Archives pour la catégorie Guy Gilles

Le défilé – Guy Gilles -1977

34. Le défilé - Guy Gilles -1977Les petits soldats.

   5.0   El Grito est la célébration de l’Indépendance du Mexique. Le lendemain est organisé dans les rues de Mexico un grand défilé. Guy Gilles filme ce défilé militaire depuis la fenêtre du quatrième étage de sa chambre d’hôtel. Son idée était de filmer l’intégralité de cet événement à partir d’un seul angle.

     À la faveur d’un montage syncopé, quasi musical, ce point de vue lointain et cet angle unique font voir le défilé comme un jeu de soldats de plomb. Les manifestants qui participent aux célébrations font office de minuscules automates articulés, les militaires en jouets d’enfants, transformant le sérieux de l’événement en un jeu enfantin.

Jeanne raconte Jeanne – Guy Gilles – 1970

08. Jeanne raconte Jeanne - Guy Gilles - 1970« Le vrai scandale, c’est la mort »

   6.0   Ce qui est formidable avec l’immense Guy Gilles c’est que peu importe ce qu’on lui donne – ici un reportage sur Jeanne Moreau – le résultat ne ressemblera à rien de déjà vu sinon à du Guy Gilles lui-même. L’actrice du Journal d’une femme de chambre évoque son enfance, son amour de la campagne, sa hantise de la mort. C’est un portrait de l’actrice, moins en tant qu’actrice que femme (tant de cinéma il en sera très peu question, davantage de sa musique finalement) dans sa propriété de campagne de La Garde-Freinet dans le Var.

     Tout se raccorde aux thématiques chères à Guy Gilles : la mélancolie des lieux, de la solitude, de l’existence, de la mort. Et surtout, c’est le doux découpage qui impressionne, ce besoin d’alterner de très courts plans saisissant Jeanne Moreau dans son fauteuil en osier et de très longs gros plans, toujours plus serrés, captant ainsi son visage, ses regards, ses expressions. C’est bien simple, on y ressent un cinéaste tomber amoureux de son actrice – ils auront une petite idylle ensemble. Jeanne Moreau n’a jamais été aussi belle.

Le cirque des Muchachos – Guy Gilles – 1970

08. Le cirque des Muchachos - Guy Gilles - 1970Les dimanches circassiens.

   5.0   Reportage sur un cirque d’enfants de divers pays, installé pendant deux semaines à la Porte Maillot. C’est l’un des sujets choisis par Guy Gilles pour l’émission de télévision Dim Dam Dom (« Dim » pour dimanche, « Dam » pour dames et « Dom » pour d(h)ommes) magazine féminin pop des années 60/70 porté par des interviews d’icônes. Pas l’essai le plus emblématique du cinéma de Guy Gilles mais il reste au moins deux belles choses : des cadres incroyables, qu’il est le seul à produire j’ai l’impression, qui plus est dans le documentaire ; et d’étranges apparitions quasi spectrales de Patrick Jouanné qui semble observer et attendre le film suivant.

Le partant – Guy Gilles – 1969

04. Le partant - Guy Gilles - 1969Ni Constantinople, ni Istanbul.

   6.0   C’est un voyage à travers le monde uniquement par le prisme de stations de métro, enseignes de magasins ou restaurants, panneaux publicitaires, cartes postales. Le film s’ouvre Gare Saint-Lazare, un jeune homme (Patrick Jouanné, qu’on retrouve la même année dans Au pan coupé) déambule et laisse vagabonder son regard puis se projette dans des destinations lointaines pour s’évader du chaos urbain parisiens. Le montage y est très vivant, d’une grâce infinie, laissant planer l’ambiguïté du rêve ou du souvenir que déclenchent ces occurrences du quotidien auxquelles on ne prête jamais attention dans d’autres films. En ce sens, et si leur cinéma diffère énormément, je retrouve ce que j’aime tant chez Luc Moullet, l’un étant le versant burlesque, l’autre mélancolique d’une médaille faisant la part belle à la magie quotidienne, d’un visage, d’un lieu, d’un écriteau, d’un mot.

Un dimanche à Aurillac – Guy Gilles – 1967

21. Un dimanche à Aurillac - Guy Gilles - 1967Vie un dimanche de pluie.

   6.0   Une journée à Aurillac, par un dimanche de pluie. Pêche à la ligne, stand de tir, petit bal, promenades main dans la main sur les routes alentour. Du café à la gare, les lieux, les visages et le temps qui s’écoule deviennent poésie du quotidien, restituée sans dialogue ni commentaire. C’est un beau document sur une France d’antan, dans la continuité (ou plutôt l’antériorité) de L’argent de poche, de Truffaut.

