Archives pour la catégorie Jacques Audiard

Les Olympiades – Jacques Audiard – 2021

26. Les Olympiades - Jacques Audiard - 2021Des jeunots pas discrets.

   3.5   Autant son relatif renouvellement via le passage par le western (Les frères Sisters) lui avait plutôt bien réussi, autant ce nouveau cru Audiard, sur une jeunesse trentenaire ancrée dans le Paris du 13e arrondissement, ne ressemble pas du tout à du Audiard, pour le pire.

     Dans sa conception, Les olympiades ne ressemble déjà pas à grand-chose : Tourné en pleine crise sanitaire, adapté de la série de bandes dessinées américaine Les Intrus, d’Adrian Tomine, écrit au préalable par Céline Sciamma avant que le scénario ne soit repris par Léa Mysius (à qui l’on doit le magnifique premier film Ava), photographié dans un noir et blanc brillant, dans le quartier en question, il y avait peu de chance pour que cette tambouille improbable fonctionne. Et c’est un ratage à tous les étages.

     Audiard vise le réalisme et la contemporanéité : Personnages cosmopolites, féminisation du casting, mouvement woke assumé. Il entre d’ailleurs dans la tour, dès la première scène. Mais il le détruit aussitôt, ne serait-ce que dans sa mise en scène, en floutant l’environnement des personnages (aucun lieu réel ne prend vie) ou en multipliant les effets de stylisations (type plans-séquence très aériens ou nombreux split-screen) ou en filmant essentiellement l’intérieur des appartements. De réel d’aujourd’hui, il ne reste qu’un catalogue superficiel, cumulant cyberharcèlement, prostitution 2.0, stand-up, crise du logement, la sexualité. Mais tout y est traité par-dessus la jambe.

     Le film ne raconte rien, les intrigues autour de ce triangle amoureux font trop fabriquées, les personnages sont désincarnés, les dialogues ampoulés, il n’y a pas de mystère, le sexe y est filmé de façon si frontale qu’il est impossible de ne pas y voir un désir forcé de la part d’un cinéaste qui n’a jamais su filmer cela. Tout y est incohérent. On dirait une version trash et ratée de films d’Hong Sang-soo ou Eric Rohmer. Dans un cadre légèrement similaire – le noir et blanc et la coloc parisienne – mieux vaut revoir Mes provinciales, de Jean-Paul Civeyrac, beaucoup plus ample, beau et impalpable. Allez, je sauve l’interprétation globale. Ils sont tous très bons – Lucie Zhang en priorité. Et je sauve le dernier plan, avec l’interphone.

Les frères Sisters (The Sisters brothers) – Jacques Audiard – 2018

04. Les frères Sisters - The Sisters brothers - Jacques Audiard - 2018De sang et d’or.

   6.5   C’est un Jacques Audiard tout juste auréolé d’une palme d’or (Pour le très discutable Dheepan) qui s’en va tourner un western en Espagne, bien que l’action se déroule en Oregon, en 1850. Il part avec John C. Reilly (C’est lui qui est à l’origine du projet) et Joaquin Phoenix, qui incarneront donc les frères en question, deux tueurs à gages, mais aussi avec les chercheurs d’or qu’ils traquent, campés par Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed. Casting quatre étoiles, en somme.

     Si le film manque clairement de souffle, tant il est tout en introspection, peu dans la démonstration – C’est quasi de la psychanalyse entre cow-boys – et qu’il manque de passion, tant il est verrouillé dans sa dynamique, on s’y attache au fur et à mesure, proportionnellement à l’intérêt qu’on porte à son couple de frangins, d’abord longtemps antipathiques avant qu’ils ne deviennent de beaux personnages, tout en rancœur et mélancolie, jusque dans ce magistral final en forme de retour aux sources désenchanté.

