Archives pour la catégorie Jim Jarmusch

Night on earth – Jim Jarmusch – 1991

11. Night on earth - Jim Jarmusch - 1991Les passagers de la nuit.

    6.0   Le seul Jarmusch qui me manquait, dans ses longs métrages de fiction. N’ayant pas du tout aimé Coffee and cigarettes, son autre « film à sketchs » je n’en faisais pas une priorité. C’est bien mieux. Dispensable, mais plutôt chouette.

     Le temps d’une nuit, cinq scènes de taxi se font écho, cinq variations dans cinq villes du monde.

     Clarifions d’emblée la problématique du titre : il ne s’agit pas non plus d’une nuit sur la Terre. Les cinq lieux choisis sont aux États Unis (Los Angeles puis New-York) et en Europe (Paris, Rome, Helsinki) : ce n’est pas une cartographie planétaire équitable. On pourra toujours l’excuser en imaginant que s’il faisait mine de tout filmer simultanément, à la même heure, sur une partie du globe il était impossible que ça se déroule de nuit partout.

     En revanche ce qui est très beau (et proche des errances de Permanent vacation ou Stranger than paradise) c’est que Jarmusch ne tombe jamais dans la carte postale touristique, au contraire : Il filme la nuit, les heures désertes, pour ne pas dire inquiétantes.

     Aussi, il y a l’idée de s’ouvrir quand la nuit tombe à Los Angeles et se fermer quand le jour se lève à Helsinki, c’est très beau.

     C’est souvent drôle, farfelu, très bavard aussi et par instants émouvants. C’est une succession de rencontres (bien sûr, le credo jarmuschien) probablement éphémères. Une suite de discussions, confessions, engueulades, On y croise notamment Winona Ryder, Gena Rowlands, Giancarlo Esposito (Gus Fring dans Breaking bad), Roberto Begnini, Isaach de Bankolé (qu’on retrouvera dans The limits of control), Béatrice Dalle ou Matti Pellonpaa (un habitué de chez Kaurismaki).

     Bien sûr on espère que ces histoires se croisent (un peu comme dans Mystery train) ou s’étirent un peu plus à chaque fois. Ce ne sera évidemment pas le cas. C’est autonome et trop court et c’est aussi très bien ainsi. Il n’y a que Jarmusch pour parvenir à nous embarquer dans un film comme celui-ci.

Down by law – Jim Jarmusch – 1986

42. Down by law - Jim Jarmusch - 1986The we and the I.

   8.5   C’est une partition à la Jarmusch. Un concerto à deux instruments, deux personnages isolés d’abord, chacun leur tour, chacun de leur côté, dans sa bulle de lose respective. Puis ils se réunissent dans la même prison. La partition fait naître un troisième instrument, un personnage qui avait tenté de faire incursion dans le premier mouvement mais qui aussitôt s’était évaporé. A trois cordes, l’évasion peut commencer, s’épanouir, errer dans un autre décor, immense : Le bayou remplace la prison, l’immensité se substitue à l’exiguïté. Bientôt, c’est une quatrième corde qui se greffe dans une guinguette, quasi abandonnée en bord de route. On danse pour fêter ça. Puis chacun devra reprendre sa propre vie, son individualité. Il faudra ce carrefour et ces deux chemins de forêt formant un V. C’était une traversée dans Permanent Vacation. Un avion à prendre ou non dans Stranger than paradise. Ici, chacun sa route. Il ne reste que des solistes dans plusieurs nouvelles partitions et un hors champ à composer. C’est probablement le film le plus doux de Jarmusch, son film le plus « musical » en un sens, son plus emblématique, aussi : Par la légèreté de ses rencontres, le minimalisme de sa forme, son noir et blanc fulgurant.