Chanson de gestes – Guy Gilles – 1966

15. Chanson de gestes - Guy Gilles - 1966Langage du corps.

   5.0   Défini dans son épilogue comme « une comédie en un acte et quelques gestes » Chanson de gestes révèle tout dès son titre : c’est une pure chorégraphie de gestes.

     Le geste devient personnage, mouvement quotidien, champ d’inertie d’un film qui voyage dans les rues, sur un pont, en campagne, dans une école, chez un peintre, sur un quai. On y voit souvent des mains.

     Un moment donné, le film nous fait même entrer dans l’École des enfants sourds-muets de la rue Barbusse à Paris. Le geste ici est plus chronique encore puisqu’il investit le langage. C’est un cinéma non narratif. Ici, dépourvu de voix off. Et du même coup dépouillé des attributs mélancoliques habituels du cinéma de Guy Gilles. Reste une mélancolie du geste, mais de façon très théorique.

     Je trouve cela très beau – comme chaque plan peut l’être chez Bresson ou dans Un chant d’amour de Jean Genet – mais froid. Je préfère quand Guy Gilles fait les deux à la fois, le geste et la confession, le corps et l’esprit.

Ciné bijou – Guy Gilles – 1965

10. Ciné bijou - Guy Gilles - 1965« Il n’y aura plus de cinémas de quartier mais des quartiers de cinémas »

   6.0   Sur les images d’un cinéma désaffecté et promis à la démolition, la voix de Guy Gilles évoque l’âme de ces salles de quartier, ces lieux si singuliers qui lui ont donné dit-il « une certaine idée de la liberté, de l’évasion et du rêve ». On est captivé par cette enseigne détruite, ce hall d’entrée défraîchi, ces vieilles affiches de stars qui se succèdent et semblent plus éternelles encore en assistant à la mort de leur auditoire.

     Ciné Bijou est un reportage qui a été diffusé le 10 Novembre 1965 dans le cadre du 9ème épisode de l’émission « Pour le plaisir » sur la première chaîne de l’ORTF. C’est un hommage intime à ces espaces menacés de disparition avec la mélancolie qui caractérise le cinéma de Guy Gilles qui n’a, même ici, rien perdu de son cinéma intime et poétique.

Au biseau des baisers – Guy Gilles & Marc Sator – 1959

08. Au biseau des baisers - Guy Gilles & Marc Sator - 1959Le temps de l’amour.

   7.0   Quel titre magnifique, déjà. Tiré d’un quatrain d’Aragon, cité en ouverture :

« Au biseau des baisers
Les ans passent trop vite
Évite, évite, évite
Les souvenirs brisés »

     Alger, durant un dimanche d’été. Un jeune couple d’amoureux se rend à Tipaza : ils se baladent en scooter, se rendent au dancing, puis flânent sur la plage. Cette douce journée amoureuse pourtant se fissure, au diapason de son héroïne, terrifiée par l’éphémère du bonheur et de son héros, résigné. Un moment donné elle raconte penser régulièrement à un souvenir d’enfance. Elle s’amusait dans une fête foraine et le soir venu elle avait vu les forains démonter leurs manèges, comprenant qu’elle ne pourrait pas revivre ce qu’elle avait vécu. Le garçon, lui, assimilera plutôt l’amour aux fleurs, qui comme elles, se fane.

     C’est déjà le Guy Gilles que j’aime. Celui que l’on retrouvera sur format long dix ans plus tard. Un cinéma d’une grande force poétique et mélancolique. Les images chez lui sont comme des photos instantanées. Chaque plan est une merveille. C’est un cinéma de la fugue mais aussi celui d’une rêverie inconsolable. Ça pourrait ne pas fonctionner du tout, être larmoyant, tape à l’œil. C’est au contraire simple et foudroyant.

     Si l’on en croit Michel Sator, coréalisateur du film, Duras était fascinée par le cinéma de Guy Gilles. N’ayant pas encore réalisé ses propres films, et comme elle n’y connaissait rien elle lui aurait proposé de prendre en charge la partie images d’un film qu’elle réaliserait. Il lui avait répliqué : en contrepartie je vais faire un livre, et vous, vous vous occuperez des mots. Qu’est-ce que j’aime Guy Gilles.

Le clair de terre – Guy Gilles – 1970

12650903_10153438069642106_8585436504218380814_nJe veux voir, le temps perdu.

