Valse déloyale.
7.0 Grémillon s’en remet tellement à Gabin qu’il utilise en guise de titre le véritable surnom qu’on donnait à l’acteur avant la guerre. Ou l’impression de voir un film écrit pour lui. Ce qui se révèle à moitié vrai tant Gueule d’amour, le film, déconstruit un peu de ce mythe Gabin, le dessinant d’abord en soldat magnifique, militaire très convoité par la gente féminine, avant qu’un soir, en permission à Cannes, il ne jette son dévolu, entier, passionné, destructeur sur Madeleine, une aventurière – incarné par Mireille Balin, déjà partenaire de Gabin la même année, dans Pépé le moko.
L’amour crescendo obsessionnel qu’il éprouve rapidement pour elle est proportionnel à la frustration qu’elle fait naître en lui, à travers des promesses non tenues, des disparitions impromptues. Et le film capte et reproduit l’état d’esprit de Lucien, fait d’excitations et de torpeurs, d’espoirs et incompréhensions. Lucien quitte Orange où il y était l’objet de toutes les convoitises, pour Paris où il n’existe plus, où Madeleine, subrepticement, le dévore. Gabin devient cet homme de la campagne soumis, vulnérable. Balin la citadine, une mystérieuse femme fatale.
La passion de « Gueule d’amour », le film autant que son personnage, se dilapide dans le pur mélodrame et trouve in-extrémis une sortie « moins malheureuse », une providence amicale, un adieu entre deux copains et une étreinte à chialer sur un quai de gare. S’il y a bien une surprise dans le récit finalement attendu du film de Grémillon c’est bien cette issue-là, déchirante qui plus est. En somme, Gueule d’amour est une sorte de film prémonitoire du devenir Gabin, qui troquera bientôt sa gueule d’amour pour son personnage de patriarche. Un très beau et passionnant Grémillon.