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Piranha 2, Les tueurs volants (Piranha Part Two, The spawning) – James Cameron – 1981

13. Piranha 2, Les tueurs volants - Piranha Part Two, The spawning - James Cameron - 1981J’ose.

   4.0   On sera tous plus ou moins d’accord là-dessus : Piranha, les tueurs volants est davantage un film du producteur Ovidio G. Assonitis que de James Cameron qui fait seulement office de réalisateur improvisé. Il n’est que remplaçant exécutant puisqu’il est au préalable responsable des effets spéciaux. Pour des raisons obscures, il se fait virer du projet au bout de quinze jours par Assonitis qui reprend le truc à sa sauce. Son nom (Cameron) reste au générique uniquement pour des questions de droits et d’affiches préconçues.

     Et pourtant, c’est bien l’auteur de Titanic qui trois ans avant de pondre Terminator (son vrai premier film, c’est pas lui qui me contredira) réalise – officiellement – ce semblant de suite de Piranhas, de Joe Dante (l’une des plus belles séries B satirique qui soient) dont on ne verra à aucun instant qu’il s’agit de sa suite, par ailleurs, les deux films n’ayant strictement rien à voir, sinon leur titre. Piranha, les tueurs volants est un ersatz de nanar lorgnant aussi bien vers Les dents de la mer, Les oiseaux que Les bronzés.

     Il faut rappeler que Cameron est directeur artistique sur Les mercenaires de l’espace, de Corman – déjà accompagné musicalement par James Horner – et qu’en bon disciple de Roger Corman, il exécute le cahier des charges fantastique fauché + hémoglobine + nichons à la lettre, qui se marie aussi avec le cinéma d’exploitation italien de l’époque. On ne saura probablement jamais ce qui reste vraiment de Cameron là-dedans, toujours est-il que le système D (hérité donc de l’école Corman) de Terminator impressionne quand même nettement plus que celui de Piranha, les tueurs volants.

     Au programme : En enquêtant sur la mort mystérieuse d’un plongeur, une instructrice de plongée découvre quelque chose de terrifiant : des poissons carnassiers qui ressemblent à des piranhas, mais avec des ailes.

     Dans une séquence du premier Piranhas, celle du terrifiant carnage du centre aéré au bord de l’étang, il y a un moment qui m’a toujours semblé à la fois décalé et superflus : Tandis que les poissons voraces s’attaquent aux gamins du camp, se débattant au cœur de leur bouée respective, l’animateur est surpris au visage : un piranha sort de l’eau, se propulse tel un aigle et lui arrache un bout de pommette. La scène impressionne pourtant (encore) car c’est une anomalie éphémère, elle surgit dans l’horreur la plus crue, sèche, distendue. C’était la première vraie attaque de piranha volant au cinéma.

     Le second opus en fera son leitmotiv mais ne fonctionnera à nouveau que sur une séquence similaire, jump scare brutal, où dans une morgue, un piranha sort de la cage thoracique d’un cadavre pour s’attaquer au visage d’une légiste. Dans la foulée, il la dévore (on ne voit rien) puis se sauve à travers une fenêtre à la façon du chef des gremlins : c’est déjà de trop et à l’image du film, ridicule plutôt qu’autre chose, quand bien même les prothèses des victimes soient plutôt bien foutues.

     Mais le film est parfois intéressant visuellement notamment dans ses nombreuses séquences sous-marines. C’est que malgré ces intrigues sans intérêt, ces personnages sans relief, dont on ne comprend pas le quart des comportements, ces répliques au rabais, on retrouve en effet dans Piranha, les tueurs volants, certains tropes cameroniens. L’omniprésence subaquatique annonce la séquence centrale du second volet d’Avatar. On sent qu’il y a un plaisir à filmer l’eau. Quant au personnage central, il est évidemment féminin. Donnée éminemment cameronienne. On y voit bien entendu ce qu’on veut.

     La traditionnelle première scène nocturne, introduisant l’horreur, rejouant aussi bien celle de Jaws que de Piranhas, est symptomatique du ratage à venir : Un couple visite une épave ; Équipés de bouteilles d’oxygène, ils arpentent tous deux les couloirs d’un mystérieux bateau militaire. Un moment donné, la femme disparaît. On croit à un premier rebondissement horrifique hors champ. Puis non, elle revient, nue, s’apprêtant à chevaucher son mec au milieu de ce cimetière marin, de tôle et de rouille. Elle sort un poignard et lui découpe son slip de bain rouge. Les fameux poissons, dont on commençait à entendre l’approche (le film reprend ce son si particulier, qu’ils arboraient dans le premier volet) viennent finalement les dévorer en meute, laissant les corps dans le cadre se recouvrir d’un ultime orgasme rouge sang. C’est une étrange première scène, dont on ne sait in fine que penser au regard de la médiocrité totale qui la suit. Reste une petite comédie estivale horrifico-satirique bancale et complètement charcutée.

Avatar, la voie de l’eau (Avatar, the way of water) – James Cameron – 2022

26. Avatar, la voie de l'eau - Avatar, the way of water - James Cameron - 2022Togetherness.

   8.0   Impossible d’y couper : Le défi technique accompagne inéluctablement la sortie d’Avatar, la voie de l’eau. On ne sait combien de technologies ont dû être mises au point afin de produire ce résultat-là, en grande partie aquatique. Et l’on sait le temps que le film a pris pour arriver devant nos yeux. Treize années depuis la sortie du premier volet. Et au moins autant de conception, auparavant. C’est un fait commercial et industriel, qu’on ne manquera pas d’accompagner d’arguments markéting, concernant la 3D, la haute fréquence, le son, sa capacité d’immersion. Il semble exister mille et une façons de le voir ce spectacle en salle. Un spectacle de ceux qu’on ne fait plus. Et une suite, dans la tradition cameronienne : Avatar 2 est à Avatar ce que Terminator 2 était à Terminator : Son prolongement, son remake, son reboot, sa réactualisation, son dynamitage. Si depuis Avatar, premier du nom, deux régimes d’images antagonistes (prises de vues réelles et images numériques) cohabitent souvent, le second pousse l’expérience à un paroxysme tel qu’il intègre un humain (Spider) au milieu des na’vis (ou avatars) durant le film tout entier.

     Avatar, la voie de l’eau est animé d’un paradoxe passionnant, cher à son auteur : Il y a comme une double quête, dont celle de retrouver l’harmonie avec la nature, mais aussi cette fascination pour la guerre, le feu, le métal. Au cœur du film se joue un savant montage alterné. D’un côté le récit semble se suspendre dans la découverte de ce nouveau monde et révèle (une fois encore) la passion aquatique de James Cameron. Son amour pour l’observation aussi, des éléments, des corps, de l’espace : Son cinéma devient plus contemplatif. Cette séquence centrale représente pourtant un faux climax – au sens narratif – cher au cinéma cameronien : Qu’on retrouve dans les faux creux de Titanic (La petite cavale de Rose & Jack) ou dans ceux de Terminator 2 (L’escale dans le désert). Faux climax car le récit, lui, cherche à revenir, à s’immiscer dans cette bulle rêveuse, puisqu’on suit par micro-scènes la progression de Quaritch et son escouade, accompagnés de Spider.

     Mais c’est un fait, on a le sentiment d’avoir vécu ce pas-de-côté. Comme si le film échappait alors au scénario, se permettait de sortir des contingences markéting imposées par le genre, qui aurait comme mission de raconter une histoire, linéaire, avant tout. Si l’on suit aussi l’avancée de Quaritch dans un montage alterné qui peut aussi rappelé le tout début de Terminator 2 (La progression du T800 et celle du T1000 vers la cible John Connor) on est suspendu, l’espace d’un moment – assez long, dans un blockbuster –dans l’observation de ce nouveau monde. A l’autre bout pourtant, le final sera évidemment une immense bataille, colossale. C’est aussi cela, le geste Cameronien : On se souvient que, dans Titanic, à mesure qu’on plongeait dans les souvenirs de Rose contant sa relation naissante avec Jack, on oubliait que le paquebot allait couler. Ici, c’est pareil. On a tendance à oublier que les méchants humains recherchent notre famille na’vi. On les voit trop brièvement pour qu’ils impactent une vraie inquiétude. Au même titre qu’on voyait peu l’équipage se soucier de la nuit et la mer de glace qui s’étendaient bientôt devant eux.

