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Measuring change – James Benning – 2016

07. Measuring change - James Benning - 2016Matin et soir.

   6.5   Le film s’ouvre sur un carton à la temporalité très précise : 28 décembre 2015. 8.57AM. Le premier plan dévoile La spirale Jetty, asséchée, sur une plage de Salt Lake City. Il s’étend sur trente minutes. Il y a une fixité totale puisque la mer semble loin. Si loin et sombre, qu’elle ressemble à un mur de pierres. Le ciel, lui, est bleu azur, il n’offre aucun changement de luminosité. C’est le vent qui imprime de la variation. Le vent et le retentissement d’un avion de chasse qui un moment donné passe brièvement, hors champ. On aperçoit une terre montagneuse, au loin. Un continent ? Des îles ? Il faudra attendre quinze minutes pour voir apparaître un vrai mouvement, un corps dans le cadre. Il emprunte la spirale, vogue entre les roches au gré des bourrasques. Puis, une autre silhouette, quelques instants plus tard, l’imite. Puis d’autres encore. Qui arpentent cet escargot de pierres avant de quitter les lieux, le plan.

     Un nouveau carton fait son apparition : 3.12PM. Suivi du même plan, d’un autre paysage. Les « îles » ont quasi disparu, ne restent que des ombres lointaines. Le sable s’est noirci, il semble humide, comme si la marée était montée et s’était déjà retirée. Entre temps il a aussi neigé. Le gris s’est emparé du plan. Seul le vent n’a rien changé de sa valse. L’apocalypse semble avoir eu lieu. Le peu de mouvement se situe dorénavant dans le ciel : Des nuages qui apparaissent ou se craquellent. Si lentement qu’il est difficile de le percevoir en temps réel. Un groupe de personnes viendra à nouveau habiter le plan. Se promener autour de la spirale, pour finalement s’en éloigner, comme s’ils la fuyaient mystérieusement. Elle était source de jeu et de fascination dans le premier plan. Elle devient invisible, méprisée dans le second. Les trois silhouettes iront bientôt se dissoudre dans le gris de l’horizon, avalés par un mirage entre sable et océan, tandis qu’un autre bruit de moteur d’avion aura fermé la boucle.

     C’est un film sur le pouvoir du hors champ. Que s’est-il passé en l’espace de six heures ? N’est-ce vraiment qu’un changement de temps et de marée ? Dans BNSF le hors-champ c’est le modèle (Le train) quand le temps, lui, se déroule sans montage, sans cassure. Dans Measuring change, c’est l’inverse : Le temps crée du hors champ quand le modèle (La spirale Jetty) ne bouge pas. Il ne faut plus un plan, mais deux, pour le voir. Il faut un cut au noir de dix secondes (sur lequel reste imprimé le bruit du vent) en son mitan, concentrant six heures. Sans doute la plus belle idée du film. Idée que Benning n’avait jamais déployée, semble t-il. C’est un beau prolongement de Casting a glance (qui déjà captait des images de cette spirale sur quatre décennies, sans jamais utiliser le plan classique d’ensemble utilisé ici) au même titre que BNSF était un prolongement de RR. Des versions hardcore. L’ascétisme de Benning est ici à son point de rupture.

BNSF – James Benning – 2013

18. BNSF - James Benning - 2013Vers l’obscurité silencieuse.

   6.5   La démarche est opposée à celle de RR même si, comme le dit mon fils « On dirait qu’ils sont jumeaux » d’une part car nous ne traversons pas l’Amérique cette fois, il n’y a plus qu’un seul lieu, c’est un voyage immobile, un tableau dont la surface est parcourue d’infimes évolutions éphémères. D’autre part car il n’y a plus vraiment de montage – Celui de RR a son importance, quoiqu’on puisse en penser – si ce n’est le parti pris de commencer ici et finir là, plutôt qu’à d’autres instants, à moins que Benning n’ait shooté entièrement ce que l’on voit, mais j’en doute.

     La contrainte temporelle n’existe pas (Le film s’étire d’ailleurs sur 3 heures et treize minutes) donc pourquoi ne pas avoir allongé la nuit, ôté un peu du jour, ou l’inverse, qu’importe ? Pourquoi ce plan plutôt qu’un autre, comme souvent chez Benning, mais plus encore ici puisqu’il n’y en a qu’un ? Interrogations parmi d’autres. Toujours est-il que si BNSF déploie par sa richesse visible et hors champ un imaginaire fort, l’expérience est repoussée aux confins de la patience, pour mon fils comme pour moi. RR c’est un blockbuster en comparaison de BNSF. Mais on y pense, forcément, mon fiston le premier : « On dirait le deuxième train de RR » Tu peux vérifier, il est incollable.

