j’aimerais savoir si ceux sont les mêmes qui sont fans de Nicolas Cage ? Car c’est un vrai problème ce mec là-dedans (Ou dans Sailor et Lula, film que je n’aime pas beaucoup non plus). De mon côté, je l’aime bien dans Rock ou Les ailes de l’enfer, car son outrance naturelle se marie avec l’outrance (et la médiocrité) des réas/films. Pareil dans Snake eyes (qui est une merveille), il est bizarrement parfait. Mais là ?

     Que fait-il dans un film aussi doux, diaphane, aussi léger, si j’ose dire, car c’est vraiment un film très solaire, malgré la nostalgie qui en émane ? Il m’a semblé tellement complètement à côté de la plaque qu’il m’a ruiné la promesse de comédie de remariage. Pourtant c’est beau cette idée que Peggy Sue, finalement, souhaite revivre la même chose. Refaire pareil car c’est ce qui fait ce que tu deviens. C’est beau si c’est pas avec Nicolas Cage.

     Au début j’ai pensé qu’en revenant vingt-cinq ans en arrière Peggy Sue se rendrait compte de sa connerie d’être avec ce mec qui tente d’en jouer plein d’autre en même temps, qui surjoue tout, avec ses yeux, ses postures, qui surjoue même une descente d’escalier. Et c’est l’inverse qui se produit. Elle retombe amoureuse de lui, la débile. J’ai tenté de me rattacher à quelqu’un de plus sensé mais on ne voit qu’elle. Et les grimaces de l’autre tâche.

     Vraiment dégoûté car j’ai trouvé le début fantastique, comme une sorte de négatif (plus mélancolique, moins ludique) de Retour vers le futur, avec la force plastique d’un Coup de cœur : Rien que cette idée, aux extrémités, de s’ouvrir et se fermer en miroir, sur un travelling arrière sortant d’un miroir, c’est superbe.

      Je le regrette infiniment, car il y avait quasi tout pour que Peggy Sue me foudroie. Mais je n’ai jamais pu passer outre Nicolas Cage. Je déteste trop ce personnage pour aimer un personnage qui tombe amoureuse de lui, deux fois.

Apocalypse now – Francis Ford Coppola – 1979

10. Apocalypse now - Francis Ford Coppola - 1979This is the end.

   10.0   En ces temps troubles, de confinement pour un horizon inconnu, parmi les gros manques, sans surprise il y a la salle de cinéma. Deux mois sans voir un film sur grand écran – Le très beau Dark waters, de Todd Haynes, le 2 mars, en ce qui me concerne – c’est terrible. Un peu le sentiment d’être le capitaine Willard coincé, hors du temps – Est-ce vraiment le début du film ou l’anticipation électrique, démoniaque de son halluciné final ? – dans sa chambre d’hôtel à Saigon. J’en avais presque oublié de dire que j’avais revu Apocalypse Now en salle, ce jour d’octobre 2019.

     Comment ne pas être impressionné par ce nouveau montage, apprécie qui plus est – et pour la première fois en ce qui me concerne – dans une salle de cinéma ? J’en rêvais de revoir Apocalypse Now dans ces conditions. Mais le revoir au moyen d’une nouvelle version, intermédiaire, plus longue que l’originale mais plus courte que la Redux, offre la sensation de le redécouvrir encore sous un autre angle, autre rythme. Ce montage de 3h pile – dit Final Cut – se rapproche de ce qu’on pourrait nommer « Perfection définitive » d’un film parfait. Plus équilibré que jamais. L’hallucination totale, évidemment.

     Après Le Parrain et son succès critique et public, suivi de près par sa non moins colossale suite, tous deux entrecoupés du sublimissime Conversation secrète qui lui valut une palme d’or, Coppola – épaulé ici de John Milius – se lance dans une autre aventure, gargantuesque cette fois, en adaptant le roman de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres. L’action s’y déroulait dans le Congo du début du siècle, Coppola la transpose en pleine guerre du Vietnam. La base du projet respire d’emblée la démesure.