     Quand je (re)voie un film comme celui-ci aujourd’hui, je ne peux que l’associer à la figure de proue du cinéma américain indépendant actuel : Les frères Safdie. Les réalisateurs de Lenny & the kids ou plus récemment du non moins superbe Uncut gems, auraient pu faire un film à la Down by law. D’ailleurs ils l’ont plus ou moins fait et traduit dans Good time et Mad love in New York. C’est un cinéma fragile, si replié sur lui-même qu’il peut s’avérer très hermétique, mais si l’on parvient à s’y fondre, on y trouve une générosité à nulle autre pareille, pour des personnages forts et des lieux qui sont leur propre reflet. Down by law, c’est l’Amérique du bayou de la Louisiane. Soient les mes(aventures) de Zack & Jack, deux losers magnifiques, deux types au parcours très différent (le premier est DJ, le second est proxénète) sinon qu’ils se retrouvent dans la même cellule de prison, pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. Le casting de Down by law épouse à merveille l’univers de l’auteur. John Lurie & Tom Waits, bientôt rejoints par Roberto Begnini, le touriste italien. Difficile de faire plus jarmuschien que cette association-là.

     Le film est rempli de trouées toutes simples mais géniales à l’image de cette chanson improvisée « I scream, you scream, we all scream for ice cream » d’abord fredonnée avant qu’elle ne devienne un hymne chanté à tue-tête par la prison toute entière. Si l’on devait résumer le cinéma de Jarmusch, on pourrait s’en tenir à cette séquence magnifique. Mais il y a aussi cette fenêtre tracée à la craie sur une paroi de cellule qui suffit à garder le moral et entretenir le désir d’évasion. Ou plus loin cette escale dans une maisonnette perdue qui rejoue – et c’est aussi l’humour très jarmuschien – la cellule de prison, avec ces lits superposés et cette unique fenêtre ouverte sur un horizon illusoire. Et plus simplement encore, il y a cette ouverture qui, accompagnée par la voix de Tom Waits et son « Jockey full of Bourbon » multiplie les travellings sur des paysages urbains désertés, les rues, les habitations d’une ville-fantôme, qui entre en écho avec le final de L’éclipse d’Antonioni, référence parmi d’autres. Ou encore cette jolie partie de cartes, qui ne débouche sur rien d’autre qu’un début de cohésion. La grande idée : On ne répète pas l’évasion, il suffit d’une ellipse folle pour troquer la cellule pour les égouts puis les forêts et le fleuve du bayou.

The dead don’t die – Jim Jarmusch – 2019

20. The dead don't die - Jim Jarmusch - 2019Zombies and flatfoots.

   4.0   Je fais une pause dans mon festival de Mouk pour évoquer deux films de l’édition cannoise de cette année, deux films que je n’aime pas beaucoup. Espérons que la prochaine parenthèse soit plus enthousiasmante : Almodovar, Dardenne, Bong Joon-Ho je compte sur vous. Avant d’évoquer Sibyl, parlons d’abord du dernier Jarmusch, qui me faisait rêver.

     J’avais rarement ressenti autant d’ennui et de tristesse dans une salle de cinéma. L’ennui quand rien ne fonctionne, quand tout semble paresseux, quand la vue d’ensemble à la fin se révèle plus amorphe encore que chaque scène prise indépendamment, déjà inerte. La tristesse que ce soit Jim Jarmusch aux commandes, bien sûr, lui qui avait pondu trois merveilles depuis dix ans, lui qui était à mes yeux dans sa veine créative la plus stimulante.

     Jarmusch + film de Zombies + casting supra-cool, c’est sans doute ça le problème, j’en attendais une montagne. The dead don’t die aurait pu être raté ou mineur, mais c’est son plus mauvais film, avec Coffee and cigarettes. Mauvais n’est même pas le mot, d’ailleurs, tant ça n’est rien, ça ne tente rien ou presque et ce presque est systématiquement raté, jamais drôle, jamais surprenant. C’est vraiment une toute petite chose, une toute petite comédie ratée, sans intérêt, à l’image de la scène de la découverte des corps au motel (l’arrivée des trois flics en bagnole, sur les lieux du crime, puis leur entrée dans le restaurant) qui joue sur un running gag aussi fade qu’il est mou, sans idée.