     Nous avons attendu le premier train en décrivant ce que nous avions sous nos yeux, jusqu’à sa profondeur infinie, en imaginant le hors champ ; Nous avons attendu le deuxième train avec une excitation intense (le tremblement de terre sonore qu’avait procuré le premier fut un choc) accentuée par cette inconnue : D’où va-t-il sortir, du fond gauche de l’écran ou au premier plan à droite ? Mais sitôt qu’on avance c’est plus difficile, on a parfois fait autre chose, on s’est un peu assoupi aussi – Il semble qu’il y ait treize trains, mais nous n’en avons compté que douze, le treizième s’est évanoui dans notre sommeil commun, à moins qu’il ne se soit brillamment caché derrière un autre, on gardera le mystère.

     Quid de savoir si la jubilation éprouvée lors de l’apparition du train vaut l’interminable attente de son apparition – J’ai parfois compté jusqu’à vingt minutes, vingt minutes de vent, de légers changements de luminosité, de petits bruits impossible à distinguer, d’un relief qui prend le temps de s’inscrire dans la mémoire – voire son interminable passage : Un train très long, probablement très chargé, est plus lent que les autres et serpente le plan (On ne doit pas être loin du kilomètre de voie ferrée, en visibilité) au ralenti durant plus de dix minutes ! Mais au moins il est là, objet de toutes les attentions, rassurant, tandis que son absence inquiète : « A quelle heure il arrive ? » L’expérience du réel, non plus sur un quai de gare mais devant un écran.

     « T’as mis sur pause, papa ? » m’a-t-il demandé un moment où le vent (Le désert des mojaves est très venteux) avait cessé. Et c’est vrai qu’il y a parfois des suspensions très gênantes, où l’on croit soudain arpenter le vide, notamment vers la fin, quand la nuit prend possession du décor, que le silence terrifiant l’envahit – comme il envahissait la campagne dans le premier épisode de Quatre aventures de Reinette et Mirabelle, d’Eric Rohmer : L’heure bleue. C’est l’heure inquiétante, ici. C’est très beau, mais il était temps que ça s’arrête car ça devenait vraiment inconfortable de se laisser bercer par cette obscurité silencieuse.

Ten Skies – James Benning – 2004

coloriage-vice-versa-13819Là-haut.

   8.5   Le dernier ciel s’ouvre dans une semi pénombre, on ne sait pas s’il s’agit du soir ou de l’aube. Mais le bleu s’en va, les nuages de la nuit prennent le pouvoir, les sons de la nuit aussi. Le ciel de jour devient ciel de nuit. Mieux, ce ciel saisi dans son accablante réalité devient pictural, une toile qui serait peinte au fusain. On ne voit bientôt plus le plan d’un ciel mais une peinture de ciel. Comme un océan dans l’obscurité, qui dévoilerait dans l’ombre ses ondulations, son ressac, immobiles. C’est Van Gogh qui croise Turner. Ce dernier plan m’a achevé. D’autant plus qu’il s’agit du plus « statique » à l’œil nu, celui qui semble s’étirer à l’infini pour lequel rien hormis la nuit semble perturber. C’est celui devant lequel on pourrait s’endormir, rêver, croiser le jour et la nuit, nuages et vagues, aube et tombée de la nuit, photo et peinture, vrai et faux puis se réveiller dans l’éternité. Mais c’est aussi l’un des seuls ciels où la présence humaine est mise entre parenthèses.

     Ten Skies c’est donc dix ciels, dix minutes chacun – Procédé similaire à celui opéré pour 13 Lakes, réalisé par James Benning la même année. Dans chacun de ces ciels l’Homme n’est jamais loin, au détour d’un bruit, d’une fumée, d’une trace. Un avion peut ici s’en aller sortir par la gauche du cadre de manière aussi fugitive et mystérieuse qu’on ne l’a pas vu entrer – Chez Benning chacun voit ce qu’il veut/peut voir donc le On a forcément valeur de Je. Un moment, une épaisse fumée de cheminée s’échappe violemment du bas du cadre, accompagné par un tonitruant bruit de machines – Une centrale nucléaire ? Le ciel est contaminé. Les gigantesques volutes emplissent le cadre, sans la pause qui créait le rythme de celle qui fermera plus tard Ruhr. Il n’y a d’autre bruit que le vacarme, d’autre image que cette terrifiante fumée blanche. Le ciel bleu au fond n’est plus qu’un souvenir.

     C’est dans les ciels les plus neutres qu’on entend parfois des voix, discussions lointaines ou cris indistincts. Les plus impressionnants sont ceux entendu ici, dans la continuité de coups de feu qui se répètent sans cesse. Des cris d’enfants probablement, qui jouent à faire la guerre avec des pétards à moins que ce soit une véritable apocalypse qui surgit hors-champ. Le ciel, lui, est gris, figé, imperturbable et donc hyper angoissant, il participe à ce doute, ce jeu d’enfants ou cette odeur de jugement dernier. Un moment donné, le soleil creuse sa présence au travers d’épais nuages. Il veut se montrer, s’immiscer entre eux, c’est une bagarre. On décèle parmi cet amas informe la figure d’un ourson qui disparait aussitôt qu’il passe devant l’astre lumineux. L’ours s’est fait dévorer. Vengeance du soleil, éphémère, puisque peu à peu les nuages se noircissent, se durcissent. Le soleil à son tour s’est fait manger. Dix minutes pour tout transformer. C’est l’impression que laisse chacun de ces plans fixes qui paraissent parfois mobiles, l’image est remplacée par une autre en une fraction comme une éternité sans cesse renouvelée. C’est beau et terrifiant. Hypnotique et troublant. 

