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Lux Æterna – Gaspar Noé – 2020

18. Lux Æterna - Gaspar Noé - 2020Red inferno.

   7.0   Lux Æterna appartient à un genre, plutôt un sous-genre de film dans le film. Voire de film sur la fabrication d’un film. En l’occurrence il s’agit même d’un film sur la fabrication d’une scène d’un film.

     La scène d’un film de sorcières. Béatrice Dalle y incarne la réalisatrice. Charlotte Gainsbourg son actrice. On est sur un plateau, sur le point de tourner la scène de bûcher. Auparavant, un prologue montrant des extraits de La sorcellerie à travers les âges (1922) de Benjamin Christensen ainsi que Jour de colère (1943) de Carl Theodor Dreyer, nous invitait à voir des images de sorcières jetées au feu.

     Lux Æterna s’ouvre sur une citation de Dostoïevski. Il sera vite relayé par Godard, Fassbinder, Dreyer ou encore Buñuel. C’est dire où se place Noé dans le cinéma, mais aussi dans son rapport au cinéma. Mais le plus troublant ce sont moins ces cartons de citations que le choix de signature, en effet on ne voit que les prénoms : Jean-Luc, Rainer W, Carl Th, Luis. On pourrait se dire que Noé – Devrais-je dire Gaspar ? – entretient une proximité avec ses maitres, qu’il les considère comme des amis voire qu’il les cite religieusement, comme des prophètes monothéistes. Mais ce choix ne leur incombe pas entièrement, il est préservé pendant le film (Les personnages se sollicitent, se désignent voire s’invectivent uniquement par leurs prénoms) et jusqu’au générique final : Les noms des acteurs et techniciens n’apparaissent pas : On lit Béatrice et non Béatrice Dalle, on lit Samantha et non Samantha Benne, Ken et non Ken Yasumoto.  

     Un effet d’esbroufe de plus ? On sait Noé coutumier du fait. Et si c’était une volonté de mettre tout le monde sur le même pied d’égalité ? Un geste donc moins obscène qu’il n’y parait surtout quand on accouche d’un film qui fait entrer le tournage d’un film dans un tel chaos. Le chaos est inhérent au cinéma de Noé, évidemment et il n’a jamais caché son goût pour la beauté de ce chaos, ne serait-ce que dans son obsession des formes : Le plan-séquence notamment, n’a chez lui pas vraiment de velléités immersives, il produit avant tout de la cacophonie à l’intérieur (le film implose) et de l’évanouissement à l’extérieur (le spectateur explose). Mais pour la première fois c’est le monde du cinéma qui entre dans son dispositif. Avec cette idée de film dans le film, procédé quasi ancestral qu’il va tout de même parvenir à dynamiter à sa manière.

     Noé précise dans le dossier de presse que l’une des principales caractéristiques de son tournage était de faire jouer ses acteurs après minuit, de façon à ce qu’on ressente une certaine fatigue physique. Afin surtout de briser la frontière entre le vrai et le faux. Il y a toujours cette contradiction fascinante dans le cinéma de Noé, entre volonté d’incarnation et logique artificielle. « La plupart des gens qui font des films sont des morts vivants et leurs films leur ressemblent » disait Jean-Luc Godard, dans une citation que le film reprend allègrement, mais qui révèle ici tout son paradoxe : Lux AEterna respire in fine moins la vie que la fabrication. Un peu à l’image de sa dernière citation « Dieu merci, je suis toujours athée » empruntée à Buñuel, il cultive un sens de la punchline plutôt que celui de la transe.

     Ici l’artifice se loge en priorité dans la forme. Le film est en majorité composé de plans en split screen. Esbroufe encore ? Pas tant que ça, puisque rarement le procédé est utilisé pour son utilité première, comme il peut être utilisé chez un De Palma, par exemple. Certes il invite à suivre deux personnages, dans la même temporalité, mais jamais dans un enjeu dramaturgique. A ce titre, la discussion sur les souvenirs de tournages et autres anecdotes croustillantes entre Dalle & Gainsbourg est en split screen, mais elle aurait pu être en plan large, ou en champ contrechamp. Ce premier split screen annonce donc déjà un trouble : On a la sensation d’assister à une vraie discussion de tournage, qui agirait en tant que prologue au film, un prologue à Lux Æterna. Mais le procédé déconstruit le réalisme, et annonce en un sens, que le film a commencé.  Et plus loin c’est autre chose encore, il nous plonge au cœur de deux situations, se déroulant dans deux pièces différentes du plateau et nous condamne ainsi à tenter de suivre ce qui s’y joue, sans jamais se soucier de les organiser lisiblement, non, tant il faut souvent suivre deux discussions indépendantes. Le chaos cher au cinéma de Noé intègre donc la dialectique du plan.

