Archives pour la catégorie Gregg Araki

White bird (White bird in a blizzard) – Gregg Araki – 2014

10429443_10152487902367106_6733024487715088514_nChat noir, chat blanc.

   8.5   Le parti pris d’emblée passionnant est de faire un film sur la disparition d’une femme, mère de famille dépressive, suivant le point de vue de sa fille, Kat, dix-sept ans, subissant son départ en étant partagée entre des rêves étranges et une folle envie de baiser. Qui mieux que Gregg Araki pouvait se saisir d’un récit comme celui-là ? Il aurait pourtant pu en faire une fable délirante façon Kaboom, dans le fond autant que dans la forme, mais il choisit les voies du mélodrame familial, tendance Mysterious skin. Un mélo convoquant le fantôme Sirkien mais ne ressemblant in fine qu’à du Araki. Si le film paraît assez classique dans ses ressorts et mécanismes, il contourne absolument toutes les attentes : Voix off omniprésente, Flash-back multiples, songes obsessionnels, banalité embarrassante, esthétique saturée et tout cela fusionnant dans un maelström feutré, enivrant. Avec ces rêves qui racontent déjà cette disparition – dont la vérité ne sera seulement offerte qu’à la fin.

     Araki a la riche idée de faire évoluer son récit sur la période 88/91 en ne la spécifiant distinctement uniquement par sa culture musicale. White bird in a blizzard (qui sonne comme le titre d’un album de Dead Can Dance) est donc un vrai film de post-punk et de shoegazers, où l’on peut y entendre en son sein (disques, walkman, radio, soirées) du The Cure, Depeche mode, This Mortal Coil, Jesus and Mary Chain, New Order, Talk Talk, The Psychedelic furs et j’en passe. Autant de morceaux anthologiques utilisés accompagnés d’une superbe composition originale de Robin Guthrie & Harold Budd relève de l’offrande royale. Le penchant punk de Araki s’accentuant aussi au gré de t-shirt (je veux absolument celui de la pochette It’ll End in Tears), stickers (Joy division sur une lampe de chevet) ou autre affiche (Eraserhead, chez un disquaire). L’oiseau blanc qui convoque les oiseaux noirs. Rien d’étonnant en fin de compte tant le cinéma de Araki est parcouru de symboles tordus, ruptures et détournements à l’image de ces rêves récurrents à la blancheur immaculée qui n’appellent que la mort ou dérivés – Les mains tronqués dans une vaisselle, un corps décomposé soulevant la neige. Ou à l’image de ce groupe d’amis composé de la jeune nympho Kat (de son vrai nom Katherine, choisit par sa maman pour pouvoir l’appelé Kat et la considérer comme son petit chat) dont on ne cesse d’évoquer une obésité passé, Beth l’amie noire particulièrement grosse qui ne parle que de bite ou presque, Mickey ce garçon fofolle qui voudrait avoir la désinvolture sexuelle de ses deux amies mais qui est terrifié par le sida.

     Il n’y a que chez Araki que l’on peut voir ça où tout est dans le dérèglement. Il suffit de revenir sur le rôle d’Eva Green (Choisir Eva Green, ancienne James Bond girl n’est évidemment pas anodin) pour s’en persuader, rôle bouleversant d’une mère qui déraille de son statut de housewife éternelle, au moment où sa fille se découvre une libido en plein boom. Rappelons que le film s’ouvre sur le corps de cette mère allongé sur le lit de sa fille. L’image de cette jalousie pour la libération sexuelle de sa fille est terrible. Et l’intelligence dans l’utilisation de la voix off est de ne montrer que Kat n’est jamais dupe d’un éventuel bonheur alchimique familial où tout était pourri de l’intérieur depuis longtemps, l’apparence d’une publicité, trompeuse, sans amour. Et que dire de ce rebondissement final, inattendu et bouleversant ? Le dérèglement ultime qu’on n’attendait plus, d’abord car on a tout envisagé du point de vue de Kat, ensuite, alors qu’on prenait de l’avance sur elle, parce qu’on n’avait pas supposé que sa cruauté dérisoire nous mènerait jusque là. Ailleurs on aurait d’ailleurs trouvé ça too much mais pas dans le cinéma de Araki, qui peut se permettre cette démesure puisque tout le reste bouscule déjà les possibles.