     Ce paradoxe se joue aussi dans l’image. Si posée l’action soit-elle, l’image, elle, ne cesse d’être en mouvement. Ne serait-ce que dans le vivier sous-marin, et notamment celles (dont j’ai oublié le nom) qui remplacent les Ikran des na’vi de la forêt. Et bien entendu grâce à l’eau, fil d’Ariane camerionien. Ou l’on se rend compte à quel point l’univers sous-marin devient sans doute le plus bel univers pour le numérique et la 3D, aussi bien son décor, sa dimension sonore et la multitude de mouvements nouveaux qu’il génère, révélant une action paradoxalement aérée – alors qu’on devrait étouffer – et organique – alors que c’est du numérique tout entier. S’il existe une dépression post-Avatar c’est en grande partie dû à sa capacité immersive. Quand bien même on puisse comprendre que cela produise sur certains une forme de saturation.

     Quand je vois des images esseulées d’Avatar, je me demande comment ces films ont le pouvoir de m’emmener, de m’enchanter, de m’émouvoir. Je refuse de penser qu’il s’agit d’une simple prise d’otage numérique, spectaculaire – ou disons-le vulgairement : une attraction de fête foraine – mais bien la densité et la fluidité narratives qui permettent d’éprouver cette émotion-là. Le blockbuster de super-héros ne produit jamais ceci sur moi, à l’exception de ces épisodes qui ferment la boucle, l’univers. C’est que là aussi il s’agit de narration, d’un corpus qui te permet de tenir jusqu’au bout et d’en sortir ému. Si Avatar produit cela sur un seul film, dorénavant deux, c’est bien qu’il représente une anomalie, puisqu’il ne découle pas d’univers étendu. Ce qui ne l’empêche évidemment pas d’être rattaché à d’autres univers, cinémas, références.

     Si cet Avatar, deuxième opus cite à foison la filmographie de Cameron, recyclant même (un peu trop ?) certains de ses motifs, climax, on pense à beaucoup d’autres choses et notamment à John Ford. C’est un western, Avatar. Dans l’espace, certes, mais un western, dont il reprend crânement les codes. Au point qu’il ira jusqu’à balancer (un peu lourdement) une séquence d’attaque de train. Mais on peut évoquer l’incendie initial avec ces créatures galopantes, calcinées sur place – qui rappelle les visions apocalyptiques de l’ouverture de Terminator 2, où des petits chevaux de bois à bascule (probablement dans un parc pour enfants accentuant l’idée d’innocence perdue) sont dévorés par les flammes de l’enfer. Il y a aussi l’exil vers une nouvelle terre, la bataille finale, le duel, tout semble référer au western. Mais dans sa structure narrative, le film ma fait penser à du Fennimore Cooper : Le dernier des mohicans, bien entendu, grande fresque guerrière, grande fresque de familles aussi. Quant à l’histoire terrible du Tulkun vengeur et paria, qui n’est pas sans évoquer une baleine, évidemment, c’est aussi Orca (Michael Anderson, 1977) qui est convoqué, film dans lequel un orque mâle se venge des pêcheurs ayant tué sa femelle et son baleineau.

     En effet, ce second volet développe un univers nettement plus familial voire patriarcal, ne serait-ce que dans sa multiplication des liens pères/fils. Chez Cameron, la cellule familiale est toujours au cœur du récit, d’une manière ou d’une autre. Dans Avatar, premier du nom, Jake était là parce que son frère n’était plus là. Neytiri y voyait son père mourir sous les foudres des humains en guerre. Neytiri est d’apparence plus en retrait cette fois mais reste la figure résistante ; que Jake va « combattre » durant le film – pour protéger sa famille, sa forteresse, dit-il – mais sur laquelle il va in fine s’aligner. Quand il ouvre les yeux dans le dernier plan, c’est une nouvelle renaissance qui prend cette fois acte de résistance.

     L’ordre patriarcal – si tant est qu’on en trouve un mais il m’a semblé plutôt désorganisé, cet ordre – est donc chamboulé à la fin, puisque d’une part ce sont les enfants qui viennent en aide à leurs parents (Loak vient chercher son père, Spider le sien quant à Kiri, elle vient au secours de Neytiri). Mais surtout l’action est déplacée, elle n’est plus militaire, massive, elle s’affine, se féminise, indexée sur le personnage de Kiri, donc – qui sera probablement développé dans l’épisode suivant – qui semble éprouver les choses autrement, sentir les éléments divins – elle semble dialoguer directement avec Eywa et son existence n’est pas sans évoquer l’immaculée conception – être faite pour l’univers aquatique. Si les enfants sont dorénavant les personnages moteurs, Kiri est le cœur battant et spirituel du film. On la voit assez peu mais elle est déjà partout. Elle m’a tellement fait penser à la Pocahontas du Nouveau Monde, le chef d’œuvre de Malick.

     A son image, Avatar, la voie de l’eau fonctionne aussi par séquences qui communiquent ensemble. Les échos d’une scène à une autre sont très marqués. Comme lorsque Jake saisit le corps de son fils lors de l’attaque du train, en observant dans son dos afin de voir si la balle n’a pas traversé. La même scène aura lieu à la fin, sous un détour plus funeste. On pense aussi à Spider qui découvre la bestialité de Neytiri (on sent vraiment cette folie à travers son regard) d’abord dans l’écran qui lui montre la mort de son père, puis dans la scène finale où elle est devenue incontrôlable au point de menacer de le tuer. Et la plus belle de ces scènes « en écho » est bien entendu celle où l’on entre dans la gueule d’un Tulkun. Tout d’abord aux côtés de Loak, convié par Payakan à découvrir son histoire. Ensuite, aux côtés des baleiniers ayant capturés une Tulkun femelle afin de prélever la partie émotionnelle de son cerveau, qui servirait dit-on à stopper le vieillissement humain et servirait par la même occasion à financer de nombreuses recherches scientifiques.

     Les échos apparaissent aussi d’un film à l’autre, tant les deux films se dévorent aisément dans la continuité. On se souvient que le climax final d’Avatar (Neytiri sauvait la version humaine de Jake) faisait écho à son ouverture, (un frère meurt quand l’autre renaît) et tenait autant d’une fête funéraire que d’une cérémonie baptismale. A ce petit jeu de miroirs, l’opposition et les similitudes entre Jake Sully & le colonel Miles Quaritch sont passionnantes. Si la renaissance de Quaritch d’Avatar, la voie de l’eau évoque celle de Sully dans le premier film – jusque dans son opposition : l’avatar de Jake y retrouvait l’usage de ses jambes brisées quand l’avatar de Quaritch ici brise brutalement le crane de son clone humain. On retrouve cette dualité en miroir déformé dans le dressage de l’Ikran. Il y a clairement une ambiguïté, qui se profile ensuite, dans la mesure où ils sont tous deux aux prises avec la protection de leurs progénitures respectives.

     Bien sûr, des choses qui en apparence me plaisent moins, j’en vois des tonnes. Je le disais ; le film est tellement dense qu’il tente bien plus, qu’il rate donc plus aussi. Premier exemple qui me vient à l’esprit : Les sous-titres utilisés pour traduire le Tulkun et ainsi comprendre la discussion entre Loak & Payakan. D’autant que la barrière de la langue est au préalable évoquée. Puis c’est oublié, d’un revers de main. C’est une (telle) facilité qu’on retrouve peu chez Cameron, me semble-t-il. Et globalement la voix off me pose problème : Elle illustre ce qu’on a déjà compris, elle ne sert in fine à rien. L’univers musical m’a semblé plus étriqué, là aussi. Moins intéressant que dans le premier volet, qui renfermait déjà l’univers musical le moins intéressant de la filmographie de Cameron. C’est d’autant plus regrettable que le film en est inondé jusqu’à la saturation. Mais rien ne marque vraiment hormis quelques percées Horneriennes qui évoquent son travail sur Apocalypto, et bien entendu l’instant de la mort de la mère Tulkun et son bébé, scène terrible, durant laquelle est reprit le thème entendu pour la chute de l’arbre-mère dans le premier Avatar.

