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Irréversible – Gaspar Noé – 2002

Irréversible - Gaspar Noé - 2002 dans * 730 irreversible-2002-11-g-300x173L’amour et la violence.

   9.0   C’est avec beaucoup d’émotion que je me suis replongé dans Irréversible, hier soir. La dernière fois c’était il y a plus de cinq ans. J’étais ému parce que je l’ai connu par cœur ce film (observation du découpage, (re)lecture du script, j’en ai écumé tous les reportages, tout ce qui était lié au tournage, le commentaire audio du réalisateur etc…) , j’étais tellement impressionné par son montage, ses mouvements de caméra qu’il m’obsédait jusque dans les effets spéciaux disséminés ci et là, jusque dans l’improvisation des dialogues. En réalité ce qui me plaisait dans Irréversible c’était principalement sa seconde moitié, soit l’avant drame dans le récit, puisque le film est à l’envers, qu’il remonte le temps. La soirée mondaine dansante, sexuelle, arrosée. Un dialogue absurde, sexuel et passionnant dans un métro. Le réveil d’un couple après l’amour. Trois séquences sublimes. Trois plans-séquences, dont la durée oscille entre neuf et quinze minutes. La dernière, dans l’appartement, est impressionnante, le film vaut le détour rien que pour elle. Bellucci et Cassel sont deux comédiens mondialement connus, pourtant devant cette scène je ne vois plus d’acteurs, simplement un homme et une femme dans l’intimité. C’est une sensation que je n’ai éprouvé dans aucun autre film, me sentir si proche des personnages, dans l’intime j’entends bien. Il y a beaucoup d’improvisation chez Gaspar Noé (cela dit il y a tout de même des pistes à suivre) et je trouve celle-ci absolument somptueuse, d’un bout à l’autre, de l’annonce d’un cauchemar inquiétant d’une femme à la joie d’une grossesse imminente. Ce sont des regards fuyants voire même parfois des regards dans le vide (celui de Monica Bellucci principalement, dans cette séquence et celle du métro) et les interactions avec les objets. Le téléphone d’abord dans un début de séquence très Lynchien (il est de couleur rouge, posé sur table de chevet), où il commence à sonner pendant que nous sommes toujours dans un plan en spirale aérien dans un tunnel rougeâtre prenant curieusement l’apparence d’un appareil digestif humain. Un téléphone, un coussin jeté dessus, ce qui nous amène à un bras puis deux corps assoupis allongés l’un sur l’autre. Bientôt un allumage de cigarette très sensuel, un test de grossesse, une affiche de film, ce qui offre un perpétuel mouvement entre les corps et les objets, dans une séquence qui rappelle celle du Mépris, tout en étant tout le contraire dans les attentions que se portent entre eux les personnages. Plan quasi-fixe d’abord puis chassé croisé dans un salon et une salle de bain, plan mobile qui couvre quasiment tout l’appartement dans une durée de quinze minutes environ. De très loin la plus belle séquence du film, la plus forte, la plus sensuelle, la plus calme, la plus lumineuse.

