Archives pour la catégorie James Gray

Armageddon time – James Gray – 2022

17. Armageddon time - James Gray - 2022Little odyssey.

   7.0   Il n’échappera à personne qu’Armageddon time est sans aucun doute le film le plus personnel de James Gray, au sens où il est éminemment autobiographique, évoluant dans une famille ashkénaze du Queens des années 80, aux crochets de Paul, un gamin qui ne peut être que lui, quand bien même le récit se nourrisse aussi de fiction.

     L’Armageddon du titre se joue sur plusieurs strates pour ce gamin : C’est d’abord une nouvelle amitié brisée par un changement d’école puisque Paul doit quitter son école publique pour entrer dans une école privée, dirigé par le père Trump. C’est ensuite la traversée d’un bouleversement politique puisque Reagan est sur le point de prendre la présidence. Et bien sûr c’est la mort du grand-père, ce mentor, incarné par un Anthony Hopkins qui avait rarement été aussi sobre et bouleversant.

     Tout ceci forme l’écrin d’une fresque. Et pourtant il se dégage une sensation étrange devant le nouveau Gray, l’impression qu’il y est trop pudique, trop sage. Ou quand la mélancolie (si chère à son cinéma) rime avec une certaine mollesse.

     J’aime le film pour plein de raisons (qui sont celles qui me font aimer le cinéma de Gray depuis Little Odessa) et notamment tout ce qui se joue au sein du foyer, mais je ne retrouve pas l’ampleur tragique qui m’est chère chez Gray. Je le reverrai volontiers évidemment, mais là présentement il entre dans le même (bon) panier que The Immigrant.

Ad Astra – James Gray – 2019

28. Ad Astra - James Gray - 2019Vers Neptune et au-delà.

   8.0   J’ai d’abord trouvé que le film perdait en émotion ce qu’il emportait en sidération. Si camouflée soit-elle, cette émotion vient gagner le visage de Roy mais elle ne transparait pas si facilement – C’est un tel monolithe de froideur, de calme à toute épreuve : C’est sa grande qualité dans le métier – mais j’ai l’impression que c’est un passage obligé, la convergence d’un scénario trop bâti : Une larme sur un visage en plongée, un cri sourd à l’intérieur d’un scaphandre. Roy est un enfant-monstre, un cœur qui ne s’emballe pas – On apprend qu’il n’a jamais dépassé les 80bpm, même en situation dangereuse : La sublime séquence introductive sert admirablement d’exemple – pourtant c’est de ce cœur dont il est question, puisque ses pensées nous sont partagées, dans une voix off qui fait office de thérapie : Il évoque sa passion pour l’aventure spatiale, ainsi que sa relation amoureuse sacrifiée, l’admiration pour son père, mais aussi le manque de ce père.

     En effet, la sidération est plus franche, dans Ad astra. Elle intervient notamment dans l’agencement même du voyage, ce curieux spatial trip de la Terre à Neptune, en passant par la Lune et Mars, tristes escales, consuméristes ou lugubres, dangereuses ou dévitalisées. Mais aussi lors de scènes très surprenantes comme l’accident initial (qui évoque Gravity) conclu par une chute libre qui rappelle First man. Il y a, bien entendu, la scène des singes dans le vaisseau abandonné (On pense alors aux chiens dans le High life de Claire Denis) ; Celle de la course-poursuite avec les pirates sur le sol lunaire, qui convoque aussi bien Mad Max que ce monument de course-poursuite de bagnoles, livré dans un brouhaha de pluie et d’essuie-glaces, dans La nuit nous appartient ; Sans parler de la traversée magique dans le lac martien. Aussi programmatique soit le film, voilà des saillies sublimes qu’on n’avait pas anticipées.

