Archives pour la catégorie Jacques Becker

Rendez-vous de juillet – Jacques Becker – 1949

09. Rendez-vous de juillet - Jacques Becker - 1949Une jeunesse parisienne.

   7.0   Une peinture de Paris et de la jeunesse bourgeoise d’après-guerre, filmée dans le même élan qu’Antoine et Antoinette, le précédent film du cinéaste. Une infinie de possibles, d’espoirs, de fantasmes collectés à travers de multiples personnages, tous vingt ans, peu ou prou, qui se croisent dans des cafés, théâtres et soirées dansantes, s’aventurent dans un véhicule de l’armée relooké, dans les rues voire sur la Seine, incarnés par des comédiens d’une énergie communicative et d’une justesse folle. Un beau film vivant, virevoltant, toujours en mouvement, comme aligné sur sa kyrielle de personnages, qui révèle la fragilité du couple et des rêves. La construction chorale du premier quart d’heure est l’un des trucs les plus étonnants que j’ai pu voir, tant il ne fait que bondir d’un personnage à l’autre, par transitions téléphoniques notamment. L’un des plus beaux Becker.

Goupi mains rouges – Jacques Becker – 1943

09. Goupi mains rouges - Jacques Becker - 1943Terre sans blé.

   7.0   Un très beau Becker qui réalise là une sorte de film noir en terre paysanne. Soit la peinture au vitriol d’un petit monde rurale dur et mesquin, arriviste et pingre, auquel malgré tout on s’attache, tant chaque personnage est magnifiquement écrit et ambivalent.

     Il s’agit d’une chronique familiale peinte dans un moment crucial, frisant le fantastique : La venue d’un fils de Paris dans le but de le marier à une cousine du pays ; une forte dette apportée par un commerçant du coin ; la naissance du veau dans l’étable ; la fausse mort brutale du patriarche ; la disparition mystérieuse de la gérante de la guinguette.

     Les frontières sont minces : Un petit magot en cache un gros, une fausse mort en masque une vraie, un amour en remplace un autre. Ce récit de polar en forme de vaudeville (qui s’avère être aussi un film à twist) est à l’image de ce drôle de titre en trompe l’œil, puisqu’il s’agit du nom d’un personnage apparemment moins essentiel.

     Goupi mains rouges a la particularité d’être tourné pendant l’Occupation, au moment où Pétain prône justement un retour à la terre. En somme, le film s’érige subtilement et à sa façon, contre le régime de Vichy.

Casque d’or – Jacques Becker – 1952

10. Casque d'or - Jacques Becker - 1952Un menuisier dansait.

   6.5   Je tenais à revoir ce classique absolu, réputé pour être l’un des plus beaux films sinon le plus beau de Jacques Becker, justement parce que je l’aime nettement moins que d’autres. En le revoyant, j’ai compris pourquoi je l’aime moins. Il y a pourtant tout dans ce mélodrame pour que j’en sorte en miettes : Une histoire d’amour, une belle histoire d’amitié, un affrontement pour une femme, une crapule véreuse, lâche, dégueulasse (Félix Leca personnage mauvais jusqu’à l’os) mais aussi une parenthèse rêvée ( ?) au bord d’un fleuve, des danses endiablées dans des guinguettes effervescentes, la terrible sentence finale de l’échafaud. Becker maitrise totalement son dispositif, l’imbrication de son récit et la progression tragique. Quand Signoret & Reggiani croisent leurs regards pour la première fois on sait qu’ils courent au drame. Il y a dans Casque d’or une chape de plomb permanente, parfois nette, parfois invisible, qui empêche d’apprécier l’amourette bucolique. Même sur les bords de l’eau, on sait que tout cela ne tient qu’à un fil. C’est beau, souvent très beau, même. Mais je pense que ce couple de cinéma me pose problème. Je n’y crois pas. Ensemble, se donnant la réplique, la passion, la tragédie l’un à l’autre, ils font trop acteurs de la comédie française, pas suffisamment prostituée et charpentier de banlieue parisienne, en gros. Alors je sais qu’on pourrait dire ça de n’importe quel film, n’importe quel couple de cinéma, c’est un grief qui ne tient qu’à moi. J’y crois moins que disons, un Antoine & Antoinette où l’interprétation n’échoie pas à des monstres sacrés trop envahissants pour des personnages aussi lambda. Signoret & Reggiani sont bons, mais je vois trop leur jeu, je les préfère dans, au pif, Les diaboliques ou Le doulos. Je suis d’ailleurs nettement plus impressionné par le méchant du film, campé ici par un magistral Claude Dauphin, super flippant.

