Archives pour la catégorie Joe Dante

Small soldiers – Joe Dante – 1998

16. Small soldiers - Joe Dante - 1998« I love the smell of polyurethane in the morning »

   6.0   Quand on est familier du cinéma de Joe Dante, le voir investir l’univers des jouets n’a rien d’étonnant. Qu’est-ce, Gremlins, sinon l’histoire d’un garçon à qui on offre un jouet/ une créature adorable avant de lui retirer car il est devenu maléfique parce qu’il n’a pas su s’en occuper ? C’est le conte de noël le plus terrible. Le plus destructeur : Les milliers de jouets / créatures devront mourir brûlés dans un cinéma où l’on diffuse Blanche neige et les sept nains. Et le chef de la meute ira fondre comme la sorcière du Magicien d’Oz dans la partie jardinerie d’un centre commercial.

     Joe Dante ouvre Small soldiers dans une firme conceptrice de jouets, occasionnant un duel entre les créateurs, qui jurent par la variété des modèles et l’histoire véhiculée entre chacun d’eux, et les dirigeants entrepreneurs qui ne voient que le merchandising de cette affaire. Puis on plonge dans un magasin de jouets, un petit commerce de quartier, familial, qui ne vend que des produits en bois, sans suivre l’effet de mode. C’est un programme qui bien évidemment ressemble à Gremlins. On rêve aussi d’avoir un Archer (Le chef Gorgonite) comme on rêvait d’avoir Gizmo, le mogwaï.

     Comme Billy avant lui, Alan ne se méfiera pas beaucoup et profitant de l’absence de son père pour voyage d’affaires, il va recueillir des jouets qu’il aurait mieux fait de laisser dans le camion de « Mr Futterman ». Ces fameuses figurines ont en réalité été construites, par erreur, avec des puces électroniques militaires. Elles peuvent donc communiquer entre elles, prendre des initiatives, apprendre, évoluer. Surtout, il y a deux camps : les soldats et les gorgonites. Les méchants jouets seront donc les GI d’un commando d’élite, les gentils des monstres difformes.

     Encore une fois, c’est un film apparemment pour gosses – Burger King fit même des produits dérivés des personnages du film dans ses menus lors de la sortie du film – mais in fine pas du tout pour eux. Pour sa violence, d’une part, dans la mesure où l’on voit des figurines se faire déchiqueter, d’autres se transformer, du plastique fondant, bref c’est Barbie chez Frankenstein, Toy Story chez Cronenberg : on y retrouve le Joe Dante destructeur de Gremlins. Et concernant son propos sur la guerre, on retrouve celui, plus virulent, de Matinee. Le conte pour enfants se pare donc de visions horrifiques et d’un propos très corrosif.

     S’il avance sur de beaux rails (Notamment son animation, signée Stan Winston, superbe) Small soldiers manque de contraste. Il me semble que le cinéma de Joe Dante n’est jamais aussi beau et puissant que lorsqu’il alterne les cadences, qu’il explose et se replie, exploite ses velléités visuelles mais aussi une tendance plus intimiste. La partie teen movie, film familial et comédie de voisinage ne fonctionne pas très bien ici. Sur ce point, Small soldiers évoque un peu Explorers, brillant dans sa première partie, complètement pété dans sa seconde. En outre, ses nombreuses références cinéphiles n’ont plus la puissance subtile qui irriguait ses meilleurs films. Bon, c’était ma deuxième fois et ça reste évidemment très chouette.

Explorers – Joe Dante – 1985

17. Explorers - Joe Dante - 1985Rêves brisés.

   4.5   La première partie du film est plutôt réussie, dans l’esprit d’Amblin, où l’on retrouve ce qu’on aime chez E.T. ou dans Les Goonies, même si Dante a déjà fait et fera nettement mieux. Au casting, trois gamins, Darren, Wolfgang & Ben : Jason Presson, le regretté River Pheonix et le génial Ethan Hawke. Tous trois sont très bien, mais il leur manque une vraie complicité, une harmonie que le film ne prend pas le temps d’installer.

