Archives pour la catégorie Ingmar Bergman

À travers le miroir (Såsom i en spegel) – Ingmar Bergman – 1962

01. À travers le miroir - Såsom i en spegel - Ingmar Bergman - 1962La possibilité d’une île.

   7.5   Ile de Faro. Quatre personnages. Coincés entre crise d’angoisse et Delirium tremens, solitude et hypocondrie. La mer, le cri des mouettes d’un côté. L’épave d’un bateau échoué et un grenier en soupente avec une tapisserie mystique de l’autre. Une apparition divine derrière un mur, un hôpital psy au large des eaux. Un huis clos insulaire rassurant, un noir et blanc écrasant. L’inceste et le martyre. La transe et l’horreur. Les hurlements chez Bergman sont toujours insoutenables, peut-être plus encore ici. Et Harriet Andersson est la plus grande actrice du monde. « Le miracle c’est Harriet Andersson » disait Bergman. A travers le miroir est un très beau Bergman, un autoportrait éclaté, d’une terrifiante beauté.

Une passion (En passion) – Ingmar Bergman – 1970

15. Une passion - En passion - Ingmar Bergman - 1970Croyances et solitudes.

   8.0   A l’instar de Persona ou La honte, Une passion est lui aussi tourné sur l’île de Faro. Ce lieu semble être un vecteur de noirceur pour Bergman, tant ces trois films, aussi différents soient-ils respirent la tragédie de façon assez similaire. Les quatre personnages incarnés par des habitués du cinéma de Bergman à savoir Bibi Andersson, Liv Ullman, Erland Josephson et Max Von Sydow, sont rattrapés par leur obscurité propre, le mensonge, la jalousie, le désir, la folie. Ils se rencontrent apparemment pour le bien (C’est d’abord l’hospitalité qu’on offre à une étrangère, pour un simple coup de téléphone, suivi d’un dîner en guise de remerciements) mais poursuivent leurs relations pour le mal. En filigrane, sur l’île, un mal étrange secoue la population puisqu’un dingue s’en prend aux bêtes, un chien ici, un troupeau de moutons là. Qu’importe son identité, il est le reflet de ce quatuor déchiré.

     Dans Une passion, la place du personnage se confond étrangement avec son interprète. En effet, il y a ce dîner, par exemple, au cours duquel chacun raconte une croyance qui lui est propre, à tour de rôle. Difficile de détecter si ces quatre textes (mis en scène de façon à ce que la question se pose : Un long plan visage) sont écrit par Bergman ou par les acteurs – Il s’avère, après vérifications, que ce sont les acteurs qui ont choisi leur texte respectif. Quelque part j’ai beaucoup pensé à Une sale histoire, de Jean Eustache. Comme si ça ne suffisait pas, quatre moments dans le film (judicieusement éparpillés) font parler les acteurs face à une caméra se confiant sur l’identité du personnage qu’ils incarnent. C’est aussi déroutant que vertigineux.

     Techniquement c’est en tout cas l’un des Bergman les plus étranges que j’ai pu voir, tant dans son aboutissement pictural (cette manière de jouer avec les contrastes et les couleurs, d’accentuer une lumière naturelle, rouge, écarlate ou dans la pénombre) que dans ses nombreuses incursions de gros plans comme jamais on en avait vu chez le réalisateur suédois. Il y a un moment donné un monologue ahurissant de Liv Ullman, le plan ne cadre que son visage plusieurs minutes durant. Ça reprend autant Persona (l’étirement de la parole) que ça annonce Cris et chuchotements et ses pics de souffrance frontaux. A noter qu’il s’agit du deuxième film en couleur de Bergman après le difficilement supportable Toutes ses femmes. C’est son premier drame en couleur, on va dire. Dans lequel il capte aussi bien l’étrange lumière de Faro que les yeux azur de Liv Ullman.

     Malgré sa simplicité d’apparence, puisqu’on est loin des expérimentations visuelles de L’heure du loup ou Persona, Une passion est traversé d’éclats de sidération pour le moins inquiétants. Cette fin en premier lieu, brutale autant qu’elle est énigmatique et à l’image de ce mal qui ronge l’air et les bêtes de l’île, ou ce terrible rêve en noir et blanc aux trois quarts du métrage. Puis il y a ce dernier plan, incroyable, dans lequel Max Von Sydow, qui ne cessait de clamer son désir de liberté et sa crainte de mourir sur cette île, se voit littéralement enfermé par le cadre jusqu’à en être avalé. Il marche de droite à gauche, titube façon zombie. Un léger zoom fait rétrécir les bords du cadre et ses allées et venues. Il ne parvient pas à s’en extirper. Il s’écroule au sol comme poussé par les cieux (qu’on ne voit plus non plus), le cadre l’écrase puis l’image tellement zoomée ne capte plus qu’une lumière aveuglante et floue. Grand film.

Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander) – Ingmar Bergman – 1983

27En avant, jeunesse !

   8.0   C’est le Bergman que je rêvais de voir. Je dirais même que c’est l’un des cinq films que je voulais le plus voir au monde. Je crois qu’il vaut mieux être familier de l’univers bergmanien pour l’apprécier à sa juste valeur tant il synthétise toute son œuvre. Plus qu’un film testament (C’est le dernier film pour le cinéma du réalisateur suédois) Fanny et Alexandre, en partie autobiographique impressionne par sa richesse, son foisonnement et les nombreuses hallucinations qui le composent. C’est un film de sage mais pas de vieux, qui joue moins des habituelles échappées fantastiques que d’une dimension miraculeuse – dont l’enlèvement des enfants par Jakobi au pasteur Vergerus constituerait le point d’orgue magnifique. Les obsessions bergmaniennes sont restées les mêmes, seule la dimension romanesque a changé. Le film est très clairement découpé en trois parties, la dernière m’a un peu laissé à quai j’avoue mais je pense qu’il faut le revoir pour vraiment saisir chaque parcelle de cette fresque familiale vertigineuse. C’est fou comme ce cinéaste pouvait à ce point être tendre et violent au sein d’un même film. Quoiqu’il en soit, Fanny & Alexandre est probablement son film où l’exaltation de la vie est la plus significative, malgré la mort du père et la violence du beau-père.

Toutes ses femmes (För att inte tala om alla dessa kvinnor) – Ingmar Bergman – 1964

32Kitch harem.

   3.0   Qui a dit que Bergman n’avait pas d’humour ? Le problème c’est justement qu’on préfère quand il en a moins. Je ne sais pas ce qu’il avait fumé ici, mais pour pondre cette farce pataude et hallucinogène, tout en gag, grimaces et pyromanie il fallait que ce soit de la bonne. Si le jeu est volontairement outré et théâtral, les décors le sont aussi : princiers, colorés, artificiels. Mais le cinéaste s’amuse beaucoup à glisser un peu partout des idées de cinéma libre entre adresse caméra, accélérations, insertions de cartons et autres délires de montage, façon Tati et Keaton. Reste qu’entre Le Silence et Persona, cette histoire de critique musical tentant d’écrire la biographie d’un grand violoncelliste à sept femmes est une bien anodine récréation, parfois rafraîchissante, au détour d’une loufoquerie étirée, mais souvent absconse.

L’oeil du diable (Djävulens öga) – Ingmar Bergman – 1961

30Comédie dans les ténèbres.

   6.0   « La chasteté d’une jeune fille c’est un orgelet dans l’œil du diable ». C’est sur ces mots, un curieux dicton dont l’origine est incertaine, que le film s’ouvre. Et Satan, en effet, un beau matin, se pare d’un hideux orgelet en bordure de paupière. On dit que sur Terre, une demoiselle semble avoir conservé sa virginité. C’en est trop, il décide donc d’envoyer deux preux chevaliers, Dom Juan prisonniers des Enfers depuis des siècles et Pablo, son valet (et meilleur homme de main du diable) pour séduire la demoiselle afin de calmer les ardeurs joviales du septième ciel.

     Toute la partie Enfers, dévoilant son petit théâtre absurde aux abords du bureau de Satan est bien laborieuse mais dès l’instant que Dom Juan rencontre enfin Britt-Marie (Bibi Andersson, sublimissime à se damner) dans un séquence outrageusement belle, qui pourrait servir de modèle à n’importe quelle comédie de remariage, à la fois étirée, sensuelle, espiègle le film semble alors troquer son atout farce pour une rom com aux relents de tragédie inévitable. Lorsque dans la séquence finale Satan conte la nuit de noces de Britt-Marie à un Dom Juan de retour, tout penaud puisqu’il aura échoué sur tous les fronts – Ne parvenant ni à faire fondre la jeune femme, pourtant peu timorée, allant jusqu’à en tomber éperdument amoureux – la scène est aussi drôle qu’effroyable.