     Qu’en est-il de la conception de Lux Æterna ? Le film est entièrement produit par Yves Saint Laurent, pour une commande de court métrage qui s’étire finalement plutôt sur un format moyen puisque le film dure cinquante-deux minutes.  Noé était contraint de prendre deux égéries de la marque (Il choisit Dalle & Gainsbourg) et de filmer ses produits. Et contraint d’accoucher d’une idée en quelques jours.

     Et c’est peut-être ce qui fascine tant chez lui : Cette sensation que sa prodigalité instinctive fonctionne parfois mieux qu’une préparation forcenée. Autrement dit : C’est un metteur en scène, dans tout ce que cela suppose d’exubérance – Et qui se traduit à l’image avec cette présence d’alter-égo hystérique incarné Béatrice Dalle – mais pas du tout un scénariste. Et c’est aussi sa limite, son paradoxe dans la mesure où Noé, ce qu’il aime c’est raconter des histoires, c’est la destinée romantique qui se dégage de ses projets, aussi expérimentaux puissent-ils être. Ce n’est donc pas tant les climax de ses films qui restent, mais bien une certaine captation du présent, qui fait mine d’échapper au cahier des charges : Ici la montée progressive vers le chaos du tournage, dans Climax l’irruption de cette chorégraphie hallucinante, dans Irréversible une longue discussion dans un métro ou la plongée dans les limbes d’une boite de nuit underground.   

     Sans en être aussi admiratif et fasciné que j’avais pu l’être par exemple par Enter the void, avec tout ce qu’il trahissait de surdosage, il me semble avoir apprécié le voyage, l’expérience – puisque c’est ainsi que Noé le revendique – bien plus que ce qu’il avait produit avec Climax et son prétexte sangria volontiers bouffon.

     Lux Æterna annonce d’emblée son programme en citant Dostoïevski qui évoque « le bonheur suprême ressenti par l’épileptique une seconde avant la crise ». Puis converge vers un éprouvant effet stroboscopique final – qu’il avait déjà un peu utilisé dans le final d’Irréversible – qui prend essor dans un dérèglement technique, entre images et sons, visant à rendre la situation aussi insupportable pour les actrices, l’équipe que le spectateur.

     Du Noé pur jus, en somme, hybride, car, comme souvent, la promesse est partiellement tenue : Il y a du bonheur mais on attend la crise. On ne peut donc nier un certain appétit de la grandiloquence, bien entendu – comme toujours – mais la jubilation provoquée par sa virtuosité est pourtant bien réelle.

Climax – Gaspar Noé – 2018

17. Climax - Gaspar Noé - 2018Sangria di luna.

   3.5   Très déçu par cette nouvelle salve Noé qu’on a survendue depuis son passage cannois à renfort de « huis clos ébouriffant », « danse cauchemardesque » ou « bombe expérimentale » bref un nombre incommensurable de notules dont la presse aime se gargariser, alors qu’on ne l’ovationne pas du tout pour ce qu’il est : Un catalogue du style Gaspar Noé, condensant tous ses précédents films et toutes ses influences, frontalement balancées en introduction à coup de bouquins ou VHS que saupoudrées gaiement d’un bout à l’autre du film.

     Des entretiens (des danseurs que nous allons côtoyer par la suite) introductifs sont offerts sur une vieille télé à tube cathodique, encerclée par Suspiria, Schizophénia, Un chien andalou, Salo ou La maman et la putain, sur la droite ; La métamorphose, L’inconscient, De profundis ou Suicide mode d’emploi, sur la gauche. Joli programme (que l’on sait si l’on connait un minimum Noé, il suffit de se plonger dans le commentaire audio d’Irréversible) dont Climax va s’essayer d’être la mixture avec l’aide d’une bonne sangria empoisonnée. Sans blague.

     Plans séquences aux longueurs impossibles, cartons bêtement illustratifs, avalanches de couleurs antagonistes (au premier plan enneigé et sanglant répond ce sol rouille et ces corridors verdâtres), plans circulaires et plans de plongée à gogo, un peu de caméra épaule tournoyante, une grossesse, un gamin, un inceste, des gays, de la baston, de la coke, de la sangria ainsi que de l’électro bien grasse, de Daft Punk à Aphex Twin, en passant par Dopplereffekt et Moroder, généralement bouffée par les basses.

     Bref, c’est un désagréable mélange entre la séquence de la soirée dans Irréversible, l’ouverture subjective d’Enter the void et sans doute pas mal de Love – aucune idée je l’ai pas encore regardé, j’avais juste envie d’être de mauvaise foi, tout en sachant que j’ai raison. Un best of. Qui va même refaire le coup du générique de fin au début. Et pousser le vice à balancer le générique de début en plein milieu. Pendant que Gaspar fait joujou, moi je suis consterné. Heureusement qu’il me reste ces chorégraphies incroyables.