     Des gamins qui se débrouillent comme ils peuvent et qui entre deux bastons, se réfugient dans de vieux films de science-fiction et rêvent de gigantesques circuits imprimés. Des gamins qui semblent former un parfait autoportrait de Joe Dante, en somme. Une fois reproduit, le circuit imprimé ouvre un champ de force : Une petite sphère incontrôlable qui dévaste la cave d’un des gamins : La plus belle scène du film. Plus important, celui qui rêve transmet à celui qui reproduit. Le voyage ne vaut que s’il est partagé.

     Le récit s’emballe. Un vaisseau spatial artisanal portera le nom d’une chanson de Springsteen, Thunder road. Si l’on cherche bien on retrouve dans ce voyage une esthétique à la Mario Bava, bien qu’on reste loin, très loin de la beauté visuelle de La planète des vampires. Mais la rencontre tant attendu avec les extraterrestres brise l’élan. Tout est affreux ou presque, un calvaire d’aller jusqu’au bout.

     Inexorablement, Explorers évoque E.T. et perd absolument sur tous les plans. D’autant plus au niveau de ces personnages, enfants, comme adultes. Il suffit d’évoquer le personnage incarné par Dick Miller (l’habitué du cinéma de Dante) qui reprend peu ou prou celui que jouait Peter Coyote, chez Spielberg : soit un adulte, double du héros enfant, émerveillé lui aussi, mais qui arrive trop tard.

     Le film a la mérite (quelque peu suicidaire) de mettre le spectateur au diapason de ses personnages, finalement déçus par leur voyage qui les mène à rencontrer des extraterrestres pathétiques, fan de pop culture terrienne, dont un qui n’a pour seules lignes de parole des répliques de films ou de pub. Des gamins humains qui rencontrent des gamins aliens fascinés par les humains au moyen de leurs programmes télévisés.

     Revenons à la conception : C’est le colossal succès de Gremlins qui offre à Joe Dante tous les pouvoirs. La Warner l’approche pour lui confier Batman (qu’hérita finalement Burton) mais c’est la Paramount avec le scénario d’Explorers, signé Eric Luke, qui attire son attention. Même Wolfgang Petersen, qui sort de L’histoire sans fin, est mis sur la touche au profit de Joe Dante. Tout est là. Mais le film est un échec cuisant.

     Le film est raté, la construction chaotique, le scénario inachevé, les effets spéciaux à peine finalisés, les décors torchés à la va-vite. Curieux, tant le film abrite tout un tas de prodiges de la technique. En réalité, la sortie d’Explorers est avancé par le studio et les nuits blanches en salle de montage ne suffiront pas : le film est mal-fichu, charcuté de partout. Dante devait en faire une version director’s cut, mais le négatif n’existe plus.

     Explorers reste néanmoins un film de Dante, ne serait-ce que dans sa volonté de brouiller les pistes du rêve et de l’imaginaire hollywoodien, de casser les codes du film familial et des croyances enfantines. Voici ce qu’en dit Dante lui-même : « Ben espérait apprendre les secrets de l’univers et en fin de compte, il n’obtient qu’une copie carbone de lui-même. C’était un concept assez peu spielbergien… en fait, c’est de l’anti-Spielberg. Le film va contre l’idée qu’on regarde les étoiles en y cherchant Dieu, alors que tout va bien ici et maintenant. Et le public a été déçu, comme l’étaient les enfants dans le film. »

Les Looney Tunes passent à l’action (Looney Tunes, Back in Action) – Joe Dante – 2003

Brendan FraserQui veut la peau de la Warner ?

   5.5   C’est un Joe Dante mineur, indéniablement. Mais quel plaisir, tout de même. Le film a pourtant tout pour être insupportable – il l’est parfois un peu – mais il est tellement compensé par une générosité folle, d’idées, de références, de trouvailles, de petites virtuosités éparses que ça en devient par moment un magma absolument réjouissant. On est certes loin de la réussite d’un Qui veut la peau de Roger Rabbit ? mais on retrouve un dispositif similaire, soit le mélange d’animation et de prises de vues réelles.