     C’est l’histoire d’une mission confiée au capitaine Willard (Martin Sheen, incroyable, depuis sa chambre à Saigon jusque dans les marécages du Cambodge) de remonter la rivière, aux confins de la jungle, afin de trouver puis d’éliminer un certain colonel Kurtz, ex-officier des forces spéciales coupable de sécession en plus d’avoir dit-on créé une secte païenne dont il serait le gourou sanguinaire.

     La fascination exercée par Apocalypse now se trouve en grande partie dans l’étroite connexion de son récit et son tournage. La mission de Willard se reflète en effet dans celle tout aussi dionysiaque de Coppola, tant on sait que le film fut une véritable traversée de l’enfer, odyssée épique entre la difficulté de ses conditions de tournage aux Philippines, ses nombreux problèmes de production, la crise cardiaque de Sheen, l’obésité surprise de Brando. Il faut extirper un monstre de ce voyage. Kurtz sera pour Willard ce qu’Apocalypse now sera pour Coppola.

     Le film est évidemment traversé par des séquences aussi cultes que dantesques, qu’il s’agisse de l’attaque du village Vietcong par la cavalerie aéroportée au son des La chevauchée des Walkyries, de Wagner ; de l’introduction hallucinée, mythique accompagnée du The end, des Doors ; du spectacle de danse nocturne au surf au milieu des obus ; des longues traversées de fleuve en pirogue avant l’escale engourdie sur la plantation française.

     Peut-être le film-symbole de la démesure américaine, son appétit colonial, ses dérives aliénantes, sa démence en sourdine et son obsession pour l’autodestruction. Un chef d’œuvre absolu, évidemment.

Le Parrain (The Godfather) – Francis Ford Coppola – 1972

09. Le Parrain - ‎The Godfather - Francis Ford Coppola - 1972Le Don est mort, vive le Don.

   10.0   Découvert tardivement, vers 18 ans, à l’époque où j’avais à cœur de voir tous ces grands classiques immuables, Le Parrain, avait été une déflagration pour moi. Il a pu être une sorte de déclencheur de ma cinéphilie, je pense. C’était surtout ce premier opus que j’adulais à l’époque, les autres m’avaient semblé plus délicats à apprivoiser, plus riches, moins immédiats même s’ils logeaient parfaitement dans sa roue. J’avais ensuite recroisé la route de cette saga quelques années plus tard, il y a six ans, exactement. Je m’en souviens car je venais d’emménager et attendais la naissance de mon garçon. Cette fois-là j’avais un peu dévalué le premier Parrain au profit du second qui m’avait autant impressionné que terrassé, par son ampleur mélancolique, son épique construction et son insolence à s’ériger contre le classicisme du film originel. Entre ces deux visionnages j’avais aussi lu le magnifique roman de Mario Puzo, que je pourrais facilement relire aujourd’hui tant ce fut un choc aussi. J’y pensais depuis un moment, six années ont donc passé, j’ai revu le premier Parrain.

     Et c’est un monument. Un opéra macabre d’une puissance et d’une limpidité inouïes. Une tragédie familiale – plus encore qu’une fresque mafieuse – d’une précision d’orfèvre. Un cercle funèbre – qui s’ouvre sur un mariage et se ferme sur un baptême, durant lesquels Coppola filme tout sauf un simple mariage et un simple baptême – filmé à l’économie, jamais dans le spectaculaire, guidé par de longues scènes pivot et de grandes ellipses. C’est une boucle terrible, tragique. C’est le déclin d’un homme et l’avènement de son fils. La mort d’un vieux gangster, la naissance d’un caïd des temps modernes. Mais c’est plus complexe qu’un simple passage de relai. Si Vito apparaît d’abord comme une figure respectée et invulnérable – Le premier plan est un léger travelling arrière laissant apparaître sa masse dorsale aussi protectrice que tranchante – pendant les festivités accompagnant les fiançailles de sa fille – encore qu’on puisse déjà détecter chez lui une forme de lassitude, des signes de fatigue – Michael, lui, qui revient tout juste de son service dans le Pacifique, semble bien loin des affaires familiales – Il faut le voir raconter à Kay, sa petite amie, cette anecdote violente de « la cervelle ou la signature » avant de lâcher un « That’s my family Kay, that’s not me ». Difficile de prévoir qu’il remplacera bientôt son père en qualité de Don.

