« Il faut que tout change pour que rien ne change »
7.0 Jean Eustache retourne à Pessac onze ans plus tard afin de filmer la traditionnelle élection de la Rosière. Tout y est identique et pourtant l’époque a changé. En premier lieu, ce qui change ostensiblement, ce qui frappe d’emblée, d’un point de vue formel, c’est le choix de la couleur. Peut-être ce choix rend t-il plus désuet encore cet étrange rituel de village. Mais il y a autre chose. Là où le premier film semblait rendre compte des étapes de cette coutume, de façon très neutre et méticuleuse, celui-ci fait presque office de reconstitution programmé. Et pourtant, Eustache filme exactement la même chose. De la même manière. C’est comme si les sujets avaient cette fois conscience du résultat à venir. Comme s’ils avaient vu le film de 1968. Le maire n’est plus le même et celui-ci semble surjouer. Les élections sont un vrai bazar, comme si on cherchait à les orner de rebondissements scénaristiques. La jeune Rosière elle-même semble surjouer le trouble et la gêne de se retrouver embarquer dans cette cérémonie absurde et archaïque, à enchaîner les bises aux notables. D’ailleurs, un élément est génial : elle est élue Rosière mais n’y habite plus. Il faut aller la chercher je ne sais où. Dans la dernière partie Eustache capte les festivités. Là encore son regard est neutre, sans surplomb, il saisit l’instant, le lieu, l’époque. Mais il y a deux très nets pas de côté. Le premier c’est une mise en abyme. Le temps d’un instant, quelques secondes, il filme l’équipe en train de filmer les déambulations de la Rosière. Mais très vite on revient au documentaire pur. C’est très troublant et cela ajoute à l’aspect de miroir déformé opéré par ce deuxième film. Le second concerne sa sortie. Un travelling nous éloigne lentement des festivités, figeant définitivement ce rituel dans le passé. C’est un vertigineux film théorique, un film passionnant en échos ou quasi réversible avec le précédent, un peu comme les deux parties d’Une sale histoire.