Archives pour la catégorie Jean Renoir



French Cancan – Jean Renoir – 1955

20. French Cancan - Jean Renoir - 1955L’artiste, le prince ou l’amant.

   6.5   Fort de ses premières expériences couleurs sur Le fleuve (film américain tourné en Inde) et Le carrosse d’or (son retour en Europe, par l’Italie) Renoir semble tourner French Cancan (Son retour en France depuis son exil américain en 1940) pour toutes les vertus que lui offre le Technicolor. C’est en effet un véritable ballet de couleurs vives qui rythme chaque séquence, dansée ou non, avec comme objectif de faire de son Montmartre de studio un petit théâtre plein de vie, fait de liesses et de bagarres, de petits drames et de grands moments de joie. Une ode à la petite vie parisienne, en somme. Pas évident d’entrer dans son tempo mais c’est typiquement le genre de film qui monte en puissance au fil des minutes, d’une part car on accepte ce qui au départ peut nous gêner, d’autre part car son dernier acte (et sa façon de glisser vers ce dernier acte) soit celui de la représentation dont on parle très rapidement dans le film, est un hallucinant portrait de la scène, des coulisses et de la salle des convives dans une spirale mise en scénique d’une beauté folle. Auparavant, le film est rythmé par l’histoire de Nini, atteint du syndrome du Fear of missing out, dont le cœur est ballotté entre trois hommes, et notamment cette idée géniale du prince charmant trop charmant pour qu’on le garde. Bref, si le film tombe par instants dans une hystérie franchement embarrassante, le tourbillon final dansant efface les réticences quant à ce qu’on vient de voir d’un film un peu trop vieille France dans le texte et la réalisation. Et puis Gabin ne vampirise pas trop le projet et s’avère être l’alter ego de Renoir tout au long du métrage (Il veut créer avant tout) qui plus est lors de cette ultime séquence où il choisit de vivre son show des coulisses, à l’oreille, en espérant qu’il ne s’arrêtera jamais. C’est très beau. Comme souvent dès qu’on suit davantage les coulisses que la représentation (Citons pas du tout au hasard : Opening night, le chef d’oeuvre de Cassavetes) ça me touche infiniment.

Le Caporal Épinglé – Jean Renoir – 1962

24. Le Caporal Épinglé - Jean Renoir - 1962D’illusions en désillusions.

   7.5   Bien que le souvenir du visionnage de La Grande Illusion se soit évaporé dans les tréfonds de ma mémoire, se confronter à l’un des derniers films de Renoir relatant les désirs d’évasion de soldats français prisonniers des allemands à la fin de la drôle de guerre, ravive sinon le souvenir précis du film, certaines images et une respiration singulière. Ils ont ça en commun, je trouve. Une affaire de mise en scène puisque l’Histoire a laissé des traces (ne pas oublier que La Grande Illusion c’est 1937) et l’époque a changé, le jeu des acteurs avec. Gabin, Fresnay ou Von Stroheim c’est vraiment pas la même génération que Jean-Pierre Cassel, Claude Rich et Claude Brasseur. Toujours est-il que sans pour autant égaler son illustre modèle, Le caporal épinglé retrouve cette verve chère à Renoir qu’on avait vu naître dans La vie est à nous (1936) et qu’il poursuivit dans son chef d’œuvre suscité. Il faut résister, avant tout. Le groupe prend de la place, le groupe dans le groupe prend toute la place, tant il s’agit de solidarité aveugle, de petits sacrifices pour grandes réussites, d’amitiés désordonnées mais fortes. « Où j’irais sans toi ? » (sic) lâche un moment donné Papa à Caporal, qui venait de lui dire que s’il n’avait pas confiance en ses plans d’évasion il pouvait tracer sa route. Il me semble que le film, dans son ton comme dans sa construction, ses interactions et sa dramaturgie, est plus anecdotique, plus humble que La Grande Illusion. Et paradoxalement, il trouve son tempo et une plus grande absurdité puisque si les personnages se séparent constamment, ils se retrouvent presque aussitôt. Le caporal épinglé trouve aussi une émotion tenace via ses personnages bouleversants pétris d’humanité qui ne renoncent (presque) pas aux belles surprises (dont cette rencontre avec une fille de dentiste) que la vie peut encore leur offrir. Il n’empêche qu’on n’est pas prêt d’oublier l’évasion suicidaire de Ballochet précédée de ces mots : « J’ai un plan, le meilleur de tous. Celui qui consiste à ne pas en avoir ». L’instant qui suit où le groupe compte les secondes de son évasion afin de s’assurer qu’il a franchit les sentinelles est aussi angoissant que déchirant.