     Il y en a d’autres, bien sûr. Mais j’ai davantage envie de rester sur ce qui me plait – et qui m’aura fait m’y déplacer à trois reprises en salle en un mois – et me semble emporter le tout dans un vertige de cinéma total, dans l’urgence, à l’image de cette idée d’éclipse, qui renvoie encore au génial Apocalypto, de Mel Gibson. Quoiqu’il en soit, j’ai trouvé ça fabuleux, dans la lignée du premier, mais dans une version plus démesurée encore (pour le meilleur et le moins bon, mais qu’importe) avec une simplicité narrative parfaite, un sens de l’action à tomber et un vertige de plus de trois heures qui passent comme deux. Et avec un « épisode » central incroyablement radical, d’une beauté et d’une douceur inouïes, qui prépare le final dantesque qui ira mixer Abyss, Titanic, Terminator 2. Du Cameron à l’état pur et en mode bulldozer, physique et émotionnel.

Avatar – James Cameron – 2009

14. Avatar - James Cameron - 2009« Je te vois ».

   8.5   Si j’ai maintes fois pu revenir sur de nombreux films de James Cameron (jusqu’à un visionnage annuel, pour certains) ce n’était que la troisième fois que je voyais Avatar. La première date du 20 décembre 2009 (j’ai encore le ticket) dans une salle bondée, qui sentait beaucoup trop le popcorn ce qui n’avait pourtant pas entaché le plaisir procuré par le film ni notamment sa 3D – seule fois où j’y avais ressenti une vraie force, une vraie utilité. Le film m’avait plu, impressionné sans toutefois m’emporter aussi loin émotionnellement que d’autres films de Cameron. Mais c’est une séance gravée dans ma mémoire, indéniablement. Une séance magnifique. Si agréable qu’elle m’empêchât longtemps d’y replonger, chez moi, dans mon canapé. Jusqu’à ce jour d’octobre 2019 – il y a seulement trois ans, en somme – où je l’ai revu pour le faire découvrir au fiston, alors âgé de sept ans et demi, qui avait halluciné, au point de le revoir le lendemain. Plaisir imparable.

     Si je le revois aujourd’hui, c’est évidemment afin de préparer le visionnage de l’épisode suivant : Bien sûr je préfèrerais que Cameron fasse autre chose, me surprenne avec un autre univers, mais je me suis fait une raison depuis longtemps, Avatar (et ses suites) c’est le film de sa (fin de) vie. Toute sa filmographie converge vers l’univers Avatar. Quoiqu’il en soit j’ai revu le premier et quel bonheur, une fois de plus. Quel plaisir de divertissement, d’images, de sons, de fluidité narrative. Les défauts (un certain penchant pour la punchline beauf, une certaine naïveté par instants, quelques lourdeurs dans ses enchainements) je les vois toujours, ce sont les mêmes que dans les précédents films de Cameron, mais ils se dissipent considérablement au fil des visionnages, et ne restent que la magie, le vertige visuel et l’intense bonheur d’assister au blockbuster total de l’ère moderne. Et la fascination qu’il génère : Son efficacité narrative, sa démesure visuelle, sa puissance rythmique, son aura visionnaire et l’anomalie (au box-office) qu’il représente : Il n’appartient à aucun monde crée, aucune saga. Et pourtant il attire, émeut, fédère.

     En 2154, une conquête spatiale est engagée afin de trouver un minerai permettant de sauver la planète. Sur Terre – plutôt dans le vaisseau, puisque sur Terre nous n’irons pas – Jake Sully, ex-marine, évolue dans un fauteuil roulant, privé de ses jambes. On apprend bientôt le pourquoi de sa présence ici : il est réduit à n’être que le frère de celui, récemment décédé, qui devait partir faire cette mission sur la planète Pandora. Il fait les frais de moqueries diverses au départ, c’est l’incapable de la bande, puisqu’en plus d’être invalide il ne connaît absolument rien des tenants et aboutissants de la mission. Contrairement à son acolyte qui l’accompagne, c’est la toute première fois qu’il enfile le costume bleu na’vi. Cette plongée dans un autre monde est pour lui comme un nouveau départ. Un lieu où il sera vide (il le dira d’ailleurs plus tard à Neytiri et gagnera sa confiance) de toute éducation humaine, malvenue dans le monde des autochtones. Un lieu où il pourra bien entendu courir, s’épanouir et où il découvrira un nouveau dialecte.

      Cameron effectue un va-et-vient aussi lourd que passionnant, entre les deux mondes que tout oppose mais qui servent d’écrin de mort et renaissance à Jake : le vaisseau humain, robotisé, mécanique, métallique, habité par des êtres avides d’un côté ; la vie dans la communauté des na’vi de la forêt sur Pandora, planète idyllique, colorée, d’une grande portée spirituelle. Si Jake se réveille dans une sorte de cercueil téléporteur (magnifique plan qui imiterait une incinération et rappelle dans le même élan la mort de son frère) où il retrouve ses jambes paralysées, c’est aussi pour que le spectateur l’éprouve autant que lui. Comme il ressentait très intimement la faille spatio-temporelle dans Titanic à l’écoute de l’histoire de Rose. Le spectateur rêve lui aussi d’être sur Pandora, de voler sur ces petits dragons, de parler à Neytiri, de marcher sur une nature bioluminescente. Ce film est une porte d’entrée au rêve. Cameron le dit, il a fait ce film pour l’ado qui sommeille en lui, car il y a quelque chose de très naïf, très utopique dans cette démarche salutaire, et pourtant comme à son habitude, ses niveaux de lecture sont tentaculaires, son regard est riche, critique, très sombre aussi : Il est rare d’assister à un tel frisson de tristesse dans un film de cet acabit, que lors de la chute monstrueuse de l’arbre-mère.

     Pourtant, si Avatar nous plonge dans un monde, il ne cesse de parler du nôtre. De l’humain, de sa bêtise, son appétit pour la destruction, de son intransigeance, son égoïsme, sa volonté de survivre quoi qu’il en coûte. Du pouvoir de la technologie qu’il a créée. De sa substitution à cette technologie. Chez Cameron, la machine (l’avatar, le vaisseau, le bateau, le robot…) est systématiquement un moyen d’en revenir à l’Homme. Mais hors exceptions – ils sont peu mais formeront une escouade résistante – l’être humain dans Avatar n’a rien d’humain : il est fonction, T-800, machine à tuer, machine à détruire, machine en mission.

     On apprend très vite le pourquoi de cette opération : Une énergie importante à la survie de l’humanité se trouve sur Pandora. Jake Sully est envoyé pour approcher la communauté na’vi et négocier leur déménagement, les ressources convoitées se trouvant juste en dessous de leur pied. Tel un John Smith envoyé sur une terre lointaine, Jake qui revit peu à peu dans ce nouveau monde n’a pas le cœur à la mission. Et ce pour plusieurs raisons : Il a retrouvé ses jambes et bientôt il croisera Neytiri, sa Pocahontas. Mais Jake n’est pas le bon petit soldat : il n’est que substitution de celui qui devait être envoyé au préalable, avec lequel il partage l’ADN qui permit de créer l’avatar qu’il arborera.

     Le cœur extatique du film se vit pleinement au diapason de Jake, à travers son regard : tout y est lumineux, détaché, fabuleux. On fait corps avec Jake Sully afin, comme lui, de découvrir ce monde puis de tomber amoureux de Neytiri. Dans Titanic, on se souvient qu’avant de voir le bateau heurter l’iceberg, on lévitait aux côtés de Rose et Jack, la soirée irlandaise, la cavale tel deux ados, entre les coursives, la salle des machines, jusqu’à la scène d’amour en point culminant : On lévite tellement qu’on oublie d’être venu voir le récit du naufrage d’un célèbre paquebot. On retrouve ce schéma narratif dans Avatar, soit avant que les marines ne prennent la situation en main : Ces longues scènes hors du temps avec le choix de l’ikran, l’acceptation dans la communauté, la communion de Jake avec Neytiri. Exactement la même trame. On n’est pas chez Cameron pour rien.