     Ceci étant, on peut justement être gêné par sa dimension programmatique. Et cheap. C’est vrai, Neptune est en carton-pâte : Il est même possible d’y traverser son anneau d’astéroïdes avec une simple plaque de ferraille en guise de bouclier. Mais d’une part, j’ai trouvé ça très beau, moi, le rythme, le vide, les couleurs, Brad Pitt, rien que la première scène sur la station spatiale et la chute libre qui suit, c’est somptueux. Plus poétique que réaliste, sans doute. Mais l’Espace est un lieu qui m’apparait tellement abstrait que je peux tout encaisser, du grandiose et du rudimentaire, des saillies invraisemblables ou des trucs totalement abstraits : Une poursuite lunaire ici, un décollage sans cockpit (Seul sur Mars) ou une planète qui produit des lames de fond (Interstellar) pour citer d’autres films du genre. Même un film comme Passengers, film purement véhiculé par ses stars qui mise davantage sur le divertissement sans risque, peut me séduire, justement parce qu’il y a ce décor, cette abstraction.

     Et d’autre part c’est raccord : Ce n’est pas le sujet du film, que de faire du système solaire un ensemble réaliste. Le sujet est le même que son précédent film, The lost city of Z : Il s’agit de s’enfoncer dans les ténèbres de l’Espace comme on s’enfonçait dans celles de la jungle. Il faut moins revoir Alien qu’Apocalypse now, il me semble. C’est exactement le même film : Si Kurtz faisait office de père spirituel à Willard, ici il est carrément question d’un fils à la recherche de son père. Ou plutôt : C’est l’histoire d’un homme marqué par la disparition de son père. Cette figure héroïque et absente monopolise tellement tout qu’elle empêche Roy d’exister – Et en ce sens d’être ému par lui, de nous identifier à lui : C’est un pari osé quand on y réfléchit, du même calibre que celui osé par Coppola il y a quarante ans. Roy doit tuer son père pour exister en tant qu’individu, mais pour le tuer il va devoir copier son voyage, c’est terrible.

     La grande idée, à savoir celle qui semble assez originale aujourd’hui – par rapport à ce qui se fait dans le domaine du film spatial, dans l’ère du temps depuis dix ans – mais raccord avec les thématiques de son auteur, c’est donc la dimension père-fils de cette quête. On attendait une intelligence extra-terrestre mais le film s’en va, de façon forcément déceptive, mais carrément bouleversante, en nous disant qu’il n’y a que nous dans l’univers connu. L’extraterrestre n’a pas sa place dans le récit, puisque cet extraterrestre c’est le père. Car évidemment, c’est une quête du père qui devient aussi celle de soi. L’héritage formel est aussi malickien, tant il s’agit de faire vivre les images et le voyage au travers d’un monologue existentialiste. Si les seconds rôles s’avèrent génériques, c’est uniquement pour ne pas obscurcir la place prépondérante de Roy. Tout fait sens. C’est brutal, hermétique, nébuleux certes mais ça fait sens.

     Mes réserves, si toutefois ce sont des réserves, concernent la froideur de l’ensemble, aussi bien dans le déroulement du voyage que dans l’approche du personnage, ce qu’il raconte de son histoire d’amour, de son père. Tout est froid. Les retrouvailles elles-mêmes seront très froides. Mais c’est d’une telle cohérence globale, que ça gêne moins que ça impressionne, in fine : Roy est seul avec son cœur au ralenti, et son père a tellement vécu dans son rêve de rencontrer des extraterrestres qu’il n’est pas plus ému que cela de le retrouver. Ils vont donc se revoir à l’autre bout du système solaire, dans les ténèbres. Restait à découvrir comment Gray allait boucler ça. Le Gray de Little Odessa aurait fait crever Roy là-bas. Il choisit finalement de le faire revenir, seul, délesté du poids héroïque et assassin du père. Une fin optimiste ? Encore faut-il accepter qu’il va vivre correctement avec l’idée qu’on est seul dans l’univers, que son père est mort et qu’il a dû tuer des innocents pour le retrouver, mais c’est une autre histoire. Cette même autre histoire qui bouclait les retrouvailles en demi-teintes de Two lovers.