     Dans ce marasme, je sauve tout de même deux ou trois trucs. Par exemple, j’aime bien l’idée des morts qui ne marmonnent qu’un seul mot, en boucle, un mot qui révèle leur dépendance de vivant. « Coffee » pour l’un (Iggy Pop sans maquillage, je pense) « Chardonnay » pour l’autre. Et « Wifi » pour les adolescents. C’est con, un peu lourdingue, mais ça m’a plu. Beaucoup plus que cette risible dimension méta qu’Adam Driver fait entrer dans le récit en évoquant « le script de Jim » ou son porte-clés Star Wars : Frissons de la honte, franchement, c’est du niveau Scary movie, Jim tu vaux tellement mieux que ça.

     The dead don’t die est un film que l’on pourra trouver attachant avec le temps, justement car il est mineur. Mais Jarmusch ça demande de la digestion et de la revoyure, habituellement, là on a le sentiment que tout est là, très facile à consommer, oublié dans la seconde. L’ardoise magique, ce film. Et même pas le candidat parfait (Son casting, pourtant, excitait beaucoup) pour une ouverture de festival, tant c’est complètement soporifique. Grosse déception.

Paterson – Jim Jarmusch – 2016

30One week.

   7.5   Le nouveau Jarmusch est un bijou d’un raffinement exquis, qui donne envie d’écrire des poèmes en mangeant des cupcakes, conduire des bus dans une bourgade du New Jersey, observer les chutes d’eau en lisant William Carlos Williams, aller siroter un demi dans le bar paumé du coin. Plus Jarmuschien tu meurs, tant Paterson pourrait être un croisement improbable entre Only lovers left alive et Stranger than paradise, une version encore plus sobre, apaisée et épurée. Un geste quotidien, mais jamais naturaliste. Où les jours se répètent autant qu’une étonnante bifurcation, chaque fois, s’immisce : Ici la rencontre avec une adolescente poète en herbe, là celle avec le poète japonais, williamsien. Des rencontres, toujours chez Jarmusch. Et même simplement parfois la rencontre des mots, puisque le personnage aiment beaucoup écouter les conversations de son bus, et s’en inspire probablement dans l’élaboration instinctif de ses proses.

     Paterson est aussi bien le nom de la ville dans laquelle le film se déroule, celui du recueil de poèmes de William Carlos Williams, que celui du personnage, campé par Adam Driver. Il y a quatre ans je me disais en découvrant Girls qu’il finirait par être un jour partout, voilà on y est, mais je ne m’attendais pas à ce que sa filmo soit déjà si folle et déroutante que son personnage dans la série de Lena Dunham. La vie de Paterson est minimaliste et répétitive : Il se lève le matin avant 6h30, prend son petit déj de Cheerios, rejoint à pied le hangar de bus, écrit un peu avant de démarrer sa journée, conduit son bus, rentre chez lui retrouver Laura, sa femme, toujours encline à tester diverses recettes de cuisine, confectionner frusques et rideaux exclusivement en Noir et Blanc, puis file promener son chien la nuit, l’attache devant un bar dans lequel il boit une bière. Ce sont sensiblement les mêmes actions que l’on voit. Par exemple, on ne le verra jamais se brosser les dents, on ne le verra pas non plus rentrer chez lui du bar.

     Paterson, le personnage, serait comme la réincarnation du poète ou bien l’incarnation de de ce que celui-ci est parvenu à transmettre, à créer d’autres William Carlos Williams, à ériger la routine en véritable puits créatif et poétique. Et pour alimenter cette inspiration, il faut un monde autour du piète, un monde autour de Paterson. Il faut Golshifteh Farahani (Sans commentaires, cœurs dans les yeux, je veux lui faire des câlins) merveilleuse incarnation du bonheur partagé. Un moment elle est nue sous la couette mais cette dernière, bien que lui recouvrant pieds et poitrine, laisse échapper un peu de sa hanche. Driver se réveille et l’embrasse dans le cou. Elle chuchote alors un « Cold » sur quoi il la borde entièrement, délicatement. Scène érotique de l’année, il m’en faut peu avec Golshifteh. Il y a aussi Marvin, le chien, un bouledogue, qui offre la meilleure prestation canine depuis celui de Tonnerre, de Guillaume Brac.

