Archives pour la catégorie Jean-Paul Civeyrac

Mes provinciales – Jean-Paul Civeyrac – 2018

18. Mes provinciales - Jean-Paul Civeyrac - 2018L’ombre de Paris.

   7.5   On craint d’abord que le film soit aussi pédant que ses deux personnages centraux, notamment dans sa façon de se moquer de l’étudiant qui vante le cinéma bis et de ceux qui lui font une cour gentiment superficielle. Mais le film va très vite au-delà de ces doux portraits d’artistes en germe. Ce qui est très beau c’est la complexité de chaque personnage, secondaire ou non, ce qu’il est par rapport à son entourage, son histoire, ses désirs, j’ai la sensation que Civeyrac leur offre beaucoup à projeter, hors champ ou non. Il me semble qu’aucun de ceux qu’on voit vraiment dans Mes provinciales (les trois étudiants, les deux colocataires, la petite amie d’enfance, le professeur) ne sont définis sur un seul trait de caractère, ils se révèlent toutes et tous chargés d’un passif et d’ambitions qui se déploient à mesure que le film s’offre et se disperse. La scène où l’on voit le fils du professeur, par exemple, en dit beaucoup sur ce dernier, sa mélancolie, sa résignation.

     Et parfois ça se joue aussi à travers Etienne, le personnage central. Il y a cette scène quand il accepte de filer un coup de main à Jean-Noël, son ami, sur le tournage de son court métrage, dans laquelle il lui dit qu’il fait partie de ces types de l’ombre qui font l’histoire mais dont on ne retient pas le nom. Le regard de Jean-Noël à cet instant, quand il remballe son admiration, est terrible : il a vu l’autre face, sombre, de ce garçon qu’il aimait tant. Plus rien ne sera jamais plus pareil. C’est très beau de faire advenir ceci contre le personnage central, notre boussole, sans pour autant faire qu’on va s’en éloigner, mais en lui accolant une cruauté qui jusqu’ici nous était masquée. Il arrive sensiblement la même chose à Etienne lorsque plus tard il est déçu par Mathias. Il y a beaucoup d’impalpable dans le film de Civeyrac, mais on y trouve beaucoup de choses sur l’anéantissement de l’admiration qu’on porte à nos modèles, cette dose d’incompréhension, cette dose de déception permanente. Il me semble que Mes provinciales joue en permanence avec ce genre de subtilités d’écriture. C’est très beau.

     Le film raconte très bien le décalage entre l’attente qu’on place en quelqu’un ou en ses rêves (en l’occurrence de faire du cinéma, de vivre à Paris) et la dure, parfois tragique réalité qui en découle. On a là un vrai film mélancolique, qui se ferme d’ailleurs sur une fenêtre ouverte, dont on ne saurait être certain qu’elle soit un hommage à Khoutsiev ou bien si comme dans Elle a passé tant d’heures sous les sunlights, si elle s’ouvre sur l’avenir ou sur un suicide. De Garrel il en beaucoup question ici, au moins autant que Truffaut ou Desplechin, c’est certain, puisqu’on croirait voir un croisement entre Les amants réguliers, La nuit américaine et Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle). Je me plaignais que les derniers Garrel manquent d’amplitude, ramassés qu’ils sont, Civeyrac ose lui embrasser la durée, le romanesque. Tout n’est certes pas parfait, mais ça fait plaisir de voir une telle foi sur un écran.

     Il me manque cependant un gros truc pour en sortir dévasté, sans doute le truc qui lui ferait être différent des meilleurs Garrel. Mais son identité, le film la débusque dans son personnage, son acteur, révélation absolue pour moi : Andranic Manet / Etienne se situe quelque part entre Charles (de Le diable probablement, de Bresson, film cité ici parmi tant d’autres) et Jérémy, de Montparnasse, dans le troisième segment du film de Mikhaël Hers. Il a cet aspect colosse fragile et intellectuel influençable, cruel et docile, maladroit mais queutard, qui offre un personnage hyper original, aussi distant qu’il peut parfois être magnétique, beau à se damner autant qu’il peut être volontiers pathétique.

