Archives pour la catégorie Jean-Marc Moutout

De bon matin – Jean-Marc Moutout – 2011

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Adieu au langage.

   7.0   Jean-Marc Moutout est un réalisateur intéressant dans le paysage du cinéma français, dans la mesure où il est devenu le chef de file d’un cinéma de l’entreprise et de sa confrontation violente avec l’individu. On se souvient de Tout doit disparaître, son premier court métrage, dans lequel son cinéma, sans demi-mesure, s’installait comme garant et miroir des affres du monde du travail moderne. Cantet avait érigé ce cinéma il y a dix ans avec deux réussites notables que sont Ressources humaines et L’emploi du temps, mais il semble se disperser aujourd’hui, s’engage vers une strate sans doute davantage public (Entre les murs). Si bien que personne aujourd’hui dans le cinéma français, si ce n’est le burlesque grolandais (Louise Michel) ou le radicalisme jusqu’à l’abstraction de Nicolas Klotz (La question humaine) n’ose se frotter à ce questionnement pourtant actuel de l’homme au sein de l’entreprise.

     Moutout n’est pas un metteur en scène qui se distingue forcément par sa singularité formelle et ses parti pris bien qu’existants, ne révolutionnent pas le genre, mais c’est dans la précision que son cinéma trouve sa voie, ses films sont nets, sans fausses notes. De bon matin semble d’ailleurs être le produit paroxystique de ce cinéma de l’épure, qui évolue sur un ton unique, ne cherche jamais à surprendre, tente de reproduire un malaise grandissant. C’est son film le plus épuré, le plus sombre et le plus direct. Ce bon matin là est le dernier de la vie d’un homme à saturation et ce par quoi le film commence. Moutout n’est jamais intéressé par un quelconque suspense, c’est le dérapage dans son fondement qui le passionne. « Comment j’en suis arrivé là, comment ça a dérapé, à quel moment exactement ? » se dit cet homme assis à son bureau alors qu’il vient de tirer avec une arme à feu sur son patron et l’employé qui lui a sans doute pris sa place.

     Cette méditation, ce souvenir, dans lequel il plonge alors devient le flash-back de la durée du film, instants du passé qu’il partage entre son travail et sa vie personnelle. On s’en était rendu compte avec Violences des échanges en milieu tempéré, Moutout est intéressé par le vocabulaire inhérent à l’entreprise, comme un nouveau langage. L’entreprise comme monde à part entière, qui module, cajole et détruit, suce l’individu jusqu’à la moelle, Moutout tient bien entendu à naturaliser les échanges qui y règnent, à faire de cette structure un réel, et un réel violent. Et le paradoxe entre les présentations orales de cet homme (réunion, discussion, entretien) relativement à l’aise dans la logorrhée et la réflexion de ce même homme sur l’absurdité de son existence, ce dégoût rétrospectif de lui-même rend le film saisissant. Car le gros du film se situe finalement dans un silence pesant, qui correspond à une prise de conscience progressive du personnage qui ère et observe ce qu’il est devenu en se rapprochant un peu chaque jour de cette issue inéluctable.

     Le procédé, bien qu’assez mécanique, fonctionne à merveille. Mais Moutout, un moment donné, obtient quelque chose de fort et d’inattendu, complètement détaché du reste du film même si ça nous apparaît comme l’ultime bouée de sauvetage pour le personnage. C’est un coup de téléphone à un ami pas vu depuis vingt-six ans. On y parle d’un tour du monde en bateau mais surtout d’un quiproquo du passé. Un coup de fil en forme de dernier salut complètement désabusé. C’est une scène bouleversante.

     Le film se termine frontalement sur un défilement de visages d’employés croisés dans l’entreprise, assis sur les chaises de réunion, sans doute quelques jours après la mort de leur collègue. Visages abasourdis, intérieurement terrifiés, avec ce mensonge éternel qu’une carapace peut recouvrir (pour combien de temps ?), qui offrait par ailleurs cette même terrible fin à « L’emploi du temps«  ; ce masque que l’on enfile pour ne pas sombrer. Le masque de la survie.