     Par ailleurs, l’union de Jake et Neytiti s’effectue dans un écrin magnifique, un carrefour luminescent, divin. C’est un lieu de prière où les na’vi implorent l’Eywa, sorte de mère-nature. Leur déesse, donc. Formidable pied de nez à notre civilisation qui ne peut se mettre en accord sur rien, même pas sur un dieu commun. Chez les na’vi, alors qu’il semble y avoir différentes communautés (il suffit de voir l’organisation résistante de la fin du film) le dieu reste unique. C’est l’utopie crée par James Cameron : Un monde qui s’en remettrait à un seul dieu et qui n’interviendrait que pour l’exact équitabilité naturelle ainsi que pour la communion spirituelle des êtres (« je te vois » devient le mantra de tout un chacun). Un monde dans lequel, forcément, on aimerait vivre. Cohabiter.

     La cohabitation demeure l’enjeu essentiel d’Avatar. D’un cinéma loin d’être novateur et d’un support lui totalement nouveau. Du réel et du virtuel. De l’homme et d’une entité extra-terrestre. De l’homme et de la femme : Cette dernière a toujours une place majeure chez Cameron. Elle est désignée comme porteuse du futur chef de la résistance dans Terminator et donc située en ligne de mire principale. Elle est celle qui permettra à l’être humain de s’en tirer dans l’espace dans Aliens. Dans Abyss c’est évident, l’un ne va pas sans l’autre. Dans True Lies Jamie Lee Curtis a une place importante dans le récit alors qu’elle ne fait à priori guère parti du processus de départ jamesbondien. Titanic est moins l’histoire d’un naufrage que le souvenir d’une femme ayant survécu à ce naufrage.

     L’histoire d’amour est aussi l’un de ces prétextes de rêve de cohabitation, réunion, rassemblement. Rose & Jack étaient les objets qui permettaient la réunion de classes. L’union de Neytiri & Jake, tous deux bien entendu là-aussi très différents au préalable, participe à la résistance afin de préserver les richesses de cette différence. Il ne s’agit pas seulement d’un bateau qui coule, ni d’un combat homme vs machine ni d’une guerre de planètes, il faut qu’il y ait résistance intime, que l’infiniment petit se loge dans l’infiniment grand. Chez Cameron, que ce soit dans Titanic, Terminator ou Avatar, l’histoire d’amour sonne l’accouchement d’une force clairvoyante au sein du chaos.

     S’il s’agit de compréhension de l’autre, inévitablement il fallait qu’Avatar commence par un mensonge. Jake rencontre Neytiri pour sa mission, un peu comme Johnny rencontrait Tyler dans le Point break de Kathryn Bigelow – Les ponts entre les œuvres de Cameron & Bigelow sont évidemment nombreux. Ils s’amourachent l’un de l’autre mais Jake est coincé et continue de lui mentir. S’il semble s’aventurer sur les terres de la fiction écologique d’un Danse avec les loups (Kevin Costner) on pense beaucoup au Nouveau Monde, de Malick. Bien entendu le fait d’apprendre un nouveau dialecte, de s’immerger totalement dans une culture n’est pas étranger au mythe de Pocahontas que Malick adaptait déjà à sa manière. C’était presque décevant de voir les na’vis avoir cette facilité à comprendre l’anglais. J’aurais tellement aimé que nos deux tourtereaux passent du temps à communiquer dans le silence ou au moyen d’un nouveau langage.

     Cameron doit évidemment se plier aux contingences des blockbusters, mais il condense toute la dimension spirituelle du film en trois mots qui accompagnent les personnages en permanence : Je te vois. I see you. Crédo entonné par Neytiri qui semble signifier : « Je t’aime. Je te sens. Je peux observer l’intérieur de ton âme ». Un « Je te vois » qui renvoie au « Tu sautes, je saute » dans Titanic. La fin d’Avatar se fera sans les mots. Ce qui se joue à l’écran on l’attend depuis le début du film. C’est la confrontation entre deux mondes. L’acceptation de la cohabitation entre le réel et le virtuel. Pourtant la force de ce contact, ce baiser est tel que l’on est chaviré. Comme on pouvait l’être lors du baiser de résurrection dans Abyss.

Terminator 2, Le jugement dernier (Judgment day) – James Cameron – 1991

29907647e241428a695e75c959b89283No fate.

   10.0   N’ayons pas peur des mots, c’est un chef d’œuvre absolu. Si j’en avais fait l’un de mes films de chevet durant mon adolescence, je l’avais aussi, depuis, un peu laissé de côté, au profit d’autres types de cinéma, plus nobles en théorie disons, mais aussi au profit du premier volet, plus cheap, plus sombre, plus sale, plus romantique aussi, que j’ai tellement reconsidérer au point qu’il était devenu meilleur dans mon esprit. En fait je crois bien que j’aime T2 autant que j’aime Titanic. C’est immense. Je n’arrive plus à m’en détacher depuis plusieurs semaines, je l’ai revu, puis revu encore (afin de l’intégrer dans ma rétro qui aboutira à Dark fate, je suis fébrile) bref, j’y pense sans cesse. Je me demande comment j’ai pu le « laisser de côté » durant tant d’années.

     Cameron renverse l’idée motrice de son premier opus : Arnold Schwarzenegger incarnait le robot envoyé par les machines du futur pour tuer Sarah Connor, la mère du futur héros de la résistance. Son visage, sa voix, son corps symbolisaient l’apparition du Mal. Il sera dorénavant celui envoyé par le John Connor de 2029 – la résistance ayant réussi à kidnapper un programme de Skynet – afin de se protéger lui-même, lui, fils de Sarah Connor. La construction en un montage alterné et un lent crescendo imparables, vise à converger vers cette rencontre, en forme de morceau de bravoure dantesque : Offrant l’une des courses-poursuites les plus dingues que le cinéma d’action ait offerte, s’ouvrant à pied dans la salle d’arcade d’un centre commercial et se fermant en Honda XR, semi-remorque et Harley-Davidson dans un canal de contrôle des inondations. Une séquence qui brouille les repères, redistribue toutes les cartes. Quand j’étais gamin, il m’arrivait de la regarder en boucle.

     Il est pourtant bien délicat au départ, ce même si les indices sont nombreux, d’être certain de la véritable identité du tueur et du protecteur. Cameron ne masque rien, tout est relativement clair – Et le visage de Robert Patrick est le plus froid et robotique qui puisse exister – mais il renverse tellement de choses, ne serait-ce que par cet uniforme de policier (porté par le T1000 qui provient du premier homme qu’il a neutralisé dès son arrivée mais qui renvoie aussi à la voiture de police volée par le T800 dans le précédent film : L’ironique « To protect and to serve »  peut-on lire sur la portière dans les deux cas) que l’on sera définitivement certain des identités de chacun pile au même moment où le sera John Connor, dans ce couloir exigu, véritable entonnoir à fusillade. D’autant que, encore une fois, ce visage-là est resté, pour nous (John Connor, lui n’était pas né durant l’action du premier volet) comme étant celui du Mal. On imagine sans peine la déflagration d’angoisse qui saisit Sarah lorsqu’elle le voit, plus tard à l’hôpital psychiatrique, pour la première fois au sortir de cet ascenseur à l’instant de sa tentative d’évasion.

