L’esprit de la forêt.
9.0 Chacun sait que Mon voisin Totoro, troisième long métrage du cinéaste japonais Hayao Miyazaki, fait partie de ces films à montrer (impérativement) dès le plus jeune âge. Plébiscite qu’il n’a pas volé tant il répond admirablement à la délicate association du cinéma et de l’enfance, de la découverte et de l’émerveillement, de l’expérience de la vie et de l’initiation à l’autonomie, quelque part entre L’esprit de la ruche, de Victor Erice, Où est la maison de mon ami ? d’Abbas Kiarostami et Rentrée des classes, de Jacques Rozier. Le chainon manquant. Idéal, magnifique.
Au-delà du fait que toutes les conditions étaient réunies de mon côté, j’ai vraiment l’impression d’avoir découvert le plus beau film d’animation du monde. Sans aucun doute le plus beau Miyazaki, à mes yeux – Et pourtant j’aime déjà énormément Chihiro et Le vent se lève. Non, je n’avais jamais vu Mon voisin Totoro. Il a fallu que je le découvre, dans un élan non prémédité, au cinéma, un matin de fête des pères, accompagné de mon petit garçon, qui voyait là son tout premier Miyazaki. D’ores et déjà l’une des plus belles séances de cinéma de ma vie.
Totoro c’est une grosse bête mystérieuse avec un gros ventre, des yeux tout ronds et de grandes dents, mais pas pour te manger, mon enfant, non , elles lui servent seulement à sourire. Il arrive toujours au bon moment. Et il est accompagné de plein de petits Totoro. Le récit aurait pu lui adjoindre une Némésis mais même pas : Il n’y a pas de méchant dans Mon voisin Totoro. Il n’y en n’a pas besoin. Comme on serait tenté de dire qu’il est un conte de fée sans princesse ni prince charmant. Et qu’il a son rythme à lui, loin de celui offert par les productions Disney. C’est l’un des films les plus doux qui puisse exister. L’un des plus beaux films sur l’enfance, aussi, tant il s’agit de suivre le quotidien de Satsuki et Mei, deux jeunes sœurs, découvrant leur nouvelle maison, dans un coin de campagne isolé.
La nature est la plus belle chose à voir. La veille baraque le plus beau terrain d’exploration. Tout aspire à la poésie la plus simple : Observer les têtards dans la rivière ; Faire la lessive au lavoir dans le jardin ; découvrir chaque pièce, chaque recoin de son nouveau chez soi ; Etre émerveillé par un camphrier gigantesque ; Ramasser les glands qui tombent de la soupente ; Jouer avec les noiraudes : ces petites boules de suies enchantées, effrayées par la lumière du jour ; Accompagner Satsuki pour ses journées d’école ; Regarder Mei faire seules ses propres découvertes ; et bientôt faire la connaissance de Totoro, dans un coin de forêt merveilleux qui n’est pas sans rappeler les pérégrinations d’Alice, au pays des merveilles. La noirceur, ce sont les éléments qui la convoquent : la pluie, la nuit, les bruits. Mais il y a toujours un moyen d’en triompher. Il y a aussi le retard du papa lorsque les filles attendent le bus, pour le coup c’est une vraie peur enfantine, mais elle est désamorcée, par Totoro et son chat-bus, un gag de parapluie et l’arrivée tardive du papa, dont on oublie finalement qu’elle est tardive.
Une gravité plus nette, mais peut-être plus abstraite pour le public enfantin, se dégage de cette ivresse de découvertes et de douceurs. Satsuki et Mei ont emménagé ici avec leur papa, en vue d’aller plus facilement rendre visite à leur maman, à l’hôpital. On ne saura pas bien de quel mal elle est atteinte mais une réponse serait à chercher vers l’autobiographie, puisque étant petit, Hayao Miyazaki fut longtemps privé de sa mère, soignée de la tuberculose. Mais il est presque inutile d’avoir connaissance de ça pour apprécier pleinement la mélancolie de ce voyage, d’éprouver le manque de ces deux fillettes et ce d’autant plus lorsque la plus jeune, désespérée de ne pas voir revenir sa mère, prend ses jambes à son cou pour la rejoindre. Il faut voir la quête de sa grande sœur pour la retrouver, la bienveillance des gens du village, la tendresse du père et l’héroïque Totoro accompagné de son chat-bus. Une merveille.