Rue de l’Estrapade – Jacques Becker – 1953

Anne Vernon, Daniel GélinLe choix de Françoise.

   6.0   Falbalas m’avait permis de comprendre une chose essentielle : Sitôt qu’il navigue en terrain bourgeois, Becker m’intéresse moins. Je le trouve beaucoup moins doux dans sa réalisation et surtout plus cynique dans son écriture. Il faut un peu de temps avant d’entrer et d’apprécier Rue de l’Estrapade. Il faut attende de quitter cet hypocrite cocon bourgeois qui fait presque office de pré cinéma de Lelouch, où la femme est amoureuse éperdue de son époux, mais où ce dernier, fanatique de courses automobiles, la trompe avec une mannequin. Il faut s’extirper de l’adultère et suivre cette femme, Françoise, qui prend l’initiative de quitter son mari puis de louer une chambre de bonne sous les toits de Paris. C’est dans sa manière de filmer cette nouvelle vie que Becker s’avère le plus intéressant, notamment ces échanges avec ce voisin de palier et sa découverte du Quartier Latin. Le film perd à revenir (régulièrement) vers l’homme, d’abord car il est assez peu charismatique, pour ne pas dire vraiment pathétique, ensuite parce qu’il est le détonateur qui envoie Françoise revivre. C’est elle qui nous intéresse, pas lui. Le film aurait gagné à l’évincer entièrement. S’il ne le fait pas, j’imagine que c’est pour jouer sur la comédie de remariage et préparer la fin, très déstabilisante autant qu’elle est belle : C’est Françoise qui choisit tout dans ce récit, c’est elle qui part et c’est elle qui revient.

Antoine et Antoinette – Jacques Becker – 1947

Roger Pigaut, Claire MaffeiLa vie est à nous.

   9.0   C’est la peinture du milieu ouvrier qui séduit avant tout dans Antoine et Antoinette. Il faut bien qu’on ait atteint la moitié du film avant que n’entre en jeu cette histoire de billet de loterie. Avant cela, si l’on excepte l’épicier qui fait des pieds et des mains, plutôt de gros sabots, pour séduire lourdement Antoinette, il y a très peu d’intrigue à se mettre sous la dent sinon ce quotidien brassé dans toute son authenticité. Soit celui d’Antoine, ouvrier chez un imprimeur et celui d’Antoinette, travaillant au Prisunic. Et Becker s’attache à montrer chaque détail de leur vie quotidienne la plus ordinaire : Aller voir un match de football en amoureux, se promener en barque, grimper sur le toit pour faire un changement d’antenne, faire ses courses au marché, changer la roue d’une bicyclette ; Rarement on aura autant vu et entendu dans un film les prix des produits à l’étalage, d’un photomaton, d’un billet de train. Il suffit ne serait-ce que d’évoquer ces journaux quotidiens que l’on découpe pour faire des semelles ou cette ampoule de cuisine servant ici à brancher un fer à repasser, là le transistor, pour voir qu’on évolue dans un environnement des plus modestes, mais dans lequel nos personnages s’épanouissent malgré leurs rêves (d’un plus grand appartement, d’un side-car, d’une boutique…) qui bientôt se matérialiseront sous la forme d’un billet de loterie gagnant avant de se dissoudre dans sa perte.  En plus de cartographier un quartier de Paris, de le marquer historiquement, cette évocation de la valeur des choses agit comme rappel de la condition précaire des personnages autant qu’elle annonce un avenir proche (la seconde partie du film) ô combien romanesque. En fait c’est « Le trou » quelques années plus tôt, mais sa version feel-good et romantique. Je l’avais découvert il y a pile six ans et je m’en souvenais assez bien, ce qui ne m’a pas empêché de prendre un plaisir immense à le revoir.

