Archives pour la catégorie Joachim Trier

Julie (en 12 chapitres) (Verdens verste menneske) – Joachim Trier – 2021

01. Julie (en 12 chapitres) - Verdens verste menneske - Joachim Trier - 2021Vivre ses doutes.

   6.0   A première vue, c’est un ravissement de revoir Joachim Trier retrouver le niveau d’Oslo 31 août (2012) avec ce beau film pop, hybride, qui tente une multitude de choses en permanence, s’avère tour à tour drôle, grave, léger, émouvant, parfois tout en même temps.

     Déployé en douze chapitres, un peu comme les tableaux de Vivre sa vie – Il y a fort à parier que le titre français ait saisi outrageusement la référence – cette chronique a moins à voir avec Godard qu’avec l’esprit truffaldien ou la verve allenienne soit un croisement féminin de Baisers volés et Manhattan.

     Julie ou « la pire personne du monde » si l’on en croit le titre original, doit énormément à son actrice principale (la lumineuse Renate Reinsve) : Pure étoile filante qui fait vivre chaque scène, chaque chapitre, chaque compartiment de vie, au-delà, probablement, de ce qu’ils racontent.

     Sans elle, le film est plus anodin, dissimulé derrière un montage très racoleur et un enchevêtrement des genres puisque la chronique de trentenaire côtoie aussi bien la comédie romantique que le mélodrame. Pire, son arrogance à afficher sa démonstration en douze leçons de la société actuelle, à crier qu’il se situe dans l’ère du temps, est ce qui me reste en priorité, un mois après visionnage.

     Il eut fallu peut-être davantage de légèreté, que le film va chercher parfois brillamment dans une séquence sur pause ou une autre en forme d’hallucination. Ou de manière plus évidente lors d’une rencontre, un coup de foudre maquillé en jeu de séduction adolescent, absolument irrésistible.

     C’est un film passionnant, foisonnant, même émouvant dans son dernier quart. Mais il semble aussi tellement se porter en étendard de la jeunesse, en cumulant les bons points, qu’il agace au moins autant. Mais il y a Julie. Il y a Renate Reinsve. Difficile d’oublier un film, tout entier aligné sur cette actrice incroyable et ce personnage, boule de libertés et d’incertitudes, sexuelles et professionnelles.

Back home (Louder Than Bombs) – Joachim Trier – 2015

834035-back-homedevin-druid-193b_2_a147_ltb0105_01-02-18-10jpgL’absence de la mère.

   6.5   J’attendais quasi autant de Trier que de Muntean après leurs premiers films étincelants. Et je suis allé voir leur nouveau bébé le même soir. J’ai préféré le Trier même si là aussi je ne pense pas que ça me marquera outre mesure. Reste qu’il a une vraie personnalité et je trouve ses partis pris assez puissants : La construction dispatchée d’une part, ainsi que sa façon de scruter la famille, éclatée et en deuil. Voire certains détachements un peu fous comme la scène de mon photogramme, j’aime bien qu’elle s’ouvre sur un plan de pom pom grils dans le ciel bleu. Ou plus simplement toute la discussion dans la chambre avec la lecture (qui m’a rappelé l’ouverture de Oslo 31 août). Il y a du Van Sant chez Trier. Plus arty mais quand même. La scène du pipi, par exemple, c’est un peu ma limite. Je trouve toute cette scène géniale dans sa construction mais je trouve dommage qu’il filme le pipi. C’est pas grand chose mais ça me gêne car je sais ce qu’il regarde, je n’ai pas besoin de ce plan. Après je pense surtout que c’est un plan de coupe pour ne pas demander à l’acteur de le jouer directement car ça doit être super dur à jouer. Du coup on a direct ses discrètes larmes dans la foulée et c’est très bien c’est vrai. Mais ce n’est pas grand-chose hein c’est juste que ça illustre assez ce qui peut parfois me gêner dans le cinéma de Trier, un peu comme pouvait me gêner le plan fixe final en recul discret, un peu trop calculé, de Anders dans Oslo.