Enter the void – Gaspar Noé – 2010

Enter the void - Gaspar Noé - 2010 dans Gaspar Noé enter-the-void-1

Tokyo trip.     

   7.0   Noé fait partie de ces cinéastes qui se prennent pour des virtuoses. Volonté de faire quelque chose de différent, voire de révolutionner le cinéma, de manipuler les sentiments du spectateur et conscience de tout cela. Un peu comme Lars Von Trier, cinéaste que Noé affectionne, il le revendique, cinéaste dont il semble se rapprocher dans la volonté créatrice formelle (mouvements de caméra, improvisations, plans impossibles…) de même que sur l’aspect mélodramatique de leurs récits. A la différence que Noé aime moins l’esprit glauque que crasseux, il ne filme pas à hauteur d’hommes, enfin pas vraiment, il entre dans les personnages, il virevolte autour d’eux où les enferment dans des cadres exigus. C’est le cas dans ses premiers films – Carne et Seul contre tous – où il nous fait partager les sentiments d’un boucher pervers, raciste, dont la vie minable et la société qui l’entoure le rendent taré. Film étouffant au possible. C’est le cas aussi dans Irréversible où il se place en tant que voyeur, au-dessus des personnages en début de film (ce sera le procédé majoritairement utilisé dans Enter the void), avant d’entrer à leurs côtés pour un déluge de violence où l’on à l’impression d’être leurs doubles, puis en fin de film en caméra aérienne, plans-séquences posés, mais davantage comme un œil extérieur, presque celui d’un fantôme, comme celui d’Oscar dans Enter the void.

     Avec Enter the void (initialement appelé Soudain le vide, judicieusement rebaptisé) Gaspar Noé expérimente encore davantage. C’est son film, et de très loin, le plus jusqu’au-boutiste à ce jour. Générique tout simplement hallucinant dans un premier temps. Noé faisait sensation avec Irréversible en mettant le générique de fin au début du film, défilant en sens inverse à l’écran, de haut en bas, lettres renversées. Il récidive ici avec ce montage épileptique, où l’on n’a le temps de rien lire et on est agressé par un gros techno surpuissant et des lettres pleines de couleurs à donner mal au crâne d’entrée. Générique le plus fort vu depuis longtemps. Ensuite, ce que l’on appellera la première partie, où l’on suit intégralement en caméra subjective, en temps réel, et en plan-séquence unique (mais clairement truqué) les derniers instants de la vie d’Oscar dans un Tokyo aux couleurs et aux bruits ahurissants. Je reviens un instant sur les premières secondes du film où l’on voit Oscar et sa frangine (Paz de la Huerta) sur le balcon de leur appartement, accoudés face à un immense Love Hôtel aux couleurs psychédéliques et Oscar qui demande à Linda d’observer cet avion, unique lumière dans le ciel nocturne. Il y a une telle sensation de vertige dans cette scène, j’ai beaucoup pensé à Cloverfield – la scène sur le toit pendant la première explosion – j’ai trouvé ça tout simplement monstrueux. Il y a un moment fort dans cette longue séquence subjective : Oscar se fait une pipe de DMT, drogue à la faculté de faire ressentir le passage entre la vie et la mort, et se laisse aller dans un long trip psychédélique. Six minutes durant on se croirait en train d’observer un lecteur Windows media, ça c’est pour ceux qui n’entrent pas dans le délire, ou plutôt revivre quelques sensations éprouvées durant le voyage à l’infini dans 2001, l’odyssée de l’espace. De toute façon c’est citable, puisque Noé le revendique haut et fort que c’était son rêve de faire une séquence hallucinatoire à la 2001. De la même manière il ne cache pas que les séquences au-dessus des personnages, où il les suit d’une pièce à une autre, d’un quartier à un autre, il les a pioché chez De Palma. Pour en revenir à cette séquence, elle représente ce que j’aime dans le film, au moins dans cette volonté totalement libre de faire partager un délire. Que l’on entre dans le film ou pas, on ne peut nier le fait que Noé ait réalisé un trip, qui sort en totalité de sa tête, un truc qui ne ressemble à aucun autre. Pour cette simple raison je trouve cette première partie épatante.