     Paterson est un film en sept tableaux, comme autant de jours de la semaine. Chaque fois, le jour s’inscrit sur le réveil de Laura & Paterson. Chaque fois le jour se ferme sur un fondu au noir. Et chaque journée, si elle est empreinte d’un bonheur simple et d’une parfois discrète mélancolie, est guidée par l’humour, élégant au même titre que les divers costumes affublés à « Paterson » : Ville, livre, bus, personnage. Mais le running gag n’est jamais gratuit, il trouve systématiquement un écho ou bien une résolution, comme celui de la boite à lettres. Des idées vont à peine éclore puis revenir, mystérieusement, à l’image de la gémellité, des bus prêt à exploser, des boites d’allumettes qui font écrire – Alors qu’elles achevaient les contrats de The limits of control – ou de la récurrence du noir et blanc, cher à Laura, et que l’on retrouvera dans leur unique sortie ciné de la semaine : L’île du docteur Moreau. En noir et blanc, donc.

     Déjà très envie de revoir ce film dans lequel il se passe à la fois Tout et Rien, dans lequel on s’y sent comme dans un plaid au coin du feu, dans lequel la routine est plus harmonieuse et attirante que les agitations des scénarios hollywoodiens habituels, le rituel plus exaltant que le coup de théâtre. Etrange le retour dans le vrai monde après, on plane, on se sent bien, c’est un peu comme d’aller au boulot juste après avoir fait l’amour.

Only lovers left alive – Jim Jarmusch – 2014

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Blood simple.

   8.5   Jim Jarmusch est un cinéaste à la filmographie atypique, qui m’a longtemps plus ou moins indifféré (bien que j’entrevoyais ci et là de belles réussites) avant de me fasciner aujourd’hui. Il me fascine car je ne raffole pas de sa période souvent la plus aimée, couvrant 20 ans entre Down by law et Broken flowers. Je trouve ça parfois bien mais globalement ça m’ennuie. En fait, de Jarmusch aujourd’hui, je garde vraiment ses deux premiers films et ses deux derniers. Et je vais même jusqu’à penser que ses deux chefs d’œuvre sont aux extrémités de sa filmographie, à savoir Permanent vacation et Only lovers left alive. J’ai la sensation de ressentir ses obsessions dans ces deux (voire quatre) films-là. J’aime la tentative, j’aime leur humilité, leur simplicité. La verve mélancolique et hypnotique qui habitait ses deux premiers magnifiques essais semble avoir été retrouvée dès The limits of control et confirmée ici.

     C’est la première fois, j’ai l’impression, que le mythe du vampire est traité de cette manière, au cinéma. Habité par une tristesse infinie provoquée par la solitude et cette fascination pour le suicide. Le vampire va jusqu’à se procurer une balle de revolver en bois massif. Le film est très fort sur ce qu’il évoque de la peur, de la transformation des époques, de l’idolâtrie qui les traverse. Je trouve cela plutôt osé de le traiter sous cet angle, réactionnaire d’apparence. Pourtant, la question se doit d’être posée car si l’être humain est sans cesse traversé par la nostalgie d’une époque révolue de quelques dizaines d’années, qu’en est-il du vampire qui en traverse des centaines ?

     Adam est un passionné de musique. Dans un film de Jim Jarmusch, ce n’est pas nouveau. Il collectionne les plus grands vinyles et les plus célèbres guitares. Adam a composé l’adagio du quintette en ut de Schubert. Il a aussi probablement joué un rôle dans la musique contemporaine. Sa demeure n’est qu’un studio d’enregistrement. Il fait aussi sa propre musique mais se la garde pour soi pour ne pas attirer la notoriété, surtout aujourd’hui, dans cette période d’ouverture artistique absolue, où l’on peut guetter et s’emparer des œuvres sans que l’on s’y attende, être téléchargé sans vendre. Sublime séquence dans ce bar dansant où il y effectue une sortie avec les deux frangines et est abasourdi d’entendre un groupe reprendre l’un de ses morceaux. Le film avait d’ailleurs démarré dans l’obscurité totale, le ciel étoilé, puis sur un tourne-disque. Les étoiles s’y fondaient. Un procédé de vertige qui disait mille ans, l’éternité.