     Après je crois que le film peut se passer de mille choses aussi. J’aime moins ce qu’il capte des adultes. Notamment Hupert. J’aurais aimé que le film ne cesse d’en parler sans qu’on la voie, ou bien seulement dans les moments les plus anodins comme celui sublime où elle et son fils se regardent dans le miroir. Tout se joue chez les jeunes à mes yeux, aussi bien chez le personnage de Jesse Eisenberg qui appréhende difficilement sa récente paternité que le jeune Devin Druid (qui jouait Louie jeune dans la Série Louie) plongé en pleine dépression adolescente. Tous deux sont géniaux. Vraiment un pur film de fantôme complètement fantomatique, qui ne réussit pas tout mais tente autre chose : Tout éclater sans forcément tout ré imbriquer (Coucou Inarritu). Et je suis archi fan de l’ouverture. A ce moment-là je me suis dis que Trier allait mieux que pour Oslo. Puis ensuite ça ne parle plus que de suicide donc ça ne va pas si bien.

     Je suis toujours très curieux de voir où le cinéma de Joachim Trier va atterrir. Il y a un climat tragique et désespéré dans son cinéma qui est toujours percé par des purs moments de grâce assez sublimes. J’aime beaucoup que son cinéma ne soit pas unilatéral en fait. Dans Oslo, Anders traînait son mal être chez des connaissances qui traînaient le leur, même ceux qui avait une famille, des enfants. C’est pareil ici. Le personnage joué par Eisenberg m’a beaucoup ému, sans doute aussi parce qu’il est plus proche de moi que ne peut l’être son petit frère. Et puis j’adore ce thème du retour, des deux mondes. Sitot qu’il retrouve celui de son enfance chez son père et ce bien que tout ait changé, sa sérénité et son bonheur forcés disparaissent. Le retour vers l’ex c’est quelque chose que le film traite divinement bien je trouve. C’est attendu mais surprenant car ce sont les conséquences de deux impasses : du deuil et de la peur de grandir.

Oslo, 31 août (Oslo, 31. august) – Joachim Trier – 2012

06_-oslo-31-aout-joachim-trierNorwegian wood.

   8.5   Nouvelle adaptation du roman Le feu follet de Pierre Drieu La Rochelle. On a parfaitement en tête le très beau film de Louis Malle donc Joachim Trier doit aussi bien éviter l’écueil de la redite que celui du film construit autour de son issue. En effet, Le feu follet se suffit déjà à lui-même et l’on sait en adaptant ce récit que le personnage central finira par mettre un terme à ses jours. Bel exemple du film qui doit se détacher de sa référence et exister pour lui seul en se fondant dans sa propre époque. Ces inquiétudes une fois balayées, je dois reconnaître que le film norvégien est venu me cueillir, progressivement, avec cet état spleenétique latent, sa tendresse infinie, son élégance, son amour de l’errance et ces dialogues de retrouvailles, finalement archaïques, puisqu’ils sont coincés entre deux temporalités distinctes.

     Anders, en cure de désintoxication, sort provisoirement, une journée, afin de se rendre à un entretien d’embauche en prévision de sa réinsertion imminente. L’occasion de retrouver Oslo et dans le même temps d’aller rendre visite à des proches. Dans son viseur : sa sœur et son meilleur ami.

     Le film s’ouvre sur des plans de la ville d’Oslo, détachés au point d’en réduire le format de l’image, comme si on avait voulu convoquer des souvenirs à travers un petit film amateur. Plusieurs voix, chacune leur tour, parlent de quelqu’un, en lui attribuant une action qu’il aimait faire. Fouler les rues piétonnes, manger une glace la nuit, courir sans but. Parlent-elles d’Anders ? A cet instant du film – sorte de prologue – nous ne l’avons toujours pas vu, on peut donc considérer que ce sont les voix de tout le monde, les voix d’Oslo, qui résonnent et rendent hommage à des proches qui ne sont plus – un peu à la manière de ces interludes inventifs dans Les amours imaginaires où Xavier Dolan mettait en scène des monologues face caméra de personnages lambdas qui n’étaient pas dans le film, évoquant chaque fois leurs déceptions amoureuses.