     Difficile d’être véritablement objectif sur Ad astra, tant j’y retrouve aussi bien ce qui me plait dans les nombreux films spatiaux que ce qui me chavire dans le cinéma de James Gray. Car c’est bien simple, j’aime Tous les films de James Gray. Les sept. Sans doute parce qu’ils se ressemblent tous, d’ailleurs. Je m’y retrouve à chaque fois ; mieux : Je Le retrouve à chaque fois. Lui que j’aimais tant voir ancré dans un univers urbain, voilà qu’il voyage en forêt, avec The lost city of Z, puis dans l’Espace, avec Ad astra. Pourtant, ça reste du pur James Gray. Avec une structure qui rappelle beaucoup Apocalypse now, où la frontière cambodgienne est remplacée ici par une cité amazonienne perdue, là par Neptune, où le colonel Kurtz se substitue au père, purement et simplement. Une filmographie qui prend un tournant à la fois logique et imprévu, ça me plait. 

The Lost City of Z – James Gray – 2017

LCOZ_5066.CR2The dreams hunter.

   8.5   Les films de James Gray ont toujours eu des allures de fresques opératiques, aussi intimistes soient-elles. D’abord au cours de ces grands mélos familiaux saisis sous l’angle du polar, puis dans ce virage romance avec Two lovers ou cette apparente parenthèse historique que constitua The immigrant. Doux virage et imposante parenthèse qui se lovaient déjà idéalement dans la filmographie d’un cinéaste aussi méticuleux que solitaire.

     Avec The Lost City of Z, dont on entend parler depuis près de dix ans, Gray aurait-il changé vraiment de cap ? En racontant le destin d’un officier britannique (Percy Fawcett) chargé de cartographier les frontières entre la Bolivie et le Brésil dans la jungle amazonienne du début du XXe siècle, qui se prend de passion pour l’exploration en découvrant les vestiges d’une civilisation perdue, tous les curseurs du film d’aventures, du voyage mental ou du trip fiévreux semblaient au vert. Gray étant un auteur difficile à identifier, à mettre dans une case, on pouvait donc s’attendre à tout. Et l’obsession de Percy Fawcett correspond assez bien au cinéma de l’auteur : Complexe et raisonné, classique et torturé.

     Point de récit à la Indiana Jones, pourtant, ni de trip à la Aguirre ou de cauchemar à la Apocalypse now, The Lost City of Z ressemble davantage à un croisement batard, bancal et merveilleux entre The thin red line, Tess et Heaven’s gate. De Cimino j’aurais même tendance à le rapprocher, dans son étonnante construction, de Voyage au bout de l’enfer. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une séquence de chasse au cerf – Qui peut tout aussi bien rappeler deux autres ouvertures de films aussi épiques qu’intimes : Apocalypto (Le tapir) ou Le dernier des mohicans (Le wapiti).

     Il y a cet élan incroyablement romanesque là-dedans, notamment de par sa temporalité puisque le récit occupe deux décennies et est entrecoupé d’ellipses tonitruantes qui giclent quand on les attend le moins. Et si la jungle est l’élément moteur, c’est l’ambivalence du récit qui surprend, jonglant entre l’Amazonie et l’Angleterre, dans une esthétique de la continuité, comme pour faire résonner l’un dans l’autre et vice-versa, puisque c’est aussi ce qui anime en continu le personnage : La famille et le rêve. Et le terrible choix qui en découle.

     Parfaitement ancré dans la thématique du cinéma Gray, Percy Fawcett est ce fils dont le nom est sali par un paternel déchu dont la faute restera mystérieuse, mais aussi ce père qui ne verra pas grandir (voire naître) ses enfants pour préserver sa cause, ses convictions, son rêve : La quête d’une civilisation perdue entre la Bolivie et le Brésil, cette fameuse cité Z. Jusqu’à ce que père et fils, vieilli et grandi, soient réunis dans un dernier voyage, somptueux, ultime aux confins d’un enfer convoité.

     Il serait tentant et d’aucuns l’ont très bien signalé, d’évoquer la dimension méta qui règne dans ce voyage chaotique, tout en va-et-vient informes, qui pourrait bien entendu se rapprocher du rapport qu’entretient James Gray avec le cinéma, ses difficultés de production et de tournage, lui qui a toujours œuvré loin des grands studios formatés. C’est ainsi que The Lost City of Z peut être envisagé : Un film malade, mais grand, instable mais fascinant, en tout cas nettement plus stimulant que Silence, le gros machin de Scorsese sorti quelques semaines avant lui.