Le fleuve (The river) – Jean Renoir – 1951

Le fleuve (The river) - Jean Renoir - 1951 dans Jean Renoir film-le-fleuve12 L’échappée belle.

   7.0   Je voulais revoir ce Renoir pour parachever ma petite rétrospective. J’aime bien le revoir celui-là, je m’y sens bien, je le trouve somptueux, grand et unique en son genre. C’est un très beau récit d’apprentissage amoureux et artistique. Après ça m’émeut aussi très peu. A chaque fois j’espère qu’il ira débloquer un petit plus émotionnel mais non. C’est bizarre. Du coup je me demande si la raison pour laquelle j’aime le revoir souvent n’est pas liée au fait que je l’oublie aussi très vite, car le film est aussi très dense, indomptable.

La règle du jeu – Jean Renoir – 1939

1. La Rêgle du jeu – Jean Renoir - 1939Mensonges et trahisons et plus si affinités.

   10.0   Renoir l’annonce d’emblée : La règle du jeu est une comédie fantaisiste, en marge de l’actualité. On est à l’aube de la seconde guerre mais le récit semble à la fois se situer en dehors du monde autant qu’il symbolise métaphoriquement et prophétiquement les évènements à venir.

     La construction formelle est étonnante. C’est une première partie faite de nombreuses ellipses, qui installe la dramaturgie jusqu’à la désagrégation des couples. Puis vient la seconde et sa spirale tragique, optant cette fois pour une temporalité plus resserrée (aucune coupe pour ainsi dire) le temps d’une soirée costumée, au château de la Colinière, dans un rythme endiablé, au synchronisme hallucinant.

     Il y a trois personnages sur un siège éjectable (Jurieu, Marceau, Octave) qui sont dirigés malgré eux par les lois imposées par le maître de cérémonie, un marquis accompagné de ses fidèles apôtres (tous sans relief, s’annulant les uns les autres). Trois personnages de passage dans un monde codé, qui disparaissent comme ils sont apparus, meurent ou réintègrent leur monde, tandis que les autres ne sont que des ombres, fantômes célébrant leurs propres funérailles – Le dernier plan est prodigieux.

     La règle du jeu mélange tous les genres. Le faux reportage se substitue au documentaire de chasse puis au film de fantômes, avant de se transformer en satire bourgeoise, comédie à la Charlot et vaudeville sentimental. C’est en effet une somme d’histoires d’amour perturbées, chevauchées les unes dans les autres à tel point qu’il est presque délicat d’en saisir chaque interaction. les aristos ayant leur reflet populaire, selon un schéma sensiblement identique : Amants et prétendants. Les hypocrites qui masquent tout d’un côté et les instinctifs qui se font violence de l’autre.

     Tout est complexité : Les deux femmes pourraient être partagées entre deux hommes mais on monte ici plutôt à trois voire quatre. Octave étant le personnage relais entre les deux histoires. Deux mondes qui se collisionnent dans le meurtre, où le pauvre tue en faveur du riche, qui triomphe donc sans se salir les mains et peut préserver les apparences et la distance de classe.

     A la fin, André Jurieu, seul vrai romantique issu d’un autre temps qui risquait sa vie pour Christine en traversant l’Atlantique, est tiré comme un lapin en écho à cette atroce partie de chasse centrale mais personne n’est véritablement scandalisé. Il a roulé comme une pomme, fera remarquer Marceau en s’adressant au marquis de La Chesnaye. Il est abattu sur un faux hasard (Le marquis conclut pour tous à un banal et cruel accident) et sa mémoire oubliée à jamais dans le mensonge.

     Panoramiques sidérants, entrées et sorties de champ vertigineuses, profondeur de champ virtuose, plans serrés systématiquement fondus dans des plans larges. Chaque idée formelle tient d’un minutie de génie mais toujours acceptée dans une continuité. L’utilisation du son, à ce titre, tient une place essentielle. Autant dans les intérieurs que les extérieurs, en champ ou hors champ, de le sentir fuser ainsi d’une pièce à une autre accentue le tourbillon infernal.