     Et c’est toute la logique et tragique cruauté de ce destin familial qui distribue les cartes à chacun d’eux, qui se voient accaparer leurs premières volontés par les circonstances ou les valeurs traditionnelles. Vito aura toujours voulu que Michael devienne un brillant sénateur. Michael, lui, aspire davantage à une vie de new-yorkais amoureux et bohême. Sonny a tout de l’homme d’affaires en devenir mais son impulsivité et son manque de discernement l’empêchent de capter l’admiration de son père ; Fredo, lui, est l’exact inverse, timide, simplet, presque efféminé quand Sonny fait lui figure de parfait mâle dominant. Et Tom, peut-être le plus en phase avec les choix de Vito, jusque dans ses postures, son calme et sa détermination, est une pièce rapportée quoiqu’on en pense, puisqu’il est élevé par les Corleone, comme un frère de Michael, Fredo et Sonny, mais ça n’empêche pas qu’il s’appelle Hagen et non Corleone. Le déchirement se trouve déjà dans cette structure mal-agencée. Et sera précipité par un premier fait d’armes, loin d’être anodin – après tout, ailleurs on s’en serait seulement pris à Brasi – puisqu’il concerne Vito Corleone, lui-même, criblé de cinq balles à quart de film. Tentative d’assassinat qui ouvre une plaie béante et un boulevard de succession à Michael, déterminé à éliminer les responsables. Amorce brutale d’un virage criminel, plus froid, plus méthodique, plus implacable, dont il sera bientôt le chef de rang, notamment durant la vague d’assassinats qu’il finit par commanditer et qui débarque en parallèle du baptême de son neveu (dans un montage alterné colossal, entièrement inventé par Coppola, puisque ça n’existait pas dans le roman) et constituera autant un point d’orgue (puisque le film se ferme après ça sur son sacrement doublé d’un terrible mensonge à celle qui l’aime) qu’elle ouvrira sur une dimension criminelle plus cruelle encore dans les suites à venir.

     La boucle tragique apparaissait d’emblée, dès cette première scène, durant laquelle un homme annonce qu’il croit en l’Amérique avant de supplier l’imposant Don Corleone de réparer son chagrin causé par des petites frappes qui ont défigurés sa fille. Parfum solennel et cordial qui diffuse déjà son odeur de mort, et plus encore puisqu’on l’apprend au détour d’une phrase de Marlon Brando, que l’homme en question face à lui, Amerigo Bonasera, ironie tragique, est croque-mort. En acceptant sa requête, Vito planifie en triste prophète les drames à venir. Qu’il fasse plus tard appel à Bonasera pour embaumer le corps de Sonny, massacré, restera l’un des derniers beaux gestes d’un père défait et d’un homme d’affaires loyal.  Un criminel de parole, si j’ose dire, qui faisait régner le respect, avant que la drogue devienne le marché dans lequel investir, que Tattaglia et consorts s’en mêlent et que Michael prenne la relève.