     Bugs Bunny & Daffy Duck, qui en a marre du traitement de faveur que les studios réservent au lapin (Le film reprend là où Dante les avait laissés dans l’intro et la conclusion de Gremlins 2, en somme) y côtoient Brendan Fraser, Jenna Elfman, Steve Martin, Angelina Jolie, Ron Perlman et bien d’autres (Et si c’était le film le plus cher de Joe Dante ?) dans un déluge de clins d’œil cinéphiliques : Ici Bugs Bunny rejoue la scène de la douche de Psychose, là Timothy Dalton rendosse son simili-rôle d’agent 007 ou Kevin McCarthy reprend le nom qu’il arborait dans L’invasion des profanateurs de Sépultures, de Siegel.

     Le film sort l’artillerie dès qu’il s’emploie à disséminer divers gadgets empruntés à la pop culture, ici une carotte sabre-laser, là une batmobile. Sans parler des autocitations comme lorsque Dante reprend ouvertement le thème de Gremlins. Et se permet des moments de jubilation pure comme lors de cette célèbre scène au Musée du Louvre où Daffy Duck & Buggs Bunny entrent dans « Le Cri » de Munch ou « La persistance de la mémoire » de Dali.

     Un pot-pourri bien garni, hystérique, loufoque, méta, usant, excitant. Un fantasme de gosse biberonné aux cartoons. Et un peu à l’encontre de ce qui se faisait alors. Joe Dante avait d’ailleurs surnommé ce projet « L’anti Space Jam » tant il déteste le film, ceci étant, sans lui faire offense étant donné que la Warner ne lui laissa que peu de liberté, son produit fini ressemble davantage à celui de Joe Pytka qu’à celui de Zemeckis.

     Mineur donc, mais réjouissant. Car déglingué. Mais ça reste éreintant à découvrir (ou à revoir) aujourd’hui. C’est encore Joe Dante qui, pour Rockyrama, en parle le mieux : « Je pense qu’il y a de bonnes choses dans le film. Mais c’est tout de même un peu le foutoir et si c’était à refaire, je ne le ferais pas ». D’autant que le film ne rentre pas dans ses frais.

L’aventure intérieure (Innerspace) – Joe Dante – 1987

06. L'aventure intérieure - Innerspace - Joe Dante - 1987Le voyage à trois.

   7.5   Quelques années après avoir donné sa propre version de Jaws, Joe Dante s’accapare Le voyage fantastique, de Richard Fleischer. Il ne va évidemment pas se contenter d’en produire un remake puisque hormis l’idée de la miniaturisation et de l’hôte humain, il n’y aura que très peu de point commun sinon au détour de divers clins d’œil. Son film est volontiers parodique, son rythme est endiablé, les genres fusionnent. Surtout, les personnages sont bien plus drôles et intéressants.

     D’un côté, Tuck Pendleton, lieutenant de marine alcoolique, de l’autre Jack Putter, un employé de supermarché hypocondriaque. Ils vont se rencontrer de façon pas banale : Alors qu’il était miniaturisé, reclus dans une capsule sous-marine, en vue d’une expérience scientifique dans l’organisme d’un lapin, Tuck se retrouve injecté in extremis dans celui de Jack, afin d’échapper à des espions industriels. Il parvient à entrer en contact avec lui, ce qui occasionne des échanges assez désopilants. Mais comme dans le film de Fleischer, le temps est compté : Ses réserves d’oxygène s’amenuisent.

     Tandis qu’on ne l’a pas vu depuis l’ouverture, dans laquelle elle plaquait son homme – Tuck Pendleton, donc – le laissant littéralement à poil en pleine rue, Lydia (Meg Ryan) réapparait vers la moitié du film, juste après que Tuck ait découvert le visage de son hôte dans le miroir. « God help us » lâche-t-il alors, un peu désespéré. Le message est clair : Dieu c’est elle. C’est de Lydia que leur salut / survie à tous deux dépend. Ça devient alors une comédie romantique complètement folle, burlesque, poétique et vertigineuse. Doublé d’un éloge du ménage à trois.