     Toute la mise en scène autour de Renoir jouant Octave est passionnante et révèle un dispositif aussi ludique que rhétorique : Lorsque celui-ci, pris dans la tourmente du jeu, ne contrôle plus rien (fameuse séquence du spectacle amateur) le film s’embrase, le piano joue seul, le marquis règne entièrement sur ses automates, ne reste plus qu’au tragique de faire son travail et Renoir de dire, pour finir, toujours par l’intermédiaire de son personnage, qu’il va quitter la société pourrie, retrouver de la normalité. Il annonce La règle du jeu comme étant sa création la plus folle, en somme.

Partie de campagne – Jean Renoir – 1936

2. Partie de Campagne – Jean Renoir - 1936La fille de l’eau.

   9.0   Renoir adapte Une partie de campagne, la nouvelle de Maupassant, dans ce qui constituera l’une de ses plus belles oeuvres, aussi inachevée soit-elle. Renoir jouera le patron de l’auberge dans laquelle attendent les deux canotiers, Rodolphe et Henri. Il est accompagné en cuisine de Marguerite Renoir, sa femme d’alors. Si la mention tient apparemment de l’anecdote, elle révèle beaucoup sur la dimension de liberté et d’audace qui plane en permanence sur le film. On tourne sur la rive du Loing, non loin de Marlotte au sud de la forêt de Fontainebleau où Jean Renoir vit depuis plus de dix ans. Une séquence de balançoire convoque, sans pour autant en répéter les motifs formels, un célèbre tableau de Renoir père. Si le naturalisme d’Auguste semble en effet proche de Partie de campagne, il y a suffisamment d’éléments cinématographiques pour que ça ne ressemble en rien à de l’art pictural. On est en terrain familier pourtant Renoir s’apprête à briser tout ce qu’il peut briser.

     La famille Dufour, petits bourgeois parisiens, viennent prendre l’air à la campagne. Si les hommes (père et gendre) n’ont d’intérêt que pour la pêche, les femmes (mère et fille) communient avec la nature, avant de se laisser séduire par deux dandys. Et le film adopte d’abord une sorte de montage parallèle, comme s’il tenait à nous familiariser avec nos quatre éléments centraux avant de les faire entrer en collision. Rodolphe et Henri se les partagent avant de les séduire, enfin disons que Rodolphe, nettement plus entreprenant qu’Henri, distribue les cartes. Mais plus tard, au moment de les embarquer sur leur yole respective, les attributions sont inversées comme si quelque chose de plus fort et désordonné qu’une banale excursion bucolique couvait.

     Ce sera finalement une journée d’été où Henriette rencontrera fugacement son premier et dernier amour, avant de se marier, comme promis, avec le pas fute-fute Anatole. D’un voyage pastoral enchanteur sous forme de poème élégiaque – questionner le sens de la vie, glisser sur la rivière, se courber sous les branches d’un arbre – le film s’ouvre sur le tragique où le temps a tout emporté, où le soleil s’est fondu en pluie. On raconte que le tournage fut interrompu pour cause d’intempéries. Et jamais repris – Mésentente de l’équipe, problème budgétaire puis arrivée de la guerre. C’est l’histoire d’un tournage qui raconte le récit. Ou l’inverse. Mais Renoir demeure assez loin d’une quelconque dimension théorique (autant qu’il n’entre pour ainsi dire pas dans la satire) ainsi Partie de campagne devient mélodrame somptueux, tout entier contenu dans un regard caméra bouleversant et une dérive du regard happé dans les méandres d’une météorologie hostile. Images vides et pleines à la fois, que l’on doit à Claude Renoir, chef op et neveu de Jean, qui frustré de n’avoir pu filmer les scènes manquantes faute de lumière, est allé capter cette curieuse et poignante circonstance automnale.

La nuit du carrefour – Jean Renoir – 1932

sans-titreExtérieur, nuit.