Two cabins – James Benning – 2011

09.-two-cabins-james-benning-2011Life in the woods.

   6.0   Ecran noir. Two cabins. Ecran noir. Thoreau. Ecran noir. Premier plan : Un mur, une fenêtre, des arbres. On est dans une pièce de maison, une chambre peut-être, on ne distingue que cette fenêtre ouverte vers la forêt. Rien ne bouge, sinon quelques feuilles secouées par un vent discret. C’est un plan fixe de quinze minutes. La fenêtre entrouverte (que l’on croit d’abord entrebâillée mais que l’on finit par constater levée) permet de capter quelques sons de l’extérieur, souvent indistincts, hormis la caresse du vent et divers bruits d’insectes. Au beau milieu de ce plan, le passage d’un train, enfin il me semble. Un bruit de train, non loin probablement mais invisible. Où sommes-nous ? Qui est ce Thoreau ? Que raconte cette nouvelle installation du maître du cinema landscape art ? Oui, j’avais soudainement envie de l’appeler comme ça. Ce plan m’a beaucoup fait penser au troisième plan de Ruhr, avec les arbres et ce bruit récurrent d’avion.

     Quinze minutes plus tard, écran noir à nouveau. Kaczynski. Ecran noir. Second plan : Une autre fenêtre. Carrée cette fois. Ouverte sur le côté, sur un mur boisé. On est davantage dans une sorte de cabane désormais. Des arbres là encore utilisent toute l’ouverture offerte par cette fenêtre. Nous ne voyons que ça : un enchevêtrement de branches. Il n’y a même plus cette infime parcelle de ciel bleu qui pointait dans le précédent plan ni de fins rayons de soleil dont on pouvait aisément imaginer la transparence. C’était un plan ouvert. Celui-ci est fermé. Alors que pourtant il ne semble pas y avoir de grande différence au premier abord. C’est assez nouveau chez Benning : il n’y a dans ce deuxième plan aucune évolution remarquable, ni en terme de son, ni en terme de lumière. Encore moins dans l’image, absolument figée. Il y a le bruit des oiseaux, dehors, continu. Et celui du crépitement d’un feu, dedans, continu lui aussi.

     Il n’y a plus d’hors-champ hypothétique (le train) car il n’existe même plus. Il relève de notre simple imaginaire, plus cloitré, qui ouvrirait une porte que l’on n’entend pas, descendrait d’un arbre qui n’a pas de tronc. Pire, l’enchevêtrement des arbres procure cette fois la sensation que l’ouverture n’est qu’un leurre, un tableau, une image, peut-être. Comme si une illusion d’optique pouvait naître en la plongeant dans une temporalité étirée. Une hallucination, en quelque sorte. Quinze minutes plus tard, écran noir à nouveau. Filmed in the Sierra Nevada. Ecran noir. Sound recorded at Waldon Pond and Lincoln, Montana.

     Image et son n’ont donc rien en commun, réellement parlant. La prise semblait pourtant totale, à priori. Enfin, disons que Benning nous y avait habitué donc on me dupe facilement. Le cinéma de Benning bien que fascinant me laissait sur la touche avec ce drôle d’essai qui m’offrait des clés inutilisables sans brèves recherches. J’ai donc effectué ces quelques recherches. Il s’avère que Thoreau, de son prénom Henry-David, est un philosophe naturaliste américain du XIXe siècle connu pour avoir écrit Walden notamment. Et que Théodore Kaczynski n’est autre que le grand terroriste condamné à perpétuité depuis 1996. Ces deux hommes ont en commun de s’être retirés dans les bois pour construire leur rejet du monde, l’un en écrivant des livres, l’autre en construisant des bombes.

     Walden Pond c’est l’étang Walden, le lieu de repli de Thoreau. Lincoln celui de Kaczynski. Benning a en fait reconstruit des copies de leurs refuges dans sa propre propriété, distinguant leur habitacle (assez proche dans leur architecture) pouvant contenir deux cerveaux humains les plus extrêmes et ambigus possibles. Accompagnés de leur véritable prise de son. En somme, pas étonnant que le premier plan soit habité par le jour et l’éventualité d’un mouvement, le recours à la grâce quand le second se fige dans une heure angoissante, pas loin de la tombée de la nuit. Two cabins est le film qui accompagne une plus imposante exposition, un peu moins abstraite forcément. J’aimerais beaucoup en voir davantage, en lire davantage là-dessus (Benning en a écrit un bouquin, parait-il) même si je suis ravi d’avoir eu accès à ces trente minutes qui ont malgré tout besoin d’un peu de recul et d’une connaissance liée pour se comprendre complètement à leur juste valeur. J’admire la démarche mais l’effort intellectuel qui l’accompagne obligatoirement fait que je préfère ses films qui me laissent une entière liberté.

