Archives pour la catégorie Jerzy Skolimowski

EO – Jerzy Skolimowski – 2022

37. EO - Jerzy Skolimowski - 2022Mon âne, mon âne.

   4.5   Le dernier film de Jersy Skolimowski a sans cesse le cul entre deux chaises. Il voudrait filmer un âne mais finalement pas tant que ça, car il essaie aussi de filmer les humains, mais ces humains sont au mieux pas grand-chose, au pire dégueulasses. Il voudrait filmer la nature et son âne dans la nature, mais tout semble factice, accompagné de plans drone, d’un filtre rouge ou d’une nuit forestière trop fabriquée. Il voudrait être expérimental mais il échoue dans chaque dispositif, soit parce qu’il n’y plonge pas vraiment – ce ne sont que des transitions folles, interludes étranges, toujours différents, très brefs – soit parce qu’à force de jouer à tout rendre absurde (Un meurtre absurde, un match de foot absurde, un courant d’eau absurde, une mort absurde…) le film me paraît beaucoup plus schizophrène qu’autre chose, d’autant qu’il arbore sa petite morale sur la condition animale. Bien plus « représentant cannois » disons. Ce d’autant plus que Skolimowski n’a pas caché son amour pour le Balthazar, de Bresson. Finalement, les deux films n’ont heureusement pas grand-chose à voir, sinon la présence de la danseuse de cirque, Cassandra, seul rayon de soleil du film, qui évoque Anne Wiazemsky chez Bresson. Plastiquement, le film est parcouru de trucs superbes. La musique est folle et par ailleurs la scène d’ouverture est impressionnante. Le reste, pour moi, navigue entre idées prometteuses mais avortées, et idées bêtes et ratées. Et je trouve le film beaucoup trop misanthrope in fine, moins parce que la plupart des humains sont affreux, que parce que Skolimowski ne s’intéresse à personne là-dedans. Il y a des nuances (le routier, le jeune curé italien…) mais ils sont filmés comme des cons. Un moment donné il y a Isabelle Huppert. Vers la fin. Et le film est tellement absurde jusqu’ici, que son apparition n’est presque pas assez incongrue, vu qu’on la voit tout le temps partout. C’était juste un truc nul de plus, pour moi. Reste un drôle de voyage oui, entre la Pologne et l’Italie, sans qu’on sache vraiment où l’on soit, d’ailleurs. C’est évidemment d’une noirceur terrible. Et ça me rappelle que j’ai toujours du mal à voir un animal à l’écran à qui on demande de « jouer » quelque chose.

Deep end – Jerzy Skolimowski – 1971

deepend14Boy meets girl.

    8.5   C’est un très beau film. Un objet précieux. Je le découvrais hier au soir et j’ai déjà envie d’y retourner. Le cinéaste polonais tourne ici en Angleterre (exceptées les séquences intérieures tournées dans un studio à Munich) et propose déjà (ses deux derniers films adoptent ce style de trame) un récit initiatique en accompagnant essentiellement un personnage, inadapté au monde qui l’entoure, en l’occurrence il s’agit d’un garçon de quinze ans au prise avec une sensation nouvelle. A l’instar du dernier film de Jerzy Skolimowski, Essential killing, Deep end est un film d’action, à sa manière, un film en perpétuel mouvement témoignant d’une envie du personnage principal de survivre à tout prix, pour le premier film cité, d’être accepté et aimé, pour le second, avec qui plus est ici l’importance de l’adieu à l’adolescence car Deep end évoque un développement accéléré, entre l’arrivée dans la vie adulte par ce petit boulot et le contact féminin – une fille en particulier, les autres ne comptent pas – qui exacerbe les émotions liées à ce bouleversement.