     Le crescendo est la force du film. Mais ce n’est pas un crescendo ordinaire, qui serait guidé par l’action, l’outrance des rebondissements et un scénario en entonnoir, c’est un crescendo émotionnel, à la fois immobile et indiscernable. Difficile de se rappeler si telle séquence est longue ou trop courte, si un voyage est plus imposant qu’un autre, si une ellipse est plus brutale, difficile aussi de relier une scène en particulier à une temporalité distincte. Le grand tour de force du film est d’avoir rendu passionnant ces séquences d’entre-deux voyages, aussi bien celles qui relèvent de l’intimité du couple que les discussions d’assemblée.

     Une chose est certaine, que l’on soit ou non dans la jungle, tout converge vers la jungle. La brillante séquence dans les tranchées de la Somme aurait pu être un banal passage obligé scénaristique pour comprendre la transition, marquer la durée qui sépare les deux voyages, mais elle existe simplement pour faire éclater une rencontre magique avec une voyante, qui nous ramène avec Percy dans la forêt. Plus le film avance plus cette convergence devient abstraite pour culminer dans un ultime plan absolument incroyable. Darius Khondji et son image (trop ?) dorée aura su conférer une teinte cotonneuse, proche du rêve, au voyage mental de Percy et à la réalisation magistral de James Gray.

     Puisque c’est Nina, la femme de Percy, qui habite ce dernier plan qui l’engloutit ou plutôt l’accueille miraculeusement de façon à créer une sublime réunion poétique, il faut dire combien c’est un beau personnage qui accompagne sans cesse son homme, dans ses voyages malgré les années qui vont le tenir éloigné d’elle et de sa famille. J’en profite pour dire que je trouve chacun des acteurs épatants, autant Charlie Hunnam et Sienna Miller dans les rôles titres, que les plus secondaires, à l’image d’un Robert Pattinson méconnaissable et hyper convaincant.

     Si l’on est loin des délires Herzogien on peut en retrouver certains motifs, dans l’engloutissement comme dans sa dimension quasi anti-naturaliste (à aucun moment il ne s’agit, sans doute aussi par faute de moyens, de retranscrire une certaine idée de l’attente ou l’épuisement) mais surtout de faire évoluer ce déplacement sous le seul angle du regard de Percy, que plus rien n’arrête, pas même le départ de son guide indien dont il préférera se réjouir qu’il les a mené jusque là. Toutefois, cette séquence d’opéra amazonien évoque largement Fitzcarraldo.

     The Lost City of Z est un film dense, une épopée incroyable qui aurait sûrement mérité une ou deux heures supplémentaires, ce même si la frustration qu’elle exhale quasi en permanence joue en sa faveur. J’étais méfiant pourtant. J’avais l’impression que le projet était trop grand pour Gray, lui qui m’avait déjà semblé un peu sage dans son précédent film, qui embrassait plus large. Quel bonheur de le retrouver à ce niveau d’inspiration.

The immigrant – James Gray – 2013

1471245_10151859633217106_231003597_nTout pour Ewa.

     7.5   Le film fonctionne un peu trop ouvertement dans la convergence vers son final saisissant, ce pardon indicible, impossible, bouleversant. Tout chez Gray a toujours été construit par rapport à ce qu’il laissera comme dernière image, il a chaque fois procédé ainsi, les plus grands climax dramatiques précédant systématiquement de peu le climax émotionnel qui découle de ce renversement. The yards en fut le modèle le plus fort, le plus douloureux. Cette fois, il me semble que Gray a atteint une sorte de processus ultime qui a malheureusement moins à voir avec l’abstraction et l’absurdité chère à son cinéma qu’avec le désir de classicisme répondant aux grands mélodrames américains. Plus précisément, disons que cela raconte moins une époque qu’une fascination mal digérée pour les idoles.

