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Le temps de l’aventure – Jérôme Bonnell – 2013

Le temps de l'aventure - Jérôme Bonnell - 2013 dans Jérome Bonnell 03.-le-temps-de-laventure-jerome-bonnell-2013-300x200Premier jour de l’été. 

   7.5   Ça commence dans un train, ou plutôt non, dans les coulisses d’une pièce de théâtre en train de se jouer. Des ultimes préparatifs jusqu’à son entrée sur scène, un unique plan capte cette intimité, cette concentration, d’une femme habitée par ce personnage de substitution, habitée par le faux, longeant les couloirs avant de se jeter dans l’arène, avant de se jeter dans l’aventure. On est loin du cinéma de Cassavetes mais il y a un peu d’Opening night là-dedans, dans la manière de saisir à la volée cet état incandescent.

     Une aventure qui se joue à défaut d’être vécu. Le train entre alors en scène, après un bref entretien téléphonique qui aura permis de cibler lieux et temporalité. Calais, Paris. Heure de départ, heure d’arrivée. Les grandes lignes sont évoquées sans doute pour les oublier encore plus vite, afin que ce voyage nocturne paraisse curieusement détaché de tout repère spatio-temporel.

     Un jeu de regard avec un inconnu supplante une sieste, puis on se cherche, puis on s’endort à nouveau. La simple idée d’une rencontre de train, par jeu de regards, me fait fondre. Le train est sans doute le plus bel endroit pour faire éclore cette attirance silencieuse, coincée entre le jeu et la gêne. C’est en somme la drague la plus pudique qui soit, tout en étant une totale mise à nu de soi, un abandon au regard de l’autre comme il ne peut s’en produire de pareils ailleurs. Ce jeu se poursuivra dans la capitale au détriment de toute mécanique préalablement établie. Ce sera une rencontre de circonstances. Dans le train, lors de son arrivée en gare du Nord, il lui aura demandé son chemin pour rejoindre la cathédrale Sainte-Clothilde. En anglais. Ce n’est pas grand-chose mais c’est une idée supplémentaire. Une attirance est née. Une attraction telle qu’elle hésiterait presque à le suivre mais préférant tout d’abord obéir à ses obligations plutôt qu’à son instinct, elle s’en va rejoindre le studio d’enregistrement, raison de sa venue à Paris.

     Bonnell prend l’initiative d’observer son personnage durant ces essais, et plutôt deux fois qu’une, il prend le temps de filmer ce rendez-vous, abandonnant provisoirement l’embryon de romance. Elle y incarne une femme coincée sur le palier de sa porte, à moitié nue, demandant à son voisin de passer un coup de fil de chez lui. C’est un peu ce qu’elle vivra durant cette journée, une impression de nudité face aux événements incongrus, tentant en vain de joindre son homme, de cabines téléphoniques puisque son portable est déchargé et se heurtant à un problème bancaire l’empêchant de retirer un peu d’argent.

     L’aventure existera aussi grâce à ces appels croisés manqués, prolongeant inévitablement la fascination pour l’homme triste du train. Et elle va profiter de ces indices qui lui ont été distribués gratuitement pour le retrouver, se laisser aller à cette curiosité nouvelle. Le cinéaste prend le temps de monter cette collision, un temps réel de déplacement et sème des embûches qui la retarderont, comme cette double discussion avec l’homme aux chaussons aux pommes.

     On pense quelque part au film de Kiarostami, Copie conforme, ôté de sa dimension théorique, empêchant ce dernier d’accéder à tout érotisme. Paris devient ce terrain de jeu (c’était la Toscane dans le film du cinéaste Iranien), quartiers élégants et fantomatiques, pour reprendre les mots d’un personnage. Un Paris étonnant, plongé en pleine fête de la musique, où s’extirpe une cérémonie funèbre mystérieuse puis plus tard une entrevue houleuse avec une petite sœur. Avec en point de fuite ce retour en train pour Calais, vécu comme un compte à rebours de plus en plus douloureux.

     J’aime énormément le parti pris de la temporalité, le fait que tout se joue sur une journée, ça m’évoque la première partie du Secret défense de Rivette, pour le mystère qu’il diffuse, ou Mercredi folle journée de Pascal Thomas pour son effervescence et ses surprises, oscillant aisément entre comédie et drame. On pense même aux contes de Rohmer moins le verbe ou à son plus beau film, La femme de l’aviateur, dans son étirement. Bonnell y glisse une douce angoisse déjà entretenu dans son précédent film, La dame de trèfle, selon un processus beaucoup plus romanesque.

     Il a l’idée ingénieuse de faire en sorte que cette rencontre improbable s’effectue à une sorte de carrefour des vies de ses personnages. Lui parce qu’il vient de perdre un être cher – on ne saura jamais vraiment qui, le film préférant creuser le personnage d’Alix, en faire son portrait plutôt que celui de sa rencontre. Elle parce qu’elle attend un heureux événement. Evidemment, tout cela nous ne le saurons pas d’emblée, mais à mesure que la rencontre s’opèrera. Carrefour autant que journée spéciale où tous deux se rapprochent grâce à leur solitude respective. Lui parce qu’il est en voyage pour des obsèques, elle parce qu’elle n’arrive pas à joindre son compagnon puis parce qu’elle est mécontente de sa prestation aux essais, puis parce qu’elle s’engueule avec sa sœur.

