Archives pour la catégorie Jean Eustache

La Rosière de Pessac 79 – Jean Eustache – 1979

03. La Rosière de Pessac 79 - Jean Eustache - 1979« Il faut que tout change pour que rien ne change »

   7.0   Jean Eustache retourne à Pessac onze ans plus tard afin de filmer la traditionnelle élection de la Rosière. Tout y est identique et pourtant l’époque a changé. En premier lieu, ce qui change ostensiblement, ce qui frappe d’emblée, d’un point de vue formel, c’est le choix de la couleur. Peut-être ce choix rend t-il plus désuet encore cet étrange rituel de village. Mais il y a autre chose. Là où le premier film semblait rendre compte des étapes de cette coutume, de façon très neutre et méticuleuse, celui-ci fait presque office de reconstitution programmé. Et pourtant, Eustache filme exactement la même chose. De la même manière. C’est comme si les sujets avaient cette fois conscience du résultat à venir. Comme s’ils avaient vu le film de 1968. Le maire n’est plus le même et celui-ci semble surjouer. Les élections sont un vrai bazar, comme si on cherchait à les orner de rebondissements scénaristiques. La jeune Rosière elle-même semble surjouer le trouble et la gêne de se retrouver embarquer dans cette cérémonie absurde et archaïque, à enchaîner les bises aux notables. D’ailleurs, un élément est génial : elle est élue Rosière mais n’y habite plus. Il faut aller la chercher je ne sais où. Dans la dernière partie Eustache capte les festivités. Là encore son regard est neutre, sans surplomb, il saisit l’instant, le lieu, l’époque. Mais il y a deux très nets pas de côté. Le premier c’est une mise en abyme. Le temps d’un instant, quelques secondes, il filme l’équipe en train de filmer les déambulations de la Rosière. Mais très vite on revient au documentaire pur. C’est très troublant et cela ajoute à l’aspect de miroir déformé opéré par ce deuxième film. Le second concerne sa sortie. Un travelling nous éloigne lentement des festivités, figeant définitivement ce rituel dans le passé. C’est un vertigineux film théorique, un film passionnant en échos ou quasi réversible avec le précédent, un peu comme les deux parties d’Une sale histoire.

La rosière de Pessac – Jean Eustache – 1968

05. La rosière de Pessac - Jean Eustache - 1968Une affaire de morale.

   7.0   Eustache couvre une cérémonie se déroulant à Pessac, son village natal. C’est l’élection de la Rosière, une jeune femme élue non pas sur le physique mais pour ses vertus morales. Cérémonie qui existe depuis 1896. Comme le cinéma. Eustache filme à l’os, le plus possible en temps réel, d’abord au sein du bureau de votes puis lors du défilé, du discours et des festivités. Il n’y aura aucun commentaire, aucun point de vue direct même si en captant soigneusement le réel on perçoit vite la désuétude de cette tradition embarrassante où les hommes s’envoient des fleurs et se gargarisent des richesses de leurs traditions locales, tout en enfilant les bises. Quand à contrario, on entendra jamais le son de voix de la Nouvelle Rosière pessacaise. Mais le film est surtout magnifique dans sa façon de capter un village, une époque, une foule, des visages. Par ailleurs Eustache disait qu’il n’avait rien pour ou contre cet événement. C’était cinématographiquement que ça l’intéressait. C’est très beau.

La soirée – Jean Eustache – 1963

13. La soirée - Jean Eustache - 1963L’appartement.

   4.0   Eustache s’inspire d’une nouvelle de Maupassant. La soirée est un projet inachevé, sans bande son : les bobines ont été retrouvé à la fin des années 90 par le fils de Jean Eustache. Un homme (Interprété par Paul Vecchiali) invite des amis pour leur lire un texte sur le cinéma qui vient d’être publié et écrit par ses soins. Puis s’ensuivent, on imagine, des discussions, dans cet appartement, autour de cette lecture ou non. On y reconnaît aussi André S. Labarthe. En parallèle, un couple tente d’avoir un peu d’intimité, mais l’étroitesse du duplex les en empêche. Cette ébauche de film se clôt sur un magnifique éclat de rire.

Le père Noël a les yeux bleus – Jean Eustache – 1967

12. Le père Noël a les yeux bleus - Jean Eustache - 1967Masculin, Léaud.

   6.0   Ma limite avec ce film d’Eustache aujourd’hui – ça ne m’avait pas frappé à l’époque, je n’avais pas encore vu celui de Godard – c’est cette impression, assez embarrassante, d’être devant une suite de chutes de Masculin, féminin – qui pourrait d’ailleurs être mon Godard préféré, mais il me faudrait tout revoir pour en être certain. Sensation d’autant plus étrange que l’un se déroule à Paris, l’autre à Narbonne (qu’Eustache connait bien). L’effet Léaud, sans doute. De chaque plan, ici – et même narrateur en voix off – pour ne pas dire davantage : il passe un moment devant un cinéma sur lequel trône une affiche des Quatre cents coups. Mais ce n’est pas qu’une impression : Faute de moyens, Eustache aurait cherché à acheter des chutes de pellicules et Godard lui aurait offert celles de Masculin, féminin. Il aurait ensuite vu son film et l’aurait aidé à étancher ses dettes.