     De par son ambiance musicale ouatée, sa dimension spectrale aussi sexuelle que mortifère, le film atteint une sorte de grâce en pesanteur, qui s’impose durablement pendant et après visionnage, surtout avec le recul d’ailleurs, laissant un arrière goût amère mais finalement d’une infinie tendresse pour chacun des personnages, jusqu’aux pures présences secondaires comme cette nouvelle Mme Connors typique déjà sous Prosac campée par la Laura Palmer de Twin Peaks ou encore ce flic à l’apparence bourrue qui transpire une solitude muette et désabusée, sans parler de cette apathie terrible du père, dont la première véritable apparition où il se plaint de la disparition de sa femme, l’enferme au fin fond d’un salon sur un fauteuil, comme dans un film de Lynch. Cette scène est emblématique des divers rapports adolescents/adultes qui traversent le film : un écart énorme entre chaque, comme dans le début de séquence séductrice chez le policier. Cette barrière là s’accentue forcément lorsque la mère investit l’écran, modèle de la housewife américaine en plein retour de crise d’un deuil impossible d’une adolescence qu’elle n’a pas vu s’envoler.

The doom generation – Gregg Araki – 1995

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     6.0   Araki fait un cinéma que je n’aime qu’à moitié. D’une part je n’y vois aucune atmosphère singulière, aucune séquence réellement portée par une autre, dans un élan homogène. Il y a des récurrences, une façon de faire, mais tout intervient selon un principe de cassure à chaque idée intéressante, comme si le cinéma d’Araki n’était en fin de compte que bande dessinée. Le problème, donc, ce n’est pas tant ce montage épileptique, en un sens légitime, puisqu’il s’agit encore de lier la drogue et le sexe, une espèce de réalité à des hallucinations, un trip délirant et imparfait qui trouverait son climax principalement dans la toute fin du film. C’est un peu ce qu’on peut dire de The doom generation, c’est aussi ce qu’on peut dire de Kaboom. Quoique ce dernier soit tout de même plus agréable pour les yeux, ce qui ne l’empêche pas non plus d’être foutraque. Ces deux films se ressemblent tellement, dans l’histoire, l’évolution, mais aussi jusque dans les répliques que l’écart temporel qui les sépare (quinze ans) me laisse sceptique quant aux véritables enjeux proposés par le cinéaste. J’avance un sentiment uniquement basé sur le visionnage de ces seuls deux films, tout pourrait donc changer lorsque je verrai Nowhere ou encore Mysterious Skin, mais ça m’inquiète un peu. Cela dit ce sont des films futiles, sur la jouissance, une certaine crudité de la jeunesse, le plaisir de l’extrême. Et je préfère nettement quand cette futilité est entièrement assumée, ou lorsqu’elle vise uniquement à parler de sexe, sans apporter de vision du monde autre que celle du plaisir sexuel, bi, assumé, inconscient, inconséquent. Voilà pourquoi je préfère Kaboom. La fin de The doom generation est intéressante parce que provocante, couillue, mais elle s’appuie essentiellement sur une vision de l’Amérique, la triturant de façon cynique. Kaboom aussi finalement, mais en arrière fond, le plaisir est ailleurs. Kaboom est un film ultra sexy, quand The doom generation répugne, ou du moins n’attire pas. Les deux fins suffiraient à illustrer cette idée. De toute façon cela se voit aussi dans les rapports. Dans l’un, tout le monde peut potentiellement coucher avec tout le monde, on y voit des gens à poil, qui parlent de cul et baisent à tout va, c’est rose, c’est bi, c’est aussi surprenant qu’excitant. Dans l’autre, aussi porté sur le cul, les rapports sont moins aimables, on y lèche son propre sperme, on dit et on se met des doigts dans le cul, il y a ce fantasme récurrent de la double pénétration, le bi est façon de parler refoulé (cyniquement montré dans le générique initial : The doom generation, un film hétérosexuel de Gregg Araki) et puis ne serait-ce que dans la violence (plutôt absente dans Kaboom, en tout cas déréalisée, grotesque) plutôt extrême, même si volontairement kitch, où un type se fait percer la bite par une épée, un autre perd son bras, l’autre sa tête, avant que le film n’accouche sur une scène de viol puis de découpage de sexe immonde mais assez émouvante, si on la transfère métaphoriquement en castration voulue par la jeune femme pour se débarrasser de ce petit ami et partir avec un autre. C’est intéressant. Le film est moins subtil mais il réserve des choses tout de même. Et à aucun moment il ne dit où il se situe vraiment. Dans le rêve, la réalité. Les personnages en viennent même à en parler, à se poser la question. On saura juste qu’ils sont poursuivis, comme s’ils étaient en plein bad trip post speed (ils en prennent en tout début de film) par des types qui disent les connaître, par le chiffre diabolique puisque à chaque achat ils doivent payer 6$66, par des chambres aux couleurs vives, par le sexe comme unique vrai moteur de ce moment d’existence éphémère.

Kaboom – Gregg Araki – 2010

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The bitter end.    