     Il faut donc s’armer de patience, ce qui n’est pas si difficile puisque l’image est belle et qui dit western, dit déplacement, chevaux, grands espaces, feux de camp, et qu’Audiard restitue cela à merveille. Il faut alors prendre comme ils viennent les quelques sublimes instants qui jalonnent le récit, notamment ce point culminant d’union insolite et nocturne, face à des tireurs embusqués puis dans une récolte d’or, séquence magnifique. C’est pas sans défauts, mais c’est le plus beau film d’Audiard depuis Un prophète, pour moi.

Dheepan – Jacques Audiard – 2015

568270.jpg-r_640_360-f_jpg-q_x-xxyxxEtat des lieux.

   4.5   J’y allais vraiment à reculons. Pour ce qu’il a traîné derrière lui comme polémique depuis Cannes, d’une part, mais aussi parce que De rouille et d’os m’avait poliment gonflé. Je suis assez mitigé. J’aime des choses, je ne vais pas le nier, mais d’autres m’agacent tellement. Cela dit, bien qu’il faille se farcir la mise en scène toujours trop stylisée d’Audiard, tout le début fonctionne plutôt bien. Dès l’instant que le film se pose dans le HLM de Poissy où Dheepan en sera le gardien, j’apprécie ce que crée le cinéaste au sein de la cellule faussement familiale, notamment la naissance du désir, la crainte de l’apparence, les relations avec l’enfant, mais aussi ce que le film raconte de l’entourage ; ça pourrait être hyper schématique mais les personnages qui semblaient à priori entrer dans des cases révèlent leurs nuances, tandis que ce sont ceux qui dans ce type de film, qui sont généralement les catalyseurs des futurs drames, à savoir les guides (ici l’interprète tamoul ou plus tard le type à tout faire dans la cité) sont ici les plus bienveillants. J’aime à ce titre beaucoup la séquence des boites à lettre. Elle est sans équivoque, c’est très beau. Mais le film prépare son virage. Il y a d’abord ce rapprochement un peu trop bisounours entre Yalini (la femme de Dheepan) et le gros caïd du coin, Brahim – Excellent Vincent Rottiers, comme d’hab. Puis lorsque Dheepan se retrouve à nouveau confronté à son passé, le monde des armes, en croisant son colonel en chef de longue date au Sri Lanka. Le lieu fermé dans Un prophète permettait à Audiard de préserver sa ligne de conduite et son intensité de bout en bout. Là non. Il faut ce carnage. Façon Travis Bickle. Mais Audiard n’est pas Scorsese loin s’en faut et cette montée en enfer, comme si Dheepan remontait son passé, est assez grossière. Sans parler de cette dernière séquence absolument minable, même pas maladroite ou ratée, non, minable. Allez si parlons-en : Londres est ensoleillée, accueillante, estivale ; Les arbres bourgeonnent, les rues sont désertes, un bébé est là, on se passe la main dans les cheveux sur un canapé dans un jardin luxuriant, en pleine barbecue party. Au secours. On pourrait citer une autre scène symptomatique d’une réalisation lourdingue : la double séquence Eléphant, inutile, sinon présente pour satisfaire le public bobo qui a besoin de ce détachement pseudo onirico-spirituel. Dommage, vraiment car dès qu’il y a deux personnages dans le plan, Audiard saisit quelque chose et prouve qu’il est capable de le faire même si très souvent il ne lui laisse pas le temps d’éclore.

De rouille et d’os – Jacques Audiard – 2012

De rouille et d'os - Jacques Audiard - 2012 dans Jacques Audiard 20330314Corps brisés.