     Joe Dante ne recule devant rien, ne se contente jamais de ce qu’il a. Il n’hésite pas à œuvrer dans le mélange des genres. En bon remake détraqué, il faut toujours qu’Innerspace aille plus loin, dans la folie, la drôlerie, le cartoon ou l’horreur. Parfois ça va même un peu trop loin pour moi, notamment lorsque les méchants deviennent des demi-portions. Mais un moment donné, alors que le trio fonctionne à merveille sur le registre de la screwball comedy, lors d’un baiser Tuck change de corps-hôte et débarque dans celui de Lydia où il tombera bientôt nez à nez avec un fœtus. Son propre enfant. Le film rend euphorique mais l’espace d’un instant il nous ébranle.

     Innerspace est à Fantastic voyage ce que Chérie j’ai rétréci les gosses est à L’homme qui rétrécit : Un film généreux, euphorique et très ancré dans son époque. Le Dante ayant ceci d’un peu plus subversif, qui fait le sel de son cinéma habituel. Si je garderai éternellement un faible pour les films de Jack Arnold & Joe Johnston qui sont deux de mes films préférés depuis longtemps, ceux de Fleischer & Dante sont fait du même moule : Inventif, cinégénique et familial au possible. Le cinéma comme je l’aime, en somme.

The hole – Joe Dante – 2012

03. The hole - Joe Dante - 2012The fears under the stairs.

   6.0   Dante c’est un peu comme Carpenter, il y a peu d’espoir de les retrouver aujourd’hui au dixième de leur meilleur niveau. Si je les compare c’est bien entendu par ce qu’ils sont de la même génération, que j’ai grandi avec leurs films, qu’ils ont offert leurs meilleurs au même moment (Entre 1978 et 1987, en gros) avec de beaux sursauts dans la décennie suivante avant d’entrer dans un triste désert artistique.

     Au moment où l’un pondait le très dispensable The ward, l’autre faisait The hole, ce petit film d’abord à mi-chemin entre l’épouvante, le récit d’aventure de petits banlieusards et le teen-movie – Il les rate un peu tous les trois, je crois – avant de basculer dans quelque chose à la fois de plus direct (Une trappe qui renferme un monstre qui s’incarne différemment suivant les peurs de chacun) et de plus abstrait, tant le film vire au cauchemar polymorphe et labyrinthique.

     Si Dante ne parvient guère à nous attacher à ce trio de personnages – Aussi parce que soyons honnêtes, leurs interprètes ne sont pas très bons – il canalise notre fascination sur leurs peurs : Une fillette, un père, un clown. Pas d’élément traumatique concernant le clown, puisque le jeune Lucas en est seulement terrifié, basiquement, comme on pourrait l’être par les araignées ou les fantômes, en revanche Dante s’amuse autant avec cette apparition qu’il le faisait par le passé avec ses Gremlins. La dimension cartoonesque effleure ci et là. Bref, on le retrouve un peu.

     Chez les deux autres, c’est une peur bien plus enfouie, bien plus écrite. La fillette (et ses déambulations syncopées) n’est autre que le fantôme de la meilleure amie de Julie, disparue dans des circonstances opaques (suicide ?) : La séquence miroir sur les montagnes russes est la première belle idée visuelle du film : Dante capte une ambiance à la fois de fête foraine nocturne mais aussi de climat post-apocalyptique, avec ici les vestiges d’une grande roue et là les planches en bois du grand huit qui semblent s’effriter sous les pieds.

     Quant à Dane, le plus âgé, il est hanté par les violences de son père. Tous trois affronteront leurs monstres, mais lui, sa plongée cauchemardesque se déroule dans une réplique de sa maison d’enfance. C’est la deuxième grande idée visuelle, aux relents expressionnistes du Lang du Secret derrière la porte dans des brumes quasi surréalistes : Sol, plafond, cloisons sont déformés et les meubles sont gigantesques, comme si Dane retrouvait son plus jeune âge, courrait se cacher sous la table de salon, derrière le canapé puis dans le dressing.