Dernier Atout – Jacques Becker – 1942

07. Dernier atout - Jacques Becker - 1942Dernier à tout.

   2.5   Pour avoir pondu cette merveille qu’est Le trou, Jacques Becker fait partie de ces cinéastes dont je voudrais absolument tout voir, même ses films jugés plus dispensables. C’est Tavernier qui a aiguisé ma curiosité dans son film Voyage à travers le cinéma français, puisqu’il évoque Dernier atout comme ayant été un déclencheur de sa cinéphilie. Tout en lui admettant aujourd’hui les faiblesses. J’ai trouvé ça plein d’humilité d’en parler ainsi, avec cette nuance, cette nostalgie, cette lucidité. En effet, il fallait sans doute le voir comme il l’a vu lui. Car difficile de faire plus chiant. Le film venait à peine de finir que j’avais déjà tout oublié.

Ali Baba et les 40 voleurs – Jacques Becker – 1954

28. Ali Baba et les 40 voleurs - Jacques Becker - 1954Jacques et les 40 Fernandel.

   3.5   Il y a du soin dans la gestion du rythme et des plans. Becker reste un admirable cinéaste de l’espace. Il tente régulièrement des plans relativement longs, très composés, ne laissant pas contaminer sa mise en scène par l’hystérie de son acteur principal. Mais ça reste affreusement lourd. Les gags sont éculés, l’interprétation générale frise le ridicule. Il fallait bien qu’il mange, j’imagine. Et la farce n’est pas ce qui lui sied le mieux, alors avec Fernandel en figure de proue ça donne quelque chose d’un peu ringard au mieux, de carrément indigeste au pire, même en tant que simple divertissement familial.

Falbalas – Jacques Becker – 1945

1982946 Falbalas - Sein letztes ModellLe tourbillon du désir.

   6.0   Jacques Becker plonge dans le milieu de la mode pour raconter cette histoire d’amour fou entre un couturier et la future femme du fils de son plus important fournisseur. En s’ouvrant sur la fin (la découverte du corps d’un homme sur le pavé dans les bras d’un mannequin vêtu d’une robe de mariée) le film se prive de l’éventuel suspense inhérent à ce traditionnel jeu de « suis-moi je te fuis » : L’intérêt ne sera donc aucunement de deviner si les amants finiront ensemble ou non. Ça finira mal, c’est une certitude. Et c’est ce plan de bascule, virant du corps inerte aux multiples branches d’un arbre décharné, qui nous explique que seul un flashback pourra retracer le drame.

     Becker va décrire ce monde avec richesse et déploiement, autant qu’il le fera du couple (Antoine et Antoinette) ou d’un groupe de prisonniers (Le trou). Notamment les règles de pouvoir d’un poste sur un autre, d’une personne haut placé (elle-même surveillée par le couturier dictatorial) sur celles qui travaillent d’arrache pied dans l’ombre. Cette minutie quotidienne de la maison de couture se dissout très vite au profit de cette histoire d’amour déséquilibrée, où chacun semble prêt à abandonner sa vie, tour à tour, avant de retourner sa veste. Le film était précis, cadré, il devient désordonné, spirale. Le couturier qui règle sa vie et sa réussite sur ses créations saisonnières veut tout abandonner, il a signé son arrêt de mort. Je ne connaissais pas Raymond Rouleau, il est excellent en plus de ressembler outrageusement à Michel Piccoli. Outre la finesse des dialogues, il faut préciser que la mise en scène de Becker est aussi très inventive : Suffit d’évoquer cette fabuleuse partie de ping-pong.

Le trou – Jacques Becker – 1960

Le trou - Jacques Becker - 1960 dans * 100 01.-le-trou-jacques-becker-1960-300x206L’utopie et ses limites.   

   10.0   Clouzot l’avait compris. Melville et Bresson aussi, surtout Bresson. Un suspense infaillible ne repose pas sur son nombre de rebondissements, ni en leur agencement, enchevêtrement, vitesse et que sais-je encore de séductions primaires, mais dans la minutie avec laquelle l’action est ordonnée. La vertu première et non négligeable du film de Jacques Becker est de donner envie de revoir Un condamné à mort s’est échappé, de Bresson, chef d’œuvre ultime du film d’évasion au ralenti, tant il s’en rapproche dans l’épure narrative, ainsi que dans cette focalisation formelle sur les gestes des personnages, sur le mouvement, l’action. J’ai aussi pensé à un autre chef d’œuvre, le film de Jean Genet, Un chant d’amour. Essentiellement lors de la seule véritable scène de solidarité entre prisonniers de cellules voisines, se transmettant des objets via une corde à travers les barreaux de leur cellule. Becker saisit ce moment dans toute sa trivialité, sans qu’il ne soit fondamental à la progression de l’histoire, simplement pour créer une atmosphère du lieu, pour le rendre vivant. Becker crée du réel quand Genet en faisant de la poésie.