     Et là c’est intéressant : Interprétation libre. Je trouve les dialogues avec son pote au début complètement superflus. Celui-ci lui parle de la mort, de réincarnation, du livre des morts tibétain (Avant tout on revoit des instants de sa vie, puis on a le don d’ubiquité, de tout voir et de tout entendre, avant d’avoir le choix d’une lueur, d’en sortir ou non, de se réincarner…) et c’est en toute logique que tout le film ne fait qu’explorer la théorie expliquée par son ami. En toute logique donc, malheureusement. Ça ne me plait pas. Alors, comme ça ne me plait pas, que je trouve ça gros, presque grossier, j’essaie de voir autrement. Il n’y a rien dans le film qui ne dit pas que l’on est en train de vivre un trip hallucinatoire total, dont le point d’orgue serait le Love Hôtel et la réincarnation finale, qui provoquerait son propre réveil. J’aime l’idée d’un trip total. Parce que dans la seconde partie (nous sommes l’esprit d’Oscar, nous voyons des moments de sa vie, dans un maelström éprouvant) il y a des choses que je n’aime pas trop : c’est le côté mécanique des transitions (un objet en appelle un autre, un visage en appelle un autre) mais surtout les coïncidences temporelles un peu bizarres. Dans la troisième partie, l’esprit d’Oscar semble virevolter, tente de trouver sa place, et se déplace par sources lumineuses (oh le procédé relou). Une partie intéressante mais très vite éreintante. On voudrait que ça se termine, vite. Et puis ces allers et venus entre les immeubles de la ville, franchement c’était saoulant. C’est ce que je reproche au film en fin de compte, ce côté mécanique. Il y a moyen de partir vraiment dans un délire sans précédent, au lieu de ça, de nombreuses scènes se répètent, et surtout tout devient prévisible. Noé nous fait voyager à travers un esprit, et il le condamne à une contrainte des distances, comme s’il était encore un corps, un esprit ‘téléportable’ aurait été plus judicieux. Rien ne l’empêchait de le faire.

     Mais Enter the void explore une de mes grosses faiblesses au cinéma. A partir du moment où je trouve quelque chose de fabuleux dans un film (ici en l’occurrence il s’agit du générique, de la partie en subjectif et de la scène au Love Hôtel) il m’est alors difficile de ne pas aimer le film, à moins que celui-ci en devienne tellement insupportable qu’il efface mes fortes émotions ressenties précédemment. Ce qui donne une poignée de film que je n’ai pas honte d’aimer, le terme est trop fort, mais que j’aurai probablement regardé d’un autre œil s’ils étaient dépourvus de certaines séquences qui me happent. Récemment, avant Enter the void, c’était Vahlalla rising qui m’a fait cet effet. L’ambiance musicale et le silence me plaisaient. Il y a quelques années, il y avait Apocalypto, dont j’aimais l’énergie foudroyante. Je n’ai pas d’autres exemples en tête là. Quoi qu’il en soit, le visionnage d’Enter the void arrive dans une période où je n’avais guère envie de ça. Ayant vu La blessure récemment, le film de Klotz, je cherchais davantage à entrer dans une période « plans fixes », en me refaisant tous les Akerman d’ailleurs. Ici on est dans tout l’inverse ! Pourtant j’ai été embarqué. Je craignais ce film et il m’a embarqué. Il y a une tonne de défauts mais il y aussi suffisamment de choses que j’aime pour oublier un peu ce que j’aime moins. La dernière demi-heure par exemple.

     Enter the void trouve toute sa dimension dramatique dans une scène qui revient fréquemment, comme un souvenir difficile à jamais gravé dans une mémoire, c’est l’accident de voiture avec les parents. C’est probablement la scène la plus violente du film, avec la présence du sang, les visages atrophiés des parents, les cris de la petite sœur. Cette scène me rappelle émotionnellement celle de Tétro, où il y avait là aussi un accident de voiture qui investissait fréquemment la mémoire du personnage. L’accident dans Enter the void a un double emploi : il permet de tisser les liens mélodramatiques qui touchent de plein fouet une famille (Une seconde qui change une vie, une spéciale Noé, le temps détruit tout, disait-il dans Irréversible) et de comprendre la proximité d’un frère et de sa sœur par la suite. La promesse (de sang) de ne plus jamais se quitter, jusqu’à l’épisode de séparation dans des orphelinats séparés. Il y a comme un mystère qui touche à cet amour entre le frère et la sœur, un amour qui serait encore plus fort. Oscar n’aime pas l’idée que l’on touche à sa sœur, cette réaction n’appartient pas tant à une surprotection qu’à un amour incestueux refoulé. Là j’ai pensé au dernier Bonnell, La dame de trèfle, qui dans une mise en scène beaucoup plus sobre, et avec comme fond une histoire de meurtre, le cinéaste tissait cette inceste mystérieuse, ne dévoilant jamais cette vérité inavouable. Noé prend moins de pincettes, néanmoins, le mystère demeure, concernant la réciprocité.