     Le film prend beaucoup trop de temps pour atteindre cela – L’image est beaucoup trop lisse avant le basculement volontiers fantastique – mais au moins il l’atteint. Ajoutez à cela des éclats référentiels qui rappelle qu’on est bien chez Dante, de façon plutôt rigolote quand un personnage lit La Divine comédie, merveilleuse quand le sifflement d’un père convoque La nuit du chasseur ou Le labyrinthe de Pan, voire de façon fourre-tout puisqu’on pense tour à tour à The ring, aux livres Chair de poule voire à Poltergeist. Et comme c’est une habitude, on a droit à un cameo de Dick Miller, ici en livreur de pizza. Ça reste tout à fait mineur dans la filmographie de Joe Dante mais carrément charmant.

Gremlins 2, La nouvelle génération (Gremlins 2, The new batch) – Joe Dante – 1990

10. Gremlins 2, La nouvelle génération - Gremlins 2, The new batch - Joe Dante - 1990Welcome to New York.

   8.0   Je ne l’avais pas vu depuis quinze ans au bas mot. J’en gardais le souvenir d’une suite cartoon, épuisante. En fait c’est un régal. Et plus méta tu meurs.

     D’emblée, Joe Dante annonce la couleur. Il balance une entrée Looney tunes, avec ce logo Warner Bros crânement dans l’autodérision. Il se met ouvertement dans la peau de Daffy Duck tentant de voler la vedette à Buggs Bunny.

     Kingston Falls n’est plus. On entre dans Manhattan, on le survole comme dans l’introduction d’un film d’Hitchcock. Dante va nous emmener dans Chinatown. Refaire le premier volet ? Non. Il va même tuer le père noël. Pauvre vieillard et marchand d’antiquité qui reprenait Gizmo à Billy et qui refuse ici de laisser son bien immobilier à des investisseurs sans cœur : Des hommes en costume viennent représenter ce milliardaire en question, ils viennent avec son argumentaire, ils ont apporté une télévision. On sait combien la télé est au cœur du cinéma de Joe Dante. Elle l’était dans le premier opus de Gremlins, On se souvient que Gizmo l’appréciait déjà beaucoup. Cette fois, Dante ira plus loin aussi là-dessus, il prévient : Gizmo va découvrir Rambo. Et le 2, par-dessus le marché. Jusqu’à imiter Stallone en se confectionnant un bandeau rouge et un arc fait de trombones, élastiques et crayons. Terminé le Gizmo passif, naïf, discret. Le bon élève rejoint Joe Dante au fond de la classe, collé au radiateur. Allons nous réchauffer à leurs côtés.

     C’est toute l’Amérique capitaliste que Dante s’empresse de ridiculiser. Gremlins 2 est à Dante ce que Zombie était à Romero. Le lieu n’est d’ailleurs rien d’autre qu’un gigantesque centre commercial / centre d’affaires, géré par un milliardaire. Un chef d’entreprise qui, entre autre, fait de la publicité pour revoir et faire revoir certains chefs d’œuvre en couleur comme Casablanca – auquel cette fois on aura modifié la fin pour en faire un happy end – via une émission cheap présenté par un vieil homme (Robert Prosky, le garagiste de Christine) grimé en Dracula qui se retrouve, un peu malgré lui, à diffuser des films d’horreur colorisés. C’est un film anti-Trump avec un quart de siècle d’avance. Ce type s’appelle Daniel Clamp, difficile de ne pas y songer ne serait-ce que dans son nom, d’autant qu’il a le même style d’envergure (un gosse neuneu dans un corps d’adulte qui en impose) et recherche le même dessein : la valorisation du modèle mercantile, vulgarisation de toute forme créative, obsession militaire – le personnage termine dans les forces armées, on ne sait même pas pourquoi. Même si comme le dira Dante lui-même « Mon Trump est plus sympathique que le vrai ». On est d’accord.