     Mike a donc décroché un job dans les bains publics de Londres. Il travaille avec Susan, une jeune demoiselle sensiblement plus âgée que lui, et incroyablement belle, ce qui ne lui échappera pas. Dans les bains municipaux, chacun sa section, elle s’occupe des femmes, lui des hommes. Puis elle lui fera comprendre que, s’il veut obtenir des pourboires conséquents, il faut qu’ils échangent de temps à autres leur section afin qu’il se mette aux soins de femmes lesquelles demandent parfois davantage qu’une simple présence ou un shampoing. Rencontres de femmes d’ages murs d’un côté et rapprochement sensuel avec la jeune rousse au visage angélique de l’autre. Tout ici va presque trop vite pour Mike, tout est décuplé. Et la barrière de l’âge se heurte systématiquement à lui, tentant de le rattraper (cette jeune camarade de collège amoureuse, la limitation au films x, un bref retour des parents) avant de l’abandonner pour de bon (les parents sont désormais hors-champ, d’une interdiction de cinéma pour adulte il peut devenir membre d’un club privé, l’idylle avec Susan apparaît bientôt comme envisageable). A mesure que le film avance, les corps se dénudent aussi plus facilement. A ces scènes initiales du viol filmé serré, comme pour masquer toute nudité, cette image volée du garçon qui enfile son slip répondent des séquences plus explicites comme la toute fin du film évidemment, totale mise à nu, ou la rencontre avec la prostituée plâtrée mais aussi d’une irrigation sexuelle abstraite dans les bains publics. Deep end fonctionne comme le doux rêve d’un adolescent, un rêve d’amour d’une intensité phénoménale (Mike ne veut bientôt plus qu’un homme approche Susan, il croit même voir sa silhouette sur une statuette cartonnée) autant qu’il deviendrait magnifiquement érotique (Les plongées oniriques et/ou surréalistes dans la piscine).

     Il y a une scène très forte vers le début du film, où Mike est heureux de recevoir ses parents sur son lieu de travail, de montrer à son père ce qu’il sait faire, tout en espérant que Susan s’occupe comme il se doit de sa mère. C’est un moment violent dans le développement de l’enfant – à cet instant il l’est encore, « mum’s son ! » se moquera la jeune femme – puisqu’il confronte le confort et l’amour conquis d’avance de sa propre jeunesse avec cette chasse complexe du désir amoureux, renforcée par la méchanceté apparente de Susan, sans doute jalouse de ce climat familial qu’elle n’a pas eu qui traite sa mère de conne (il lui renvoie la pareille pour se venger, elle lui répond que c’est impossible puisque sa mère est morte). Le garçon vit cela comme une violence rare et le détachement – on peut dire que c’est elle qui lui coupe le cordon – démarre à cet instant là. Ce lieu clos – piscine comme charge symbolique – devient le témoin de la fin d’une adolescence, d’une innocence, empruntant divers sentiers qu’il faudra franchir afin de sortir la tête de l’eau, d’accéder à un nouvel âge.

     Skolimowski fait surgir des mouvements singuliers, désarticulés, la manière qu’a Mike de se mouvoir ressemble presque par moments à une chorégraphie, une danse syncopée du désir et de la jalousie, illustré magnifiquement par la séquence des abat-jour qu’il vient taper un a un en grimpant sur des bancs. Et cela n’intervient pas uniquement dans la gestuelle du personnage mais aussi dans le placement de la caméra : un sens de l’espace hors du commun, les allés et venues de l’objectif et une stylisation intéressante par l’utilisation d’une ambiance pop, faites de musiques entraînantes et de couleurs extravagantes.

     Les rencontres multiples qui traversent le chemin c’est aussi au centre de Essential killing. Le désir éperdu qui mène à la folie se trouve aussi dans Quatre nuits avec Anna. Deep end oscille entre plusieurs sensations, plusieurs genres. A l’ambiance glauque de cette piscine (les premières images laissent penser à un lieu abandonné, qu’il faut nettoyer, le maître-nageur est répugnant, les personnes y travaillant ne se parlant pas) répond le choix des couleurs et l’énergie de la mise en scène. Travail intense sur les couleurs primaires rappelant le Godard de Deux ou trois choses que je sais d’elle. Dynamique en faux rythme et situation géographique évoquant le Blow up d’Antonioni. Le film ne serait pas grand chose sans l’irruption d’idées qui nourrit chaque plan, d’une symbolique primaire (Ce vert qui vire au rouge) à une succession de situations inattendues (le cinéma porno). Le film ne suit pas un récit balisé, il fait quelque peu pensé, dans sa construction et sa focalisation unique, à Kes de Ken Loach. A la différence que chez Skolimowski, c’est aussi très drôle. Lorsque Mike débute avec sa première cliente pas farouche, elle n’est pas loin de le violer tout en lui parlant de football. Quand il suit sa ravissante collègue au cinéma, alors qu’elle est accompagnée de son petit ami, il se met derrière elle puis lui fait des attouchements, elle se prend au jeu avant de se plaindre à son homme et de demander l’aide de la police. C’est à la fois très marrant mais il y a comme un décalage éternel entre ces deux là qui laisse un sentiment amer, puisque lorsque lui croit en cet amour, elle ne le prend seulement comme un jeu. Cette espèce de jeu du chat et de la souris que Mike supportera de moins en moins (dès l’instant, essentiellement, où il la surprendra offrir de ses charmes à un client dans les bains publics) culminera dans deux séquences incroyables, entre désir suprême et jalousie dangereuse.

