Badass Furiosa.
8.5 Ce qu’il a toujours manqué à la franchise c’était une vraie course poursuite jusqu’à l’abstraction. Le deuxième volet s’en approchait, surtout lors d’un dernier tiers de toute beauté où la sensation de vitesse caressait un extrême parfum de mort. Avec Fury Road, Miller pousse la mécanique jusqu’à son point de rupture. Jamais il ne se pose ni se repose sur une facilité de scénario ou une transition standard. Un mouvement permanent, parfois hallucinogène (accélérations, variations plastiques et plans improbables) catapulte le film dans une dimension vertigineuse, sans précédent.
Surtout il y a dans cet univers de sable deux grandes idées implacables : Tout d’abord, cette progression atypique, fuite en ligne droite, sans jamais s’en départir, d’un Point A vers un Point A’. L’idée pourrait rejoindre la construction du troisième volet, dans lequel on s’extirpait du dôme du tonnerre pour y revenir et le détruire. La citadelle a remplacé le dôme. Mais sa structure ne répondait à aucun parti pris, aucune transcendance. C’était balisé, pour toute la famille. En plus d’être purement dédié à la jubilation, le geste ici est politique et en dit long sur Miller lui-même, qui n’aura donc eu de cesse de travailler le sequel, qu’il faille en passer par un cochon parlant, des pingouins dansants ou des guerriers de la route.
L’autre grande idée ce sont les embûches, autrement dit le parcours qui caractérise cette fuite dantesque, les différents mondes traversés, comme on pourrait le faire dans un jeu vidéo. Chaque chapitre (souvent marqué par un cut au noir brutalement silencieux) est un nouveau lieu, un autre décor qui imprime sa présence démoniaque : Le passage du goulet, porte de pierres minuscule, gardée par des motards qui ne sont pas sans rappeler ceux de la bande au chirurgien dans le premier volet. Il y a l’évocation de la green space et ce qu’elle renferme finalement : Violent désert de boue, régné par les corbeaux, surplombé d’un arbre mort. Une séquence nocturne qui renferme une autre esthétique qui n’est pas sans évoquer le trait d’Enki Bilal, le pont suspendu de Sorcerer et les marécages de L’histoire sans fin. Il y a aussi des dunes, des espaces morts, une tempête de sable, un lac salé.
Et puis il y a des gueules. Mad Max ne serait pas Mad Max sans ses présences semi-humaines, souvent jubilatoires. Si le seigneur Humungus a disparu, son remplacent, Immortan Joe, dont l’acteur (Hugh Keays-Byrne) n’est autre, attention, que le méchant du premier Mad Max, qui était mort mais ne l’est plus. C’est dire combien Miller se fiche des règles. Un personnage qui n’est pas en reste avec ce maquillage bigarré, masque gothique et respirateur artificiel à l’appui. Sans compter qu’il est à la tête d’une citadelle géante, qui trait les femmes (Une séquence tout droit sortie du Taxidermie de Gyorgi Palfi) et assoiffe le peuple. Je ne parle même pas de ces guerriers blancs, war boys quasi immortels ni de ce guitariste fou ni de ces mères porteuses pour le moins succulentes. C’est du délire.
La franchise mériterait que l’on s’attarde un peu sur un élément fort qui parcourt les quatre films : l’enfant monstre ; autrement dit un entremêlement permanent entre l’image de l’innocence et la pureté de la violence. Aux deux bébés menacés dans le premier volet répond cet enfant sauvage dans The road warrior, avant qu’ils ne soient encore que des embryons dans Fury road, malmenés là-aussi, suffit de se rappeler le sort réservé à l’une des mères porteuses. Miller n’a jamais fait dans la dentelle là-dessus. Dans Mad Max, premier du nom, quand la mère avait encore, selon les urgentistes, de maigres chances de s’en tirer, le bébé, lui, était déjà mort. L’enfant est systématiquement ici séquestré par le monstre. Et vice versa, les monstres ont souvent des apparences enfantines. Toecutter pleurnichant face à une arme feu, l’homme-bébé de Fury road ou MasterBlaster, le colosse attardé mental de Beyond Thunderdome. C’est parfois même plus discret que ça : Il suffit de se remémorer cette brève apparition, dans le premier volet, du cheminot qui reçoit le gang de motards : Petit bonhomme, vieux et laid, juché sur une silhouette de gosse, habillé comme un gosse, marchant comme un gosse.
Max a plus ou moins disparu de ce quatrième opus, le très discret Tom Hardy campe idéalement ce prisonnier attaché au-devant d’un véhicule de guerre pendant une demi-heure et arborant un masque de fer pendant une bonne moitié de film. Il est vivement relayé par Furiosa, une Charlize Theron méconnaissable, qui est le vrai déclencheur du récit, du soulèvement, s’accaparant cette course effrénée, moins pour l’essence cette fois qu’un eldorado vert débarrassé du dictat.
C’est un grand film qui avance et donc recule, tout en suivant une logique implacable, une cohérence géographique que n’avaient sans doute pas (faute de budget, aussi) les trois opus des années 80. Et puis merde, quoi, depuis quand n’avions-nous pas pris un tel déluge d’action badass dans la gueule ?