     Tout ça c’est bien joli mais je ne pense pas que c’est ce qui intéresse Noé. Dans Irréversible au contraire la mise en scène se mettait au service du récit. Il fallait avant tout filmer un couple d’acteurs. Il fallait montrer un déluge de violence dans une boite de nuit. Montrer un viol en temps réel. Montrer un long dialogue dans un métro. Un plan-séquence (trafiqué ou non) pour chaque scène, treize au total, si ma mémoire est bonne. Mais une histoire, construite façon Mémento, commençant par la fin, finissant par le début. Vingt-quatre heures de la vie d’un couple qui bascule, de la vengeance assouvie au calme d’un après-midi printanier. Dans Enter the void, et même si le scénario semble beaucoup plus travaillé, on a vraiment l’impression d’avoir affaire à une performance mise en scénique. La caméra subjective pendant plus d’une demi-heure. Des plans-séquences aériens impossibles. Un montage sonore hallucinant, j’y reviens. Voilà pourquoi j’aime Enter the void. Noé ne s’est pas contenté de faire du Noé. Il m’a fait vivre quelque chose de fort. C’était une expérience. Une expérience visuelle et sonore hors du commun. L’image c’est la couleur avant tout qui lui offre un charme si singulier. Noé dit qu’il fallait réduire la présence du bleu au maximum. Le bleu, dit-il, efface la force des couleurs vives, à choisir il préfère utiliser le noir qui les fait ressortir. Je ne sais pas si c’est vrai, mais une chose est sure, je n’avais jamais vu un déluge de couleurs vives de la sorte. Les personnages évoquent un moment donné l’idée du bad trip dans la prise de DMT. C’est à dire que l’on se sent bien et qu’instantanément, pour un truc ou un autre, on se sent mal. Et se sentir mal dans une ambiance aussi dingue c’est badant à mort. C’est ce que j’ai ressenti par moment. En fin de compte je me demande si ce n’est pas l’effet recherché par le cinéaste : offrir une sensation de bien-être mélangé à un mal-être enfoui, comme s’il cherchait par le cinéma à nous procurer ce qu’une drogue hallucinatoire peut procurer. Exercice périlleux voire hyper prétentieux mais mine de rien ça fonctionne presque, ça fonctionne même pas mal par moment. C’est dans le fonctionnement avec le climat sonore que les images sont percutantes. Thomas Bangalter (Daft Punk) déjà présent sur la bande-originale complète d’Irréversible a su créer ici des sonorités incroyables, étouffantes autant qu’excitantes. Des sonorités qui n’aurait d’égal visuel que la scène au Love Hôtel. Franchement, du début jusqu’à la fin, le travail sonore est ahurissant, c’est du jamais vu. La scène du Love Hôtel justement, j’en viens : Rarement une séquence dans un film n’aura autant combiné une telle palette d’émotion. Encore une fois c’est dans un plan-séquence improbable, que Gaspar Noé s’en va saisir les positions érotiques dans chaque pièce de l’hôtel, ‘censurant’ les sexes avec des espèces de flammes, de néons visqueux (ces fameuses lueurs selon le livre des morts tibétain) dans un brouhaha mélangeant son techno, respirations répétitives et cris d’orgasmes.

     Le film s’ouvrait sur un ENTER qui prenait tout l’écran. Il se clôt sur un THE VOID brutal remplaçant le THE END habituel. Pas de générique puisqu’il est déjà passé au début, les lumières se rallument d’emblée. La salle était sonnée, dans le bon ou dans le mauvais sens, peu importe. Je suis sorti de la salle en titubant, avec la tête qui tournait encore. Quelque part c’est cette sensation que je voulais avoir, donc c’est réussi, et puis je n’avais jamais vu un truc pareil. Sitôt que je vois le film comme le trip hallucinatoire d’un shoot d’un soir ça me plait, s’il s’agit d’autre chose un peu moins. Quoiqu’il en soit je suis ravi d’avoir vu ça au cinéma. Je pense que c’est le film de sa vie au cher Gaspar. Ça fait vingt ans qu’il le potasse. Ça fait vingt ans qu’il voulait le faire mais attendait le jour où il pouvait, techniquement, le faire. C’est un film où toutes ses obsessions sont réunies. C’est incroyable.

     Une dernière chose : je ne pense pas que Gaspar Noé cherche à filmer Tokyo dans Enter the void. Tokyo n’est qu’une toile de fond. Son rythme, ses bruits, ses couleurs. Tokyo est simplement utilisé comme le décor d’un trip. Comme cette maquette dans la chambre de l’ancien colocataire, où lorsque l’on éteint les lumières on a l’impression de voir Tokyo sous LSD, dira le personnage.

Eva – Gaspar Noé – 2006

Eva - Gaspar Noé - 2006 dans Gaspar Noé foto+eva+noe

Ronron.    