     Le risque quand tu décides que ton grand méchant du premier film (qui était surpuissant) sera le gentil du second, c’est de s’exposer à de la frustration. Il faut alors mettre le paquet pour retrouver un antagoniste (au moins aussi) fort. Heureusement, on peut compter sur Cameron et Terminator 2 pour être à la hauteur. Une générosité qui n’aurait pu se distinguer qu’en matière d’effets visuels – après tout, le budget est multiplié par vingt. Que nenni. Le T1000 est une création de génie. Son design, sa texture en métal liquide. Ses blessures arrondies qui se referment. Le fait qu’il puisse prendre la forme de tout ce qu’il touche, se glisser dans la peau d’un autre personnage, se transformer en armes blanches,  s’immiscer à travers des ouvertures. Il envoie tous les méchants à la retraite. On se souviendra longtemps de la neutralité terrifiante de sa voix quand il dit « Je sais que ça fait mal » à Sarah, le doigt planté dans son épaule ; De ses nombreuses transformations, en tutrice de John, en pilote d’hélicoptère ou en Sarah Conor ; de sa rapidité à se régénérer, après avoir été gelé et dispersé en éclats de glaçons, après avoir encaissé des rafales de balles, après être resté dans l’explosion d’un semi-remorque. Tout semble si fragile autour de lui, lui qui est si invincible. Et sa mort est in fine aussi belle et poétique (cette cruelle façon de se débattre en récupérant ses transformations antérieures, jusqu’à effectuer un cri infini qui n’est pas sans rappeler la toile d’Edward Munch) que celle du Jaws, de Spielberg : Monstres de sang ou de métal, engloutis par les eaux ou les flammes.

     Et bien entendu il y a Sarah Connor. Le retour de Sarah Connor. Sa première apparition impressionne. La petite serveuse qui tentait de sauver sa peau s’est évaporée au profit d’une vraie machine de guerre, prête à en découdre avec la fin du monde au point qu’elle est internée pour avoir tenté de faire exploser une société d’ordinateurs car elle sait que la fin du monde est entre les mains des grands informaticiens. Dès son entrée elle est captée de dos, en train de faire des pompes dans sa chambre à l’asile. La transformation physique est hallucinante. Elle est à l’image du film tout entier. Au paroxysme de sa rage, de sa détermination, sa lucidité sauvage. Elle explose. Utilise le fusil à pompe comme un T800. Et pourtant, sa dureté se brise à mesure, sa carapace se fend, c’est ce qui est très beau ici – au moins autant que de voir retirer les attributs de machine à tuer au T800, jusque dans ce jeu avec John qui lui commande de ne plus tuer personne. Sarah s’adoucit lorsque elle voit son fils jouer avec le Terminator, père de substitution nettement plus à la hauteur que tous ceux que John a rencontré auparavant. Et elle craque à l’instant où elle est convaincu de tuer Dyson, le directeur des programmes spéciaux de Cyberdine mais se grippe brutalement, retrouve son humanité, un peu de sa sensibilité du premier film.

     Il faut voir T2 comme une version plus spectaculaire et confortable du premier film. C’est quasi son remake. Mais un remake qui renverse tout. Evidemment, « remake » est un mot qui n’a plus vraiment de sens au regard des deux produits finis. C’est comme lorsque Cameron fait True lies, remake de La totale. Il a beau reprendre des pans entiers du sympathique film de Claude Zidi, préservé l’esprit, par une magie dont il a le secret – une sorte de balance parfaite entre le pouvoir budgétaire et le talent – son film est plus généreux, plus limpide, plus drôle, plus fou, plus tout : C’est un autre film. Ou tout est dans la démesure. C’est encore plus passionnant sur le matériau Terminator dans la mesure où c’est le sien. Il le reprend, le triture, le dynamite. On y retrouve des motifs, une similitude dans certains plans, la matérialisation des corps nus, la double quête, le découpage, le polaroid, la reprise d’une réplique, le final en miroir dans les usines, mais rien qui ne laisse présager une telle différence technique, un tel tourbillon de violence et d’action pure, jusque dans les pulsations musicales du générique d’ouverture qui comme le premier opus structure le film tout entier mais de façon multipliée ici, opératique et magmatique.

     Le dernier quart est une plongée dans les enfers. Littéralement. C’est une course folle, nocturne, sur un échangeur désert, à bord d’une voiture et d’un hélicoptère, puis d’une camionnette et d’un camion-citerne. Avant une agonie malade dans une fonderie, sur des passerelles brulantes, où l’on navigue entre fumées ardentes et éclaboussures de braises. Jusque dans une cuve pleine de métal en fusion ! C’est aussi une affaire de brasier, T2 puisque le film s’ouvre en pleine guerre futuriste dans un dédale de ruines où l’image qu’on a des batailles dans les tranchées est remplacée par un champ de débris métalliques. C’est un enfer gris, sans couleur, sans chaleur, post-apocalyptique rythmé par le bruit des machines et des armes. Si cette ouverture dans les décombres calcinés de balançoires, tricycles, tourniquets et cheval à bascule, est d’emblée un sommet – Effets visuels déments répondant aux moyens rudimentaires de la même séquence inaugurale dans le premier volet – le générique qui suit effectue un bond en arrière pour nous convier dans les flammes. On nous offre le jugement dernier dans ce même parc pour enfants : De ce décor brulant, soudain, émerge un monstre de métal, au regard figé, qui s’avance droit vers nous. Par son ahurissant décor, le final, en forme de boucle, convoque aussi cette apocalypse. Il s’agit là aussi de regarder le(s) robot(s) dans les yeux, en train de mourir.

     Le happy-end a toujours un goût amer, chez Cameron. Ici, lorsqu’enfin, le poly-alliage mimétique que compose le T1000 disparait dans la lave en fusion, il faut aussi bien pour John que pour nous, spectateurs, affronter une dernière épreuve : Faire nos adieux à cet ange gardien, cette machine, cette chose plus humaine que les humains, qui comprend ce qui cloche dans nos yeux. La réplique « I know now why you’re cry » est une réponse à celle de Kyle qui disait à Sarah que le Terminator ne ressentait ni la pitié, ni le remords, ni la peur. Brad Fiedel se surpasse dans ce dernier morceau, militaire, brulant, funéraire, mélancolique. « It’s over » en effet, sur des larmes et le pouce-en-l’air le plus bouleversant de l’histoire des pouces-en-l’air. Si le récit de T2 se déroule en 1994, on peut considérer que le jugement dernier (initialement prévu pour août 1997) est évité, étant donné que la puce permettant de développer les programmes Skynet est détruite. La tirade finale prononcée par Sarah Connor, qui évoque l’espoir de ce futur inconnu « Because if a machine, a Terminator, can learn the value of human life, maybe we can too » fait office de fin parfaite, inquiète mais ouverte, une fin à l’image de notre monde, une fin à l’image de James Cameron.

     Bref, c’est en effet le Cameron (avec True lies) le moins romantique au sens large du terme. Son souffle est avant tout spectaculaire, démesuré – Ce qui en soit me convient déjà : C’est le dernier grand film d’action à mon sens, avec les Die Hard de McTiernan. Et à la fois j’ai l’impression qu’il atteint une totale liberté / maturité dans la limpidité de sa narration et dans le développement de ses personnages. Il faut voir avec quelle aisance il renverse les codes du premier volet, jusqu’à reprendre « l’enveloppe » du robot qui venait tuer Sarah Connor en le faisant revenir pour protéger son fils. On les connaît par cœur ces deux films donc on ne s’en rend plus compte, mais quelle idée de génie absolument casse-gueule, franchement. Et puis il y a ce que le film fait éclore comme dans le premier. C’était l’histoire d’amour entre un homme du futur et la mère du futur chef de la résistance. C’est ici la complicité entre un adolescent et un cyborg. Un robot qui, juste avant de disparaître, finit par comprendre pourquoi on pleure. Cameron romantique, toujours. Même quand c’est moins évident dans ce film de feu, de sang et de métal.

Terminator – James Cameron – 1985

76635662_10156935346247106_705424760342839296_nStorm is coming.

   10.0   Il y a dans ce premier fauché volet – d’une désormais incontournable saga, qui continue  de faire de (mauvais) émules si l’on en juge les nombreuses piètres suites qui s’enchaînent à n’en plus finir – une noirceur inédite que l’on ne retrouvera plus. C’est un film quasi exclusivement nocturne. Fauché, certes, mais Cameron utilise l’héritage de son passage chez Roger Corman, lorsqu’il était directeur artistique des Mercenaires de l’espace ainsi que sa participation express à la réalisation de Piranha 2 – Il faut noter que James Horner, déjà, faisait la musique de ce film et qu’il retrouvera Cameron pour Aliens. Il est important d’évoquer tout cela, afin de rappeler que derrière l’efficacité de cette machinerie et l’aura culte qu’il a su créer, c’est un film qui respire la bricole. Mais Terminator c’est avant tout un scénario de science-fiction magnifique. Qui, tel le veut la légende, découle d’un rêve fiévreux (que fit l’auteur) d’endosquelette anthropomorphe venu du futur pour le tuer.