     Dans cet opus, les portes automatiques deviennent récalcitrantes. Les mogwai sont nettement plus grossiers, notamment un hyperactif. Ils se goinfrent de crème glacée, squattent les stands de bonbons. Dans le premier, un gremlin finissait dans une micro-onde, un autre dans un mixeur. Ici c’est un broyeur à papier ou une marmite de pâtes. Le film assume clairement son versant cartoon, jusqu’à en oublier Gizmo, Billy & Kate qui restent assez en retrait de ce géant capharnaüm. Gizmo, malgré tout, viendra apporter sa touche rebelle en incarnant la version « To survive to the war you have to become the war » de Rambo, bandana rouge autour de la tête, se construisant un arc avec des trombones, une flèche avec un crayon, après avoir été séquestré sur les rails d’un train miniature, après être passé dans la photocopieuse, après avoir été abandonné dans les couloirs de ventilation, après avoir même été confondu (par Kate) avec le mogwai hyperactif aux yeux globuleux tournoyant sur eux-mêmes.

     Il y a aussi Christopher Lee qui rejoue quasiment Dracula, en incarnant ce savant fou passionné par les mutations génétiques. A ce niveau-là ce n’est plus un clin d’œil. Quant aux jumeaux qui l’accompagnent et disent exactement la même chose, ce sont des répliques parfaites des Dupond dans Tintin. Il y a aussi une scène d’ascenseur qui fait à la fois référence à Body double et à Shining puisque Billy & Kate sont menacés de part et d’autre par une gigantesque perceuse et une hache. Le film se ferme dans le même registre délirant que lorsqu’il a démarré : sur un logo Warner perturbé par Daffy Duck qui cette fois veux prendre la place de Porky pig. Plus tôt, les gremlins vont même parvenir à faire irruption dans la salle de projection, arrêter la bobine et faire des ombres chinoises sur l’écran : « Ils veulent voir Blanche Neige et les sept nains » nous dit cet homme, un acteur habitué du cinéma de Joe Dante. Là-dessus Hulk Hogan, assis parmi le public, se fâche, déchire son haut et viendra s’excuser auprès des spectateurs, face caméra, après que deux acteurs de Piranhas soient sorti de la projection en se plaignant de la bêtise de ce second volet. Bref, difficile de faire plus méta.

     Donc inéluctablement cette suite c’est un peu ce que Craven fera de Scream dix ans plus tard : Tout est dix fois plus dingue, méta, azimuté, subversif. Les gremlins iront jusqu’à se transformer au contact de potions de laboratoire. C’est la séquence du bar dans le premier film mais en version étirée : Plus rien ne retient Joe Dante : Un gremlin se transforme en arbre fruitier, un autre en chauve souris (occasionnant un gag lorsqu’il s’extraie par une lucarne en laissant l’empreinte de Batman), un autre en intellectuel à lunettes, un autre en araignée géante ; il y a aussi un gremlin bimbo et un gremlin exhibitionniste. C’est carnavalesque.

     C’est le film d’un amoureux du cinéma pour les amoureux du cinéma, de la pop culture. C’est un beau cadeau, mais je ne l’avais pas soupçonné jusqu’à le revoir ce soir-là.

Gremlins – Joe Dante – 1984

04. Gremlins - Joe Dante - 1984Panique sur Kingston Falls.

   10.0   Après Piranhas & Hurlements, Joe Dante est convoité par la maison Amblin  qu’il va pervertir gentiment à renfort de petits monstres qui sont le double reflet de l’être humain : d’abord de gentilles boules de poil douces et fragiles, aux grands yeux ronds, qui poussent la chansonnette, font du bruit en clignant des yeux et baragouinent un langage proche du nôtre étouffé sous un oreiller. Avant qu’ils ne deviennent, à la faveur d’une malédiction nocturne, d’horribles bestioles fripées, féroces, dentées, vulgaires qui sèment le chaos. T’as un gentil koala au coucher, un reptile maléfique en te réveillant, en gros.