     Only lovers left alive se déroule dans deux lieux bien distincts et définis, deux villes quasi antipodiques sur le globe, Détroit et Tanger. Deux villes fantômes. Traversées par la crise qui semble s’y être abattue plus ici qu’ailleurs. D’une obscurité désolée d’un côté à une lumière sans vie de l’autre. Nouveaux berceaux/tombeaux d’Adam et Eve, vampires du nom, dont les âmes se répondent spirituellement depuis des siècles. Deux amants modernes qui n’ont plus besoin de vivre ensemble pour s’aimer. Il ne faut pas longtemps à Eve pour comprendre qu’elle doit sauver Adam de l’impasse et sauter dans le premier vol de nuit pour Détroit, ville inqualifiable, aussi bien moyenâgeuse que post apocalyptique.  

     La retrouvaille à Détroit les engloutit plus qu’elle ne crée de rebond. Cette déliquescence dangereuse est bientôt accentuée par l’arrivée d’Ava, la petite sœur d’Eve, en manque de sang O négatif. Il faudra attendre Tanger pour que leur résurrection émerge de merveilles, de surprises, bien plus pures que cet amanite phalloïde qui prenait vie entre des câbles à Détroit. C’est d’abord une voix orientale talentueuse qui émeut et transporte Adam, le misanthrope invétéré. Puis un superbe luth que lui offre Eve, pour le consoler d’avoir abandonné ses plus belles guitares. Pour finir sur une dernière vision de bonheur, alors qu’ils étaient résolus à s’en remettre, quasi épuisés, au lever du jour. Devant eux se dresse alors un couple d’amoureux, si magnifique, qu’ils vont ironiquement le dévorer.

     La beauté ironique de cette fin provient d’une peur globalisée de l’être humain pendant tout le film, où il est sans cesse réduit, du haut d’un dandysme rock’n’roll savoureux, à l’appellation Zombie. Ils n’apparaissent jamais vraiment offensifs (ce sont même souvent de très beaux ou bons personnages comme Ian, Bilal ou Yasmine) mais leur caractère diurne et régressif ne permet de toute façon pas de cohabitation avec les vampires, sans compter que c’est de leur sang que ces derniers aiment mais s’interdisent de se nourrir. Adam et Eve, figures vampiriques post-moderne, se bornent exclusivement au sang des hôpitaux (la fameuse merveille, pure) qu’ils dégustent dans de magnifiques verres à pied ou sur bâtonnet glacé.

     Si le cinéma fascine à traduire obsessions et névroses d’un auteur, il me semble que Jarmusch en est l’un de ses plus dignes représentants, tant ses personnages sont des dandys cyniques coincés dans une temporalité disloquée, immortelle, immobile. La vision rationaliste d’Eve et d’Adam, respectueuse des coutumes et des rites humains qu’ils se condamnent à s’approprier les oppose à Ava, consommatrice sans vergogne, qui écume les bars accompagnée de sa flasque sanguine. Ava est l’argument politique, la représentation d’une époque capitaliste, arriviste et consumériste. Le cinéaste, 60 ans, est en quête de sa grâce. De la perfection simple. D’un monde idéal où le dandy serait au-dessus du monde.

     Jim Jarmusch a donc fait un film de vampire qui n’en est pas un ou  disons plutôt qu’il n’a jamais fait que des films de vampires. Ses vampires à lui, qu’ils soient gangster ou samouraï, célibataire endurci ou amants éternels sont systématiquement englouti par le monde, dans la marginalité de leur solitude. Only lovers left alive peut être vu comme une version encore plus dépressive du déjà dépressif Mystery train. Un comique dépressif. Une mélancolie de chaque plan rythmée et hantée par l’ironie. Les films de Jarmusch ont toujours forcé cet état dépressif pour atteindre la jubilation. Et cela bien qu’ils soient en apparence des sommets de désenchantement. C’est la musique, régulièrement, qui exercera ce lien paradoxal. Only lovers left alive est un sublime Jarmusch qu’on n’attendait plus.