     Le film est traversé de situations sidérantes, parcouru de visions dantesques difficilement oubliables. Sans surprise, je m’en souvenais très bien. Pas comme si je l’avais vu hier, mais presque. Dans mon souvenir, l’ouverture sur le mariage de Connie prenait davantage de place. Dans mon souvenir, Sollozzo prenait deux balles comme son compère McCluskey. Dans mon souvenir, on attaquait Vito Corleone avant Luca Brasi. Dans mon souvenir, la partie sicilienne était découpée en ellipses mais pas montée parallèlement avec la vie à New York. Certes, ce ne sont que des détails mais il est toujours agréable d’être surpris par un film qu’on a l’impression de connaître dans le moindre de ses enchainements et rebondissements, en plus de le redécouvrir constamment d’un point de vue formel.

     Il y a pourtant des partis-pris qu’on n’oublie pas. A ce titre, les vingt-cinq minutes qui ouvrent Le parrain se déroulent dans la propriété familiale, pendant le mariage de Connie. Entre les nombreuses réceptions du Don dans son bureau, le film nous convie aux festivités, nous apprend à connaître chacun des personnages dans ces moments détachés, comme Cimino le fera aussi bientôt dans la première partie de Voyage au bout de l’enfer. On danse, on chante, on discute, les journalistes s’incrustent, les flics mettent des PV sur les Lincoln et Cadillac, On tente à plusieurs reprises une photo de famille – comme si déjà on figeait dans le temps un bonheur qu’on ne retrouvera plus – et, comme le veut la tradition selon laquelle aucun sicilien ne peut refuser de service le jour du mariage de sa fille, Don Corleone accueille entre autre, Amerigo Bonasera, donc, et Johnny Fontane qui demande à Don ses faveurs pour lancer sa carrière à Hollywood, auprès d’un producteur qui ne veut pas de lui. Par ces quelques pistes, le film a ouvert une boite de Pandore. Fontane aura très vite ce qu’il convoitait – la séquence emblématique de la tête de cheval chez le producteur Woltz, sera le premier éclat de violence que le film nous offrira. Et c’est pourtant ailleurs que le film va tout chambouler : la mainmise sur le trafic de drogue auquel Vito, contrairement aux quatre autres familles, refuse de participer.

     Evidemment, il faudrait aussi évoquer la somptueuse composition de Nino Rota, véritable valse funèbre en plusieurs tonalités, guidant toute l’ampleur tragique du récit. Il faudrait aussi parler de l’interprétation globale, les femmes autant que les hommes, mais tout particulièrement de la naissance d’un très grand à savoir Al Pacino. Il faudrait dire aussi combien dans ses brèves accalmies (Le mariage de Michael et Apollonia en Sicile, le dernier jeu entre Vito et son petit-fils entre les plans de tomates du jardin familial, le bel échange de paix éphémère entre Corleone et Tattaglia) le film est aussi renversant que lors de ses majestueuses séquences pivots (Le double meurtre dans le restaurant du Bronx, la mort de Sonny à la gare de péage, l’assassinat des grands pontes) ou ses saillies criminelles plus discrètes mais non moins puissantes – Lorsque Clemenza fait tuer Paulie Gatto devant les champs de blé, observés par la statue de la liberté ; Ou bien la mort, terrible, de Carlo, commanditée par le parrain de son fils. Et parmi la myriade d’anecdotes qui accompagnent cet objet colossal, une, essentielle : Francis Ford Coppola a 32 ans quand il fait Le Parrain. Mon âge aujourd’hui, quoi. Bim.

Coup de cœur (One from the heart) – Francis Ford Coppola – 1982

37.-coup-de-coeur-one-from-the-heart-francis-ford-coppola-1982-1024x808   6.0   J’aime bien la démesure et les couleurs, on sent que c’est du Coppola, on pourrait même dire qu’on sent que c’est du Coppola post Apocalypse now. Mais ça ne me touche pas vraiment, j’ai trop l’impression d’être devant un dispositif, un tour de force un peu calculé plus que devant une histoire, qui a pourtant tout pour être déchirante.

Conversation secrète (The conversation) – Francis Ford Coppola – 1974

Conversation secrète (The conversation) - Francis Ford Coppola - 1974 dans * 100 5009_5Out of nowhere.  