     Mais le film ne se tient pas seulement à cela. Il a la malice de jouer qui plus est sur deux tableaux de séduction et de faiblesse puisque Pablo va aussi tomber sous le charme de la mère de Britt-Marie, marié à un prêtre un peu trop cloisonné dans son sacerdoce. Ce qui ajoute un supplément de grâce lumineuse et tragique (Puisque dans les deux cas, les amants des ténèbres devront repartir) à cette relative réussite bergmanienne, à la fois sombre et frivole qui rend divinement grâce à cette étrange période transitoire.

Les communiants (Nattvardsgästerna) – Ingmar Bergman – 1965

32Les diaboliques.

   6.5   Bergman amorce sa veine épurée et rigoureuse, qui culminera notamment avec Persona puis Cris et chuchotements. Trois ou quatre lieux tout au plus ici : L’autel et les coulisses d’une église, le bord d’un cours d’eau, une maison de famille. On a définitivement quitté l’été qui irriguait nombreux de ses films durant les années 50. La neige a recouvert le paysage, la glace envahi les rivières. Froideur climatique rivalisant avec cette non moins glaciale mise en scène qui ne rechigne pas ici, à un plan fixe de sept minutes sur un visage et une lettre lue face caméra avec une voix monocorde et des yeux vitreux. Les communiants, comme le film de Bresson (Le journal d’un curé de campagne) avant lui suit l’histoire resserrée (Quelques heures, tout au plus) d’un pasteur en pleine crise de foi (Depuis la mort de sa femme) se retrouvant confronté à un office pour le moins clairsemé duquel s’échappe le visage déjà loin d’un homme (Un premier échange de regard accablant) tenté par le suicide, que les confessions abstraites du pasteur ne parviendront pas à sauver. Max Von Sydow affrontait La Mort dans Le septième sceau, ici il la porte en lui, sans possibilité d’échappatoire. Pas la veine (Ouvertement janséniste) bergmanienne qui me touche le plus, mais son orchestration sèche et spectrale (à l’image de ce faisceau lumineux plus cauchemardesque que providentiel qui apparaît un moment dans le dos du pasteur) force l’admiration.

Sensualité (Eva) – Gustaf Molander – 1952

34     4.0   Si Bergman est au scénario il n’est vraisemblablement pas ailleurs tant le film est archi limité dans sa mise en scène, dans ses ressorts, même dramatiques. La première demi-heure est intéressante. Puis ça devient complètement anecdotique.

Sourires d’une nuit d’été (Sommarnattens leende) – Ingmar Bergman – 1956

14355549_10153961493937106_6310877016020538132_nLa nuit du réajustement.

   6.0   La veine comique de Bergman ; Pas ce qu’il aura réussi de plus franc. Quoique si le dispositif est entièrement tourné vers la farce ou le vaudeville, il s’en dégage un parfum de cruauté et de malaise (La crainte de vieillir, le rejet de la solitude, la tentation du suicide) qui a plus à voir avec la comédie à sketchs italiennes, type La terrasse de Comencini ou des expérimentations Ophülsiennes de La ronde, qu’avec le modèle américain de la comédie de remariage.

     C’est une période durant laquelle le cinéaste se rédéploie quasi intégralement : Il y a cette comédie d’époque suivie du métaphysique Le septième sceau avant le road-movie initiatique que constitue Les fraises sauvages. Bergman aurait pu s’en tenir à Monika, rester dans cette veine-là – Puisque Jeux d’été en fait partie aussi. Le paradoxe veut que si l’on aborde Monika par le prisme mythique qu’il est devenu, cela ne reflète en rien le cinéma Bergmanien alors en pleine crise. Ainsi il tâtonne, se cherche, ses films illustrent probablement ce qu’il devient à ce moment-là de sa vie. Et c’est pourtant ces trois films « de transition » qui lui apportent la reconnaissance à Cannes ou à Berlin.

     Je n’ai pas grand-chose à dire sur le film que je trouve passionnant dans son ambition formelle, installant longuement un grand tableau de relations incompatibles dans un jeu de bavardages au sein d’un quadruple décor un peu bâtard avant de tout détruire dans un lieu unique (Une fête dans une grande maison bourgeoise) où les couples vont mystérieusement et miraculeusement s’assembler. Le marivaudage début XXe siècle me séduit moins dans la mesure où les rouages opératiques semblent plus dévolus à la réussite formelle de l’ensemble qu’à la vraisemblance de cet impossible mais agréable chassé-croisé, aussi amer qu’euphorique (Pur ode au libertinage) prenant son envol autour d’un étrange breuvage providentiel.

Monika (Sommaren med Monika) – Ingmar Bergman – 1953

14195301_10153945473872106_6297223546659801972_oLes amants crucifiés.

