Asunder, sweet.
C’était l’un de mes doux rêves depuis plusieurs années, les ayant découvert sur le tard, durant leur longue traversée du désert : Me confronter à la musique de Godspeed en live. Post rock esthète qui embrasse à peu près tout ce qui m’excite, me transporte, m’émeut musicalement (des souvenirs d’écoutes ahuries dans le train se bousculent dans ma tête) et ce bien que leurs deux derniers albums, qui sont en réalité des reproductions studio de versions live (Behemoth ou Albanian) jouées lors des tournées assurées après leur reformation il y a quatre ans, ne soient pas à la hauteur de l’intense (3 albums et 1 Ep de légende) discographie offerte entre 1997 et 2002. Dix ans de disette et des bouleversements au sein du groupe, ça peut laisser des traces.
Me voilà donc accompagné de Boris (Rien à voir avec le groupe de Drone métal, quoique) – mon partenaire éternel pro Godspeed – attendant que nos héros foulent les planches du Bataclan. Quelques bières et une première partie fort passionnante : Carla Bozulich : sorte de crossover entre du Swans et du Dead can dance, aux effluves godspidiennes. Entre rock dégénéré, folk hypnotique et drone carnassier (j’étais aux anges) nous affrontons un set d’une classe absolue, dans lequel s’immiscent d’ailleurs deux membres de Godspeed. Beau moment de lévitation. On reste un peu abasourdi par ce qu’on vient de voir et d’entendre, bel effet de surprise quoi qu’il en soit. Bières, phase trois, puis nous voilà reprenant nos places en pleine fosse, salle quasi comble, attendant nos petits canadiens d’amour.
Quelques réglages instrumentaux et un gros drone d’attente en guise d’apéritif. Pourquoi pas. C’est raccord avec leur dernier album (que je n’aime pas beaucoup, mais passons). Ils sont huit et débarquent sur scène plus ou moins séparément, sans cérémonie, sans salutation, sans un mot, s’installent chacun à leur place, l’un caché derrière sa tignasse, l’autre tournant le dos à la salle, tous plongés dans leurs instrument. Je savais le groupe peu enclin à la démonstration scénique, mais à ce point autiste, tout de même, c’était violent. Les nappes habituelles bien volumineuses de Godspeed allaient vite infecter toute la salle et le traditionnel HOPE faisant son apparition progressive sur la toile où allaient se projeter un flot d’images en noir et blanc (péloche à l’esthétique proche des couv des albums du groupe : immeubles délabrés, montages de déchets, rails de chemin de fer, villes fantomatiques…) pendant toute la durée du set rappelait, non sans émotion, le credo du groupe, pour ne pas dire sa signature, depuis presque vingt ans. L’entrée sur Hope drone allait en effet donner de l’espoir et autant de craintes (une ouverture bien grasse, à l’image du dernier album) mais l’enchaînement sur Rockets fall on Rocket falls, le plus beau morceau de GY!BE à ce jour, issu de Yanqui UXO le plus bel album de GY!BE allait me foudroyer, évincer tous mes doutes, libérer mon euphorie. J’en avais les larmes aux yeux.
Qu’importe la suite finalement, le voyage était lancé, sans escale. Regard voguant entre les projections doubles, immenses, hypnotiques et les huit avortons chacun dans leur bulle, je planais sans mesure. Ça aurait pu durer des heures. J’avais perdu toute notion de temps, comme je l’espérais secrètement, comme ils nous faisaient régulièrement perdre tout repère lors de nos innombrables soirées Bières/Godspeed. Ouai, Boris et moi réunis là pour un concert de Godspeed, j’ai encore du mal à y croire. Depuis le temps qu’on en parlait, nous les deux plus gros fans de GY!BE de la Terre. Oui je m’emballe. A siroter notre cerveza devant une prestation live de Rockets falls on rocket falls et à s’envoyer quelques sourires béats ci et là. Nom de dieu de bordel de merde. Ils auront joué un tiers de Yanqui UXO n’empêche, rien que de l’écrire j’en ai des frissons. Bon, je vois bien que je suis submergé par l’émotion donc je ne vais pas trop m’attarder. Je voulais juste dire que l’album suscité fait parti de mon top 5 all time. C’est un peu comme redécouvrir Shining en salle, en somme.
Un moment donné, après un set de 40 minutes sans interruption, représentant la totalité du tout dernier album (plus drone qu’auparavant et surtout sans aucun field recording) Asunder, Sweet And Other Distress, nos huit compères s’en vont, là aussi sans cérémonie. Une longue nappe sonore demeure néanmoins. Fini, pas fini ? Les lumières se rallument, certains quittent la salle, la plupart se lance dans un tonnerre d’applaudissements. Dix minutes. Les musiciens reviennent pourtant, discrètement, presque clandestinement, chacun à leur place. Pour jouer dix minutes. Pour nous offrir Moya. L’une de leurs plus belles pièces. J’ai cru mourir tellement c’était beau.
Salutations et remerciements brefs, modestes, mais avec beaucoup de chaleur dans le regard et standing ovation hallucinante dans la foulée. Ok, ce ne sont pas des généreux de la scène, mais je crois que c’est cette discrétion, cette humilité qui me touchent beaucoup. Un fin sourire ici, un délicat geste de la main là. Ça fait partie de Godspeed. Les images qui les accompagnaient aussi. Sorte de ciné concert sans égal, en gros. Inutile d’évoquer mon état au sortir de la salle. J’étais plutôt bien. Conquis. Plongé dans une douce liquéfaction.