   7.5   Smith couche avec London, fantasme sur Thor son colocataire, et passe ses journées avec sa meilleure amie Stella. La première est une belle blonde aguicheuse, le second est un surfeur blond et baraqué con comme la lune, la troisième est rentre-dedans, belle et sarcastique. Lors d’une soirée bien gratinée, Smith mange un peu de space cake et commence à délirer, découvrant des gens qu’il ne voyait que dans ses propres rêves, en rencontrant dans un premier temps une fille rousse qui semble être poursuivi, puis en découvrant des types louches avec des masques d’animaux complètement grotesques qui lui courent après, puis en se rendant compte qu’il est le témoin, peut-être même l’acteur (puisqu’un messie/gourou au physique de Bob Marley lui dit qu’il est l’élu) d’un complot fanatique qui viserait à détruire le monde entier.

     C’est un pur moment de plaisir, plein de couleurs devant lequel il faut s’abandonner, se laisser aller, se laisser gagner par le jeu, un délire éphémère et gratuit comme peut l’être une soirée arrosée ou enfumée, ça n’a à mon sens aucune autre prétention. Kaboom joue avec les clichés et les détourne, montre une jeunesse hystérique et sur un nuage. Toutes les barrières sont mises alors de côté, tout devient possible, tout est prétexte à y croire. Film ouvertement bi, qui affiche sa liberté sexuelle dans chaque plan, avec son humour de teen-movie dans un débit inimaginable, son montage syncopé comme s’il fallait faire vite, comme si tout cela ne durait qu’un temps, son énergie tenue d’un bout à l’autre, d’abord envoûtante puis carrément excitante, jubilatoire. Et puis les acteurs sont tous beaux, pimpants, tellement sous les projos que l’on se sent constamment en plein voyage onirique. Film pop doté d’une bande-son irréprochable qui détruit sur son passage toutes les comédies érotico-romantico-trash vues jusqu’à maintenant.

     Kaboom c’est l’explosion, en tout cas l’onomatopée qui la définit dans les comics. Et Kaboom c’est aussi un peu une bande-dessinée avec ses petites saynètes, ses sauts sans temps morts d’une case à une autre, d’une bulle à une autre, mais ce n’est pas de la Bd insupportable comme chez Rodriguez, c’est envoûtant, c’est filtré à l’arc-en-ciel, on se croirait par moment chez Hou Hsiao Hsien, puis l’instant d’après chez Richard Kelly, puis dans son mystère aussi un peu chez Lynch. Ce serait donc une combinaison de tous ces cinémas, mais pour les ados, un film sous acide, qui ne tiendrait plus comme objet riche et labyrinthique mais comme un film plutôt creux, sans pour autant être vain étant donné ce qu’il procure comme bonheur, comme orgasme. Je n’avais pas vu une fin de film aussi dingue depuis longtemps. Je pourrais revoir cette petite bombe n’importe quand (c’est la réflexion que je me suis faite) il semble pouvoir se placer n’importe où, redonner la pêche en cas de coup de pompe. Je regretterais presque qu’il ne soit pas davantage jusqu’au-boutiste, une sorte d’Inland Empire pop, sex and drug. Car le film est un peu à l’image de ce qu’il montre dans sa nudité, sa crudité, j’ai parfois pensé à du Larry Clark, mais ça ne va jamais si loin. Pourtant il ne s’ancre pas dans le réel, il s’en détache constamment, du coup je le trouve presque trop sage. Film psychédélique, jouant à outrance sur les couleurs, les sons, mais que l’on voudrait encore moins contrôlé, peut-être même plus absurde, plus branché répliques vides et inutiles que clinquantes et instantanément cultes.

     Cependant, au moment de la déflagration nucléaire finale, les notes d’un tube de Placebo (magnifiquement utilisé) retentissent pour nous envahir durant la course en voiture effrénée qui ferme le film dans un éclat de jouissance hors norme. L’emploi de ce morceau à ce moment là me touche d’autant plus qu’il me rappelle mon saut en parachute de mes vingt ans, et cette musique sur cette vidéo qui l’accompagnait, que je regardais un moment donné en boucle pour en saisir à nouveau chaque sensation, chaque frisson. Les cinquante secondes de chute libre étaient accompagnées par ce morceau, que je n’appréciais pas spécialement avant mais qui représente aujourd’hui à mes yeux cette sensation ultime. C’était un saut de cinquante secondes, un orgasme de cinquante secondes, mais une sensation nouvelle. Kaboom c’est aussi un peu cela, un saut en parachute, mais dans le sens inverse, c’est une ballade planante et inquiétante pendant quatre-vingt minutes et cinquante dernières secondes frappa-dingues. En nous faisant vivre une sensation de cinéma proche de l’hallucination, Araki m’a séduit, surtout de cette manière, en prenant les choses en main, en osant presque tout.


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silencio


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