     Le point de départ est aussi simple (mais aucunement simpliste) qu’il est inventif : On apprend qu’une guerre nucléaire a décimé la plupart des êtres humains. Le film s’ouvre en 2029 dans un champ de ruines bleu métal, véritable amas de squelettes dans laquelle une poignée d’humains résistants armés, survivants de la radiation affrontent des machines, robots aux apparences variées, entre bulldozers et bombardiers volants. Si le combat fait rage, les hommes résistent et font peut-être plus que résister puisqu’une armée menée par un certain John Connor est sur le point de renverser la situation. Aussi, les machines, par l’intermédiaire de leur unité centrale Skynet, envoient dans le temps – En 1984, pour être précis – l’un des leurs, un Terminator (Un squelette métallique recouvert de tissus organiques, afin qu’il prenne l’apparence humaine) pour tuer Sarah Connor, future mère du futur chef de la résistance, qui n’est pas encore né. En parallèle, la Résistance parvient à envoyer in extremis (avant que la machine ne soit détruite) l’un des leurs, Kyle Reese, à travers le temps pour protéger Connor. C’est pourtant simple, mais le Dr Silbermann – dans le volet suivant – n’y croira pas une seconde, faisant de Sarah sa patiente « gagne-pain » en l’érigeant monstre de foire,  hystérique et fabulatrice. L’une des pires ordures de l’histoire du cinéma ce personnage, mais ça, nous « l’apprécierons » pleinement dans l’épisode suivant.

     Si le premier (vrai) long métrage de James Cameron est bien ancré dans les années quatre-vingt à l’image de la musique utilisée durant la somptueuse séquence au Tech noir – qui n’est pas sans rappeler certains thèmes du Scarface, de Brian de Palma, sorti un an plus tôt – il y a dans cette même séquence une esthétique métallique, caverneuse, qui le renvoie aussi à Alien ou New York 1997. La musique de Brad Fiedel y est pour beaucoup tant elle épouse à merveille cette forme schizophrène, autant qu’elle épouse la quête de Reese et celle du T-800, en étant à la fois très rythmée – comme une machine – et symbiotique : Fiedel disait de ce score qu’il décrivait « a mechanical man and his heartbeat ».

     Qu’elles se situent en 2029 ou en 1984, certaines séquences, toutes plus huilées les unes que les autres, sont inoubliables et forment ce que l’on peut aujourd’hui aisément considérer comme un manifeste du cinéma d’action. Certes, le manque de moyen se ressent ici ou là, quand il s’agit de mettre en mouvement cette zone de guerre ou de façon plus intime, quand le Terminator, improvisé chirurgien, répare son œil devant le miroir au Tiki motel, mais ça fait partie de l’ambiance primitive et crépusculaire du film. Dans l’étonnante séquence du Tech Noir, Cameron use du ralenti comme s’il mettait en place un balai du crime, avec un tueur sans émotion, sans âme, face à une victime féminine, innocente, dans le flou le plus total. Plus tard, celle du commissariat est un magma de brutalité pure, terrifiante, sans issue. Un peu plus tôt, les scènes de recherches de Sarah sont superbes : Tandis que le Terminator a besoin d’un annuaire pour débusquer la cible qu’il doit éliminer, témoignant d’un développement encore bas de gamme – Si l’on effectue un comparatif avec les machines des opus suivants – l’homme qui est venu pour la protéger n’est pas seulement accompagné d’une photo : Il l’aime, il l’a toujours aimée. Un somptueux montage alterné suit cette double quête. Quand l’un doit checker trois lignes d’annuaire, l’autre connaît ce visage par cœur. Celui qui patauge semble intouchable, celui qui est plus efficace parait complètement vulnérable. Le T-800 éclot tout luisant d’un nuage électrique et d’un flash blanc, quasiment en lévitant, tandis que le ciel semble avoir craché au sol Kyle et son corps scarifié par les cicatrices gravées par les années de guerre. Et puis il y a dans ce déluge de violence une poursuite finale, plus angoissante, plus dingue encore, haut fait du cinéma Cameronien, reprise et amplifiée dans T2 – Où l’usine déserte sera remplacée par la fonderie.

     Et puis il y a ces innombrables répliques qui font mouche et une partie du charme du film. Celles du Terminator, évidemment, aussi méchant soit-il. A l’image de sa première requête aux loubards punks qu’il rencontre : « Your clothes… Give them to me, now ». Cameron ne nous avait pas encore bien renseigné sur sa capacité à apprendre – Il se rattrapera largement dans le film suivant – mais déjà, le Terminator, tente de se la jouer humain et met en application ce qu’il entend. Le « Fuck you, asshole » en réponse au garçon d’étage qui en passant devant la porte de sa chambre, se plaint d’une odeur de chat crevé, n’est autre qu’une insulte lâchée par l’un des punks de sa première rencontre ». Quant au fameux « I’ll be back » prononcé dans un moment de silence, réflexif, opératique avec toute l’impassibilité flippante de Schwarzy, la punchline a beau avoir un sens comique (par son automatisme, son ton et la situation qui la déclenche) on sait que s’il revient, et c’est ce qu’il se passe, l’avenir du commissariat, des policiers et de Connor est vraiment compromis. Car même si ce T800, premier cyborg d’une longue série en chaîne, est envoyé trop tôt, donc pas suffisamment perfectionné, il survit aux balles, aux accidents de voitures, il peut modifier sa voix et se faire passer ici pour un policier en patrouille, là pour la mère de Sarah, mais aussi se retirer un œil à sa guise jusqu’à garder son instinct de machine à tuer ôté de ses deux « jambes ».

     Terminator révèle la fascination de Cameron pour la création de l’Homme, la machine, l’intelligence artificielle. En somme, Terminator annonce doublement Avatar : De façon diégétique ou non. Ici, les machines crées par l’Homme ont pris le pouvoir en ayant accédé à la conscience. Dans Avatar, on retrouvera les bulldozers et les bombardiers volants, mais de façon plus pessimiste puisque les Hommes seront toujours à leurs commandes. Et c’est cette opposition sur laquelle s’appuie le cinéaste, par des détails une fois nettement visibles d’autres fois plus discrets, entre l’homme et la machine, qui semble parcourir tout le film au point d’être son cœur battant, au moins autant que la traversée temporelle, par amour, d’un vulnérable sauveur. Kyle observe le retard – sur la machine – que l’Homme accumule sans s’en apercevoir. Ce retard qui le fait courir à sa perte quelques décennies plus tard, en guerre contre ses propres inventions. La séquence rêvée où il voit ce véhicule de chantier en l’assimilant (par une ellipse magnifique) à ceux qu’il affronte quarante années plus tard a ceci d’épatant qu’il prend conscience à quel point l’homme s’est fait écrasé par sa création, ses armes de défenses, à quel point il contrôlait ses monstres d’acier avant de devoir les affronter pour y survivre.

     Le film a pourtant tout pour être celui d’un acteur : Arnold Schwarzenegger, exceptionnel, pure révélation, avait crée un mythe, ce monstre massif, sans émotion, musculature imposante, arborant des lunettes noires, armés de quelques répliques cultes crachées froides, robotiques. Génie de Cameron alors à son galop d’essai : Terminator est un grand film de cinéaste effronté, qui invente un genre en soi avec cet ovni hybride à la croisée du film d’action et du film de monstre, de la science-fiction et du survival, du voyage temporel et du récit post apocalyptique, du néo-noir et de la romance. Quel auteur peut se targuer de réussir chacun de ces films en n’en pondant qu’un seul ?

     J’ai longtemps déconsidérer ce premier volet, pourtant. Aussi bien au sein de la filmographie de Cameron qu’en rapport avec le suivant. J’ai longtemps gardé le souvenir d’un film mal rythmé. T1 était celui que je voyais peu étant môme, nettement battu à la concurrence par T2. Il a ceci d’un peu hermétique, moins aimable, moins attachant au premier abord mais il est in fine très différent, plus tranchant, plus sidérant. Et puis c’est le premier, celui qui nous plonge dans l’univers, celui qui met en place les promesses d’un récit ouvert, celui qui découvre (Sarah) ou évoque (John) des personnages qui reviendront ensuite, celui qui voit les débuts de Sarah Connor, bientôt seule à croire au destin tragique imminent de l’humanité.

