Publié 7 décembre 2019
dans Jacques Doillon
L’enfance en fuite.
7.0 Sous l’Occupation allemande, l’histoire de Joseph, dix ans et Maurice, treize, fils d’un coiffeur juif, obligés de fuir Paris pour rejoindre Menton, alors en zone libre. C’est un film grave traité avec beaucoup de légèreté puisqu’il apprivoise le point de vue des enfants, le cache-cache quotidien avec les soldats allemands et leur instinct débrouillard, espiègle et nonchalant : Ils n’hésitent pas à échanger leur étoile jaune contre un sac de billes par exemple, encore moins à voler des poules. Maurice aura ses premiers émois avec une prostituée, Joseph tombera amoureux de la fille d’un antiquaire collabo.
C’est un beau récit initiatique campé par deux jeunes comédiens magnifiques. Un film très sobre, très doux sur une famille juive déchirée par l’Occupation et la crainte des rafles. Je n’ai pas lu le roman éponyme de Joseph Joffo – dans lequel il raconte sa propre enfance, fuyant les nazis avec son frère ainé – que Doillon adapte donc très vite, deux ans plus tard. Il semblerait que l’auteur était récalcitrant face aux libertés prises par le futur réalisateur de La drôlesse. Il n’est ni le premier ni le dernier écrivain à ne pas supporter que le cinéma apporte ses petites modifications.
Joffo n’est plus là et moi je n’ai pas vu l’adaptation qu’en a fait Christian Duguay, avec Patrick Bruel, en 2017 mais soyons de mauvaise foi : Il aurait alors forcément réévaluer la version de Doillon, qui, en cinéaste de l’enfance s’est certes probablement approprié le matériau (Tant mieux !) mais qui au moins filme ses personnages avec beaucoup d’amour et de nuance, et prend soin d’étirer certains plans, certaines séquences offrant un rythme particulier au film, qui effleure parfois l’académisme mais n’y sombre pas.
Publié 24 juillet 2015
dans Jacques Doillon
Elle et lui.
5.5 Doillon adapte Lutte d’amour, un tableau de Cézanne. Exit les quatre couples de la toile (à moins qu’elle ne soit la quadruple projection d’un même couple) le cinéaste n’en garde qu’un auquel il ne donne aucun nom, campé par Sara Forestier et James Thierrée. La première joue une jeune femme de retour sur ses terres natales, qui doit vendre la maison de son défunt père. Le second un ermite mystérieux retranché dans la mêmes contrée. On s’en tient presque là-dessus des attributs romanesques. Ce qui intéresse Doillon c’est la collision des corps et la danse des mots que ces violentes étreintes corporelles égrènent sur leur passage. Dis comme ça, Mes séances de lutte avait tout pour être calibré pour moi. Mais premièrement, j’ai du mal avec Forestier. Et je pense qu’elle est à contretemps de la représentation que le film souhaite trouver. Elle fait star. Un peu comme Léa Seydoux, ailleurs. Et du coup le deal (l’équilibre entre les deux) ne fonctionne pas entièrement. L’autre problème c’est la place de la parole. Le film aurait presque mérité d’être muet, enfin pas totalement, disons que les dialogues hors relation Forestier/Thierrée sont plutôt bien agencés, avec l’amie ou la soeur par exemple. Mais dès qu’on entre dans le jeu/défi de (non) séduction tout est hyper ampoulé. Ma dernière réserve concerne la mise en scène de ces balais corporels. Hormis la fin où le film semble enfin se libérer et s’échapper on ressent très peu l’étourdissement que devrait motiver ce jeu de « suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis » atypique. Il y a pourtant quelque chose de très stimulant au travers de toutes ces ellipses qui permettent de n’en revenir qu’à cette lutte sans fin, un peu comme Rivette revenait lui sans cesse à cette peinture dans La belle noiseuse. Il y a donc un gros déséquilibre entre ce que l’on voit et ce que l’on ressent, évoluant d’une séance à l’autre sans véritable point de chute ou de rupture (une violence soudaine, un revirement puissant, un bouleversement quelconque) qui aurait permis de dynamiter toute cette topographie du désir de lutter contre la pulsion de l’autre, finalement assez terne. Je ne reçois pas ce que Doillon a chercher à montrer à savoir une somme de séances de lutte prenant chaque fois une forme différente ; tout m’apparaît moi hyper monotone et calculé. Je préfère nettement les variations qu’apportent Pialat dans Nous ne vieillirons pas ensemble, par exemple.