     Si la mise en place, bien qu’un poil trop formatée narrativement, promet beaucoup dans la peinture qu’elle dresse de l’histoire des migrants européens de l’après guerre qui trouvaient refuge sur Ellis Island en espérant décrocher un billet favorable pour Manhattan, le film déçoit ensuite très vite en s’embourbant dans un dispositif soit prévisible (le syndrome de Stockholm déplacé de l’immigrée et son sauveur/proxénète) soit juxtaposé à son personnage féminin alors que c’est celui campé par Joaquin Phoenix qui est fascinant. Ce sont d’ailleurs les meilleurs moments du film que ceux qui concernent ce personnage ambigu, paradoxal, qui ne peut aider sans posséder, posséder sans aimer. Très belle séquence de rencontre où Bruno Weiss prend Ewa sous son aile en lui laissant croire qu’il est une providence désintéressée alors que la mise en scène, d’emblée, empêche la jeune femme d’accéder à son libre arbitre, la confinant derrière, condamnée sur le bateau à s’installer à la place qu’il lui suggère. C’est un personnage complexe qui m’a beaucoup fait penser à ceux de Willem Dafoe dans Go go tales, de Mathieu Amalric dans Tournée, de Ben Gazzara dans Meurtre d’un bookmaker chinois. Que des beaux films, où s’érigent des personnages doubles capables de folies soudaines et de gentillesse extrême, exacerbées, imprévisibles, à l’image de ce Bruno qui vient plus en aide que la moyenne, pour un mac j’entends, à tomber vite amoureux, mais aussi capable de littéralement s’emporter en hurlant un « Shame on you ! » filant la chair de poule, lorsque Ewa lui refuse une étreinte compassionnelle qui semblait extrêmement sincère. Mais c’est aussi la beauté du film que de placer Ewa en martyr tout en lui accolant toute sa lucidité. « Je ne vous aime pas » lui assène t-elle très rapidement parce qu’elle comprend et refuse d’admettre sa condition bien qu’elle ne puisse provisoirement y échapper – Il faut rappeler qu’elle doit accumuler beaucoup d’argent rapidement afin que sa sœur, coincée au fort d’Ellis Island, puisse accéder aux meilleurs soins et éviter d’être renvoyée en mer.

     Je ne sais pas trop ce qu’il m’en restera avec le temps. Il me faudra le revoir, plus tard. Les deux précédents avaient été de telles claques visuelles, émotionnelles, que soit j’y étais rapidement retourné (We own the night) soit j’avais trépigné quelques mois avant de me jeter sur un deuxième visionnage tout aussi bouleversant (Two lovers). Deux films qui s’étaient imposés à moi comme de puissantes lames de fond. Rééditer cela relevait de la gageure. Néanmoins, passé la relative déception, indubitable, de la découverte cinéma, je dois reconnaître que The Immigrant a laissé une empreinte. Je ne sais pas si j’ai envie de le revoir mais j’y pense souvent ce qui est énorme pour une déception – L’effet The tree of life, en somme.

     Le premier plan du film effectuait un léger travelling arrière en dévoilant un ensemble brumeux avec en son sein la statue de la liberté. Subtil recul qui laissait peu à peu apparaître la silhouette d’un homme, de dos, attendant plus que contemplant. Le dernier plan, l’un des plus beaux de l’année, capture un dédoublement de l’image, un corps qui reste, se fait prisonnier et un esprit qui s’échappe, quitte le berceau de l’immigration choisie pour la Californie, éventuel paradis. Ce plan miroir, ou split-screen discret est une idée lumineuse comme il y en a trop peu dans un film entièrement voué à disposer ses atouts gracieux, élégants, mais finalement assez peu vivant, palpitant, se cloîtrant dans un schéma trop écrit, trop mécanique et surtout pas assez généreux, étrange puisque la générosité est une constante du cinéma de James Gray. Je ne dis pas que le film ne recèle pas d’autres belles envolées mais qu’il est trop inégal pour séduire, trop figé pour terrasser. C’est pourtant ce que le sujet laissait entrevoir : un mélo flamboyant sur deux êtres opposés qui s’attirent, sur deux sœurs séparées, sur deux cousins antipodaux. Un Mirage de la vie retranscrit dans les années 20. C’est tout Gray que d’embrasser ainsi la tragédie mais le film est moins fort que d’habitude, mais curieusement pas pour des raisons de paresse, plutôt parce qu’il cherche un hermétisme nouveau, à la fois empesé et subtil, entièrement dévoué à ses pulsions mortifères. C’est en fin de compte un film peu sympathique mais auquel on pense beaucoup ensuite, peut-être même davantage qu’à Little Odessa, où tout était là, froid, puissant, où ça giclait de partout, sans alternative. The Immigrant est plus rugueux, il faut presque le voir comme on regarde les derniers Fincher. Evidemment, comment ne pas évoquer la sublime photo de Darius Khondji, quoiqu’un peu jaune, qui accentue à merveille cette ambiance de mort.