     L’erreur aurait finalement été de placer le récit dans le passé, tant ce personnage semble rattacher à aujourd’hui et les problématiques qui l’entourent plutôt représentatives de celles d’aujourd’hui. C’est toute la beauté du film à mon sens car il respire l’autoportrait (mais Civeyrac a la cinquantaine) autant qu’il évoque notre présent. Le film est par ailleurs très sobre, il n’offre aucune date (hormis la voix d’un journaliste TV un moment donnée qui évoque la candidature de Macron : Marqueur temporel passe-partout dont on aurait largement pu se passer) sinon qu’on voit souvent les étudiants sur leurs smartphones, sur Skype ou tout simplement à mater des vieux classiques voire leurs propres films sur des écrans d’ordinateur.  

     Alors j’ai certes vu trop de Garrel et de Desplechin dans Mes provinciales, mais j’ai aussi eu la sensation que c’était le plus beau Garrel ou le plus beau Desplechin depuis un moment. Avec ce Paris nu, bruyant mais nu, saisi dans un gris de charbon somptueux. C’est un beau film mélancolique sur les rêves illusoires et les admirations déchues. Et puis un film français qui donne envie de découvrir La porte d’Ilitch, de Khoutsiev (cité une fois, ouvertement, puis une seconde fois de façon plus subtile, bouleversante dans la dernière séquence) c’est pas tous les jours qu’on en croise. Pas vu beaucoup de films de Civeyrac (Des filles en noir, Mon amie Victoria et celui-ci) mais c’est la première fois que je suis séduit. Et très séduit, même.

Mon amie Victoria – Jean-Paul Civeyrac – 2014

141222_..multimediaarticles141219MonamieVictoria     4.5   Ce n’est que le deuxième film que je voie de Civeyrac, après Des filles en noir, sorti quatre ans plus tôt. J’ai un problème avec le cinéma de Civeyrac : à la fois je trouve ça très beau la manière qu’il a de faire quelque chose d’aérien sans pour autant tomber dans une tendance arty. C’est à la fois sobre et harmonieux. Après ce n’est pas non plus Claire Denis. C’est la face B de son cinéma qui malheureusement m’apparaît la plus limitée et ostensible, ce manque de personnalité, de glissement imprévu, de séquences si puissantes qu’elles peuvent en avaler le film ou l’élever en un claquement de doigts. Idem pour son côté mélo, terne à l’image de cette envahissante voix off, peu enclin à l’émotion comme si le cinéaste s’y refusait. Bref, ce n’est pas Mirage de la vie. J’en tire somme toute les mêmes conclusions que pour l’autre, globalement car ce dernier me semble un peu moins empesé, plus empathique. Très Fémis style quoiqu’il en soit. C’est assez beau parfois. C’est assez chiant souvent. Plus chiant que beau au départ d’ailleurs mais heureusement plus beau que chiant à la fin. Après, de là à ce que ça me marque… Il faudrait qu’un jour, je tente le Civeyrac des débuts pour voir.

Des filles en noir – Jean-Paul Civeyrac – 2010

des-filles-en-noir-2010-20353-990412197   4.0   Ce film ne fonctionne pas car il ne nourrit aucune empathie pour ses personnages, qui rappelons-le ici sont deux adolescentes pas encore majeures, trouvant toutes deux une fascination dans la mort comme réponse à une société atroce. Là on se dit qu’Elephant de Gus Van Sant n’était pas plus sympathique envers ses personnages, c’est vrai, sauf que c’était justement cette neutralité poétique qui était sublime dedans, cette impression de flottement, de ballet musical, ballet du plan-séquence, ballet de l’espace, du vide, du silence, d’une mort qui s’approche. Des filles en noir est carrément antipathique au sens où tous sont détestables, de ces adolescentes capricieuses au professeur intransigeant, de cette mère (et cette famille) qui ne cherche pas à comprendre aux infirmières d’un hôpital. Tout le monde est pourri. Et c’est sans surprise. En gros on attend que la mort se pointe. C’est un film qui parle de la mort, mais c’est un film mort, qui ne vit justement pas, tout le contraire du dernier film de Weerasethakul. Là où le film tente donc d’être hyper complaisant envers ces deux adolescentes, il échoue lamentablement (puisqu’elles sont énervantes au possible) et ne suscite absolument plus aucun intérêt, étant donné qu’il est accompagné d’une mise en scène sans relief, sans évolution, qui enchaîne les gros plans sur les grimaces et ne prend guère le temps de s’intéresser à l’espace. En même temps il ne semble plus y avoir d’espace autour des deux filles qui sont en plein étouffement permanent. Reste alors que l’interprétation. C’est maigre.


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