   4.5   C’est l’un de ses courts les plus intéressants, le plus proche d’Enter the void d’ailleurs. Découpé en trois parties durant chacune deux minutes, on suit une jeune femme, l’Eva du titre (Herzigova), effectuant des positions très sensuelles dans un couloir rouge d’hôtel, accompagné d’un chaton indiscret d’une part, allongée au bord d’une piscine de nuit, et joliment accompagnée ensuite, puis dans une ambiance stroboscopique et sombre, dans une séquence sexuelle très ‘Love Hôtel’. C’est beaucoup trop court pour que l’on émette n’importe quel avis, que l’on soit saisi de telle ou telle sensation (surtout à cause de cette découpe) mais il y a une atmosphère qui sent le sexe autant que la mort là-dedans, trois plans-séquences mobiles bien entendus, qui préparaient en quelques sortes son film somme.

Sida – Gaspar Noé – 2005

Sida - Gaspar Noé - 2005 dans Gaspar Noé noe_400-300x169 La parole immobile.   

     2.5   Ce court est très intéressant parce qu’il montre les limites du cinéma de Gaspar Noé, quand il s’agit d’écouter ses personnages. La parole chez Noé est réussie lorsqu’elle est off (Seul contre tous), lorsque l’objectif ne cherche pas tant à montrer qu’à s’immiscer (Le métro puis l’appartement dans Irréversible), lorsque le plan est fixe mais que le personnage qui parle fait un peu autre chose (Son court Intoxication). Ce qui ne fonctionne pas ici ce n’est pas le fait que les mots soient indépendants de l’image (Paz Encina le fait magnifiquement dans Hamaca Paraguaya par exemple) mais simplement le fait que l’image soit inutile, grossière voire putassière. Effectuer des gros plans sur un type qui parle de son sida, voir que physiquement il en souffre, ça ne m’intéresse pas de la façon dont il le fait : l’homme est assis sur un lit, ou debout dans une chambre, mais il ne vit pas vraiment. L’observer dans son quotidien (parce qu’il dit que même si la maladie l’immobilise, moralement et physiquement, il tente malgré tout de faire des choses) d’autant qu’il y a plein de trucs à montrer, aurait sans doute été plus judicieux. On est au Burkina Faso, d’accord il ne veut pas filmer le pays, sans doute pour universaliser ce message, mais était-ce une si bonne idée d’immobiliser le personnage, de casser la structure basique de dialogue dans l’image ? Bien sûr que cet homme se meurt peu à peu, mais fallait-il pour autant le montrer sans vie ? Le court dure presque 20 minutes, le procédé est vite usant. Et c’est la mise en scène qui le rend ennuyant, dommage.

Intoxication – Gaspar Noé – 2002

Intoxication - Gaspar Noé - 2002 dans Gaspar Noé 444-300x225 Monologue en cuisine.   

     3.0   Plan-séquence fixe de cinq minutes sur un monologue de Stéphane Drouot. Le réalisateur de Star Suburb parle de pureté cinématographique qu’il chercherait désormais à atteindre, il cite Akerman dans ses modèles, s’emploie dans un langage pathétique, parfois passionnant parfois incompréhensible. Ce film est très loin de ce que fait Noé habituellement. La caméra est immobile, pas de bruits sonores et l’on écoute un monologue d’un bout à l’autre. Quelque part je me dis que le cinéaste peut sinon se reconvertir (on reste tout de même dans une ambiance crado) changer le cap un jour ou l’autre. A suivre donc.

Sodomites – Gaspar Noé – 1998

image-w1280Capoté.

     0.5   Celui-là c’est l’horreur absolue. Il n’y a aucune idée de mise en scène, son seul intérêt réside dans l’utilisation du montage, épileptique, voire stroboscopique, au point de ne plus différencier le plan d’un autre. Dans une pièce qui aurait mieux fait d’être sombre (car très mal éclairée) une bande de dingues ascendants primates vêtus de cuir s’apprête à démontrer les vertus du préservatif. Publicité peut-être, mais publicité trash. Un homme/bête est condamné à utiliser la capote et le lubrifiant s’il veut se faire la nana qu’on lui présente. Pendant ce temps on voit Philippe Nahon (futur boucher facho) qui se masturbe. Les scènes de sexes sont explicites, pornographique (pénétration en gros plan) et le climat est assourdissant. La fin est à mourir de rire. Bref c’est nul.

Tintarella di luna – Gaspar Noé – 1985

Tintarella di luna - Gaspar Noé - 1985 dans Gaspar Noé Tintarella-di-luna

L’œil du diable.     