Permanent vacation – Jim Jarmusch – 1984

Permanent vacation - Jim Jarmusch - 1984 dans * 730 6654749_origNew York, New York.

   9.0   Ceci est le premier film de Jim Jarmusch. Il le réalise avec l’argent qui devait payer ses études. C’est le récit d’une déambulation urbaine. Aloysius Parker, désenchanté, vit ses dernières heures sur le sol américain. Ensuite il partira sur le vieux continent. Il passe un peu de temps avec ce qui semble être sa petite amie, junkie complètement passive puis il rend visite à sa mère en asile. Avant de partir, quelques rencontres imprévues jalonnent encore son chemin dont un John Lurie tellurique qui effectue un solo de saxo ou encore un garçon qui lui raconte une drôle d’histoire. Le dernier plan est le même que le dernier de News From Home de Chantal Akerman, mais ils ne signifient pas la même chose. Chez Akerman il ravive le souvenir, chez Jarmusch c’est l’oubli, la page qui se tourne.

Le dialogue final sur le port est magnifique : le garçon en partance pour Paris croise un garçon sensiblement de son âge qui arrive de Paris, espérant que New York sera sa Babylone. Le premier lui demande s’il pense que Paris peut lui plaire. Le second lui répond que Paris sera sa Babylone. L’itinérant ne se pose pas la question de l’espoir dans le cinéma de Jarmusch, il sait qu’il doit changer de cap, que lorsqu’il n’est plus en symbiose avec un lieu il en change. Permanent vacation suit une multitude de rencontres. Le cinéma de Jarmusch n’aura de cesse de reproduire à l’infini ce procédé, à son paroxysme dans son dernier, The limits of control (son meilleur film à mes yeux avec Permanent vacation justement) puisqu’il s’agissait à un tueur à gages de rencontrer plusieurs personnes afin de le guider jusqu’à sa cible. Jarmusch c’est donc la rencontre. Sans elle, tout s’écroule. La rencontre avec une petite fille dans Ghost dog condamne le personnage autant qu’elle lui permet de s’en aller en toute sérénité. Dead man c’est un voyage dans les bois, semé de rencontres avant la mort. La rencontre ne permet pas au personnage de rester en vie, elle lui permet d’avoir conscience de sa mort. Réelle ou symbolique. Dans Permanent vacation c’est la mort du personnage à New York. Il laisse une partie de son âme dans les vagues, pas étonnant qu’après son départ Jarmusch ne le filme plus, le plan restera fixe sur les tours de Manhattan. La suite c’est un autre film. Idem pour The limits of control. Le contrat est réglé, mais y a t-il un après, un éternel recommencement, nous n’en savons rien. C’est un autre film.

Jarmusch filme l’Amérique moderne, celle que l’on ne voit pas dans les films d’Hollywood, l’Amérique délabrée, abandonnée, traumatisée par la guerre du Vietnam, une Amérique qui n’a pas suivi l’essor de l’autre, celle qu’on a l’habitude de voir. Une séquence dans des ruines est fabuleuse. Le garçon est en contact avec sa mémoire, sans doute veut-il s’imprégner d’images avant de laisser tout cela derrière lui. Il y rencontre un homme qui croit être sous les bombes, qui n’hésite pas à lui sauter dessus pour lui éviter la mort. Permanent vacation atteint une dimension à mon sens chef d’oeuvresque dans son utilisation sonore, une partition absolument démente, ce genre d’ambiance grinçante que l’on retrouvera quelques années plus tard dans un film comme Clean Shaven, qui proposait cette déstructuration sonore comme illustration de ce que le personnage avait à l’intérieur de sa tête. C’est la même chose ici. Pour ce personnage, la musique est devenue insupportable. Et cette musique elle doit changer. Tout Jarmusch était déjà dans ce premier film : l’histoire d’un état que l’on quitte pour en rejoindre un autre, ce déplacement qui sépare le passé du présent, cet au travers. C’est cet au travers là que filme Jarmusch. Qu’il a toujours filmé.