Two Lovers – James Gray – 2008

Two Lovers - James Gray - 2008 dans * 2008 : Top 10 2lovers432Nuits blanches.    

   9.0   Quelle mouche a piqué James Gray ? A peine avions-nous digéré son sublime We Own the night que le cinéaste prodige présentait un autre film sur les écrans ! Entre son premier bijou Little Odessa et donc son dernier il s’est écoulé treize ans ! Mais qu’il continue, si tous ces films sont du niveau de Two Lovers, qu’il en fasse tous les ans, ça me va très bien.

     Ses trois premiers films s’inscrivaient dans le registre du polar et de la tragédie familiale. Surpris étions-nous quand on a appris que Two Lovers était un drame romantique. Et pourtant au sorti de la séance on sait évidemment que c’est un James Gray que l’on a regardé. Ses obsessions de la famille sont bien présentes, et ce questionnement sur l’amour (que We Own the night survolait tout de même) occupe ici une place des plus importantes.

     Leonard est un quarantenaire atypique et bipolaire. Il habite chez ses parents. Non pas qu’il soit un éternel adolescent qui n’a jamais quitté le foyer, mais plutôt qu’il travaille dans la boutique de ses vieux qui l’hébergent donc, depuis une aventure amoureuse traumatisante, en attendant qu’il trouve celle qui l’aime un jour ou l’autre. D’un côté il y a Sandra, la fille d’amis de ses parents, qui semble pour eux la partenaire idéale. De l’autre, Michelle, une fille complexe, amourachée d’un homme marié qui peine à quitter sa femme, pour qui il éprouve bien entendu des sentiments plus intenses (enfin c’est ce qu’il croit).

      C’est une grande histoire de passion. La passion d’un homme pour deux femmes. Complètement différentes, opposées. Un homme au passé douloureux (liaison interrompue, tentative de suicide) qui semble dans une impasse avant que ces deux femmes viennent occuper son cœur.

     James Gray redonne tout simplement ses lettres de noblesse au mélodrame. A la tragicomédie romantique. Il réalise son L’Aurore moderne. Un film très intimiste, où chacun s’y retrouvera, puisqu’il ne délaisse personne. Enfin personne. Sandra reste le personnage le moins travaillé, même si c’est tout en retenue : Elle c’est la sécurité, elle semble posée, et c’est sans doute cela qui perturbe Léonard, cherchant une relation plus adolescente qu’il trouvera ainsi en Michelle. Léonard c’est l’adulte et l’adolescent. Celui qui a besoin d’aventures mais aussi de sécurité. Les seconds rôles, eux, tiennent une place importante, majeure presque pour certains comme le mari indécis de Michelle ou le père de Leonard, prolongement intéressant du père adoptif dans We Own the night, déjà c’était Moni Moshonov et Joaquin Phoenix, ce qui rend la relation d’autant plus touchante.