   5.0   C’est le tout premier court-métrage de Gaspar Noé. Celui dans lequel on ressent le plus une inspiration directe, ce petit monde surveillé rappelant très largement le premier film de David Lynch, Eraserhead. Durant les premières secondes nous plongeons lentement en avant dans une sorte de ville à l’abandon, funeste, qui combat actuellement la peste. Très peu de survivants, nous l’apprend ce carton initial. Une femme, que nous allons suivre, se prostitue puis tente de rentrer chez elle. Sur le chemin, le long d’un canal, elle est agressée par un homme qui l’étrangle, la fait tomber à l’eau et la laisse se noyer. Le village apprend alors qu’une personne de plus est décédée des suites de la peste cette nuit dans les vallées boueuses. La caméra effectue un zoom arrière sur le village et nous voilà au-dessus. La main d’un homme s’en va saisir le petit personnage mort, le met dans sa poche et ferme la maquette avant de s’en aller, comme un dieu qui surveillerait une ville, ou un homme qui se fabrique une petite histoire à l’aide de figurines. On n’en saura pas plus. Ce film fonctionne très bien, et ne dure que 16 minutes, car on entre très facilement dans cette petite histoire de survie dans le glauque. Noé n’aura jamais fait autre chose qu’expérimenter la survie, alliant toujours violence et sensualité. Ce premier court est probablement son meilleur même si esthétiquement y a du progrès à faire.

Seul contre tous – Gaspar Noé – 1999

Seul-contre-tous-3L’homme malade.    

   6.0   Pas évident d’en parler autrement que pour Carne, étant donné que Seul contre tous constitue la suite en long-métrage de son court-métrage sur le quotidien d’un boucher chevalin parisien bouleversé le jour où il croit que sa fille s’est fait violer. Philippe Nahon interprète encore cet homme, cette fois-ci pas uniquement fermé, antipathique mais aussi remonté contre tout, les gens, la société, le système. On voyage dans sa tête, à travers ses pensées aussi ignobles soient-elles. En fait c’est ce qui marche moins bien ici, à la différence de Carne où il y avait quand même plus de cinéma, d’errance, de gestion de l’espace plus que de l’écriture, là il y a cette voix off en permanence, c’est intéressant, c’est d’ailleurs le propre du film, mais le problème est que le propre d’un film utilisant cette subjectivité à outrance ne devrait-il pas s’avérer silencieux, moins calculateur ? On a sans cesse l’impression que la parole meuble ou accompagne l’image, à de nombreux instants on s’en passerait bien, ou on se passerait bien de l’image, au choix. Il y a toujours chez Noé cette propension à tout montrer – encore aujourd’hui d’ailleurs – alors qu’il pourrait déployer un cinéma plus poétique, plus épuré tout en choquant autant sinon davantage (ce qu’il souhaite par-dessus tout) mais surtout émouvoir encore plus. Dans Irréversible quelle est la séquence la plus forte ? La dernière. Celle du couple dans leur appartement, sans artifices techniques et émotionnels sinon ceux des séquences précédentes incorporées dedans, sans emphase dans l’écriture ni même dans la mise en scène, plans au minimum fixes, au pire en steadycam discrète. Seul contre tous n’est pas un film vraiment émouvant. Il l’est un peu à la fin, parce qu’il y a présence musicale, Pachelbel et son Canon, bien évidemment, mais surtout parce que c’est le seul instant où il semble y avoir un peu d’amour à l’écran. Et c’est un amour incestueux que Noé ne traite pas comme quelque chose d’horrible, c’est un véritable amour. Ça ne dure que deux minutes cette sensation mais c’est déjà pas mal. Le reste du temps on est un peu dans un schéma proche de celui de Carne. C’est une bonne chose je trouve d’une part, car Noé reste fidèle à ses choix, à son histoire, à son boucher. J’ai dû voir ces deux films trois fois chacun et chaque fois, quelques temps plus tard, j’oublie ou se trouve la séparation entre l’un et l’autre. Il faut que je repense aux ressorts scénaristiques pour m’en souvenir. Seul contre tous n’est donc pas seulement la suite de Carne, c’en est le prolongement, l’allongement. Carne ne suffisait pas à l’histoire de ce boucher, il lui fallait beaucoup plus, il fallait aussi que le cinéaste grandisse (à défaut de mûrir) qu’il soit lui-même un peu plus agacé par ce qui l’entoure. Ce film est une bonne chose à mon sens. Pour comprendre le cheminement de Gaspar Noé du moins. Pour le reste j’aime (comme dans tous ses films d’ailleurs, c’est pour cela que j’aime ce cinéaste) l’énergie qu’il insuffle à ses récits, aussi durs soient-ils. J’ai toujours un problème en revanche avec sa réalisation. Je l’aime beaucoup dans Enter the void parce que je trouve ça grave couillu, parce que je n’avais encore jamais vu ça nulle part. Je l’aime énormément dans Irréversible parce que ce sont des pirouettes techniques (les films de séquences en plans-séquences) qui me fascinent, et parce que ça m’emporte aussi, même s’il est parfois difficile de garder l’œil à l’écran. Je l’aime moins dans son film sur le boucher, à cause de ses boums récurrents inutiles à mon sens, ou encore ses partis pris puérils comme cette scène où il laisse un compte un rebours à l’écran et une phrase annonçant que l’on a trente secondes pour quitter la projection. Naze. Mais Noé c’est toujours un peu ça. Flirter avec le naze. Parfois ça fonctionne pas du tout, mais parfois c’est une claque dans la gueule.