      Le film réussit quelque chose de fort : On croit de plus en plus en ce coup de foudre à l’épure à mesure que la rencontre s’enflamme, sauf qu’à mesure que les cœurs s’ouvrent on sait que l’union s’avère impossible, que l’aventure ne durera qu’une journée, que ce ne sera qu’une parenthèse éphémère, débouchant sur souvenirs et regrets. La fin est sans surprise et c’est ce qui est beau. La fantaisie s’estompe parce qu’elle affronte trop grand pour elle. Le choix de laisser la relation d’Alix hors-champ, à cause de ces coups de téléphone dans le vide est une riche idée puisque cela occasionne deux possibilités : qu’elle soit ou non heureuse avec le père de son futur enfant, afin que chacun s’acclimate à sa manière à cette attirance passagère et non en se calant paresseusement sur ses sensations à elle. C’est une très belle aventure.

Les yeux clairs – Jérôme Bonnell – 2005

Les yeux clairs - Jérôme Bonnell - 2005 dans Jérome Bonnell 0165p1

     6.5   C’est une renaissance. Celle d’une femme que l’on n’a pas appris à écouter, à comprendre. Une souffrance si terrible que lorsqu’elle s’extériorise il ne vaut mieux pas être à côté. Une souffrance qui se traduit par des accès de rage ou simplement un repli sur soi. Le film de Bonnell est scindé en deux parties. La scission est légitime pourtant c’est aussi à mes yeux la limite du film. Le traitement est si différent entre les deux parties que dans la seconde je regrette qu’on en ait eu une première. L’illustration c’est l’absence du père. Afin de renaître, la jeune femme se doit de retrouver le cimetière où il a été enterré, alors qu’il est décédé quand elle avait onze ans et qu’elle n’avait pas assisté à la cérémonie – chose qui la tracasse autant que ça l’attriste – car elle était trop jeune selon son frère. Mais elle sait très bien que c’était à cause de sa maladie, que sa mère avait sans doute cachée à son mari. En fait, cette explication n’a pas grande importance selon moi, c’est le souci de cette première partie de film : nous mettre sur la voie, nous préparer au radicalisme de la seconde. J’aurai préféré ne rien savoir, ne pas être au courant du motif de sa recherche, du déclencheur de sa renaissance. Car cette très belle séquence (la recherche de la tombe) me touche assez peu, je l’attendais. Je n’aime d’ailleurs pas vraiment la scène des chaises non plus, trop évidente, même si j’apprécie que cette rencontre n’aboutisse sur rien, qu’il y en aura une autre plus tard, bien plus puissante. Pour revenir à l’idée de scission, et en ce sens ça devient la grande force du film, la mise en scène de Bonnell change complètement avant et après la séquence en voiture, dont on ne verra rien sinon une route sillonnée très rapidement, de nuit avant que les phares d’une voiture en sens inverse ne vienne plonger l’écran dans le noir puis qu’au jour la jeune femme soit sur le bord d’une route de campagne. Le cinéaste laisse bien entendu planer l’idée d’une mort comme image d’un recommencement. Nous sommes à la moitié du film et nous ne verrons plus rien d’avant. Plus de frère. Peut-être même plus de Fanny, tant dans un premier temps on a ce sentiment qu’elle est guérie. Les yeux clairs était un film d’intérieur, il devient un film de forêt. C’était un film français. Tout se passera dorénavant en Allemagne, mais il deviendra presque un film muet. A la faveur d’une rencontre assez magnifique, Fanny est invitée chez un homme qui après lui avoir changé sa roue de voiture et conduite au cimetière qu’elle recherchait finit par lui offrir un verre chez lui et le plaisir de prendre une douche. Petit détail mais pas des moindres, l’homme ne parle pas un mot de français et cette rencontre devra se faire sans les mots sans doute pour le plus grand plaisir de l’un comme de l’autre. C’est d’ailleurs avec émotion que je retrouve, en la personne de cet homme Lars Rudolph, qui jouait Jànos Valuska dans Les Harmonies Werckmeister. Bonnell saisit des choses incroyables dans cette seconde partie, une scène de baiser magique ou encore de petites merveilles éparses lumineuses – la scène du piano par exemple. Lorsque le volcan entre à nouveau en éruption, avec cette violence que l’on apprit à apprivoiser, on s’inquiète pour le jeune homme. On doute de la ténacité de cette relation uniquement basée sur la confiance et l’interaction des regards, le flottement des corps, le mystère de la pensée. Mais cela se fait naturellement, non sans inquiétude et incompréhension, mais il a la merveilleuse idée de lui laisser se sortir de cet état, sans la regarder avec méfiance, sans la juger. Il est difficile de parler du deuxième film (après le chignon d’Olga) de Jérôme Bonnell, il faut entrer dans sa respiration, se mettre en synergie avec le film et les personnages. C’est en tout cas un beau voyage.