     Une séquence nocturne dans un premier temps, complètement dingue, avec une histoire de club réservé, une prostituée plâtrée qui ouvre la porte à ses clients à l’aide d’une poulie, une pancarte à l’effigie – selon le garçon – de Susan (j’adore le passage dans le métro) ou encore un savant running gag avec un vendeur de hot-dog. Le film décolle carrément, ce faux rythme installé disparaît littéralement, enrobé désormais par le son du groupe Can. Puis dans une deuxième séquence miraculeuse où le diamant d’une bague est perdu dans la neige, avant que Mike n’ait l’idée de découper un cercle de neige afin d’aller à sa recherche par l’intermédiaire d’un collant, d’une bouilloire et le fond d’une piscine vide. Les dix dernières minutes, concentrant cette recherche folle, la mise à nu des corps et le remplissage du bassin sont parmi les plus beaux moments de cinéma qu’il m’ait été donné de voir.

     J’aime énormément le contraste qu’offre ce parti pris des couleurs, qui apportent un univers solaire à l’ensemble, alors que l’essentiel se déroule en intérieur, venant faire contrepoint avec la grisaille londonienne des swinging sixties à leur déclin. J’aime cette idée que l’atmosphère traduirait aussi l’état du personnage principal, en pleine rêverie (aboutissement dans les séquences sous-marines) et idéalisation féminine qui prend corps à travers cette sublime fille rousse, au visage parfait, mélange d’inaccessibilité et de provocation. C’est un film qui apparaît aussi comme hyper mélancolique dans l’incapacité du personnage à accéder à ce désir et la gêne (que son âge agrémente) qui s’empare de lui systématiquement. J’aime énormément ce garçon, la timidité qui l’étreint mélangée à une pulsion sauvage/enfantine, une possessivité hors norme. La démarche du cinéaste dans cette image paradisiaque de l’adolescent nageant avec sa sirène est magnifique : on le voit sauter du plongeoir (sa première fois, on le voit un peu plus tôt annoncer à Susan qu’il ne l’a jamais fait de même qu’il lui avoue sa virginité) sur cette pancarte en noir et blanc supposée représenter son grand amour, nager avec elle, l’envelopper, avant que dans le plan suivant le carton prenne soudain l’apparence humaine et à la manière d’un film de Jean Vigo, Susan prend vie – scène bercée par Cat Stevens. Deep end est plein d’idées comme celle-ci, c’est un enchantement en permanence. C’est un grand film poétique, sexy, beau et désespéré.

Essential killing – Jerzy Skolimowski – 2011

Essential killing - Jerzy Skolimowski - 2011 dans Jerzy Skolimowski essential-killing-1

Instinct de survie.     

   8.0   Le film s’ouvre sur des tons ocres, chemins sableux, minuscules falaises comme autant d’enclaves piégeuses dans la terre. C’est dans ce lieu désertique que trois soldats américains (on peut entendre certaines de leurs phrases) recherchent quelque chose, armes et détecteur de métaux en main. Ils s’arrêtent un instant devant une grotte sombre, couverte d’une énorme masse rocheuse, dans laquelle se trouve un homme – mais ils ne le savent pas encore – qui semble assaillis ou fuyard au vu de son inquiétude et de cette fuite éperdue. Nous ne voyons que très peu de cet homme dans un premier temps, quand il s’agit de le filmer, observant les soldats, cherchant une cachette ou récupérant l’arme d’un taliban mort, tout est montré de son point de vue, en caméra subjective. Essential killing sera ainsi durant tout le film, une variation de point de vue. Lorsqu’il abat les soldats à l’aide de la roquette qu’il a récupéré sur un cadavre, l’homme se met alors à courir à travers les roches simplement guidé par l’idée de survivre. L’hélicoptère aperçu au tout début du film le pourchasse et Skolimowski varie les angles. Un coup nous sommes cet homme et nous courrons à travers les sables advienne que pourra. Un coup nous sommes dans cet hélico aux côtés de GI attendant les directives, armes en main. Une roquette est tirée. Où se trouvait l’homme qui courait il ne reste plus qu’un brouillard de sable. Pourtant il semble vivant. La caméra repasse à nouveau de son point de vue et nous le découvrons KO et à moitié sourd, cette fois capturé par les soldats qui l’embarquent. Cette première séquence, bien qu’assez détachée du reste du film, ne serait-ce que géographiquement, pose les bases de ce que deviendra par la suite le film de Jerzy Skolimowski. Une chasse à l’homme épuré, éprouvante, violente et silencieuse.

