L’argent.
6.5 Ce n’est pas tant la mise en scène qui fait de Complices un film passionnant mais bien sa construction et l’intensité dramatique que dégage chacun de ses acteurs. Il y a deux parties dans Complices. Bien distinctes même si elles se chevauchent en fin de film. D’une part une histoire d’amour de jeunes paumés sous fond de prostitution avec un meurtre à la clé. D’autre part l’enquête de deux flics sur ce meurtre. L’avant et l’après.
Vincent a 18 ans, vit dans un bungalow et se fait de l’argent en rencontrant des hommes riches sur Internet avec lesquels il organise des rencontres sexuelles moyennant rémunération. Vincent est un junkie. Un junkie du cul. Enfin pas vraiment. Il dira plus tard à sa petite amie qu’il ne prend pas de plaisir, qu’il se retrouve dans une démarche mécanique seulement pour se faire du fric. Voilà deux ans que Vincent fait cela. Seulement un beau jour, en plein cybercafé il rencontre cette jeune fille, Rebecca. Tout se passe relativement bien jusqu’à l’aveu du mensonge. Complices prend un virage sec à cet instant et surprend par les choix de ses protagonistes avec au centre un amour fou, une jalousie progressive et une violence sourde, qui s’apprête à jaillir.
En parallèle – disons toutes les 5/10 minutes, toutes les 3 ou 4 séquences – il y a une enquête policière. Elle ne se joue pas sur le même niveau temporel car l’on observe deux flics, Melki et Devos, tous deux excellents de retenue, enquêter sur le meurtre d’un garçon, Vincent, retrouvé mort par étranglement en plein Rhône. Si le travail de mise en scène dans la première partie, dans une démarche plus rapide, plus elliptique, convoquait par moment le travail de Larry Clark, dans ce parti pris osé, sa progression un peu folle, on pourrait rapprocher la partie policière d’un travail à la Haneke, beaucoup plus clinique, très épuré. Peut-être que ce sont les longs échanges de ping-pong qui m’y ont fait penser. Evidemment on est très en dessous de ces grands cinéastes, la faute à une volonté de vouloir montrer énormément. On n’en veut pas au cinéaste. Sa réalisation a au moins cette qualité de nous emporter dans une spirale rythmique assez surprenante.
C’est tout de même un film d’âmes en perdition. Ceux qui n’ont pas encore vécu et vivent en totale insouciance. Ceux qui ont vécu et qui ont peur d’avancer, peur de remuer le passé. Le destin de cette jeune fille n’avait aucune chance de croiser celui de Vincent, pourtant l’amour fou qui les étreignent semble tout emporter sur son passage, même jusque dans cette chambre où nos deux tourtereaux en sont réduits à faire la couple pute pour un bourgeois mal dans son couple qui ne tardera pas à dévoiler son penchant pour le sadomasochisme. Puis celui de cet homme, ce flic, lui aussi complètement paumé, dont la fracture remonte si loin, peut-être au temps où il avait l’âge de Vincent. Et cette femme flic dont la rencontre amoureuse tant recherchée se fait attendre. Il n’y a pas de frontières entre ces deux générations. Ados comme adultes semblent baigner dans une atmosphère sinon malsaine au moins suffisamment glauque, pleine de regrets refoulés, de solitude permanente Un peu comme ces villas perdues au fin fond de la ville qui donnent une apparence bien proprettes avant de révéler la partie invisible, ces corps errent à n’en plus finir, dans un climat parfois doux, parfois drôle avant que les fissures du passé et celles du présent ne viennent tout engloutir.
Complices a cette faculté à surprendre de part sa construction narrative mais aussi par le jeu habité de ses personnages. Deux histoires qui vont être beaucoup plus liées qu’on ne le pense. Si le film baigne comme cela dans un climat oppressant, parfois glauque, parfois incandescent, il sort en plus une dernière cartouche qui le rend plein d’espérance. Une fin déchirante.