   9.0   C’est une affaire de découpage, plus encore que lors des deux précédents films de Guy Gilles. La couleur est devenue omniprésente. On sait que la couleur chez lui se fait prison, angoisse, invite à la fuite. Les images vont et viennent comme des flashs. Tout s’accorde avec le personnage qui file vers ses origines, n’est déjà plus là, se voit à Tunis, quitte un Paris flou, fantomatique, grippé, mécanique.

     Lors de son voyage, il croise une femme dans un village d’escale, une Annie Girardot endeuillée mais volontaire, qui dira que l’église ici sonne tous les quarts d’heure comme ça on ne risque pas d’oublier le temps qui passe. Elle parle de son mari défunt. Puis de peinture. Le montage aussi se repose, s’aère, ses couleurs sont plus chaudes, charnelles.

« Prends le temps, prends le temps, le temps de t’arrêter
Prends le temps seulement, le temps de respirer
Prends le temps simplement de regarder les fleurs
Simplement une fleur, et d’aimer sa couleur
Et d’écouter le vent, et d’écouter la vie
La vie qui bat le temps, bat  le temps dans tes veines ! »

     C’est pourtant un village qui semble porter le deuil plus que les autres, mais au sein duquel il y aura cette percée, rencontre sans suite, superbe. Toujours ce paradoxe cher au cinéma de Guy Gilles, qui ne s’enferme pas dans le schématisme. Tout est toujours double sinon davantage.

     Le film est rythmé par des rencontres, brèves comme cet homme sur le bateau ou guidées et durables avec ici une chanteuse, là une institutrice. Plus loin ce sont deux adolescents portant le même prénom, curieux et bienveillants. Plus loin encore, une famille de pied-noir qui n’ont pas bougé. Un dialogue se crée. Une passerelle pour agrémenter ce voyage intérieur.

     Guy Gilles comme Pierre (Ils fusionnent) aussi va sur les traces de son passé. Tunis remplace l’Alger de son enfance ; Et il s’inspire des souvenirs de son petit frère, de neuf ans son cadet, qui aura vécu son déracinement avant l’adolescence. Parfois, quelques photos et cartes postales se glissent ci et là comme des substituts aux souvenirs. Car Pierre n’avait pas six ans la dernière fois qu’il a vu Tunis. Paris aura toujours été associé à la mort de sa mère. Patrick Jouané, son acteur fétiche, est bouleversant dans chacun de ses regards, silences, errances.

« Quand on est petit, le temps de grandir
Parce qu’on croit qu’alors, alors on pourra
Et quand on est grand, le temps de souffrir
Parce que sans souffrir, on n’peut rien avoir
Le temps de chercher, avant de trouver
Et avant d’y être, le temps d’y aller
Le temps de comprendre, le temps d’oublier
D’apprendre et d’attendre, la vie est passée ! »

     C’est probablement celui des trois films de Guy Gilles qui est le plus expérimental. Les plans défilent, toujours dans une brièveté statique tenant de l’album photo dans lequel parfois s’immisce une zone de rêve. L’accompagnement sonore aussi est extrêmement travaillé, foisonnant, entre les sons de la ville, la mer, les cris et d’autres plus délicats à distinguer ; Mais aussi des bribes musicales. On dirait presque un disque d’ambient, tout en entrelacs et mélancolie, j’ai beaucoup pensé au Passagenweg de Pierre-Yves Macé. Le rêve cohabite ici même avec le cauchemar, le souvenir avec le fantasme, dans une séquence nocturne extirpée d’un inconscient torturé.

« Homme libre, toujours tu chériras la mer »

     Si l’institutrice confie que le plus difficile est de voir s’en aller ceux que l’on aime, elle reconnaît que la somme de ses souvenirs l’empêche de s’ennuyer et cite Baudelaire avec malice et plaisir de voir que le temps s’arrête quand on est face à cette immensité bleue. La mer, image parfaite, sera bientôt vectrice de noyade.

     Au bout de son chemin c’est la mort que Pierre va trouver. Pas la sienne, ni celle d’un membre de sa famille, mais celle d’une amie, parisienne, plus jeune que lui. Une mort absurde, terrible qui brise la jeunesse et la fougue qui l’habite. Une mort qui pourtant touchera autant Pierre qu’une simple rengaine, qui le fait pleurer chaque fois qu’elle entre dans ses oreilles. Une rengaine qui rappelle un souvenir, une fille, un bonheur éphémère, dilapidé dans le temps, caché dans les tréfonds de la mémoire, attendant son appel pour réapparaître, cette éternelle rengaine qui vient tirer les larmes.