     D’emblée on est surpris et séduit par la qualité de l’image – L’ouverture de Piranhas, bien que citant outrageusement Citizen Kane, peinait à s’extirper du noir. Dante s’est vu gratifié d’un budget conséquent, ça se ressent. Le premier plan dans les rues de Chinatown est déjà une petite tuerie. Pareil pour la séquence suivante dans le magasin d’antiquités et pour celle qui suit et son matin enneigé dans une bourgade la veille de noël – Ce sont des plans, des scènes, qui ne me quitteront jamais, je connais ce film tellement par cœur. Entendre le Christmas de Darlene Love à ce moment-là me file autant de frissons que lorsqu’on entend, plus tard, Do you hear what I hear, de Johnny Mathis s’échapper (pas vraiment) seul, du tourne-disque.

     Une fois encore c’est un puits de référence, Dante s’en donne à cœur joie. D’autant que les écrans sont partout dans le film. La vie est belle, de Capra passe sur la télé d’une cuisine ; Orphée, de Cocteau sur celle d’un salon ; L’invasion des profanateurs de sépultures, de Siegel sur celle de la chambre de Billy, quand les mogwais s’empiffrent de cuisses de poulet, après minuit ; Blanche neige et les sept nains, dans un cinéma, bien sûr, pour ce qui restera comme la séquence apothéose du film, à la fois dans son émouvante folie (la centaine de bêtes maléfiques qui va buguer devant Disney) et sa dimension apocalyptique – Pour s’en débarrasser il faut faire sauter le cinéma !

     Mais on pourrait très bien s’arrêter sur de simples détails, comme dans toute la filmographie de Joe Dante. Ici, c’est un panneau publicitaire qui renvoie directement à Indiana Jones. Là une peluche E.T. qui convoque la scène des peluches dans le film de Spielberg. Il y a aussi celle où Mme Peltzer est avec son mari au téléphone, alors qu’il participe au salon de l’invention. Le temps d’un plan, on peut apercevoir derrière lui la même machine à explorer le temps que dans le film éponyme de George Pal, avant de découvrir après le contre-champ, que la machine a disparu, comme elle disparaissait dans le film. Plus loin c’est un gremlin déguisé en danseuse qui va imiter Jennifer Beals dans Flashdance. Plus loin encore, c’est le gremlin à la mèche qui attaque Billy à la tronçonneuse, façon Leatherface.

     Si Dante quitte les rivières et lac artificiel du Texas (Piranhas) et les forêts de Hurlements, pour ce petit village de Kingston Falls – entièrement tourné dans les studios Universal, qui n’est autre que le même qu’utilisera Zemeckis l’année suivante pour créer Hill Valley, dans Retour vers le futur – qui respire la période de noël, c’est moins pour s’assagir que pour pervertir noël. Se la jouer sale gosse. Le père-noël du film – celui qui offre Gizmo à Billy donc au spectateur – c’est un vieux brocanteur de Chinatown. Sauf qu’il viendra reprendre le jouet à la toute fin du film avec ces mots qui m’ont toujours fait beaucoup de peine, gamin : « Tu n’es pas encore prêt ». La violence. Un peu comme si on nous offrait la VHS d’un film interdit au moins de douze ans mais qu’on n’a pas encore l’âge pour le voir. C’est évidemment ce que Dante cherche à dire. En même temps c’est un pur film de monstres, c’est pas vraiment pour les gamins.

     D’autant que les monstres du film, les vrais Freaks de cette monstrueuse parade, ce sont surtout des êtres humains. C’est madame Deagle, cette veuve d’escroc qui voudrait liquider les chiens de son voisinage. C’est Mr Peltzer cet inventeur inconscient n’ayant d’intérêt que pour ses cendriers sans fumée et sa salle de bain de poche. C’est ce collègue opportuniste, sosie physique et idéologique d’Emmanuel Macron. C’est ce garçon (qu’on verra ensuite dans Les goonies) qui a une drôle de façon de livrer des sapins de noël. C’est ce duo de flics sinon défoncés complètement décérébrés. Et c’est évidemment Mr Futterman, vieux briscard rescapé de Saigon, persuadé de se faire dévorer au quotidien par des saloperies étrangères mais invisibles, qu’il nomme « Gremlins ».