     Daniel est un personnage qui vit dans des conditions précaires, de petit boulot en petit boulot et qui rêve, outre de dissimuler ses frusques bon marché, de s’offrir un duffle-coat pour Noël. Cultivant les menus larcins, de bouquins à la bibliothèque ou de triche groupé lors des Loto, Daniel se voit bientôt offrir un job de père noël, durant lequel il profite pour draguer un peu les filles. Sur le modèle du cinéma-vérité, avec beaucoup d’improvisation, une prise de son direct (en opposition à la post synchro de son précédent moyen métrage) Eustache convoque des personnages et situations qu’il a connus ou vécus. C’est un travail proche de celui de Sophie Letourneur, aujourd’hui, en somme. Beau film, mais peut-être un peu « court ». Quand je vois Le père noël a les yeux bleus, j’ai instantanément besoin de revoir Masculin, Féminin.

Du côté de Robinson – Jean Eustache – 1964

06. Du côté de Robinson - Jean Eustache - 1964Le journal du voleur.

   6.0   J’entame une rétro intégrale Eustache, grâce à ce si beau coffret édité par Carlotta. Celui-ci je le connaissais déjà.

     Deux petits dragueurs désargentés, mufles et misogynes, en quête de « souris » (c’est ainsi qu’ils nomment la gente féminine) errent d’un bar à un dancing, d’une avenue à un cinéma. C’est aussi un film d’arpenteur, entre Pigalle et Montmartre. C’est par ailleurs le seul souvenir que j’en avais gardé, lorsque j’avais fait sa découverte en salle (sous le format « Les mauvaises fréquentations » combinant celui-ci et « Le père noël a les yeux bleus ») il y a une quinzaine d’années : Sa façon de filmer Paris. Le film est en ce sens très proche (pas de voix off dans le Eustache, cependant mais plutôt une post-synchro qui rappelle les premiers Rozier) de La carrière de Suzanne ou La boulangère de Monceau, de Rohmer. C’est un beau film-croquis de la Nouvelle Vague. Une version un peu cancre. On raconte d’ailleurs que le film d’Eustache a été tourné avec une somme dérobée dans les caisses des Cahiers du cinéma.

Mes petites amoureuses – Jean Eustache – 1974

38. Mes petites amoureuses - Jean Eustache - 1974L’adolescence nue.

   10.0   Beaucoup d’émotion lors de mes retrouvailles avec Mes petites amoureuses, de Jean Eustache – Découvert lors de sa ressortie (?) en salle il y a pile dix ans. Retrouvailles d’un acabit similaire à celles vécues il y a quelques mois devant L’argent de poche, de François Truffaut : Deux films qui partagent peu, de prime abord, sinon leur fascination pour la beauté cruelle de l’enfance, mais aussi pour les lieux de France. Pessac puis Narbonne, ici, sont captée avec une passion sans égal, une proximité singulière que seul un originaire ou habitant passager (Et Eustache vécu son enfance entre ces deux villes) peut traduire de cette manière. Difficile de l’expliquer, ça se ressent pleinement, c’est tout.

     C’est probablement ce qui me touche en priorité ici, plus encore que les visages de ces adolescents, leurs gestes et déplacements – Eustache y porte une attention étonnante. Jamais je n’ai vu des lieux filmés de cette façon. Ou bien c’est plus récemment, chez Guiraudie et c’est donc un autre temps. A ce titre, il ne faut pas oublier de saluer la photo du plus grand chef opérateur du monde, Nelson Almendros, qui fait des merveilles ici – C’est d’une beauté hallucinante de chaque plan, vraiment – peut-être plus encore que dans La collectionneuse, Les deux anglaises et le continent, La vallée ou Le genou de Claire, c’est dire.

     Mes petites amoureuses c’est aussi cette étrange juxtaposition d’évènements sans enchainement véritable ou systématique, que viennent encadrer ces doux fondus au noir. Il n’y a pas de mouvement dramatique comme c’est souvent le cas dans ce genre de récit d’initiation adolescente. Rien à voir avec Les quatre cents coups, par exemple. La démarche formelle se situerait plutôt à la croisée de Rouch et Bresson. Il y a le portrait ethnographique de l’un et la gestuelle méticuleuse et universelle de l’autre. Un film situé entre Chronique d’un été et Le diable probablement, en somme.

     Le récit de Daniel est aussi celui d’une dissolution progressive, continue. Si le ton de sa voix semble si détaché, en in comme en off, c’est pour mieux souligner son état d’esprit. Vers la fin du film, il lui faudra traverser un canal. Un peu comme le font les enfants dans l’ouverture de L’ile au trésor, de Guillaume Brac. Il lui faut entrer dans l’autre monde. Et il ne s’agit que de ça dans le film d’Eustache, de glissements, de variations, infimes ou non, vers un autre monde pour l’adolescent. Rien d’étonnant à ce que le film s’ouvre sur une étrange scène de communion. Là, alors que la caméra d’Eustache capte le rite et le temps alloué à ce rite, voilà que surgit en off, la voix de Daniel, qui excité par la demoiselle qui le devance, nous confie vouloir lui montrer, en s’appuyant franchement contre elle, qu’il est en érection.

     C’était donc il y a dix années tout juste. J’aurais eu cette chance de découvrir Mes petites amoureuses, de Jean Eustache, dans une salle de cinéma. D’Eustache, alors, je ne connaissais qu’Une sale histoire. Il me semble que le film m’avait beaucoup surpris, décontenancé, probablement en attendais-je tout autre chose, il est bien délicat de me remémorer mon état d’esprit d’époque. Il m’en restait une ambiance forte, insolite, insondable, mais il s’était aussi vite volatilisé dans ma mémoire, terrassé quelques temps plus tard, par ma rencontre, un autre choc, avec La maman et la putain. Je n’avais encore jamais revu ces films d’Eustache. Tous trois si différents et qui pourtant se répondent très largement. Ravi d’avoir revu Mes petites amoureuses, merveille absolue qui à ce jour, concernant Eustache, a ma nette préférence.


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silencio


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