Carne – Gaspar Noé – 1992

yoEuph7WLzrHA0ZvGFZBCjkFCJKLe boucher.     

   6.5   C’est à la fois très différent de ce que le cinéaste fera par la suite et dans le même temps le style est reconnaissable entre mille. Plus minimaliste, avec plans fixes par moment, moins de mouvements de caméra, moins de violence pure. En revanche, davantage d’effets inutiles, que j’avais oublié, qu’il utilise ici à outrance. Moins de finesse donc et une propension à vouloir choquer, déjà, mais à l’écrire, le souligner sans cesse. Dans Irréversible il y avait deux cartons qui apparaissaient dans le film : au tout début, après le générique noir sur blanc, où il est écrit Le temps détruit tout ; à la toute fin, quelques secondes après l’épreuve stroboscopique, où il est écrit Le temps révèle tout. C’était discret mais bien inutile. Heureusement, avec Enter the void, Gaspar Noé a banni ses petits tics un peu nazes. Un gros ENTER pour commencer, un THE VOID pour finir. Il est donc intéressant de revenir en arrière et d’observer la progression. Car dans Carne ce seront plusieurs cartons dans le même style qui nous agresserons à divers instants. Quelques dates précises par moment, jusqu’à l’heure exacte. Un carton au début pour situer l’histoire. Rien de bien méchant, c’est même une idée lumineuse. Puis vient le carton de trop : On peut tout perdre en une seconde (sic)(carton mentionné juste après que le boucher ait agressé cet ouvrier innocent) juste après celui encore plus hideux Vous aussi vous arrivent-ils de perdre les pédales ? (sic) On dirait le même style de carton utilisé en publicité pour la ceinture de sécurité ou le tabagisme. C’est un peu le problème de Noé, qui passe ici pour un donneur de leçon, alors que ce n’est pas du tout ce qu’il cherche à dire c’est évident, il le fait simplement pour qu’on le suive, dommage de ne pas prendre son spectateur au sérieux quand on fait quelque chose d’aussi intéressant et fort. Peu importe, Carne est nourri d’autres grandes qualités.

     Carne dure 38 minutes. Et il y a une tension qui s’installe. On investit le cerveau de ce boucher chevalin, père malencontreux, dont la femme est partie le jour de la naissance de la petite. Les années défilent, sa fille grandit et lui tient toujours sa petite boucherie qu’il fait marcher tout seul. Il boit son café après le boulot, ne mange que de la viande de cheval, habille et lave sa fille, n’a pas un seul ami. Et l’on entend ce que ce boucher pense. Il est pour ainsi dire dans chaque plan. Il y avait déjà un côté Eraserhead dans son tout premier court-métrage (Tintarella di luna) mais ici c’est flagrant. On est loin de la poésie Lynchienne, pourtant il y a un esprit quelque peu similaire, dans cette façon de filmer une ville vide, de filmer une errance et un quotidien qui s’apprête à se casser (un bébé difforme d’un côté, les règles d’une adolescente de l’autre), s’il y a ici repères temporels (date) et géographiques (Aubervilliers) qu’il n’y a pas du tout dans Eraserhead, il y a ce même sentiment de personnages dans une bulle perdue, un lieu qui n’existe pas vraiment, un lieu de cauchemars.

     Carne c’est la cause de Seul contre tous, son long-métrage qui en est la suite immédiate. Pourquoi y a t-il tout cela dans la tête de ce taré, c’est Carne qui permet de le savoir. Noé ne cherche pas à excuser son personnage, loin de là, mais à saisir ses comportements ignobles, pris dans le prisme d’une société décadente qui n’aide en rien ces âmes en perdition. Ainsi, le jour où le boucher blesse gravement un ouvrier, qu’il pensait coupable d’avoir violer sa fille, il est enfermé et perd tout. Sa fille est en orphelinat, sa boucherie est vendue (pour payer les dommages et intérêts de ses conneries). A sa sortie c’est un homme encore plus remonté qui remet les pieds dans cette société malade. Raciste confirmé : Parce que sa boutique a été rachetée par des arabes. Définitivement homophobe : Parce qu’il sort de taule en ayant conscience de s’être tapé des mecs, ou fait violé, on n’en sait trop rien. Sa rage s’est décuplée. Et c’est dans Seul contre tous que Noé va s’y attarder. Franchement flippant comme vision de l’humanité. Le plan final, avec cet homme au volant de sa voiture, sa nouvelle amie à ses côtés, pourrait être très beau s’il avait la vocation de montrer une remise en question, un nouveau départ. Sauf que l’on connaît le film suivant. Noé n’est pas Fassbinder, les personnages de ses fins de films ne sont pas meilleurs qu’au départ.

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silencio


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