     Et déjà chez Cameron (Il faut rappeler que c’est son premier film), le récit est guidé par son histoire d’amour. « I came across time for you, Sarah. I love you, I always love you » avoue Kyle à Sarah lors d’une séquence magnifique. Une parmi d’autres, dont on pourrait signaler celle finale au Mexique, qui fait passerelle avec cette photo dont Kyle parle un peu plus tôt, ce cliché de Sarah qu’il a longtemps minutieusement gardé et observé – avant qu’il ne périsse dans les flammes d’une guerre éternelle – jusqu’à tomber amoureux d’elle. Il décide de traverser le temps, par amour, et de ne plus jamais revenir. Quel Sublime héros romantique, ce Kyle Reese. Parvenir à injecter cette douceur et cette lumière au sein d’un récit si brutal à l’esthétique aussi noire, prouve encore à quel point le génie Cameronien est sans limite et inébranlable.

True lies – James Cameron – 1994

30« C’est un appareil pour faire les cônes glacés ? »

   8.0   Etant donné que je le revoie tous les ans, je me répète probablement à chaque fois : True Lies est une merveille de film populaire, au sens noble donc cameronien du terme, qui brille par son génie rythmique, le juste dosage de son humour, sa générosité dans la pelleté de situations folles que le récit génère, ses jonctions (géographiques, elliptiques…), ses associations de personnages et son art de rester lisible malgré un assemblage un brin over the top. C’est toute la magie cameronienne. Capable de créer cette parenthèse purement récréative (entre Abyss et Titanic) sur une simple commande de Schwarzie, mais la traiter avec beaucoup de respect et de prodigalité instinctive.

     C’est simple, c’est la jubilation non-stop ce film. Un morceau de bravoure en entraine un autre. Ici, une poursuite sur un cheval entre les bagnoles puis dans l’ascenseur d’un building jusque sur son toit. Là un double sauvetage par les airs, dans un hélico au-dessus d’un pont détruit / dans un avion de chasse sous une grue de chantier. Et comme c’est Cameron, c’est forcément super bien fait. Gargantuesque et beau. Même quand il fait une comédie.

     Un bémol toutefois, qui n’entache certes pas la réussite de l’ensemble mais qui m’a plus sauté aux yeux qu’autrefois : La vision bien hollywoodienne du terroriste idiot. Si la CIA ne brille pas non plus pour ses absolues compétences, gageons que le grotesque avec lequel sont dessinés la bande de Art Malik & Tia Carrere n’est pas la meilleure idée du film. On préfère True Lies quand il filme son couple vedette. Autant lors de la transformation érotico-badass de Jamie Lee (entrée dans la postérité) que dans leur cohabitation dans un duo incongru dans le dernier tiers du film.

     A part ça, True Lies reste l’un des plus agréables divertissements du dimanche soir (Revu un dimanche soir, d’ailleurs) et une merveille de comédie d’espionnage et de remariage, avec un Schwarzie encore bien fringuant, qui cultive avec brio sa dimension caméléon aussi bien dans son travail d’infiltration (Superbe entrée en matière, à faire pâlir certains épisodes de James Bond) qu’au sein de sa famille, qui le croit représentant de commerce. Bref, Schwarzie doit jouer les agents secrets mais aussi soigner la pérennité de son couple. Sauver le monde et redorer une histoire conjugale un peu mise entre parenthèse.

     Tout le monde le sait, il s’agit évidemment d’un remake de La Totale, le film de Claude Zidi. Schwarzie ayant remplacé Thierry Lhermitte, Jamie Lee Curtis pris la place de Miou-Miou et Bill Paxton celle de Michel Boujenah. Bien que je garde une certaine affinité pour le film de Zidi, l’opus de Cameron  le surpasse dans les grandes largeurs, autant sur le plan visuel que dans l’orchestration de ses séquences d’action, son humour que l’implication de ses protagonistes. Pour l’anecdote, je crois n’avoir jamais vu True Lies dans sa version originale puisque systématiquement happé par sa diffusion télévisée. Le film doudou, quoi.

Titanic – James Cameron – 1998

15626413_10154254061627106_5054345512095717855_o« A woman’s heart is a deep ocean of secrets. »

   10.0   Chaque fois que je le revoie je me dis qu’il synthétise tout ce que j’aime dans le cinéma. C’est un film tour de magie, un état de grâce de trois heures. Ou comment raconter une histoire tout en dépassant le fait réel, combiner les genres, s’emparer du temps, faire des enchaînements / superpositions bouleversantes en permanence, faire résonner un naufrage en quasi temps réel et un hors champ temporel de 84 ans.

     Monument cinématographique, ni plus ni moins, Titanic est un film à la grandeur incomparable, un film que l’on ne fera plus, une œuvre patrimoine, incontournable. Le film de tous les superlatifs. James Cameron et sa flamboyance par excellence s’attaquent, après le remarquable Abyss, le jubilatoire Terminator, à un évènement de l’Histoire du XXe siècle, l’une des plus grandes catastrophes maritimes hors guerre : le géant des mers et son destin tragique, en enrobant le tout d’une envolée plus intimiste, histoire d’amour défiant les obstacles imposés par le Monde. Le souffle d’une reconstruction hors du commun couplé à une tragédie romantique éphémère.

     Tout a évidemment été plus ou moins dit, analysé sur la portée de ce film, qui n’en finit pas de fasciner et émerveiller près de vingt ans après sa sortie. On a parlé de plus grand succès de tous les temps. Du film le plus cher de tous les temps. De son ampleur alors sans égale – Et personnellement je ne lui trouve toujours pas d’égal. On a moins évoqué sa prise de position sociale, sans doute parce que dans les mémoires, Titanic c’est une histoire d’amour et un bateau qui coule. Constamment, Cameron poursuit son engagement, cette idée de renoncement d’un statut paramétré, d’un affranchissement des règles morales d’un mode de vie préétabli via Rose (Kate Winslet) qui se voit conviée par Jack (Léonardo DiCaprio) dans un mode de vie plus vivant, plus humain, où chacun a sa place, où l’on vit chaque jour comme une surprise.

     Jack est en troisième classe, vers le fond du bateau (la classe la première touchée pendant la catastrophe), vit au gré de ses dessins et se ses parties de poker qui lui ont entre autres permis d’embarquer à Southampton, puisque c’est une main chanceuse qui le fait voguer vers l’Amérique. Rose est en première. Fiancée à un certain Caledon Hockley, un riche héritier. Sa vie l’emmerde, pour rester poli. Mais sa mère fait pression parce qu’elle compte bien se refaire une santé financière avec ce mariage, ce qui leur permettra de se sortir de leur situation délicate dans laquelle le père les a laissé, sous les dettes. C’est de la prostitution en somme. L’un voit donc le rêve américain lui tendre les bras. L’autre veut couper le cordon. A défaut d’être délivrée par le suicide, Jack l’en empêchant in extremis, Rose sera sauvée par son aventure avec l’artiste, une histoire placée sous le signe de la liberté, qui malheureusement n’aura pas le temps d’éclore, mais aura existé suffisamment pour être racontée.