     Le film se termine comme il avait commencé. Mais les voix ont disparus, ne reste que ce lourd silence qui envahit Oslo – clin d’œil à L’éclipse de Antonioni – à travers des lieux que l’on a traversé aux côtés d’Anders durant tout le film. Anders a disparu, la vie aussi. Et les plans remontent le film en son entier pour se terminer sur la vue de cette chambre qui ouvrait le dernier jour d’Anders, post prologue. Mais sans lui cette fois, sans cette silhouette qui s’étire en observant le balai autoroutier.

     La première fois, au cinéma, j’avais trouvé le film un peu trop séducteur, aussi bien dans certains choix utilisés pour peupler cette errance que dans son utilisation musicale ou des effets stylistiques un peu arty. En fait, je pense que la mise en scène s’adapte parfaitement à son personnage et à ceux qui gravitent autour de lui, cette tendresse naïve. C’est une captation de trajectoires filmée comme on écouterait une petite musique funèbre mais sous une humeur hypnotique et solaire. On se croirait plongé dans un album de Joy Division et le parallèle est tellement flagrant que, hasard ou non, j’ai beaucoup réécouté les galettes Unknown pleasures et Closer ces derniers jours. Et si les films de Joachim Trier tiraient leurs ambiances de la musique ? New Order dans son premier long-métrage Nouvelle donne et Les Smiths, dit-il, dans son prochain. Ici, par exemple, j’aime beaucoup l’équipée nocturne, avec cette inconnue, justement parce que le film semble s’être perdu avec Anders, semble avoir si bien fait corps avec lui qu’il en a oublié les desseins primordiaux de cette première journée dehors. Le film a glissé. Il aurait dû s’avérer bavard (au vu de la première retrouvaille, avec son meilleur ami) au contact de la petite sœur (on ne saura pas s’il s’agit de sa sœur aînée ou cadette, mais il a cette manière d’en parler en protecteur déchu que je trouve absolument bouleversant et m’amène à penser qu’il est le grand frère) mais la soirée se terminera de façon étrange sur le bord d’une piscine déserte (prête à la vidange) après avoir fait résonner les cris sur une place réputée pour son puissant écho. Je reconnais que le film est parfois envahi de symboles pas toujours des plus subtils mais dans le même temps je trouve ça tellement beau et le film m’emporte. En moins réussi, il y a la scène de la cafétéria, où Anders écoute les discussions des autres, tente peut-être de saisir un peu de leur vie. C’est son dernier jour, il se permet tout. Dommage que dans un élan moins mémorable Joachim Trier glisse dans ce brouhaha choisi une discussion d’adolescentes sur le suicide d’un homme.