   10.0   La mort du cinéaste suédois, il y a neuf ans de cela, m’avait poussé à me pencher sur sa dense filmographie. Une première rencontre avec Cris et chuchotements m’avait autant désarçonné que fasciné et à vrai dire je n’ai jamais revu ce film qui m’avait terrifié par sa violence froide, ses couleurs rigides, ses cris et ses râles, cette grande maison lugubre et ces trois femmes au chevet d’une quatrième agonisante. Je m’en souviens pourtant très bien. L’essai fut véritablement transformé avec Monika, découvert dans la foulée. Film magnifique, mais jamais angélique, qui préfigurait la Nouvelle vague française (On se souvient de l’apparition d’Harriet Anderson sur les affiches d’un cinéma dans lequel Doinel échoue dans Les quatre cents coups, de Truffaut) et qui allait très probablement orienter une partie de ma cinéphilie. Grande émotion que de le revoir aujourd’hui, qui plus est dans la foulée de Jeux d’été avec lequel il partage de subtiles similitudes. Evidemment, Monika est surtout resté dans les mémoires pour son fascinant regard caméra dans lequel le personnage nous rend témoin de son désarroi de préférer coucher avec le premier homme venu que de continuer à vivre avec son mari et son fils. Ce plan me dresse les poils à tous les coups. Pourtant le film est bien plus que ce tragique plan de bascule. Il est avant cela une fuite entre amants, quittant leur petit boulot miteux pour voguer en canot vers les îles non loin de Stockholm. C’est la bulle d’insouciance avant que le manque d’argent (et donc de nourriture) ne les fasse revenir sur terre. L’idylle éphémère avant l’apparition imminente d’un bébé. C’est la fuite la plus agréable du monde et le retour le plus douloureux de l’histoire du cinéma. Chef d’œuvre absolu.

Jeux d’été (Sommarlek) – Ingmar Bergman – 1951

14231166_10153945473867106_8791691189741712687_oUn amour de jeunesse.

   8.5   Comme son titre l’indique, le récit se déroule en été. Ce qu’il n’indique pas c’est que le présent du film, lui, se situe en automne, puisque l’été en question n’existe plus que dans le souvenir (vieux de treize ans) d’une ballerine au travers d’un gigantesque flashback (Procédé cher au cinéaste suédois) dans lequel Marie s’abandonne pour contrer la morosité qui l’habite (et semble l’habiter depuis longtemps) un jour de répétition de ballet alors qu’elle effectue ses dernières retouches maquillage. C’est alors qu’elle reçoit un paquet, contenant un livre qui n’est autre que le journal intime de Henrik, son amour de jeunesse. Il oriente les réminiscences et ouvre une première transition avant qu’un lieu (Une petite maison familiale au bord de la mer) ne prenne le relais, quand la pièce ajournée pour problème technique, Marie s’y rend, foule à nouveau l’endroit de sa jeunesse estivale, dorénavant secoué par le vent puis se souvient. Sommarlek raconte alors les premiers émois de cette idylle entre la jeune danseuse et l’étudiant aussi adorable que mystérieux – rencontré sur l’île d’Orno, au large de Stockholm – à la mélancolie latente puisqu’il est hanté par la mort de sa mère. Si l’automne et les coulisses de la salle de théâtre marquent durablement le présent, ce passé si proche et lointain respire l’été et les grands espaces, l’eau et les rochers, les promenades et les caresses, la nature et les horizons infinis. L’idylle s’élève contre tout, un oncle un peu beauf ici, une mère disparue là. Bergman disait qu’il avait fait Le septième sceau avec son cerveau et Jeux d’été avec son cœur ; Il résume alors ce qui me touche infiniment dans sa période de cinéma « romantique » couvrant les années 50, en gros : la pureté, le tâtonnement, la jouvence, cette impression que le film se dessine au présent au gré des émotions les plus élémentaires. On ne peut qu’admirer ses grands films sophistiqués comme Persona, mais Jeux d’été a comme Monika, cette fragilité (qu’on ne retrouve plus dès lors qu’il se fait sage et grave) et cette légèreté magnifique malgré la cruauté qui en émane. L’épilogue est puissant, puisqu’il retourne le drame aussi sèchement qu’il était apparu en réminiscence. Marie se démaquille, accepte son présent et son histoire d’amour à venir, raye son passé (En offrant le livre à son homme d’aujourd’hui) et retourne danser. Elle choisit la vie tandis qu’elle avait depuis treize années hésité avec la mort.

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silencio


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