Small roads – James Benning – 2011

04.-small-roads-james-benning-2011En attendant le virage.

   7.0   Le procédé est sensiblement similaire à celui utilisé pour RR, l’asphalte des routes ayant remplacé les voies ferrées. Soit, filmer des portions routières, selon des points de vue variés, dans plusieurs Etats d’Amérique. La vraie grande différence c’est le passage. Le train systématiquement passait, débarquant dans le champ puis en disparaissait. Ou s’y arrêtait, parfois, mais il se produisait quoiqu’il en soit une entrée dans un champ vide de manière à bouleverser le champ de ce plan. Dans Small Roads pas forcément. Benning ne semble pas avoir filmé la succession certaine d’un passage mais son éventualité. Le véhicule peut donc, s’il entre dans la temporalité offerte par le plan, entrer en début ou en fin de champ. Il n’y a pas de règle de passage.

     Le champ ici a même cette totale liberté de se briser à sa guise, d’attendre l’entièreté du passage ou non, de s’étendre ou non. En somme, Benning s’intéresse cette fois moins à la somme de ces passages qu’aux diverses caractéristiques de ses propres plans. L’univers sonore notamment. Prépondérant ici autant qu’il peut être infime. D’un vrombissement de moto inattendu ici à ces nombreux crescendos motorisés remplaçant ces lourds silences là. Et l’illusion d’optique, aussi, parfois. A l’image de cette route, que le ruissellement de la pluie qui s’y coule, nous fait comprendre son orientation descendante alors qu’elle nous apparaissait dans un premier temps tout à fait montante.

     Mais la grande particularité de Small Roads, lui permettant de se différencier clairement d’autres films de l’œuvre de son auteur, c’est son évocation quasi permanente de la route dans l’histoire du cinéma. De part cette espèce de catalogue nostalgique qu’il est capable en un plan, un passage, un silence, un véhicule de convoquer tout un tas de standards et autres merveilles tels Sorcerer, Macadam à deux voies, Easy rider, Vanishing point et autres Road movie mémorables. Ainsi que d’autres films où le véhicule est moins un habitacle permanent qu’un instrument de fuite comme Running on empty, Le gout de la ceriseSmall Roads permet au moins cela : Traverser à nouveau l’asphalte du Cinéma.

RR – James Benning – 2007

2a4y9f8cambiadaL’enfant sauvage.

   9.0   Mon fils n’a parfois d’yeux que pour les trains. Regarder passer un train en le surplombant d’un pont. L’entendre sans le percevoir en promenade non loin d’un chemin de fer. Fouler un quai de gare et attendre son passage. Possibilités qu’il accompagne d’un plaisir non feint, entre béatement et excitation, sérieux et jovialité. Un rituel qui me touche beaucoup (et que j’agrémente, finalement) puisque j’ai toujours plus ou moins été fasciné par ce transport, le filmant parfois, le photographiant souvent.

     C’est ainsi que je me suis permis de lui montrer (à mon fiston, 2 ans depuis trois semaines) son premier film de cinéma (hors quelques courts de Charlot) en espérant qu’il serait sensible aux trains de Benning autant qu’à ceux qui font son quotidien. En espérant, en somme, qu’il accepte la barrière de l’écran mais aussi la poésie de la répétition et de l’attente.

     RR, que l’on pourrait traduire (si l’on ôtait l’acronyme) par Railroad, est une succession de plans fixes plus ou moins conséquents où passent des trains. 43 trains. 43 plans. C’est le train qui détermine la durée de ce plan et donc la durée qui nous est offert pour observer cet espace donné. La longueur des plans varie en fonction de la grandeur du train, de sa vitesse, de sa position dans l’espace, dans le cadre. Le plus souvent, ils apparaissent, passent, puis disparaissent. Au fond, dans le champ ou derrière, hors champ. L’un s’arrête un moment et repart. D’autres s’arrêtent aussi mais restent immobiles. Chaque train a sa singularité. Chaque voie ferrée aussi. Et la caméra en se plaçant ici ou là ajoute aussi à la singularité de ce train ou de cette voie ferrée.

     L’idée est de filmer la multitude de possibilités. De varier chaque composante en fonction de l’événement qui le nourrit : le passage du train. Soumettre au cinéma du XXIe siècle ce que les Lumières offraient à la naissance de l’art en réalisant les quatre minutes de L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat. Créer l’infinité cinématographique. Une question de hauteur de wagon, de couleurs, de bruit, de vitesse. Et de décor : un silo, une usine, un patelin, une plage, une montagne. Il y a un paysage avant le passage du train et un autre paysage après. Pas tout à fait le même. Enfin, notre regard ne voit pas tout à fait le même. C’est une transformation abstraite.

