Satellite of love.
9.0 Greg Mottola, protégé de Judd Apatow à la base est passé indépendant, dans le sens où il réalise donc sans son aide Adventureland, dans lequel on retrouve une équipe qui nous est quelque peu familière, comme Jesse Eisenberg, Kristen Wiig, Martin Starr ou encore Bill Hader, croisé deux ans plus tôt dans Supergrave produit par Apatow, déjà réalisé par Mottola.
Adventureland est un parc d’attractions, ou plutôt une petite fête foraine qui a investit les lieux pour l’été. On y engage que des jeunes, qui n’auront guère le choix de se placer aux jeux ou aux manèges, ne pourront ni faire de cadeaux aux potes ni s’offrir une glace, et n’auront pour ainsi dire qu’une vulgaire pause pipi, où comme elle rare il vaut mieux faire la grosse commission, dira Joel (Martin Starr, le shooté de En cloque mode d’emploi). James fera partie de cette troupe. Lui qui se voyait déjà en Europe avec ses amis pour juillet/août, mais qui mal aidé par des parents qui traversent une légère crise financière – prétexte pour le faire tafer ? Pour ne pas qu’il s’en aille ? – se voit contraint de bosser tout l’été pour financer sa rentrée à New York. Et ce sera donc Adventureland, le seul endroit où l’on accepte un type en pleines études littéraires.
Un environnement que l’on imagine sans tricherie, où l’on découvre un chapeau collé dans le jeu des chapeaux, un panier ovale dans les tirs de baskets. Lieu que l’on pense sûr, où les forains eux-même n’iraient pas mettre le pied dans les manèges doutant de leur sécurité. Pourtant, ok le travail n’est pas spécialement passionnant – entre passer sa journée à commenter avec entrain imposé une course de chevaux colorés en plastique ou appuyer sur des boutons pour faire démarrer/arrêter un manège, pas sûr en effet que ce soit réellement palpitant -, ok il faut savoir se heurter parfois à une clientèle récalcitrante – qui voudrait, moyennant violence s’il le faut, le gros panda que les forains sont interdits d’offrir – mais il y a néanmoins un truc pour lequel on s’attache : Les collègues, dans la même merde que soi, on se fait des amis, voir plus. Cette phase de découverte du parc est probablement le moment le plus drôle du film. Ensuite il cherche beaucoup plus loin.
C’est vrai chez Apatow et consorts, il est très souvent question de cul. Concrètement (En cloque mode d’emploi, Sans Sarah rien ne va…) ou dans le dialogue (Supergrave, 40 ans toujours puceau…) occasionnant pour les premiers une dimension conjugale intéressante et cocasse, et pour les seconds l’emploi d’un dialecte fait de grossièretés par des jeunes qui n’en demeurent pas moins attachants, par leurs maladresses et leurs émotions certes souterraines, mais fortes. Adventureland n’appartient à aucune de ces catégories, si je puis dire. C’est un film d’amour et de sexe. Le premier amour, la première fois, les amours déchus, les amours croisés. Mottola ne généralise pas. Car ce qu’il fait à merveille ici c’est de construire son histoire autour de cette kyrielle de personnages, finalement assez réduites (une dizaine seulement que l’on va bien connaître) avec lesquels, et pour chacun d’eux, il est possible de s’identifier au moins un peu. C’était Fassbinder qui disait, à propos de Douglas Sirk, qu’il était selon lui « l’unique cinéaste à aimer tant ses personnages pendant que de nombreux autres, moi compris, ne faisons que les mépriser ». Incroyable mais lorsque l’on sort d’un Sirk – je prends l’exemple de Mirage de la vie, celui qui m’a marqué au fer - le cinéaste allemand a raison, on se rend compte que l’on aime tout le monde, qu’il n’y a pas ci et là de réels méchants, et ses films sont intenses aussi pour ça. Récemment je n’ai ressenti ça que devant deux films : Two lovers de James Gray, et donc Adventureland de Greg Mottola.
Le fait de construire un récit à la manière d’un polar (quel amour s’en sortira ? Quelles vérités, quels mensonges éclateront ? Qui va payer l’erreur, la trahison d’un autre ? A quel niveau les différences se situent t-elle ? …) provoque généralement une identification à l’un, une répugnance à l’autre. Pas dans ces trois films. Pas dans Adventureland. Le film dans lequel il pourrait y avoir les pires connards de la terre et des salopes impossibles, et où finalement derrière chaque comportement, bon ou non, il y a un costume bien humain. L’exemple à citer c’est Connell, ou Lisa-Marie, mais prenons Connell : Le mécano du parc, play boy de ses dames qui drague en se faisant passer pour l’ancien batteur de Lou Reed, alors qu’il se trompe de titre pour Satellite of love, Connell qui avec ça entretient, alors qu’il est marié, une relation purement sexuelle avec Em, dont James est tombé amoureux. Rien ne semble rattraper ce pauvre DomJuan. Et pourtant c’est un homme qui devient attachant peu à peu, car il se révèle une sorte de grand frère auprès de James, le conseille plus que l’enfonce dans son désir amoureux pour la jeune femme.
Il y a un côté très intime là-dedans, qui sonne vrai, que l’on ne voit jamais au cinéma : ce garçon qui est gêné par une gaule persistante et qui décide de rester dans la piscine au moment où la jeune fille lui demande de la suivre, cet instant où il embrasse Lisa-Marie après le resto alors qu’elle lâche un « hum, fondue… », lorsqu’il dévoile ses (non) expériences sexuelles à Em et qu’elle sourit, mais pas d’un sourire moqueur. C’est ça que j’aime ici, ça me parle vachement, l’impression de l’avoir ressenti comme l’ayant déjà vécu. Et il faut croire que Mottola a vécu ce qu’il filme. Cette date déjà, 1987, qui semble le rapprocher de sa propre jeunesse. Et cette évocation permanente du chanteur des Velvet Underground qui est partout : Sur les murs, les tee shirts, dans les discussions, à l’écoute dans la voiture. Je voulais justement parler de Pale Blue Eyes, morceau employé comme love theme du film. Une scène quasi muette où les regards se perdent et se croisent. On se croirait l’espace d’un instant tout droit sortis de la Swedish Love Story de Roy Anderson.
Bref, c’est selon moi un grand film romantique. Avec des acteurs superbes, Kristen Stewart devant, littéralement magnifique, qui en plus est doté d’une mise en scène sobre et belle. Au verso du dvd on a droit à une perle : le film est présenté comme déjanté et hilarant. A se demander si les distributeurs ont vu le film. Cela dit, ils n’ont pas totalement tort. Le film est aussi très drôle. Il y a ce personnage très Superbad qui s’exprime à coups de « chat-bite violents » et aussi certaines séquences avec Bill Hader par exemple, avec le client violent ou le commentaire de course, qui sont des trucs énormes dignes des plus grands moments de Supergrave. Mais en mieux, car mieux dosé. Qu’importe, en ce qui me concerne, ce fut un super moment. Drôle mais surtout bouleversant.