     Mais Irréversible c’est aussi l’histoire d’un drame. Une femme s’engueule avec son petit ami lors d’une soirée, décide de rentrer seule et par la plus simple et cruelle des coïncidences, tombe sur la pire ordure de la terre qui la viole. Pas de conclusion à en tirer. Pas de morale, je me place du côté de Noé, qui réfute la présence de message dans ses films. Ceci est le point de départ qui provoquera une vengeance dans un esprit tourmenté, si ce n’est abattu. Coïncidence toujours, deux types s’empressent d’embarquer Marcus dans leur délire, lui proposant de venger son amie, moyennant un peu de sous. Parce qu’ils ont de l’avance sur lui, ils ont retrouvé un sac à main. Raconter l’histoire dans son ensemble, cette rage vengeresse jusqu’à ce meurtre atroce, n’a pas trop d’intérêt, tant tout tient ici de la mise en scène collant au plus près des personnages afin que l’on vive ce qu’ils sont en train de vivre. En fait il y a une chose que je trouve formidable dans cette séquence de boite de nuit, quelque peu gâché par autre chose dont on aurait pu et dû se passer. Le fameux Ténia, cet homme qui semble être celui du viol, c’est sa présence qui est de trop ici. Noé enlève tout ce mystère. Pas totalement bien entendu car lorsque Marcus est proche de la fin, qu’un type l’a emmené jusqu’au gars qu’il recherchait, celui-ci est en discussion avec un autre type. On reconnaît son visage, bien qu’il faille revoir le film pour s’en persuader (étant donné que l’on voit cette séquence avant l’autre bien sûr), on lui reconnaît sa drôle de façon de prendre de la dope et surtout ce pansement sur le nez. C’est l’intérêt de sa présence qui me gêne, je ne comprends pas. Comme si Noé se couvrait. Le crime qui va suivre, et qui fait suite à un gros quiproquo, ne concerne pas du tout le ténia. C’est une vengeance dans le vent. Noé, qui n’est pas le roi des subtilités semble vouloir montrer que cet homme n’est pas le bon. Mais l’autre visage suffisait, et puis il y a avait quand même une chance sur mille pour que les deux hommes soient arrivés jusqu’ici. Bref j’aime beaucoup l’idée que la vengeance tombe à l’eau, qu’elle devienne non pas inutile (elle l’était déjà) mais surtout absurde, et révélant Marcus et Pierre sous un jour encore plus féroce que la personne qu’ils poursuivaient. ‘Toi tu es comme un animal’, disait Alex à Pierre dans le métro. ‘Trop altruiste’, lui avait dit Marcus. Mais j’aime moins le fait que l’on ait la certitude qu’ils se soient trompés.

     Lors de la grande soirée, Marcus abuse d’alcool, de drogues en tout genre. Pierre, son ami, s’improvise métronome pour l’empêcher de faire des conneries qu’il regretterait, pour l’empêcher de faire de la peine à Alex, son ex-femme. Pendant tout le film il ne fera que la protéger, montrant qu’il l’aime encore et par-dessus tout (magnifique scène de danse). Quoi de plus logique que cette transfiguration meurtrière lui revienne ? Je reviens à Marcus, qui se couvre de ridicule pendant toute la durée de cette scène. C’est ce ridicule qui poussera Alex au départ. Et ce ridicule est magistralement interprété par Vincent Cassel. C’est celui d’un corps sans cesse en mouvement, avec une gestuelle syncopée, celui d’une pluie de mauvaises initiatives, comme s’il cherchait à se donner en spectacle mais qu’il n’en avait pas les moyens (il s’amuse à pisser dans une bouteille), celui d’un homme, redevenu ado le temps d’une soirée, le type lourd dans tout ce qu’il entreprend, le type dont chaque mot sortant de sa bouche est un désastre de plus. Un moment donné, lorsque Alex danse avec des copines, il s’incruste dans le cercle en entoure les jeunes femmes de ses bras, qui lui demandent son prénom. Vincent, répond t-il. Puis il corrigera quelques secondes plus tard. Cet état second est provoqué par le cinéaste lui-même, qui revendique son besoin d’improvisation, de recherche hyper réaliste, dans les gestes comme dans les dialogues, tout est formidable ici parce que tout paraît vrai. Vincent Cassel s’est trompé à cet instant. Finalement, la prise est bonne car elle concerne un état dans lequel toutes les bêtises possibles sont recommandées. Le ridicule chez Noé est tellement recherché qu’il en est même un moteur du récit, par l’erreur ou l’état réel de l’acteur ici, par l’improbable mue de violence soudaine dans la scène de la recherche du coupable, ou dans des positions particulières, comme celle de Nahon et Drouot au tout début du film. Plus que le ridicule c’est le pathétique que Noé recherche. Ses êtres sont sans cesse pathétiques. Il ne les juge pas, ne se délecte pas de les voir comme ils sont, non, c’est simplement que selon Noé l’être humain est un être pathétique. Il y a quelque chose qui le rapproche d’un cinéaste comme Fassbinder du coup. Chez les deux cinéastes il y a beaucoup d’amour, pourtant, tout ce qui est autour paraît dégueulasse, rendant leurs personnages antipathiques ou pathétiques.