     Mais plus qu’un film hommage, c’est un voyage à travers l’Amérique. Mouvement, durée et profondeur du plan comme de l’Histoire. Le train transporte avec lui du temps. Les trains serpentent les déserts, brisent les parois rocheuses, traversent les cours d’eau, sectionnent les forêts, alimentent les villes. Train de containers à Angiola, Californie. Un autre de marchandise dans le Kentucky. Un train très lointain dans une prairie de l’Utah, d’où l’on entend le bruit des coyotes. Un train de marchandise en plein brouillard à Manor, Pennsylvanie. Un passage à niveau à Winona, Minnesota. Le seul train contenant des passagers le long de Graviota beach, Californie. Deux ponts. Deux paysages enneigés. On ne va pas tout citer. Pourtant il faudrait parler de quelques détails troublants tel ce klaxon ici, une voix radiophonique là. Ou encore le tunnel Tehachapi où deux chemins de fer se croisent, un étrange marécage rouge, une chanson de NWA, le bruit des éoliennes, recouvrant celui du train après sa halte.

     Je connaissais déjà ce film de James Benning et j’avais par le passé été très gêné par sa construction mais aussi parce que le plan lui-même, avant la focalisation sur son contenant, pouvait représenter. Le passage. Naître puis mourir. Il y avait quelque chose dans ce cérémonial qui me terrifiait. Qui me terrifiait d’autant plus que le plan m’offrait le passage de trains. Trains imposants, scellés, sans fenêtres, sans ornement. Comment ne pas penser à ces allers directs vers les camps de concentration ?

     Je l’ai perçu différemment cette fois. Davantage en tant que parcours au travers d’un continent, racontant son histoire, sa topologie, ses ressources, ses richesses, sa beauté, sa cruauté. 43 plans de trains qui racontent à la fois La conquête de l’ouest et l’ère numérique. L’avènement du train et sa chute. Son sillon rapide quasi abstrait à travers un lac salé infini et son épuisement progressif dans un cimetière de pneus devenu champ d’éoliennes.

     J’ai beaucoup observé les réactions de mon petit garçon. Et je me suis mis à penser à plusieurs reprises que Benning avait dû faire ce film pour rester un petit garçon. Pour se souvenir de lui en tant que petit garçon. Là où la pensée n’est pas encore trahie par l’obligation. Ce n’est pas dans la succession que j’ai décelé parfois un ennui chez lui. S’il y avait vu quatre fois plus de trains, sa réaction aurait été similaire. Non, son ennui est un refus de l’hypnose, je crois. Ce qu’il voulait voir avant tout ce sont des passages de trains – peut-être est-il habitué à les voir vite apparaître et disparaître aussi, en vrai. Dès que le train (de marchandises, fréquemment) s’installe à l’infini (certains plans peuvent durer jusqu’à cinq minutes) il ressent le besoin de se focaliser sur quelque chose qui va à nouveau le surprendre. Il lui arrivait donc de décrocher de ce train à la longueur interminable et observait les alentours, une voiture au passage à niveau ici, des fleurs ou des maisons là. Il guette plus qu’il ne s’abandonne. Ainsi parfois, le plus drôle je pense, il se levait et faisait autre chose tout en gardant un œil sur l’écran afin de ne pas rater la disparition du train (aisé quand il provient d’une profondeur visible, plus délicat quand il vient de notre dos). Et chaque fois, véridique, il revenait pour cette disparition. Aussi pour ne pas manquer l’apparition du prochain.

Casting a glance – James Benning – 2007

1514555_10151892554737106_1274930513_nSpirale temporelle.

     8.0   La spiral jetty est une sculpture de land art construite en 1970 par Robert Smithson. Elle se trouve dans l’Utah sur Salt Lake City. Sa particularité première est d’avoir été érigée lorsque les eaux du lac étaient particulièrement basses avant de disparaître submergée durant plusieurs décennies et de réapparaître régulièrement en fonction des variations du niveau du lac. C’est une digue faite de pierres, un chemin imposant effectuant une avancée droite en mer (environ cinq cent mètres) avant de se replier en spirale. Un escargot de pierre en somme. Une spirale modifiant un paysage comme n’importe quel monument ornant un espace vierge ou disons pur, aux proportions si bien définies que le regard converge inévitablement vers la singularité que cette sculpture occupe dans le cadre. Casting a glance signifie Jeter un œil en anglais et c’est toute la démarche de Benning qui est résumée dans ces mots, d’observateur des infimes parcelles et mouvements singuliers de ce monde. Il effectue ici divers angles de vues, à diverses saisons, durant près de quarante ans, dévoilant les possibilités d’ouvertures du regard que la spirale peut offrir, présente ou non, sans jamais se laisser tenter par la vue aérienne classique. Voir la spirale au sein d’un paysage, dictant le regard, proposant des lignes, supprimant violemment l’horizon invisible, recueillant des couches de neige en hiver, de nombreux reflets en été, les corps lointains de touristes s’y abandonnant. Ou ne pas voir la spirale et accepter la pureté de ce même paysage, en saisissant ici une légère ondulation, là l’aboiement d’un chien hors champ ou un oiseau mort sur la glace. Contrairement aux autres films du cinéaste (que j’ai vu) qui s’attachent à saisir la fragmentation d’un lieu sur une durée donnée présente, sans histoire explicite autre que celle que l’on peut lui donner, Casting a glance s’inscrit cette fois dans une démarche temporelle, multiple, précise et répétitive. C’est un lieu unique qui traverse le temps et raconte sa propre histoire, non plus la somme de lieux. On retrouve néanmoins la fascination du cinéaste pour ce principe d’apparition/disparition qui nourri chacun de ses films, à la différence qu’il choisit ici la transformation lente, celle que seul le cumul des années peut entrevoir. James Benning est donc venu filmer à plusieurs reprises la Spiral jetty de Smithson, une quinzaine de fois d’après les dates qu’ils nous laissent et en a rapporté ce qu’il a vu, le coup d’œil qu’il y a jeté. Portrait saisissant d’un lieu mystérieux, qui résiste au temps car meurt puis ressuscite, prend place ou s’absente, donne à un paysage la convergence des regards venus l’observer et permet de se souvenir d’un lieu à un moment donné de son existence tout en ignorant les autres moments que l’on n’a pu saisir. C’est le portrait de l’incertain, de l’impondérable, d’un lieu saisit dans l’infime représentation de lui-même à travers le temps, comme si l’on racontait l’histoire d’un être en ne proposant que quelques minutes de sa vie.