The limits of control – Jim Jarmusch – 2009

The limits of control - Jim Jarmusch - 2009 dans Jim Jarmusch the-limits-of-control_5     8.0   Le dernier film de Jim Jarmusch n’est pas facile à définir. On est pourtant bien chez Jim pas de doutes possibles. Cinéma de l’errance métaphysique, du dialogue rare et habité, cinéma du vide aussi. The limits of control c’est un peu comme son titre l’indique le film total du cinéaste, celui où il repousse ses propres limites, peut-être celui où on le retrouve le plus depuis Permanent Vacation. Parce qu’on le sent se délester de tout. Filmer, ne rien contrôler. Parcourir son film (comme son œuvre entière d’ailleurs) de moments contemplatifs, de touches humoristiques, de ses runnings gags coutumiers, ses dialogues sans issue. S’il peut faire l’effet d’un film caricatural il n’en est pas moins l’un des plus passionnants que le cinéaste ait eu à nous offrir.

     Passionnant par sa musique d’une part. Et de son utilisation. La musique de Sunn O))) n’aurait jamais pu être si bien utilisée que chez Jarmusch, et ces images ralenties, où il nous envoûte, nous hypnotise. Cet homme rencontre chaque fois une nouvelle personne, généralement à la terrasse d’un café, où il prend systématiquement deux expresso. Chacun a sa personnalité. Chacun lui parlera brièvement ou davantage d’un sujet en particulier. Une opinion sur le cinéma ou la peinture. Ou une sur les molécules, une autre sur les hallucinations. Discret, excentrique, expressif, peu bavard, intéressant, artificiel. La plupart questionneront notre homme (on ne saura jamais son nom) se laissant aller à des opinions et suppositions aussi géniales qu’imperméables. L’une d’entres elles se contentera de lui montrer ses nibards. Mais tous auront cet échange à faire. Une mystérieuse boite d’allumettes. A chaque fois. Chaque mot – depuis la première entrevue – a une importance capitale. Chaque objet aussi. C’est un film qui avance comme on reconstituerait un puzzle. Un puzzle blanc, immaculé, sans issue, sans lendemain. A l’image de cette toile recouverte d’un drap blanc à la fin du film. Tous ces personnages qui interagissent, participent à un échange dans l’unique but d’emmener notre homme à destination.

     Certaines rencontres sont fabuleuses. Ne serait-ce que la première par exemple, où notre homme apprend les paramètres de sa mission par deux types un peu bizarres, joués par Alex Descas et Jean-François Stevenin, le premier débitant tout un tas de dialectes en gerbant des phrases dont on ne comprend pas grand chose, du moins pour le moment, le second se contentant de traduire. La rencontre avec Tilda Swinton et son avis du cinéma aussi. La merveilleuse et bandante rencontre avec Paz de la Huerta. Et la rencontre finale bien entendu.

     The limits of control parle de pas grand chose. Mais il est habité d’une ambiance remarquable. Le genre d’ambiance que l’on garde en tête post visionnage. Comme si l’on avait participé à une séance d’hypnose ! 

Mystery Train – Jim Jarmusch – 1989

Mystery Train - Jim Jarmusch - 1989 dans Jim Jarmusch mystery-train-1989-01-g

Night on Graceland.     

   7.0   C’est totalement ce genre de film qu’il faut pour me détendre, que je regarde une bière à la main. J’aime beaucoup cette ambiance « rock’n'roll au ralenti » et ces grands espaces citadins désertiques filmés par Jim Jarmusch sont magnifiques. Mystery Train c’est trois histoires. A Memphis, Tennessee. Un couple japonais qui vient voir Graceland et les traces laissés par le King. Une jeune femme qui ère dans la ville après avoir récupéré les restes de son mari. Et quelques amis ayant un peu trop abusés de la bouteille, dont un qui fou la merde dans une épicerie. Ces trois histoires, se déroulant sur à peine vingt-quatre heures, vont se « chevaucher » dans un petit hôtel… Ce n’est pas fait avec les gros sabots, il y a de l’humour à la Jarmusch mais c’est très soft, surtout beaucoup d’errance, c’est très agréable et plutôt bien cadré. Tous les passages avec les deux gardiens de l’hôtel sont extraordinaires…


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