   4.5   Renoir adapte Simenon, il s’agit d’ailleurs de la première apparition de Maigret au cinéma, avant Préjean, Simon, Gabin, entre autre. Le rôle est pour Pierre Renoir, le frère de Jean. La famille, quoi. Mais bon, qu’a bien pu attirer le cinéaste là-dedans ? Ça semble tellement loin de son style, de son éthique de cinéma. Qu’importe, toute la mise en place et notamment la mise en scène de ce fameux carrefour est excellente. Renoir y installe une super ambiance de crissements de pneus, de klaxon, de coups de freins, il en fait un lieu très mystérieux, dangereux et largement cinégénique. Il se perd ensuite dans un récit confus jusqu’à sa résolution. On raconte que des bobines du film ont disparus, on raconte aussi que Renoir était bourré sur le tournage du matin au soir. Il en résulte un truc assez informe, dont on se lasse assez vite, regardable mais jamais véritablement passionnant. Passé relativement inaperçu lors de sa sortie, entre La chienne et Boudu sauvé des eaux, le film ne doit sa réévaluation, quelques décennies plus tard, à des aficionados aguerris, notamment lorsque Godard en parle comme du plus grand film policier français. Mouai.

Chotard & Cie – Jean Renoir – 1933

chotard-cie-largePetit théâtre.

   5.0   Un Renoir mineur qui pointe son nez juste après Boudu sauvé des eaux et pourrait être vu comme l’incantation un peu pâle d’un artiste se moquant de la médiocrité bourgeoise – avec toute la grâce/magie Renoirienne, cela va de soi – en l’occurrence un épicier excessivement porté sur le labeur et la réussite financière. C’est un film un peu tiède pur ne pas être anecdotique même si la ferveur avec laquelle il emballe tout cela, permet de contrer l’ennui. Certains rôles sont extrêmes et surjoués. Et ce petit jeu de joutes verbales entre le boutiquier (et son cabotinage marseillais insupportable) angoissé et le poète lunaire (qui est donc finalement son gendre) finit par lasser. Reste quelques idées de réalisation éminemment Renoiriennes à l’image de cette ouverture/fermeture en miroir, en un plan-séquence majestueux ainsi que le point de bascule à mi film (le prix Goncourt) qui intervient autant comme rupture dans l’intrigue que dans la mise en scène. C’est un petit théâtre calibré, boulevardier, pittoresque, qui peine souvent à s’extirper de son modèle : Une pièce, de Roger Ferdinand. Il y a néanmoins certaines séquences annonciatrices du cinéma de Renoir à venir, à l’image de celle du bal travesti.

La vie est à nous – Jean Renoir – 1936

La vie est à nous - Jean Renoir - 1936 dans Jean Renoir 0-300x225 Révolution.

   7.5   A la base il s’agit d’une commande du parti communiste, on est donc dans le bon gros film de propagande – pas moins propagandiste qu’un Eisenstein cela dit – destiné aux élections de 1936. Mais Renoir est infiniment intelligent et parvient à en faire un vrai film de cinéma construit en séquences mêlant documentaire et fiction, pas loin du film à sketchs mais avec des idées de glissement proprement remarquables. Il démarre comme un docu syndicaliste avant de dériver vers le film d’entreprise puis vers la romance sans le sou avec une errance urbaine à la De Sica. Je trouve le film très surprenant dans sa construction en fin de compte car je ne sais jamais où il va m’emmener, ce qui est réel, ce qui est fiction, jusqu’aux discours politiques finaux. C’est simple, on pourrait faire ce film encore aujourd’hui tant il est d’une modernité étonnante. Et puis ça reste une matrice évidente d’un cinéma gauchiste qui aura traversé le XXe siècle, de Godard (One + One) à Pialat (L’enfance nue), jusqu’à aujourd’hui avec des cinéastes comme Cantet (Ressources humaines, auquel on pense énormément), et Moutout (Tout doit disparaître). Sans oublier évidemment Becker et Truffaut dans ce que le film trace de plus romancé. La fin avec cette Internationale filmée regards caméra ou en contre plongée est un haut fait du cinéma Renoirien d’avant-guerre. Sans parler du petit échauffement bourgeois de tirs au pistolet qui évoque immanquablement La règle du jeu qui arrivera trois ans plus tard… Le seul reproche que je ferais n’engage pas le film mais cette copie indigne, dégueulasse, à peine présentable, la seule que l’on peut voir aujourd’hui. Mais je m’y suis habitué peu à peu car ça caractérise bien ce film jamais sorti en salle pour cause de censure et éternellement présenté en séance privée et gratuite. Parce que pondre ce brulot en 36, en matraquant le fascisme assassin, fallait vraiment en avoir.

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silencio


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