   10.0   Le premier mouvement du film annonce sa direction. Le générique continue de s’écrire quand un plan global en plongée montre la foule sur une grande place de San Francisco, une imbrication de mouvements curvilignes, dont on ne peut comprendre les desseins en leur entièreté. Pourtant, le plan se focalise, lentement. Et pendant ce temps, la source sonore elle, n’est pas non plus évasive, elle est imprécise, balbutiante mais ciblée, elle ne change pas comme l’image appréhende les silhouettes humaines. Les premières minutes sont déstabilisantes dans la mesure où l’on ne sait pas vraiment où le film nous emmène. On se doute très vite d’un espionnage, une conversation sur écoute, une filature (si ce n’est la prémisse d’une exécution étant donné que le premier plan hors foule est celui d’un couple dans le viseur d’un sniper) mais ni l’image ni le son semblent s’accorder. Comme Antonioni avec Blow up, Coppola a compris que le cinéma pouvait aussi être un terrain de jeu d’une ambition formelle éblouissante au service d’un récit passionnant. Cette séquence, qui ne joue sur aucun effet d’accélération (aucun plan syncopé, aucune musique l’accompagnant) se coupe brutalement et bien qu’elle ait été tangible avec une approche réelle de la durée d’une filature on ne peut s’empêcher de très vite la regretter, sans doute parce qu’elle est mise en scène avec une volonté peu commune, mais surtout parce qu’elle nous laisse dans une impasse totale. Et bien qu’à cela ne tienne, le film nous réserve pourtant ses plus beaux moments : Harry Caul (Gene Hackman) gère cette filature et sa mission est de rendre audible une conversation entre un homme et une femme, au moyen de nombreux micros new age qu’il met en place aux quatre coins du square. Le film devient alors la reconstruction de cette mission, la reconstitution de l’enregistrement, afin d’homogénéiser la sortie sonore, de la centrer sur l’objet de la mission et par un astucieux montage image Coppola insère dans ce travail de fourmi quelques plans de la filature comme si ces images étaient celles que Caul avait en tête, qui se brouillaient ou se clarifiaient à mesure que le son se précisait. Ce travail de minutieux passionné, qui pourrait très bien être finalement aussi celui de Coppola lui-même devient pour Caul une obsession puisqu’il sent qu’il est le vecteur d’une machination non pas politique (on se doute que son travail doit beaucoup se résumer à de simples écoutes journalistiques) mais personnel, diabolique dont il pressent des conséquences terribles – au moins pour le couple dont il est sensé enregistré la conversation. C’est l’homme victime de son art. Il est d’ailleurs étonnant de voir rétrospectivement que ce film fut réalisé avant Apocalypse Now tant l’amalgame entre Caul et Coppola pourrait très bien se rejoindre. Mais l’on sait que le cinéaste a cette faculté de tout anticiper, car si ses films les plus récents revêtent quelques trouées autobiographiques (Twixt étant clairement l’expiation de la douleur qu’engendra la perte de son fils, mort en 1986 dans un accident de bateau) faut-il rappeler que déjà dans Dementia 13, la présence de l’eau, du bateau et de la noyade planait déjà ? Conversation secrète pourrait alors être une mise en garde de soi-même, ne pas sombrer dans le piège de son propre art et l’on sait combien Apocalypse Now fut un tournage éprouvant pour ne pas dire catastrophique qui fut uniquement sauvé du désastre financier par le succès amené par le festival de Cannes où il y décrocha la palme d’or, sans cela Coppola, comme Cimino (qui aura beaucoup moins de chance) ne s’en serait pas relevé de sitôt. Conversation secrète, en plus d’être un magnifique essai formel, est un film d’espionnage ancré dans son époque puisqu’il est contemporain de l’affaire du Watergate. C’est un film incroyable qui joue beaucoup sur les apparences et met en lumière ces zones d’ombres qui régissent une machination que l’on croit maîtriser. Comme toute obsession, le film se profile vers la folie et l’homme au saxo de méditer éternellement sur ce double sentiment (entre peur et lâcheté) qui aura animé sa mission. A défaut d’avoir été entièrement lâche, puisque pris dans la spirale événementielle la marche arrière n’était plus possible, il ne cessera d’avoir peur. Le mouchard est mouché (comme l’avait dit pour plaisanter l’un de ses collègues plus tôt dans le film lui faisant la blague de le mettre sous écoute pendant un moment de séduction). Il s’en remet à la musique, unique son pur, qu’il ne peut pas ne plus maîtriser. C’est probablement le film le plus complexe à tout point de vue, réalisé par Coppola.