   4.5   Avant de parler de Dheepan, le dernier film de Jacques Audiard, couronné de la plus haute distinction au dernier festival de Cannes, je tenais à revenir sur celui-ci qui était lui passé plus inaperçu, malgré Cotillard sans jambes et Matthias Schoenerts. Il y avait quelque chose de plus sage, de plus simple surtout, des moments très réussis et puis d’autres trucs attendus. Le film était venu me chercher par moments, notamment grâce à ses personnages féminins. Problème est, comme souvent, qu’Audiard s’intéresse davantage à ses personnages masculins, à leur virilité, leur corps, leur capacité à encaisser et mettre des coups. Dans Un prophète ça fonctionnait forcément, là moins. En fait, je me rends compte que je n’aimais pas les premiers films de Jacques Audiard, j’ai l’impression qu’ils adoptent un mauvais rythme, qu’il se cherche constamment mais confondant l’inventivité et l’essai psy stylé. A partir de Sur mes lèvres je trouve qu’il se passe un truc. Hormis quelques fautes de goûts, De battre me prend aux tripes. Un prophète est un excellent film carcéral à mon sens, enfin ça m’avait laissé sur le carreau. Audiard doit trouver cet état de transcendance pour que son cinéma s’embrase. Il n’en était pas loin là, mais il bute un peu sur ses deux histoires/personnages, il ne sait pas vraiment laquelle privilégier, il ne sait pas non plus s’il doit être délicat ou dur, doux ou violent, ça donne un film entre-deux, hybride (tout le contraire du très beau Une vie meilleure par exemple) mais qui n’est jamais loin d’atteindre quelque chose. Je pense qu’il est aussi très coincé dans la performance et dans une volonté de ne pas déborder. Le film surprend en effet très peu (à la fin peut-être, il se passe un truc) mais surtout, sans en faire trop, on sent qu’Audiard aime montrer qu’il réussit (il préfère filmer le corps amputé de Cotillard plutôt que son personnage, comme il préférait la transformation de Tahar Rahim à la prison dans le précédent, ce qui était nettement plus justifié).

Regarde les hommes tomber – Jacques Audiard – 1994

 Regarde les hommes tomber    3.5   Je n’aime pas. Je trouve Kassovitz très mauvais en bouffon naïf et chien-chien de son maître. Et les Vieux (Yanne et Trintignant) cabotinent à mort. Mise en scène survoltée un peu comme dans son film suivant, la relation (la seule chose qui pourrait être intéressant) père/fils (spirituel) Marx/Johnny n’émerge jamais. On le sait maintenant que Audiard a une obsession pour le « papa » vieillissant et instigateur, pour les adultes encore ado qui sont à une étape importante dans leur apprentissage de la vie. Même s’il se révèle (un peu) attachant sur la fin c’est quand même loin d’être bon, et d’arriver à la cheville de son dernier très beau film. Et ça en fin de compte, c’est une bonne nouvelle. Car il vaut mieux que ça se passe dans ce sens là. 

Un Prophète – Jacques Audiard – 2009

 Un Prophète - Jacques Audiard - 2009 dans Cesar du meilleur film un_prophete_5-300x199The world is yours.

   7.5   Avant Un prophète, Audiard avait commencé par Regarde les hommes tombés son seul film qu’à ce jour je ne connais pas. Suivi de Un héros très discret, film lorgnant du côté de Jeunet niveau mise en scène, fatiguant, exténuant. Sur mes lèvres, film d’amour très stylisé entre un taulard sur le retour et une collègue de bureau atteinte de surdité, qui montrait le cinéaste en bon technicien quand il s’agissait de faire monter la tension, mais c’est tout. Vint ensuite son film aux huit césars De battre mon cœur s’est arrêté, où il y filmait Romain Duris dépassant le stade de l’adolescence, coincé entre sa filiation voyou, son métier d’agent immobilier véreux et son amour maternel, sensation indescriptible puisque celle-ci n’est plus, penchant pour le piano. De battre… avait de bien belles qualités mais se noyait dans son propre dispositif, en mettant l’accent sur l’introspection il en oubliait le reste et obligeait Duris & co au surjeu.