Sogobi – James Benning – 2002

Sogobi - James Benning - 2002 dans * 100 14.-sogobi-james-benning-2001-300x222L’empreinte et l’infini.

   10.0   Vingt minutes, le chat dort. A mes côtés, je l’entends parfois ronronner, couvrant certains plans silencieux avant que les vocalisations de son plaisir ne disparaissent dans la richesse sonore qu’en offrent certains autres. Absence humaine totale jusqu’aux alentours du dixième plan et l’irruption d’un hélicoptère, son bourdonnement puis son apparition réelle, dans le plan. C’est le moment que le chat a choisi pour ouvrir l’oeil – une attirance sonore particulière sans doute – et être happé par l’écran. Lui aussi a sa propre réaction quant à ce changement soudain qui impose une première esquisse de l’intervention humaine. A nous aussi, ce plan nouveau fait son effet, non pas qu’il nous sorte de notre torpeur mais il atténue l’hypnose, propose une éventualité. Une possibilité que l’on n’attend plus. Un glissement. Dès lors, l’Homme n’aura de cesse de forcer l’entrée, grappiller, habiter, envahir le plan, relâchant parfois son effort, permettant à la nature de reprendre ses droits, entre immenses déserts de cactus, forêt d’arbres penchés et vallée forestière à l’infini. Mais c’est une nature menaçante, une nature qui résiste. Les plans sont harmonieux, une harmonie violente. Entre plantes épineuses érigées vers le ciel et troncs curvilignes aux allures indécentes. On ne retrouvera plus, l’hélico passé, le doux agencement qui régnait, qu’il se fasse en silence (branches recouvertes de neige) ou dans un brouhaha magnifique (vagues déferlant sur une plage rocheuse dans le tout premier plan du film). C’est une question d’empreinte. Guerrière, comme ce convoi militaire qui apparaît brutalement dans l’image pour se fondre éternellement dans l’horizon. Antique, avec ces pétroglyphes inscrits sur ce qui peut ressembler aux restes rocheux de la lave d’un volcan disparu. Absurde : ces deux morceaux de bois plantés en tant que possible délimitation de piste dans le désert. Monstrueuse lorsqu’une immense grue, d’abord hors champ, récupère ou dépose de longs troncs d’arbre, arrosés et immobilisés sous la chaleur, avant que le long bras métallique accompagné de son bruit volumineux ne disparaissent à nouveau du plan. Gigantesque comme ici avec ce gisement quelconque à plusieurs étages où l’on perçoit en tendant l’oreille le bruit des chenilles qui sillonnent ses longs chemins sableux. Eternelle, et ce barrage intéressant dans l’ultime plan du film, que l’on aperçoit au loin, distinguant même parfois le bruit d’un moteur d’une auto qui le franchit, tandis que devant nous se plante là un énorme puits, bloc de béton improbable, inutilisable étant donné le faible niveau des eaux, s’érigeant étrangement vers le ciel. Ce plan là m’évoque, de loin, la série Les revenants, avec ce paysage immergé qui réapparaît à mesure que le lac se vide. Il faudrait aussi parler de l’immensité, il y avait de cela dans Los. Certains plans sont hors norme, à la fois proches des photographies apocalyptiques et fantaisistes de beaux blockbusters ou des plus belles envolées lyriques et sensorielles d’un Weerasethakul ou d’un Herzog, je pense bien entendu à ce plan géant dans une vallée, tapissé d’une forêt verte, bordé par les montagnes dotés d’un silence résonnant comme dans un gouffre, aucun mouvement si ce n’est celui de cette cascade, rendue minuscule par sa distance, qu’il nous faut du temps pour apercevoir. L’eau est un élément important dans le cinéma de Benning, je ne me suis toujours pas remis de cet enchaînement de lacs (13 lakes) et voilà qu’ici, à maintes reprises, le plan se liquéfie à nouveau. Déchaînement naturel d’une part entre vagues s’échouant sur le sable et rapides s’engouffrant dans une rivière en cascade. Ce n’est pourtant pas là qu’elle terrorise ni interroge le plus. Sa nonchalance répétitive me repose, sa puissance me laisse songeur. Un songe hypnotique qui sollicite inconsciemment les sens. Car il y a plus dérangeant. Il y a cette étendue d’eau, mer d’huile, qui accueille une alternative humaine. A la fois par la présence d’une ombre étrange (des fils électriques ?) qui précède une autre ombre, beaucoup plus impressionnante, sous-marine, peut-être un requin pense t-on dans un premier temps avant de découvrir l’irruption de ce cargo qui envahit bientôt une partie de l’écran laissant derrière son passage forte houle et mousse virevoltante. Dans Sogobi ce sont pourtant les plans les moins ouverts qui sont les moins aimables, des plans suspendus et angoissants, comme encore cet enchevêtrement d’arbres qui ne laisse échapper de perspective, silhouettes asymétriques, casse-tête boisé. L’inquiétude naît justement de cette absence d’intervention extérieure, quand la nature dévore absolument tout. A contrario, on se souvient de cette séquence dans Ruhr, où cette forêt d’arbre isolée, ne résistait pas au passage d’un avion de ligne hors champ, assourdissant puis secouant les feuilles des arbres. Il y a aussi ces deux plans que j’aime énormément avec cette horizon vertigineuse, spirale de l’enfer, tous deux lacs, gelés ou salés, salés ou gelés, c’est selon, c’est parce qu’ils sont indomptables qu’ils sont fascinants. Deux séquences qui pourraient durer une heure sans que l’on arrive à en épuiser les soubresauts, l’évolution, le mouvement, tout simplement parce qu’ils y sont infimes. Les nuages dans le premier bougent imperceptiblement, on les distingue dans le ciel, mais sans qu’ils n’apportent de véritable impact de lumière sur ce sol carrelé, sableux ou gelé, improbable. Le reflet des nuages dans le second, cette fois on ne voit pas le ciel, qui crée une variation de couleurs sur ce lac en longueur, qui pourrait aussi être une ancienne route creusée. D’un bleu nuit inaltérable, l’eau se transforme, par le mouvement au-dessus, en bleu turquoise paradisiaque ou presque, révélant dans ses fonds un autre bleu nuit menaçant, avant que cela ne disparaisse sans qu’on ait le temps de s’en apercevoir. C’est trop court. C’est la beauté de Sogobi, c’est aussi une frustration. Les plans sont temporellement identiques, comme toujours, mais cette fois extrêmement court (2min30) renforçant ainsi la double facette du cinéma de James Benning : l’éphémère et l’éternel.

