Mère(s) et fille(s) (dé)possédées.
8.5 Il pleut beaucoup dans Dark water. Et ce dès le premier plan, quand une petite fille attend sa maman en observant la pluie, seule, derrière la baie vitrée d’une classe d’école. Courte introduction qui fusionne deux regards qui n’en forment qu’un seul, celui d’Yoshimi à deux moments douloureux de sa vie. Le jour de son abandon est relayé par le jour où elle est au tribunal, en audience contre son ex-mari, pour tenter d’obtenir la garde de sa fille, Ikuko. Ce sont des informations très simples qui vont envelopper tout le film. Avec la pluie. Ou plutôt l’eau, sous sa forme la plus apaisée (une douce bruine, un fleuve immobile) mais aussi dans ses contours les plus obscurs – Je n’avais pas ressenti une telle passion pour l’eau dans un film depuis le magnifique Shara, de Naomi Kawase. Sans le marteler, sans en abuser, petit à petit le film suinte de toute part. L’eau s’infiltre dans une cage d’ascenseur avant d’épaissir une tâche sur un plafond.
Dark water se déroule essentiellement dans un immeuble, insalubre, dans lequel cette mère tente avec ses modestes moyens de refaire sa vie avec sa fille de six ans. Car son titre l’indique, les eaux sont sombres, loin d’être relaxantes. Le clapotis permanent dans lequel baigne l’intégralité du film envoute d’abord autant qu’il réveille nos angoisses, comme s’il nous replongeait dans notre liquide amniotique avant de nous pousser vers la noyade : Rien d’étonnant à ce qu’une double scène de baignoire reflète ces deux sensations. Ces robinets qui ne s’arrêtent plus de couler, cette tâche au plafond qui n’en finit pas de se propager, cette immense cuve sur le toit qui se vide de son surplus, cet ascenseur qui bientôt perdra littéralement les eaux : Dark water est parcouru ainsi d’idées et d’images sidérantes, sans qu’on sache si elles proviennent ou non d’un cauchemar.
Si la temporalité faite d’ellipses indistinctes s’avère déstabilisante, c’est bien cette dimension cauchemardesque et fantastique qui trouble jusqu’à l’angoisse pure, s’immisçant par petites touches délicates, imperceptibles mais effrayantes collées ensemble. A l’image de ce bâtiment qui semble inhabité, de ces cercles de cendres sur les boutons d’ascenseur, de ces ombres sur les murs. Vraiment, je ne faisais pas le fier durant de nombreuses séquences. Sans doute car Nakata utilise à merveille le hors champ, les silences, les moments de flottement, une ambiance sonore tellement riche et angoissante qu’elle pourrait facilement évoquer Shining, et que le déluge – pourtant mesuré – d’horreur vers lequel il converge est une plongée horrifique à son paroxysme et d’autant plus troublant qu’elle s’opère au moyen d’effets minimalistes et qu’elle s’immisce dans le cercle le plus intime qui soit.
Dark water c’est aussi un sujet de fond bouleversant, à savoir le double combat d’une mère, pour obtenir la garde de sa fille et celui contre ses démons, vivant ainsi dans cette terreur qu’on lui retire son enfant comme on lui retira jadis sa propre mère. C’est donc une histoire d’abandon, de disparition et de sacrifice d’une tristesse sans nom dans la vie d’une mère, d’une petite fille. Dark water est un cauchemar en boucle perpétuelle, duquel on ne s’extraie que par la tragédie. Cette petite fille de l’étage du dessus, avec son imper jaune et son sac rouge, attirée par une cuve remplie d’eau, c’est évidemment, avant d’être juste un fantôme – Ce qui déjà fonctionne très bien – la projection des peurs d’une maman. C’est donc un beau mélodrame doublé d’un atypique film d’horreur.