Freaks.
7.0 C’est en montrant le glauque à l’excès qu’une oeuvre devient malsaine, mais c’est en lui offrant une beauté lyrique improbable qu’elle devient fascinante, de manière aussi subversive qu’inspirée. Taxidermie est construit en trois parties, trois époques, trois générations d’une même famille, trois récits différents.
C’est d’abord un homme, en pleine seconde guerre mondiale, on suppose, dont l’activité se résume à être le larbin d’un sergent totalitaire qui l’a embarqué sous sa houlette avant tout comme esclave. Pour combattre sa morne existence il se laisse aller aux plus grands fantasmes sexuels, obsédé par le corps, la chaleur, le sexe, s’amusant à se brûler avec des bougies, s’accrochant un chalumeau au bout de la queue, se masturbant à outrance grâce au simple rêve d’une petite fille qui le branle, ou en observant des jeunes femmes dans une baignoire, ou en copulant dans un tas de viande de porc toute fraîche. Montrer le besoin de sexe à l’extrême, c’est l’enjeu de cette première partie de film, qui ne recule absolument devant rien, jouant sur la carte du gore et de l’humour, montrant tour à tour une scène de masturbation transformée par le rêve en triple coït avec une jeune femme, une grosse femme et un porc mort, tout en y insérant des scènes clairement pornographiques, jusqu’à des scènes plus jouissives mais tout aussi grotesques comme lorsqu’un coq vient piquer le bout du gland du jeune homme qui se branlait à travers un trou du chalet large comme sa bite, qu’il venait de lubrifier avec du sperme. Rien ne nous est épargné. Mais le plus fort dans tout ça c’est l’occupation de l’espace qu’en fait le réalisateur, et l’utilisation esthétique, avec cette brume permanente, et une très belle ambiance sonore. C’est laid mais c’est très beau.
Avant de se faire liquider par son supérieur, cet homme laisse derrière lui un marmot, curieusement doté d’une petite queue de cochon, que l’on lui coupera sans hésitation, l’abandonnant à de terribles cris témoignant d’une douleur atroce. On reste dans le contexte du gore mais sous un aspect plus douloureux, comme s’il fallait s’attendre à souffrir. Ce n’est pourtant pas tant le signe de ce second récit, davantage placé sous le signe de l’excès par la bouffe. Le fiston a grandi, il est énorme, et son quotidien se résume à se goinfrer de nourritures les plus variées, le plus vite possible, de façon à remporter un maximum de prix. Génération de la reconnaissance par le sport, dans un pays qui après une guerre douloureuse, tente de racheter sa population et d’en faire des élites. C’est le patriotisme qui ressort ici plus qu’autre chose, où chaque compétiteur obèse représente son pays. György Pálfi utilise de nombreux travellings, comme celui tout d’abord latéral où il s’agit d’observer en un seul plan les différents mangeurs en train de s’empiffrer à outrance, ou comme ce travelling circulaire où l’on voit chacun en train de vomir ce qu’il a avalé, en cercle, caméra placée au centre. Le sexe est un sentiment qui a plus ou moins disparu ici, les personnages parlent maintenant d’amour, ils courent après l’american dream, ou quelque chose du genre, après le succès en tout cas et la vie tranquille sur un pédalo par exemple.
Un enfant va naître de cette union, un enfant albinos. Plus tard, pendant que le père ne sera plus qu’un légume dans son fauteuil, devant sa télé, aussi gros qu’une vache, dévorant ses friandises avec le papier, le fils, devenu taxidermiste reconnu, éprouvera comme une fascination pour l’immortalité, que son métier, pense t-il, pourrait lui apporter. De jour en jour il achète ses produits au supermarché, dans ces rayons identiques à n’en plus finir, car on est désormais en pleine période de consommation extrême, on est aujourd’hui. Symbole de cette génération, le père incapable de bouger sa graisse, qui semble avoir avaler quelques big mac de trop, est en train de se mourir tranquillement, pendant que ses chats, aussi désagréables que lui, salivent d’avance de pouvoir déguster ce gros plein de soupe. Le jour venu, le jeune taxidermiste passera à l’acte et tentera de relier tous ses organes à une machine permettant son fonctionnement ad vita eternam. Comme dans tous projets humains il y a des imperfections, son bras et sa tête en feront les frais. Fin du film.
Pour György Pálfi l’homme est un animal malade. Ses trois personnages ont une particularité physique étrange : le bec de lièvre pour l’officier, la queue de cochon pour le compétiteur hors pair, l’albinos pour l’empailleur. Tout semble être relié à l’animal quand on observe bien. Et les animaux du film, qui sont en nombre conséquent ici, ne sont pas toujours très sympathiques. Rarement un film ne m’aura paru aussi jusqu’au-boutiste dans ses excès. J’aurais très bien pu l’arrêter au bout d’un quart d’heure, je n’ai même d’ailleurs pas réussi à regarder toute la séquence finale, pourtant il y a une vraie réflexion sur les enjeux humains, son attrait pour le sordide, voire même un test pour le spectateur, qui sans doute pour la plupart est capable de tenir devant cette débauche de gore extrême. Mais esthétiquement c’est remarquable, c’est très drôle aussi, et c’est cet aspect ovni qui rend clairement cette expérience charnelle passionnante.