     Si Irréversible a beaucoup choqué c’est dans sa structure narrative d’une part évidemment, passionnante, lisible et très travaillée. Mais surtout dans ce parti pris de vouloir tout montrer, pire de faire durer ce qu’il montre. La violence qui émane de cette séquence en boite de nuit est quelque chose de jamais vu au cinéma, dans l’ambiance crasseuse qu’elle propose, allié à la bande-son, aux couleurs, aux mouvements de caméra qui file sinon la gerbe au moins le tournis. Et dans ce déchaînement de violence final, peut-être un peu trop appuyé d’ailleurs. Tout le monde a entendu parlé de la scène de l’extincteur ! Et il y a surtout cette séquence centrale. Epreuve à son paroxysme lorsque Gaspar Noé nous demande de voir un viol de neuf minutes en temps réel avec un simple plan fixe cloué au sol. La scène d’Irréversible qui me gêne. Je ne dis pas qu’elle n’est pas légitime, au contraire, la réduire, ou la couper n’aurait pas collée avec le dispositif utilisé par Noé jusqu’alors qui était de proposer du quasi-temps réel, à l’envers bien entendu. C’est à dire que le début d’une séquence correspond chaque fois à la fin de celle que l’on voit juste après. Il n’y a qu’après le drame (donc avant dans le récit) que les ellipses se font plus fortes. La scène de viol est une épreuve redoutée et redoutable parce qu’elle dure, parce qu’elle est cruelle, car comme le personnage féminin nous ne pouvons absolument rien faire. On est prisonnier de l’image, condamné à regarder la chose se faire. Finalement on a récemment observé ce procédé, c’était dans le film Martyrs : Quelle est à limite pour le spectateur ? Qu’est ce qu’il est en mesure de regarder, jusqu’où est-il capable d’aller ? Cette scène m’épuise, me file presque chaque fois la nausée. Elle est l’unique raison qui fait que parfois je ne regardais pas le film en son entier. Ce n’est pas tant la violence qui me gêne dans cette scène (mais c’est horrible tout de même) c’est davantage le fait qu’elle soit filmée de cette manière.

     En grand amateur de Godard, Noé soigne ses génériques. On a pu voir récemment ce qu’il avait fait de celui d’Enter the void, un chef d’œuvre de générique ni plus ni moins, il faut bien reconnaître que celui d’Irréversible avait lui aussi de la gueule. Générique de fin habituel, pour démarrer le film, par la fin (logos de prod etc…) avec quelques lettres en miroir, rouges et blanches sur fond noir. Il annonce la couleur. Pas facile de lire les crédits, d’autant que peu à peu le générique se met à pencher et n’est pas loin d’être à l’horizontal. Fin du générique, une pièce apparaît, un homme nu à l’intérieur, la caméra lui faisant effectuer une rotation à 360°, avant de faire débarquer les noms des acteurs, puis de toute l’équipe, en grosses lettres noires sur fond blanc, avec un boum sonore à chaque apparition. Et au milieu de ce nouveau générique, le mot Irréversible, à l’endroit, à l’envers, en miroir etc… Le générique est donc à lui seul une épreuve. Comme le sera aussi la toute fin du film, où l’objectif vers le ciel s’en va chercher une lumière blanche, sous fond de Beethoven avant d’en faire une image stroboscopique puis cosmique sous une bande sonore improbable. Ne pas fermer les yeux ni détourner le regard relève du miracle. Ce début et cette fin sont finalement à l’image du film : une épreuve.

     Une caméra au cinéma n’aura jamais autant tourné. Dans une des premières séquences, qui correspond donc à la fin du film, tout se passe dans la fameuse boite de nuit Le Rectum. Ses couleurs noires/rougeâtre, sa musique répétitive fatigante, des cris en tout genre. La caméra tourne, dénaturant tout réalisme. Nous sommes dans des plans-séquences où il n’y a que steadycam. Par moment c’est presque impossible d’y garder les yeux grands ouverts. En terme de mouvements de caméra, son dernier film est beaucoup plus agréable à regarder, sans doute plus atmosphérique qu’organique. Néanmoins, aujourd’hui, lorsque l’on voit un film où la caméra bouge beaucoup on se dit que ça ne bouge tout de même pas autant que chez Noé. Il est devenu cinéaste référent en la matière, de la caméra qui ne tient pas en place. Le cinéma des frères Dardenne, à côté, c’est du plan fixe !