     Pourtant, l’aspect survival disparaît un temps, évidemment. Durant la captation. Elle ne dure pas bien longtemps car elle n’intéresse pas le cinéaste. On voit un interrogatoire inutile, une séquence de torture, un protocole à respecter pour les différents prisonniers, bientôt affublés de la tunique orange puis de façon elliptique (car on se doute que ce ne fut pas si rapide) on retrouve notre homme, encagoulé, dans un fourgon qui semble traverser les frontières et rester secret, sillonnant les routes minuscules et montagneuses. C’est lorsqu’un accident se produit et la chute de l’un des fourgons dans un ravin, que les prisonniers sont plus ou moins libérés, toujours attachés par leurs chaînes, mais pieds dans la neige. Certains ne bronchent pas, d’autres s’enfuient, le personnage joué par Vincent Gallo fait partie de ceux-là.

     La beauté chez Skolimowski, c’est le silence. Et le mystère qui accompagne ce silence. On se souvient de son précédent film Quatre nuits avec Anna, où l’on accompagnait ce garçon qui se faufilait dans la maison d’une femme pour la regarder dormir. Ce personnage n’était pas simple d’empathie, sans doute était-ce la limite de l’expérience, quelque chose entre l’initiation au désir et le film d’épouvante, on ne savait pas vraiment où se placer, c’était beau, riche autant que c’était déroutant. Le procédé est sensiblement le même ici, à savoir que ce personnage en fuite n’est ni excusable, ni héroïque ou quoi que ce soit, il est uniquement mue par le désir de la survie. Il lui arrivera donc, et à plusieurs reprises, de tuer pour ne pas qu’on lui barre la route. De voler le poisson d’un vieux pêcheur ou de téter le sein d’une femme accompagnée de son bébé, pour ne pas mourir de faim. De déposer une de ses chaussettes ensanglantées sur le collier d’un chien qui a subi, comme lui, la loi d’un piège à loup, pour semer ses poursuivants, toute une armada de flics armés, vêtus de blanc, aidés par leurs chiens.

     C’est étrange car autant j’aime énormément la multiplication de points de vue offerte par le cinéaste, mais il faut qu’elle concerne l’action du personnage, il faut qu’elle reste avec lui, autour de lui, en subjectif, en plan d’ensemble ou du point de vue inverse. Dès qu’elle le quitte, momentanément bien entendu, le film perd de sa puissance et il devient presque explicatif, comme s’il avait peur de nous perdre. L’exemple idéal c’est la chasse à l’homme qui mènent la police à une vieille cabane abritant un homme parce que le chien à la chaussette les a amené jusqu’ici. Je me fiche de savoir ce qu’ils sont devenus, ça je pouvais me l’imaginer. Le procédé se répercute dans les premiers flash-back du film (les suivants, entre flash-back et flash-forward prendront une dimension plus métaphysique et onirique) que le cinéaste semble vouloir nous donner pour nous garder sur sa voie (il le confirmera dans une interview donnée aux Cahiers du Cinéma) refusant à l’imagination du spectateur de se laisser happer, voulant à tout prix donner un statut à son personnage en fuite. En somme, il n’a pas assez confiance en son cinéma. C’est le plus grand défaut du film, qui avec le temps me paraît vraiment imposant, heureusement encore que le film n’existe pas autour de ces minuscules saynètes, même pas jolies, mais bien en tant que film de survie à l’état pur.

     Essential killing est un film éprouvant et rarement complaisant. Il y a à mon sens les mêmes maladresses que pour son précédent film mais il appartient davantage au cinéma que j’aime, à l’idée que je m’en fais. Ça dure 1h20 et c’est dans sa brièveté qu’il devient impressionnant aussi, comme si le film lui aussi, à l’image de son personnage central, essayait de ne jamais mourir (il débute et se termine sur la fuite, premier plan/dernier plan) mais y échouait…


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silencio


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