Tetro – Francis Ford Coppola – 2009

19187500Affaire de famille.     

   8.0   Le grand retour de Sir Coppola ! Malheureusement je ne connais pas son précédent film, L’homme sans âge, mais paraît-il que c’est excellent. Il paraît aussi que ce Tetro est un cran au-dessus. Je veux bien le croire. Quelle séance de cinéma formidable ! Quelle magnifique histoire ! Tetro évoque avant tout les retrouvailles de deux frères. De passage dans le coin le jeune Bennie vient rendre visite au frangin qu’il n’a pas vu depuis son enfance. Tetro. C’est le nouveau prénom de ce frère, autrefois appelé Angelo. Bennie veut d’abord comprendre pourquoi son frère lui avait laissé une lettre mentionnant qu’il quittait le terreau familial, dans laquelle il lui promettait de revenir le chercher un jour et qu’il n’a pas tenu sa promesse. S’il n’y avait que ça ! Bennie remarque aussi que Tetro a refait sa vie sans évoquer l’existence de son frère. Le problème c’est que sa blessure est très profonde et beaucoup plus conséquente. Les cicatrices sont loin d’avoir disparues. Et à défaut d’avoir des réponses de son frère, quasi-muet comme une tombe dès qu’il s’agit d’expliquer ses choix ou de ressasser le passé, Bennie va mener sa propre enquête qui le mènera vers la plus folle des explications. C’est donc par l’intermédiaire de Bennie que l’histoire de Tetro va revivre. Une tragédie familiale hors du commun qui parle de rivalité et du poids insurmontable des évènements dramatiques. Du rôle écrasant du père.

     Et pour orchestrer cet opéra, ce film total, Coppola utilise tout ce qui est en son possible. En un sens on pense à Bellocchio et Vincere pour sa démesure, sa soif de cinéma. Tout le présent dans le Coppola est en noir et blanc. Et le grain est superbe. Tout ce qui est constitué du passé familial (écrits de Tetro, souvenirs de Tetro) est en couleur et dans un format différent. Peut-être un format vidéo (je ne m’y connais pas suffisamment) poussant encore plus loin l’expérimentation intime, Coppola ayant déclaré qu’il avait insérer dans son film des séquences en écho à sa propre vie familiale. Cette liberté, cette originalité aurait très bien pu tomber à plat. Curieusement ça lui rajoute un côté flamboyant. De la même manière Coppola illustre tout cela via Les contes d’Hoffmann dont on voit certaines images, qui est dans le film, un souvenir cinématographique de Bennie avec son frère. Sublime plan en couleur par ailleurs.

     La construction de Tetro est bouleversante, jusqu’à la dernière seconde et ces deux corps au milieu des lumières. Le film progresse par rebondissements et pourtant il n’y a absolument rien à jeter. Un mot sur les acteurs qui sont toutes et tous parfaits. Vincent Gallo au centre, terrassant de beauté et de charisme muet. Et sous ses apparences de film lourd Tetro a cette qualité, donnée à très peu de films qui brassent tant, c’est qu’il est d’une légèreté absolue. Il emporte tout sur son passage et pourtant il est très calme, très posé. Finalement à l’image de Vincent Gallo là aussi.


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