Los – James Benning – 2001

LosLost in the dream.   

   8.0   C’est une suite de plans de Los Angeles. Celui que l’on ne connaît pas, ou que l’on connaît moins. Le film s’appelle Los. Anges a disparu. Comme si Benning voulait dès le titre s’éloigner des stéréotypes que la ville laisse au cinéma. C’est peut-être cynique, pourtant c’est ce qui semble le plus vrai, le plus proche de la réalité donc le moins éloigné de ce faux rêve. Une suite de 35 plans au total. Et Los Angeles devient une ville comme une autre, multiple, fascinante. Et pourtant c’est en lui offrant cette forme ci que Benning la rend si singulière. Le seul reproche que je pourrais faire au film  - ou tout du moins ce qui m’en éloigne un peu – c’est qu’il a déjà été fait : il s’agissait de New York, c’était Chantal Akerman, avec son chef d’œuvre News from home. De grandes similitudes entre les deux films. Pourtant, du statisme, de cette froideur qu’en tirait Akerman, Benning continue d’expérimenter à sa façon, avec des durées de plans régulières, sans accorder pour autant plus d’importance à l’un qu’à l’autre, en se focalisant surtout sur l’apparition, la disparition, peut-être aussi davantage sur la variation. D’un quartier résidentiel il enchaîne sur une raffinerie de pétrole. D’une route désertique on passe à une casse de voitures. Un chantier, un immense panneau publicitaire, pour terminer sur l’océan. Il y filme des présences. Des choses abandonnées. Regarder un film de James Benning c’est voyager. Non pas avec un guide, ni selon une quête d’idéal via des défilés de carte postale mais en y débusquant des lieux inconnus, dotés d’un mouvement particulier, une émotion chaque fois nouvelle, des lieux sur lesquels on ne prend pas le temps de s’arrêter ni d’observer.

Ruhr – James Benning – 2010

Ruhr - James Benning - 2010 dans * 2010 : Top 10 CM+Capture+2

Das experiment.    

   9.5   7 plans fixes. Deux parties. La première contenant les six premiers plans.

