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Mange tes morts – Jean-Charles Hue – 2014

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Macadam à deux voies.

   8.0   Il y a la fougue et la crudité d’un Brillante Mendoza à son meilleur (Kinatay), la plongée crépusculaire entre le western et le fantasme d’un André de Toth, la puissance des grands polars aux allures de tragédies familiales évoquant largement le cinéma de James Gray – On pense principalement à ses premiers sublimes essais, Little Odessa et The yards. Ajoutons à cela l’impétuosité des premiers Richet, avec son approche à la fois trash et comique du réel. J’espère d’ailleurs me tromper mais je crois qu’on a là un cinéaste de cette trempe, pétri de talent, mais en pleine quête hollywoodienne, visant à devenir le Scorsese moderne. N’empêche, cette équipée nocturne – glissant d’un quotidien diurne cartésien vers une nuit mystérieuse et sans issue – est une merveille de film noir – pourtant tirée d’un fait vécu par le réalisateur.   

     Un moment, un plan hallucinant, suspendu, laisse apparaître un homme mourant, après une opération de vol de cuivre ayant mal tournée, ramper dans la pénombre d’une casse – plongée dans le silence – vers une flaque de boue irréelle, éventuellement salvatrice. On dirait presque du Tarkovski. Surtout que le chien n’est pas si loin. Le film est baigné comme ça dans une lumière étonnante, qui aveugle ou apaise c’est selon, à l’image de celle accueillant ce camion de cuivre en tout début de film. La lumière est l’élément fondamental du cinéma de Jean-Charles Hue et ce halo en est le caprice le plus représentatif, forçant le réel ou se la jouant carrément surréaliste, il symbolise toujours un dialogue abstrait avec un divin mystique. On se souvient forcément de ces embardées fantastiques dans La BM du seigneur.

     Le cinéaste se débarrasse ici de ces parasitages inutiles qui atténuaient la beauté de ce premier film. Mange tes morts est sec, nerveux, dépouillé, frontal, dans un mouvement indécis perpétuel. La BM avait été l’une de mes plus grandes frustrations en 2011. J’avais trouvé ça fort mais gâché par cette réalisation clinquante pour festival Sundance. Là, tout est équilibré, éprouvant, j’ai fait le voyage, j’étais aussi bien sur ce bord d’autoroute que dans cette Alpina en plein run. Saisi par la violence du bouleversement aux côtés d’un Fred (Dorkel) qui redécouvre les lieux après son emprisonnement de quinze ans, se perdant dorénavant sur cette route de Creil qu’il ne reconnait plus, évoquant continuellement ce vieux bar où il terminait ses diverses chevauchées nocturnes chez Colette, une providence sans visage.

     Il y a un vrai vertige que de suivre cet homme qui préfère se volatiliser – comme le fit son père – plutôt que de se faire prendre. Son entrée en scène est d’ailleurs la plus hallucinante vue cette année : il est au volant d’une Clio, débarque dans le camp à toute berzingue et alors que sa voiture s’arrête dans un nuage de poussière, son petit frère – partagé d’ailleurs entre sa fascination pour ce chasseurs hors pairs et son entrée dans le rang via la religion – observe avec envie sa sortie, mais celui-ci viendra lui tapoter dans le dos. Il faut voir le nombre d’idées comme celle-ci qui traverse le film – sublime séquence dans une grotte – le rendant très indiscernable, malgré son approche hyper réaliste, pour ne pas dire documentaire. Cet étroit mélange entre réel et fiction est superbement agencé par ce cinéaste génial qui signe un deuxième film hallucinant, anxiogène et complètement à part.

La BM du seigneur – Jean-Charles Hue – 2011

La BM du seigneur - Jean-Charles Hue - 2011 dans Jean-Charles Hue

Terrain vague.   

   5.0   Le problème ne vient pas du sujet ni de l’interprétation. Cette idée de présentation d’un monde, sa faculté de s’auto détruire en permanence, ses liens tenaces, le respect entre chacun, la place de la femme, la glorification du combat tout cela est très bien écrit, d’autant que le cinéaste opère un glissement à un moment dans le film lui conférant une aura fantastique, spirituelle pas négligeable. Un envoyé du ciel, un ange. Et ce personnage attendrissant – un peu facile que ça tombe sur lui – que l’on suit depuis le départ, qui est probablement le grand voleur de BM de la bande ce qui ne l’empêche pas de tenter de préserver l’entente au sein de la famille. Ce sont les grandes questions qu’ils se posent une fois qu’il a vu cet ange, qui sont intéressantes. Le film laisse un personnage, auparavant si sûr de lui, si intelligent dans l’impasse la plus totale, comme si tout s’était écroulé autour de lui. Il doit garder un chien blanc. Et quelque chose au fond de lui le tiraille, il sent qu’il doit saisir la possibilité de changer – il est aussi évoquée une vieille maladie qui aurait failli le tuer par le passé. Bref, tout ça pour dire que Jean-Charles Hue a les moyens de faire exister un groupe, qui vit en marge des coutumes occidentales, dans un quotidien continuellement violent, la recherche perpétuelle d’une liberté qu’ils ne peuvent véritablement s’offrir – comme c’est le cas de ce jeune homme avec la BM dans la première séquence du film. Tout pourrait marcher, surtout que le film, dans son idée de glissement sort de ces voyages/utopies gitans Kusturica/Gatlif approved. Mais voilà, plus rien ne marche parce que sa mise en scène est tout bonnement atroce. Quand il ne fait pas de gros plans sur des visages, des corps transpirants, des pneus sur le bitume, le cinéaste tente des petits placements fantaisistes à travers un verre, derrière un grillage, entre les buissons, le reflet d’une flaque – et j’en passe – procédés tellement utilisés qu’ils en deviennent à premier abord lassants avant d’en être exaspérants. Hue cherche sans doute une émotion dans le plan, plutôt le placement, il cherche la poésie dans les éléments, il le fait seulement mal. Je ne vois aucun intérêt de filmer de cette façon là, sinon de se plaire à faire de la pose tout en se fichant royalement de son sujet. Le film n’était pas loin d’être insupportable. Dommage encore une fois car il y a bien de grandes qualités autres, malheureusement donc, complètement sous-exploitées.


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silencio


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