     Le plus beau dans tout ça c’est la mise en scène et le rendu de cette mise en scène. La simplicité, la beauté arrive à poings nommés en réponse au film de Clint Eastwood, boursouflé et surchargé au possible. A de nombreuses reprises certains plans et séquences sont somptueux, on pense entre autres à cette dispute entre Michelle et Leonard sur le toit de l’immeuble avec en arrière plan un New York froid, rendu sublime ; ou encore cette relation téléphonique intime à travers les fenêtres d’un immeuble modeste de la ville, clin d’œil hitchcockien ; ou encore la séquence sur la plage ; le tout dernier plan… Tellement de choses se passent, par les images, les regards… James Gray nous offre tout simplement l’un des plus beaux films de l’année.

     Maintenant j’aimerai touché quelques mots sur la fin de ce film, qui permet de multiples interprétations :

     Je pense la percevoir comme ouverte, dans le sens optimiste pour son personnage. La relation que Léonard entretient avec Michelle n’est que passionnelle à mon sens, mais pas si réfléchie que ça. Elle semble occuper son coeur durant le film, d’accord, mais l’on sent qu’au fond c’est elle qui l’empêche de vivre, c’est elle par exemple qui l’empêche de démarrer une relation « stable » avec Sandra, sans cesse lorsque Léonard est avec Sandra, Michelle est là aussi, au téléphone. Michelle c’est l’aventure, la fantaisie selon Léonard, une opposition au cercle familial protecteur en somme. Sandra c’est sans doute trop simple, trop à sa portée, surtout lorsque le type en question souffre de bipolarité. Mais en fin de compte, laquelle aime t-il le plus ? Je pense ce retournement de situation complètement sincère. Michelle est partie. Elle ne lui permet pas de se rabattre sur Sandra. Non, elle lui ouvre les yeux sur Sandra. La plage, le gant, la bague, tout ça c’est finalement Sandra. La plage, l’eau, Léonard revient la vie. Au début du film comme à la fin.

     Disons que ce personnage que Léonard place sur un piédestal, la blonde sulfureuse, m’apparait de plus en plus comme le spectre de la femme idéale qui le ferait grandir notre bon Léonard, une Sandra un peu moins casanière en somme. Mais honnêtement et quasiment de bout en bout je le sens plus proche de Sandra que de personne d’autre, Michelle n’existe que dans sa tête, du moins que dans ses fantasmes. Bien entendu il y a un compromis à la fin mais ce n’est pas un compromis malheureux à mon sens, c’est le compromis d’un homme qui a grandit, tout simplement, qui se rend compte que s’épanouir avec une personne qui vous aime aussi est peut-être la plus belle chose qui puisse arrivé.

    A ce titre cette fin est absolument magnifique, et le regard de la mère l’un des plus beaux qui soient. J’étais en larme…

La Nuit nous appartient (We Own The Night) – James Gray – 2007

Joaquin-Phoenix-dans-la-nuit-nous-appartient-de-James-GrayLet’s dance.    

   9.0   La barre était placée si haute au vu de ses deux précédents long-métrages que l’on craignait une déception quant au dernier opus de James Gray. Bien heureusement, Non! La Nuit nous appartient sonne même comme l’aboutissement d’une oeuvre de perfectionniste entièrement maîtrisée, vouée à la tragédie familiale déchirée entre mafia russe et police new-yorkaise.

     Entre la scène d’ouverture magnifiquement érotique, des séquences oppressantes à couper le souffle, une scène de poursuite automobile flamboyante au rythme des essuie-glaces, notre admiration est forcée, les poils s’hérissent : ces scènes d’anthologie sont d’une perfection rare.

     Ainsi le cinéaste brasse t-il des thèmes comme la reconnaissance familiale (ici représentant la loyauté, l’ordre), en perpétuelle contradiction avec les libertés décadentes des fréquentations de Bobby, les difficultés filiatives, l’amour, la vengeance morale, par l’intermédiaire de Joaquin Phoenix, perdu dans ses retranchements. Une interprétation donc sans fausses notes, une mise en scène intelligente et sobre, un suspense étouffant, une BO tantôt austère tantôt euphorisante, font de ce polar intensément dramatique une belle tragédie Shakespearienne qui apparaît d’ores et déjà comme un classique, plus proche d’un Coppola que d’un Scorsese, ce dernier réalisant des grandes fresques violentes exubérantes, loin de tous classicisme moral.