Violence des échanges en milieu tempéré – Jean-Marc Moutout – 2004

Violence des échanges en milieu tempéré - Jean-Marc Moutout - 2004 dans Jean-Marc Moutout cinema_violence_des_echanges_p9Le couperet.   

   7.5   Ce qui rapproche le cinéma de Moutout avec celui de Cantet (Ressources humaines) c’est le rapport entretenu avec le monde de l’entreprise, les hiérarchies, l’utilisation du pouvoir quel qu’il soit et la prise de conscience que l’on bascule ou non du mauvais côté. Ce qui le différencie c’est son âpreté, son enrobage. Beaucoup plus intense chez Cantet et pourtant plus utopique. Dans les deux films c’est un petit nouveau – un junior comme on les appelle dans Violence des échanges en milieu tempéré – qui devient le sous-fifre du patronat, apparaissant dans un premier temps comme arriviste, inconséquent avant de comprendre les procédés mis en cause et puis de douter. Il y a le schéma utilisé chez Cantet, plus brut, avec ces joutes verbales entre patrons et syndicats, et celui chez Moutout, plus intime, où l’on apparaît désespéré et éternellement seul. Ressources humaines m’apparaît plus audacieux et son optimisme – le garçon piégé se rebelle – me fascine. C’est une claque de ce genre que l’on ne se remet pas aussitôt, de celles qui donnent envie de lever le poing, de sortir les banderoles. Violence des échanges en milieu tempéré passe aussi par l’étape de la prise de conscience, mais beaucoup plus violemment car sans échappatoire. En un sens il est plus réaliste, plus sombre. Le jeune homme se rend compte qu’il devient le coupeur de tête – il travaille dans un groupe de consulting chargé en l’occurrence du rachat d’une boite de métallurgie qui peine à tirer son épingle du jeu, laquelle il faut donc restructurer c’est à dire faire des évaluations de personnels en vue d’en licencier un certain pourcentage – et ne cassera jamais cette procédure, même s’il trouve ce qu’il fait immonde (une scène où on le voit plein de honte et de fierté mélangées fait froid dans le dos) parce qu’il s’est engagé dans une vie confortable qui a ses yeux ne vaut pas ce que lui demande sa petite amie, à savoir de laisser tomber. Si ce n’est pas moi c’est un autre qui le fera, semble t-il dire. Franchement j’en suis sorti démuni. Je trouve ce film terrifiant.

Tout doit disparaître – Jean-Marc Moutout – 1996

tout_doit_disparaitreL’appartement.    

   8.0   C’est un court-métrage qui dure 14 minutes. Jamais je n’avais reçu pareil intensité, pareille violence en une si petite durée. Une demi-journée sous la neige, un Paris transformé, engouffré. Moutout saisit quelque chose par l’image d’assez terrifiant dans un premier temps. On dirait presque un film roumain, de ceux que l’on fait aujourd’hui (Policier, adjectif). Un garçon débarque dans une boite d’intérim pour faire du déménagement. On le fait attendre, il n’est pas le seul. Un moment donné on demande à une bonne partie d’entre eux de prendre le camion et de filer à tel endroit. Ils ne savent rien de cette mission, sinon que c’est le déménagement d’un trois pièces. Sur place, une voiture de police. Des gendarmes et un huissier. Avis d’expulsion d’une famille maghrébine et l’on demande aussitôt aux hommes de déblayer l’appartement jusqu’au dernier objet. Pendant le chargement dans le camion, la famille s’en va, quelques sacs en main et s’éloigne dans la neige. Les intérimaires ont chacun gagné cent cinquante francs et on leur demande de rentrer chez eux – parce qu’après 13h il faudrait leur payer une demi-journée supplémentaire. Une discussion dans le train, entre eux. Médusés. Ils ne savaient pas qu’on les enverrait pour une expulsion. Trop tard, ils auront participé à l’atrocité. Ils auront contribué à mettre une famille à la rue. Ils ont été les acteurs d’une société qui faisait d’eux les victimes. Moutout s’intéresse beaucoup à cet état de glissement entre le côté et l’autre. A cet état que l’on ne voit pas venir, invisible. C’est effroyable et c’est porté par un sens du rythme et du montage tellement intense que j’en suis resté scotché.


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