     Gaspar Noé nourrit ses films de ses obsessions. Je n’aimerais pas être dans le cerveau de ce type. C’est la violence qui l’attire, c’est le sexe, c’est la crasse mais tout cela ne se traduit pas par un cinéma de type Pasolinien (il est d’ailleurs un grand admirateur du cinéaste italien) mais quelque chose de plus organique, de plus crade sans doute, plus radical aussi. Il y a des références cinématographiques dans tous ses films. Ou si ce ne sont pas des références ce sont des utilisations similaires, Noé a des rêves, il les réalise. Cela peut être de filmer une scène vue de dessus : Le début d’Irréversible, une bonne partie d’Enter the void, choix qu’il emprunte à la fin de Taxi Driver mais surtout à Brian De Palma qu’il adore. Chez qui il aime aussi l’utilisation du plan-séquence, et où comme ce dernier lorsqu’il fait Snaye eyes, Noé se couvre un peu partout, dans les panoramiques filés, les plans sols ou les passages d’une pièce à une autre. Enter the void doit beaucoup au cinéaste américain là-dessus. Il y a un côté très sale dans ses films, des villes que l’on croirait sortie d’un autre temps façon Eraserhead. Parfois il est simplement question de références en tant qu’admirateur seulement, comme des affiches de film dans la dernière séquence d’Irréversible (2001 et The Killing), caméra subjective (toujours pour Enter the void) inspiré par La dame du lac, descente aux enfers à la Céline dont il est fan de Voyage au bout de la nuit, J.W.Dunne et Une expérience avec le temps…

     Le rêve prémonitoire fait partie intégrante du projet. Non pas que ce soit le truc énorme du film, mais il permet un peu de saisir les obsessions du cinéaste. Dans l’ascenseur qui mène au métro, Alex raconte qu’elle est en train de lire un livre sur les rêves prémonitoires (Le livre c’est évidemment Une expérience avec le temps, cité précédemment) expliquant les analogies que l’on trouve entre nos rêves et la journée que l’on va vivre. Gaspar Noé a voulu rendre un peu cette sensation mais il ne le fait pas subtilement c’est dommage. Ainsi, lors du réveil, Alex sortira d’un cauchemar dans lequel elle était dans un tunnel rouge qui se cassait en deux. Et Marcus, engourdi, dira qu’il ne sent plus son bras. Mais finalement ce n’est pas tant un film sur les prémonitions qu’un film sur les coïncidences qui provoquent imperceptiblement un drame. Noé se fascine pour ces choses là car il doit être fasciné par la capacité qu’a l’homme de se transfigurer, et surtout par la mort dont il doit avoir très peur. A tel point que l’on ne voit pas les gens mourir dans ses films. C’est à peine si l’on sait ce qu’ils deviennent. D’ailleurs, pas étonnant que dans Enter the void le personnage continue de vivre à travers nos yeux, pas en tant que corps à proprement parlé, mais en tant qu’âme errante ou simplement par des images de son passé.

     Gaspar Noé déclarait à l’époque d’Irréversible qu’il était sur un projet monstrueux, le projet de sa vie, et qu’en quelques sortes il avait choisi de faire cette petite histoire d’amour et de viol afin de s’entraîner. Ce qu’il cherchait c’était une narration nouvelle pour un récit qui était lui du rabâché. Il connaît et adore Les chiens de paille de Peckinpah ce n’est pas ce qu’il voulait faire. C’est dans l’adoption de cette déconstruction narrative qu’Irréversible est devenu un vrai film, un nouveau bébé comme il disait, et puis aussi parce qu’il avait su s’entourer d’acteurs reconnus ce qui l’aiderait à trouver des financements aisés etc… Aujourd’hui, penser qu’Irréversible était un petit film d’échauffement, qui aurait remplacé les petits spots publicitaires qu’il devait faire avant de s’envoler pour Tokyo, me paraît totalement incroyable. Bien entendu ce tournage n’aura pas été très long, l’essentiel du temps concernait la post production. Mais tout de même, quel claque, et quel teneur émotionnelle. Ce qu’à fait Noé de cette histoire d’une banalité déconcertante, de ces acteurs pas toujours au top (Agents secrets suffit comme exemple) relève presque du miracle. Et puis la suite on la connaît, scandale ou pas, Irréversible c’est tout de même quelque chose, on ne l’oublie pas comme ça.

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silencio


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