     Un Prophète, et c’est une évidence, est le meilleur film de Jacques Audiard. Aucunement handicapé par sa durée, il déploie une histoire pleine de tension en s’attachant à ce personnage, Malik joué par le formidable Tahar Rahim, arrivé Rien en taule, qui sortira Grand, six ans plus tard. Son parcours (car c’en est un ça ne fait aucun doute) ne correspond pas à ceux qu’on a coutume d’observer dans les prisons au cinéma. On pense au cinéma de John Darabont qui ne montre que des gens sympas exceptés des méchants matons et de méchantes bandes dont le seul plaisir est de violer les farouches petits jeunes qui débarquent. Dans un autre style on peut le comparer à Scarface et donc à Tony Montana, dans son ascension, mais seulement dans son environnement initial et final. Car pour le reste, Malik n’est pas Tony, il ne pense pas comme lui, il ne réagit pas comme lui, il n’est pas le voyou de la société qu’il faut abattre, toujours sur un fil, il est produit de la société, mais le versant taulard de ce produit. Il grandit comme il faut grandir dans une société républicaine, il encaisse les coups et saisit les opportunités. Paradoxe aussi passionnant qu’intelligent quand on nous rabâche sans cesse que la prison est censée guérir l’individu. Ici elle ne guérit pas plus l’individu qu’elle le construit. C’est la prison qui forme Malik, pas l’inverse, il n’y a qu’à voir le Malik initial dont le seul cortège est une pluie de hurlements, de coups, de craintes, et le Malik final escorté par une file de mercedes.

     Et quel brio dans la mise en scène, Audiard a su se délester beaucoup plus de tous ces tics qui envahissaient ces précédents longs métrages. Excepté certaines séquences, ridicules mais brèves (je pense tout particulièrement à cet instant où Malik se fait engueuler par César Luciani, un Niels Arestrup qui abuse, où l’on voit tout à travers un seul œil, bref un peu inutile), le tout est bien huilé, et très peu tape à l’œil, encore moins que le diptyque de Richet. Il y a de la violence on s’y attendait mais elle est plus tendue, très brutale mais étirée, comme c’était déjà un peu amorcé dans De battre mon cœur s’est arrêté, avec la scène de baston dans les escaliers. Ici, une séquence tout particulièrement, celle de la lame de rasoir, quasi insoutenable parce que montrée de façon réelle, proche du documentaire, une scène qui arrive tôt dans le film, au point qu’elle surprend, nous met une claque d’entrée. Une autre, celle de la voiture, moins réussie, mais tout aussi intéressante pour comprendre le cheminement de ce personnage. Violence beaucoup plus déréalisée que la scène choc du début, très stylisée, avec du ralenti à n’en plus finir, avalanche de coups de feu muets, où l’on discerne le visage de Malik, semblant flotter dans un univers qui est le sien, sorte de situation qui le rend invulnérable. Alors que nous l’avions vu, deux heures plus tôt, très fragile, une lame entre les dents, un filet de sang sur le menton, où son plan n’était pas loin de capoter, donc de le trahir, de le détruire.

     Un prophèten’est pas exempt de nombreux défauts, c’est indéniable. Il suffit d’évoquer son titre, qui à mon sens n’obtient pas l’efficacité escomptée. La dimension mystique (la scène de l’animal) n’est finalement que peu exploitée et réduit l’étrangeté du procédé. Mais l’enjeu n’est, je crois, pas là. Car en terme de film de prison, s’il fallait le réduire à ce simple genre, il est au-dessus du lot, largement. Il faut voir la tension qui se dégage du film, et tient de bout en bout. Il faut voir l’interprétation, aussi bien de Tahar Rahim que des autres, et puis ce climat, cette angoisse claustrophobe qui s’en dégage. Allez, employons les grands mots : Un prophète est en quelques sortes, Le chef d’œuvre de Jacques Audiard. L’un des tous meilleurs films de l’année. Pas parce qu’il est proche d’un certain cinéma américain, comme l’était le diptyque sur Mesrine, mais parce qu’il ne se casse jamais la gueule alors qu’il a le sujet pour, et surtout parce qu’il tient en haleine comme très peu de films cette année ont su le faire. Belle surprise, belle claque.


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