     Partout sont les symboles thématiques : les deux milieux sont constamment en opposition. Dans le fumoir de première on semble s’ennuyer (en tout cas nous on n’aimerait pas y être) en se perdant dans des discours politiques et masturbatoires sur la richesse de chacun. Les femmes n’y sont même pas conviées. Dans une salle dansante de troisième en revanche, ce que les riches appellent l’entrepont (ce n’est même pas un Pont, c’est un entrepont), la bière coule à flots, la musique irlandaise résonne, les gens rient, crient, bougent, vivent. Un sentiment de supériorité plane sans cesse, d’un étage envers l’autre. De la vie sur les ponts jusque dans le partage des canots. Ceux d’en bas seront les derniers à s’en sortir, les premiers à se noyer. Et leur pouvoir est absent. Lorsqu’un sbire d’Hockley suit la jeune femme, personne ne l’empêche de rentrer. Lorsque Jack monte pour voir Rose, il est bloqué par les gardes et on lui donne un bifton pour qu’il ne revienne pas. Lorsque Jack est invité, un peu plus tôt, à cette soirée pour le remercier de son acte de bravoure, on se moque, on le remarque, il est différent. Lorsque Rose danse en troisième, sapée comme une bourge, personne ne la remarque, elle est comme les autres, se fond dans le paysage. Il y a cette séquence où elle prend conscience de cette vie minable qui la poursuit : Devant elle, une fillette plie sa serviette sur ses genoux, sa mère lui demande de se tenir droite. Rose est horrifiée. Cette vie, depuis toujours c’est aussi la sienne. C’est là qu’elle rejoindra Jack dans cette fameuse scène de la proue. Et il y a d’autres symboles, plus allégorique donc plus discrets comme cette barrette papillon que Rose a dans les cheveux dès sa rencontre avec Jack, le citron dans le café du capitaine Murdoch juste avant la catastrophe, le tic-tac des pendules pendant la scène du dessin, l’évocation de la présence de glace dans la nuit. La menace gronde ici, le désir de vivre s’impose-là.

     Son replacement historique est lui aussi intéressant : outre les costumes, les coutumes, le paquebot, il y a aussi ce parallèle artistique. On évoque Monnet comme un grand. Hockley, qui croit tout savoir, pense que Picasso ne fera jamais parlé de lui. La dimension artistique est là, tout le temps. La qualité pas la taille, Rose remettra Ismay a sa place (l’architecte du paquebot qui ne considère la force qu’en fonction de la taille) en citant Freud, que lui ne connaît guère. Jack dessine, il entreprend une idée de l’art au sens noble, celui d’appréhender et retranscrire le réel. Jeune bourgeoise parée de bijou ou prostituée unijambiste, il ne fait pas de différence. Jack est le plus intelligent, le plus lucide, le plus libre de tous. Seule compte pour lui la mise à nu. Le nu abolit toutes les barrières. C’est la mise à nu qui scelle la transformation de Rose, dans l’entrepont lorsqu’elle s’enivre de bières et danse à l’irlandaise, dans la chambre lorsqu’elle s’offre en modèle. La culture n’est donc pas dans les mœurs bourgeoises, c’est la gente modeste qui la crée.

     La seconde partie du film (post iceberg) est plus trépidante, à la limite du soutenable – Reconnais que tu retiens aussi ton souffle quand Jack cherche la clé en tâtonnant derrière la grille, que tu pries pour tes mains quand Rose brandit une hache façon bûcheron du dimanche, que tu as le cœur serré quand le regard de Rose ne quitte pas celui de Jack lors de son embarcation sur le canot avant de s’en extirper in-extrémis. Centrée sur l’action, cette partie de film semble tout précipiter, comme s’il y avait mille à choses à dire et traiter et qu’il fallait tout régler au plus vite. On manque de temps, Cameron est donc moins subtil mais persévère dans sa critique sociale. La dignité suicidaire des uns affronte l’égoïsme impérieux des autres. Quand un agent ouvre le feu sur la foule et qu’il se rend compte de son geste, il retourne l’arme contre sa tempe. Quand Hockley n’a plus d’arrangements pour monter dans un canot il prend une enfant abandonnée et dit qu’elle n’a plus que lui au monde. Les musiciens, eux, continuent de jouer, se disent adieu avant de jouer encore. On ne peut pas vraiment en vouloir à Cameron de caricaturer certains rôles. Il étoffe en fait, cela lui permet d’être plus tranchant. Et puis on se doute bien que dans cette catégorie de gente aisée il devait bien y avoir une sacrée bande de salopards. La Dignité face à la Survie, tout le temps.

     Les vingt premières minutes pourraient être lourdes, elles sont une mise en abyme totale du cinéma : La quête du trésor se mue en récit romanesque ; On cherche un collier, on trouve un dessin, qui nous apporte une vieille femme qui va nous conter son histoire. Rose devient notre guide. Mais Cameron ne va pas se contenter de son souvenir et s’en va très vite là où elle ne peut savoir, du côté de Jack, avant qu’ils ne se rencontrent. Le film s’est comme émancipé, gagnant son combat contre le scénario. On reviendra au présent par deux fois seulement, avant le naufrage et à la fin, ça suffit, c’est le flash-back le plus élégant de la Terre. Et les visages face à Rose, lors de ce dernier retour, lessivés, silencieux, yeux embués, sont devenus les nôtres.

     Lors de cet épilogue, tout devient entièrement silencieux. Il n’y a plus que la musique, la douce mélodie angélique et funèbre qui résonne et orne le reste d’images, comme dernier cadeau. Images qui succèdent à celles où l’on découvre Rose aujourd’hui, jeter le cœur de l’océan par-dessus bord, montrant qu’elle l’avait toujours gardé, comme le souvenir inépuisable de ce moment érotique et magique passé en compagnie de Jack. Rose vient d’effectuer sa passation de relais, le temps du film. Jack qui n’existait que dans sa propre mémoire vivra désormais aussi dans celle de ceux à qui elle a raconté l’histoire du Titanic comme elle l’avait vécu. Ceux qui venait trouver un collier et nous, qui venions seulement voir un film. Rose peut donc s’en aller. La caméra se glisse dans sa chambre, on voit quelques photos de sa jeunesse, on imagine que Jack fut le moteur de cette vie bien remplie, cette nouvelle vie qu’elle a dû s’octroyer (sous le nom de Rose Dawson) après le naufrage de l’insubmersible. Cameron brise les convenances mélodramatiques, il en fait une fin joyeuse, où l’amour s’en va triompher de l’autre côté, parmi les fantômes : Des photos, une âme qui quitte un corps, entre à nouveau dans le Titanic, encore épave avant qu’il ne revive intégralement comme au premier jour. Rose entre à nouveau dans la grande pièce avec l’escalier et l’horloge (celle où Jack lui a baisé la main la première fois, parce qu’il voulait faire comme au cinéma) où tout le monde l’attend, comme s’il s’agissait d’un mariage, tous les visages qu’elle a croisés sur le paquebot, seulement ceux qui l’ont marqué positivement (on croise le visage de cette jeune fille lors de la danse à l’entrepont, le visage de M. Andrews et d’autres encore), elle rejoint Jack, beau comme au premier jour de leur rencontre, l’embrasse, et tout le monde autour se met à applaudir, tous les morts, ceux qui n’ont pas survécu au naufrage. Rose est acceptée parmi eux, Jack l’attendait. Ils se retrouvent de l’autre côté. Franchement ça donnerait presque envie de mourir.

     La réussite insolente de ce pur miracle cinématographique serait peu de chose sans la maestria de sa mise en scène. Car Titanic est probablement l’exemple le plus probant de la réconciliation entre le grand cinéma de divertissement et celui de la mise en scène – Mais Cameron n’avait pas attendu de faire Titanic pour qu’on s’en rende compte. Il a transformé l’essai. Ou comment parvenir à rendre l’intensité qu’elles méritent à des images d’une telle ampleur. Le travail sur le son, sur l’image est remarquable. Une mouvance permanente : travellings, plans grue, ellipses temporelles et raccords fulgurants, juxtaposition parfaite de plans lointains et proches. Oui c’est flamboyant, ça sent la tune, mais c’est beau. C’est la grâce dans l’excès.

     Au final, on peut se dire que c’est le film le plus rapide de tous les temps, à peine est-il commencé qu’il est déjà terminé, nous laissant avec nos bouches béats et nos larmes. Et surtout, Titanic n’est pas qu’une simple histoire d’amour ni qu’un simple film catastrophe, c’est une œuvre grandiose, multiple, qui côtoie le charme de l’expressionnisme, la dureté Buñuelienne, la douceur des plus belles rom’com et la flamboyance des grands mélos hollywoodiens. Un chef-d’œuvre inépuisable, que l’on redécouvre autrement, à chaque nouveau visionnage.


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silencio


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