     Il y a aussi tous ces dialogues, il faut en parler. Le premier tient une place importante et j’adore sa construction car là où le cinéaste aurait pu enfermer ses personnages et ennuyer, il déconstruit le déplacement et découpe à l’ellipse. Ainsi, la retrouvaille s’effectue d’abord dans l’appartement de son ami, aux côtés de sa femme et sa fille. Puis il y a un exil invisible dans un bureau ou une chambre, où l’ami sera finalement sollicité pour retrouver un citron siliconé pour les dents du bébé. Plus tard, la conversation se poursuivra dans un parc, sur un banc, et une fois que le plan changera ce sera un autre banc, avant que l’on atteigne les marches d’une ruelle, sans qu’on ait eu réellement la sensation d’une scission dans la discussion. Le film permet au spectateur d’apprivoiser la perte de repère générale d’Anders. Et le dialogue, in fine, aura lui aussi glissé, d’une prise de connaissance mutuelle du devenu de chacun, il évoquera l’idée que l’on se fait du bonheur des autres, le désespoir inébranlable et la possibilité du suicide. Il y a cette impossibilité à comprendre les choix de chacun, comme lorsque Anders refuse la pitié de son ami et son hypocrisie de même que les mots qu’il utilise pour espérer qu’il se ressaisisse. « Regarde ma vie, j’ai 34 ans et j’ai rien. Et je n’ai pas le courage de tout recommencer » dit Anders. « On ne fait plus l’amour, on en profite pour jouer à Battleship sur console, quand la petite s’en va dormir » lui répond son ami. Il n’y a pas de bonheur, que des satisfactions. Quand Anders dit qu’il aimerait ressentir ce bonheur qui traverse la vie de son ami et ce dernier de lui répondre qu’il pourrait avoir ça lui aussi s’il s’en donnait les moyens, Anders lui avoue que cette situation (marié, un enfant) qui fait le bonheur de son ami, ne ferait pas le sien. Le film est très fort pour faire entrer en collision des états d’âmes qui ne peuvent fusionner.

     Plus brève mais sans doute plus surprenante, et surtout plus émouvante est la discussion avec cette jeune femme, qu’Anders semble bien connaître (à moins qu’il ne soit l’ami de son mari qui restera intégralement hors champ, pensons-nous au départ), lors de cette soirée festive (un anniversaire ?) où son meilleur ami (que l’on ne verra pas à la fête) l’avait invité. Le dialogue est distant. Anders prend des nouvelles. La jeune femme n’ose pas vraiment lui dire qu’elle est heureuse avec son homme. Puis elle évoque ces couples qui autour d’eux font tour à tour des gosses, mettant en avant son refus d’entraver à ce point sa liberté conjugale avant que l’on ne comprenne que cet enfant se fait attendre, qu’il prend son temps et que le poids des enfants des autres est trop fort moralement pour surmonter cette attente. C’est finalement Anders qui remonte le moral de cette amie. Le temps d’une phrase, on aura compris qu’il a partagé la vie de cette femme, quelque temps, par le passé. Il y a aura un baiser, un dernier baiser. Tellement inattendu qu’il mettra court par sa gêne à cette discussion de retrouvaille. C’est une séquence absolument sidérante.

     Le film n’agit pas toujours de façon aussi floue mais il prend le parti de considérer le spectateur comme celui des vingt-quatre dernières heures de la vie d’Anders, ni plus ni moins. Sans lui offrir de repères simplistes ni alourdir le vécu de chacun des personnages. On apprend d’eux seulement s’ils font partie intégrante de l’image (le meilleur ami est l’exemple le plus évident) ou s’ils sont relayés par un intermédiaire (l’amie de la sœur d’Anders) mais dans certains cas, leur absence les laisseront dans l’ombre, aussi bien le personnage en question que le rapport qu’entretient Anders avec. C’est le cas d’Iselin, une jeune femme qu’il tente de joindre par téléphone à plusieurs reprises. Ses messages vocaux laissent penser qu’il s’agissait de sa dernière relation amoureuse, avant qu’il ne sombre dans la drogue. Même ce rapport à la drogue est particulièrement opaque. On ne sait pas si Anders a fait de la prison ou s’il est uniquement parti en cure de désintoxication, s’il dealait ou si seulement il se droguait.

     Oslo, 31 août est une errance sans espoir, mais à la recherche d’un miracle. Miracle qui n’arrivera évidemment pas, dont on se demande si quelque soit la rencontre (et quelque soit son dessin) et son issue, l’une d’elles aurait pu sauver Anders de cette appropriation inéluctable qui l’habite depuis les premiers instants (tentative de noyade) jusqu’au crépuscule de cette journée dont on attendait rien sinon un sursaut impossible.


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silencio


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