     J’aimerais voir davantage de films de Guy Gilles mais ces trois-là me suffisent pour y voir un immense cinéaste, singulier, torturé ; Une sorte de Leos Carax avant l’heure, moins mégalo, plus discret. Un jeune poète proustien, d’une intelligence rare.

Au pan coupé – Guy Gilles – 1968

Au pan coupé - Guy Gilles - 1968 dans * 730 au%20pan%20coup%C3%A9Partir et mourir.

   9.5   Le noir et blanc, tout en gris et dégradés de roses et bleus, est associé au présent, il est cerné, ombragé, morose ; La couleur s’invite parfois, appartenant aux temps de grâce, aux souvenirs.

     Il y a les prémisses d’Un amour de jeunesse dans Au pan coupé. La sensation que l’éphémère échappe au temps. Le visage du garçon convoque d’ailleurs celui du film de Mia Hansen-Løve. Son désencrage du monde et son envie de fuite avec.

     La mort brise l’élan passionnel, romanesque. Elle ouvrait le film dans le récit d’une vieille dame, déjà, qui allait aussi ouvrir ce pan de souvenir. Le film est rempli de ces petites parenthèses infinie, qui surgissent ci et là, au gré des glissements. Souvent, les souvenirs s’invitent au sein d’autres souvenirs.

     « Je préfèrerais le savoir mort que chaque jour l’imaginer loin de moi » dira Jeanne à cet homme qui l’écoute lui raconter ses souvenirs, qui ne sont eux-mêmes pas vraiment ancrés dans le passé puisqu’ils se sont séparés sans jamais se revoir. Le narrateur annonce même que Jeanne ne saura jamais que Jean est mort.

     Il y a aussi du Carax là-dedans dans cette façon qu’ont les personnages de raconter un moment, un souvenir, le souvenir d’un souvenir. C’est écorché, saccadé autant que les plans qui les traversent, courts, comme des flashs. Jean est à Gilles ce qu’Alex sera à Carax. Dans chaque cas ce sont des morceaux d’eux, une incarnation de leur solitude.

     Quelquefois, certains lieux saisis à la volée, se dédoublent. Un gris du présent fondu dans l’image vive du passé, l’errance suicidaire fondue dans la passion insouciante. On exagère volontairement la beauté du passé dans le cinéma de Guy Gilles. C’est une image intime, mouvante. Les visages y prennent souvent tout le cadre.

     Macha Méril, sublime, est ce regard trouble, double, apaisant, bouleversant qui traverse tout le film. Ses yeux sont un océan de divagations et de tristesse. 

     Jean, lui, est ailleurs. Il est fasciné par les murs, ce qu’ils racontent, ce qui y est inscrit. Les murs sont pour lui des poèmes. Jeanne fera l’expérience de cette révolte suicidaire puis elle devra se séparer de ce passé, franchir ce mur, déchirer une vieille lettre, ranger une photo, trier des cartes postales, afin de faire ressurgir tous ces souvenirs, ces instants inoubliables et cet éternel regret de ne pas avoir offert à Jean le goût de la vie.

« Je me souviens » répète souvent Jeanne.

Se souvenir comme vivre.

Se rattacher à la vie.

     Un vieil album lui fait se souvenir. Un vieil album qui raconte la vie d’une femme, inconnue, puisque Jeanne explique que ce vieil album photo, elle l’avait trouvé dans une brocante. C’est pour elle le souvenir d’une vie qui défile racontée, improvisée par Jean. La photo d’un rire rappelle ce rire. Il rappelle sa douceur. « Je voudrais tout recommencer ».

     Là c’est un immeuble en ruines, qui dévore Jeanne et le cadre. Que représente t-il d’autre qu’un engloutissement du passé ? Une dame vient avouer à la jeune femme qu’elle aurait aimé vivre là jusqu’au bout, avec tous ses souvenirs. Elle aussi a le droit à sa couleur, dans un bref souvenir de Jeanne, image figée, image malgré tout.

     Jean dira de la vie qu’elle est perdue loin dans le temps. Qu’en somme, le privilège c’est la vie et non la trace qu’on en laisse. Je ne sais pas si Guy Gilles aura vécu mais il aura laissé cette trace fine, délicate, belle et terrible. C’est un film extrêmement fragile. Pas étonnant que Guy Gilles ait écrit L’été recule à la fin de sa vie. C’est au Memory Lane, de Mikael Hers que Au pan coupé me fait surtout pensé, en fin de compte.

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silencio


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