     Premier plan. Un tunnel, très peu de passage. Quelques voitures, un camion, un cycliste. Une source lumineuse sous la forme d’un éclair. Un virage dans le fond, ligne de fuite vers le centre comme c’est régulièrement le cas. Une impressionnante maîtrise sonore, en écho ou étouffée. Tout est gris, cloîtré, c’est inquiétant. Avant le passage des véhicules on croit entendre les bruits d’un métro, comme s’il était à côté, ou pire, des tremblements de terre. Tout se joue donc hors du plan. La menace est ailleurs, dès que le véhicule apparaît on se relâche.

     Deuxième plan. L’intérieur d’une usine. On y fabrique de longs cylindres métalliques. Ils sont couleurs orange dans le fond puis disparaissent dans le côté de gauche de l’écran, grâce à une machine qui effectue un va et vient incessant d’avant en arrière. Au premier plan les cylindres sont froids, ils voyagent de gauche à droite. Un véritable balai, d’apparence ennuyant, finalement très envoûtant. Et une fois encore une ambiance sonore incroyable.

     Troisième plan. Une forêt. La caméra est inclinée, en contre plongée, on se croirait dans un Malick. Aucun mouvement. Simplement des bruits lointains d’une autoroute, d’un périphérique, le bruit des moteurs incessants. Puis, de façon surprenante, le bruit d’un moteur pas comme les autres, qui résonne, et dont le vrombissement s’accroît couvrant tous les autres sons, un bruit énorme. Le passage d’un avion, au-dessus de nos têtes. On doit être près d’un aéroport. On y voit les réacteurs puis il disparaît. L’oiseau d’acier n’est plus là pourtant il laisse derrière lui un vent violent qui secoue les arbres, y fait tomber et tournoyer les feuilles, l’automne est plus marqué ici qu’ailleurs. Le schéma va se reproduire plusieurs fois. On ne s’est pas trompé, c’est bien l’avion qui en est la cause, pas un simple vent. Rien ne bouge autrement.

     Quatrième plan. Une mosquée. Nous sommes à l’intérieur, au milieu des fidèles. L’imam commence la prière. Chacun le suit, se lève, s’agenouille, se couche, fesses en l’air. Nous sommes à hauteur de taille, comme si nous étions l’œil d’un enfant. La prière se poursuit puis se termine. Les fidèles s’en vont petit à petit. Immense travail de perception.

     Cinquième plan. Un mur au milieu d’un champ. On dirait le monolithe de 2001. Il n’est plus noir, il est recouvert de graffitis. Un homme les efface, ce doit être son travail. Minutieusement, à l’aide d’une machine très bruyante, lentement, les dessins redeviennent noirs. Un moment il s’absente, remplit sa machine d’un produit blanc et farineux. Il continue.

     Sixième plan. Un quartier résidentiel désert. Très peu de passage. Quelqu’un semble jouer du piano, ou alors c’est un disque on ne sait pas vraiment, on distingue on n’entend pas clairement. Au loin une route, ligne de fuite vers le centre encore et toujours. Un passage fréquent que nous n’entendons pas. Tout est calme. Un homme sort de chez lui et vérifie quelque chose dans le coffre de sa voiture. Une femme promène son chien. Rien de plus. Tout paraît mort, inhabité. Même la flore semble être fausse ou morte. Quelques arbres devant les maisons, alignés. Quelques buissons dont on ne sait pas ce qu’ils viennent faire là. Fin de la première partie.

     Seconde partie. Un plan unique. Il va durer une heure. Le haut d’une cheminée d’usine, immense, sombre, qui crache une fumée discrète. Le soleil sur la droite mais hors champ semble se coucher. Il éclaire cette tour sombre mais bientôt disparaît. Pendant ce temps, la cheminée se met par moments à cracher d’épaisses volutes de fumée, en son haut mais aussi de ses côtés, à l’annonce d’une sirène. Le nuage de pollution occupe alors tout l’écran. Puis tout reprend forme. Les fins nuages dans le ciel se mettent eux aussi à disparaître. Le ciel qui était bleu devient gris. Le gris d’une fin de journée. On entend comme de sourdes explosions. Ou parfois le passage d’un tracteur. On est sur un chantier mais lequel ? C’est le plan le plus long mais aussi le plus fascinant. Le jour était éclatant, bientôt la nuit aura pris place. La cheminée était marron, presque orangée, on y décelait les étages, bientôt elle sera très sombre, presque noire, sans distinction dans ses détails. L’épaisse fumée laissait par moments apparaître quelques reflets dorés, elle devient ensuite opaque puis entièrement grise, presque noire. Fin du film.

     On sait que tout est filmé dans le district de la Ruhr. Immense travail sonore. Impressionnant. Rarement un film avec un espace si réduit n’aura éveillé en moi une imagination aussi étendue, une inquiétude latente, une fascination aussi hypnotique. Ce sont des lieux, des moments que l’on ne filme pas. Tout n’est qu’apparition, répétition, disparition. Certains des plans de la première partie font écho à d’autres. Mais ils ont tous un truc qui les différencie. Le plan de la seconde partie semble être un condensé de la première, c’est assez magnifique.

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silencio


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