     Jacques Becker c’est donc à ce jour, en ce qui me concerne, deux merveilles. Après le sublime Antoine et Antoinette, voici le magnétique Le trou. Deux merveilles qui ont peu à voir entre elles sinon qu’elles sont chaque fois des déclarations d’amour aux personnages de cinéma. Il y a une telle humanité dans les films de Becker, dans l’entraide comme dans la trahison, les personnages par la solidarité qui les lie, le doute qui les accapare, deviennent incroyablement bouleversants. Même l’acte décevant est beau. La fin ici par exemple n’est jamais moralisante, elle appelle la faiblesse et donne au dispositif une fragilité pragmatique, tuant dans l’œuf son optimisme fédérateur.

     J’apprécie le parti pris d’une économie de la parole, réduite à une parole de l’action la plupart du temps. Elle enrobe systématiquement le geste, le naturalise, mais n’entre jamais en compte pour créer une dimension psychologisante. Par exemple, nous ne saurons presque rien des quatre détenus préinstallés, ils sont le décorum, le déclencheur et la stabilité au sein de leur petit groupe qui fonctionne à nos yeux aussi parce qu’on n’apprend rien d’eux, justement parce qu’ils se connaissent probablement par cœur et qu’ils savent le passé de chacun et les risques qu’ils encourent au jugement. Nous apprendrons un peu de Gaspard, forcément, puisqu’il existe en tant que cinquième larron, pièce rapportée, en qui il faut faire confiance un peu trop vite. Son histoire et ses motivations doivent être exposées pour que le projet d’évasion soit homologué.

     Le trou est un film se déroulant dans un espace confiné, entre une cellule et les égouts. Entre la captivité pure et l’espoir de liberté. Aux extrémités, emprisonnement total ou fuite absolue. Les couloirs de la prison où les personnages ne sont plus que des fantômes errants ou l’ouverture d’égout entrebâillée vers l’extérieur. Nous ne verrons que très peu de ces extrémités. Le film lui préférant ce noyau soudé et la relation entre les personnages. Cet espace restreint, écrasé par les murs, est filmé comme un immense champ de possibles, avec ses recoins et ses failles (petit placard, amas de cartons), ses embrasures vers les extrémités menaçantes ou enviables (judas ou bouche d’égout), avec ses parois meubles que l’on peut percer et ces murs inviolables. Lors de nombreuses séquences ce sont ces sols et ces parois que l’on frappe, brise et perce à la tenaille et Becker choisit régulièrement de longs plans séquences souvent fixes, qu’il étire pour renforcer l’aspect éprouvant, la fatigue, la durée. Magnifique scène où chacun des cinq prisonniers se relaient à frapper le ciment, dans un gros plan unique, où le spectateur ne discerne hormis le trou qui se crée à mesure, seulement l’instrument et les mains des hommes, comme si les cinq ne faisaient plus qu’un avec la force inépuisable de cinq.

     Becker crée un groupe. Un groupe soudé. Et il y injecte un nouvel élément, occasionnant méfiance, forcément, tout en l’accueillant en lui forgeant une place, quelque peu forcée. Il y a une grande douceur dans cette cellule, tout le long du film, une solidarité apaisante. En totale contradiction avec l’inconfort apparent que le lieu offre (fouilles régulières, contrôle poussé de la nourriture provenant de l’extérieur, repas locaux infectes…) tout simplement parce que Becker s’intéresse à la beauté du lien en créant une utopie de groupe jusqu’au paradoxe Gaspard. C’est cette pièce rapportée en qui on a fait un peu trop tôt confiance qui détruira, un peu malgré lui, naïvement ou par excès d’honnêteté, le lien qui les unissait, ce secret qui ne pouvait exister sans fragilité. Quelle idée ingénieuse que de garder hors champ l’intégralité de ce dialogue d’aveu entre Gaspard et le directeur. Cela permet au film d’atteindre des cimes bouleversantes dans la mesure où le spectateur, à cet instant-là, en sait autant que les autres prisonniers, lui aussi partage leur excitation, lui aussi est sur le point de réussir son évasion. La claque n’en est que plus puissante.


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silencio


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