La dame de trèfle – Jérôme Bonnell – 2010

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     7.0   C’est un film sous tension, en permanence. Nous n’avons même pas le temps de connaître le Malik Zidi serein. Dès la première scène il lit un journal qui évoque un cambriolage de métaux qui aurait mal tourné. Dès cet instant il se sent en cavale. Il le sera tout le film durant.

     Il y a une scène remarquable, qui montre tout le talent et l’interprétation en retenue de Malik Zidi. C’est la seule scène au commissariat de police, où il est interrogé, juste après le meurtre. Je n’avais jamais vu ce genre de scène, au combien difficile, aussi bien jouée. Il y a une telle lenteur, une telle sérénité dans sa voix pour contrer sa peur et cette respiration irrégulière, je trouve cela hallucinant. Lors de l’infiltration dans We own the night Joaquin Phoenix joue de la même manière, mais ça tourne mal. Zidi s’en sort bien lui mais on imagine qu’une moindre perturbation aurait réussi à le trahir. Il a cette faculté à savoir trembler au cinéma. Pas forcément facile à faire. Lui le fait avec beaucoup de justesse. Il est bien épaulé, il y a aussi Florence Loiret Caille. Un personnage dans le film parlera d’elle comme une princesse. Elle a cet esprit gueulard, complètement à côté de ses pompes, très dépendante, immature qui lui donne une certaine grâce, qui donne envie de la prendre dans ses bras. On peut penser qu’elle est dans l’exagération de temps à autres mais elle joue son personnage en réalité, de candide rentre-dedans. Elle fait un festival à la fin. Elle est immense. C’est elle qui donne toute la folie au film, on dirait un personnage tout droit sorti de la nouvelle vague. Le paradoxe est grand puisque cette liberté qu’elle dégage – en draguant tous les mecs, improvisant quelques pas de danses, en se bourrant la gueule à en vomir, à crier sans raison – est largement étouffée par ce cloisonnement dans lequel le frère et la sœur se sont embringués.

     Et puis il y a un personnage important à l’histoire, sorte de vecteur, c’est Jean Pierre Daroussin. Il campe Simon un personnage qui travaille pour Aurélien. Le coup ayant foiré il veut son fric et se tirer. Mais Aurélien n’a pas de fric et il doit pour cela vendre une partie de sa ferraille. Lors d’un déplacement où son complice l’accompagnera, les choses, une fois encore, tourneront mal et le jeune garçon tuera accidentellement son vis-à-vis. Il n’y a pas de relâche dans La dame de trèfle. Aussitôt qu’on se soit, comme le personnage principal, habitué un temps soit peu à une situation, qu’une nouvelle péripétie se pointe. C’est sans issue. Et Bonnell joue avec ce climat tendu. C’est une altercation meurtrière le long d’une départementale. Un contrôle de police oppressant. Un interrogatoire. Un instant de trahison, d’immense lâcheté pour sauver sa peau. Non-stop, et ce jusqu’à l’issue.

     Il y a une ambiguïté assez géniale, parce que finalement c’est surtout un film sur un frère et une sœur. Ils vivent ensemble, depuis toujours apparemment. Ils se sont toujours occupé l’un de l’autre. Un peu comme un couple. Là se situe toute l’ambiguïté de leur relation. J’ai d’abord cru à une relation amoureuse entre les deux, avant que l’on découvre la jeune femme dans les bras d’un autre. Avant on les avait vu prendre un bain ensemble, dormir ensemble. Pire encore, un peu plus loin dans le film, on apprend qu’elle est enceinte, nous ne saurons jamais de qui, elle se fera avorter. Mais il y a des regards étranges entre le frère et la sœur, comme un sentiment de culpabilité mutuel. Bonnell ne nous dévoilera rien sur cet enfant, ni même sur leur relation. Ils s’aiment c’est une évidence. Savoir comment on s’en fiche un peu, on sait juste qu’ils sont proches, sûrement trop proches, qu’ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Qu’ils sont près à tout l’un pour l’autre. Ce sont encore des enfants. Deux orphelins collés l’un à l’autre.

     En parallèle il y a une relation amoureuse qui est amenée à naître. Elle ne verra jamais vraiment le jour. Aurélien a rencontré cette jeune femme un jour où il lui livrait des fleurs – c’est à l’origine son emploi officiel – pour le compte de son homme. Ils se reverront plusieurs fois. A un autre moment de sa vie tout ça aurait été différent, probablement, mais le garçon n’a la tête qu’à cette histoire de cambriolage raté d’une part, et ce meurtre d’autre part. C’est l’histoire d’un homme prisonnier de tout. De sa sœur, de sa maison, de cette ville même, qui semble réduite à des champs à perte de vue, ses routes départementales désertes, ses bars de débauche.

     Pour s’en sortir, Aurélien devra probablement tout quitter. On ne voit pas comment il peut en être autrement. Même Argine, sa frangine, fameuse dame de trèfle, dans un jeu de cartes désormais dépourvu de repères.


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silencio


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