     A l’arrivée c’est une perle rare, un travail brillant qui mérite les acclamations nécessaires. Alors, on ne peut en vouloir à Gray de tourner peu car il frappe toujours très fort, mais il restait à espérer qu’il n’attendrait pas sept ans pour nous offrir son prochain chef d’œuvre…

The Yards – James Gray – 2000

The Yards - James Gray - 2000 dans * 730 The%20Yards%20pic%201   9.0   Quartier du Queen’s, une famille modeste aux problèmes divers, dont l’oncle Franck règne sur l’Electric Rail Corporation, société de métro… James Gray réalise un film d’une noirceur désespérée ayant pour cadre majeur la corruption dans les transports ferroviaires. Il concentre son récit sur Léo, un taulard sur le retour, près à tirer un trait définitif sur son passé en réintégrant honnêtement la société. Mais comme si son destin avait été écrit pour être malheureux, tragique, il se retrouve vite confronté à une affaire louche, concoctée par son meilleur ami, fiancé de sa cousine, où il sera très bientôt accusé de meurtres et violences sur un policier.

     Dans ce polar sombre, la mort rode sans cesse et si les liens familiaux sont délicats et intenses, les trahisons perdurent surtout lorsque certains secrets refont surface. Echapper à son passé n’est pas une mince affaire selon James Gray, ou alors il faut en accepter les codes du sacrifice et de la trahison.

     Côté mise en scène, les cadrages sont justes impressionnants, la dramaturgie s’intensifie progressivement, les interprétations sont exemplaires (Charlize Theron et Joaquin Phoenix en tête). Avec « Little Odessa » James Gray frappait très fort mais restait confiné dans une approche à l’essentiel, avec « The Yards » réalise quelque chose de très grand, émotionnellement fort, doté d’une musique renversante. Brillant et magistral.

Little Odessa – James Gray – 1995

featured_little-odessa    8.0   Il y a treize ans que ce petit bijou américain sortait sur nos écrans. A la réalisation James Gray, encore inconnu, allait se frayer d’emblée une place importante dans le monde du cinéma, en nous faisant part de sa mise en scène lente, carrée, au climat très sombre, défiant les grosses productions sur fabriquées.

     Little Odessa c’est le nom du quartier où a grandi Joshua, dorénavant tueur à gages, qu’il va retrouver pour une mission criminelle. Il en profitera pour revoir sa famille, plus particulièrement son jeune frère qui l’idolâtre, sa mère qui traverse une maladie incurable, tandis que son père refuse les retrouvailles ne digérant pas ce qu’est devenu son fils. Très peu de personnages donc. Mais chacun y trouve une place importante. Et déjà c’est une histoire de famille, parce que l’on n’a que faire de cette mission, elle sert simplement de prétexte pour que Joshua retrouve son quartier natal.

     Reuben n’a pas vu son frère depuis des années probablement. Lui qui a un père assez chiant, très protecteur, voit en Joshua un autre chemin, peut-être le chemin du crime, mais aussi celui de la liberté. Lorsqu’il verra son frangin tuer de sang-froid l’homme pour lequel il revient au pays, Reuben aura ce désir de faire comme les grands, de faire comme le frère, de tenir une arme en se regardant dans la glace, littéralement happé dans cette spirale criminelle, afin d’aller le soutenir dans un scène finale terriblement tragique, haut fait du cinéma de Gray, auquel on commence dorénavant à connaître certains codes.

     La mise en scène joue intelligemment sur chaque détail important, que ce soit par l’utilisation de hors champs, d’ombres, de prises de vues lointaines, pour ne jamais quitter ce climat d’angoisse, à l’intense obscurité, où la mort poursuit son chemin. Polar nocturne d’une froide sobriété, cette tragédie familiale fut le premier grand film de ce cinéaste Outre-Atlantique. Et à l’heure où le quatrième opus se trouve sur nos écrans, il est intéressant pour ceux qui ignorent son existence, de se replonger rapidement dans ce drame puissant.


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silencio


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