     Gremlins est marqué par la fin de l’innocence, de manière générale. C’est Gizmo et ce qui découle de Gizmo, pour Billy – les gremlins lui feront vite oublier la douce (Son papa, son pote) et grande bêtise (Deagle, Futterman) de son entourage. Et cette sordide histoire de papa / père-noël tombé dans la cheminée, pour Kate, la petite-amie de Billy. C’est une séquence qui m’a toujours marqué à la fois par sa cruauté et son honnêteté envers son spectateur : On peut faire une comédie de monstres et une comédie de noël, il n’empêche qu’on va y glisser d’une part que le père-noël n’existe pas, d’autres part que pour certains ça peut être le moment le plus sinistre de l’année. Sans parler de la violence brute de certaines « exécutions ». Une scène cruelle résume tout : Deux policiers apeurés refusent d’apporter leur aide à un homme déguisé en père-noël violement attaqués par des monstres. Si j’aime autant le cinéma de Joe Dante, c’est pour ce type d’audace.

Hurlements (The Howling) – Joe Dante – 1981

17. Hurlements - ‎The Howling - Joe Dante - 1981Le loup garou de Dante.

   6.5   Fort de son galop d’essai réussi chez Corman, Dante hérite d’un budget un poil plus confortable pour The howling, son film de loup-garou. Il ne va donc pas lésiner en mutations/transformations et nous en offrir plusieurs explicitement (et c’est toujours aussi bluffant franchement) dans une seconde partie de film, forestière, essentiellement nocturne, où il fait montre de son aisance dans le genre horrifique. Avant cela il ouvre son film dans un cadre urbain, thriller parano qui évoque autant l’univers de palmien que le brulot journalistique d’un Lumet, entre Blow out et Network, en gros. Super film, meilleur que dans mon maigre souvenir, ravi de l’avoir revu. Et ça me conforte dans l’idée que Dante aura fait quelques merveilles (Gremlins, Piranha, Innerspace, Matinee) mais que son deuxième panier, garni de films plus « mineurs » est tout aussi savoureux. Et puis c’est toujours un plaisir de revoir ces gueules, toujours les mêmes, dans les films de Joe Dante : Kevin McCarthy qui apparaissait dans Piranha, Belinda Balaski, Robert Picardo et Dick Miller qui suivront Dante partout. Avec un bonus de choix ici : Dee Wallace, la maman d’Eliott, juste avant qu’elle ne joue dans E.T. Outre quelques caméos (dont Roger Corman) il est à noter que la plupart des personnages sont nommés d’après des noms de réalisateurs de films de loup-garou. On n’est pas chez Dante pour rien.

Piranhas (Piranha) – Joe Dante – 1978

02. Piranhas - Piranha - Joe Dante - 1978« Please sir, they eating the guests… »

   9.0   Difficile pour moi d’être objectif face à Piranhas. Il a tourné en boucle durant mon adolescence, aux côtés de Jaws 2. Tous deux sont d’ailleurs sortis la même année. Pourtant, autant (pour l’avoir revu aussi) la suite de Jeannot Szwarc est un honnête divertissement familial, nettement moins inventif et trash que le film de Spielberg, avec des enfants partout, autant le film de Joe Dante est multiple, à la fois clairement ancré dans la série B, bricolé de toute part, mais aussi à fond dans la satire, chose que mes souvenirs avaient occultés, sans doute parce que je n’y avais jamais prêté attention. Le plus évident c’est le personnage incarné par Dick Miller, qui sera dès lors un habitué du cinéma de Joe Dante (Ce gars je continuerai de l’appeler Monsieur Futterman, je peux pas faire autrement) et qui incarne un investisseur arriviste, propriétaire d’une base de loisirs qu’on s’apprête à inaugurer : Il est le vulgaire miroir (Le mec de Brooklyn venu vendre son produit au Texas en se faisant passer pour un local, arborant l’accent texan quand ça lui chante) du déjà vulgaire maire d’Amity Island, dans Les dents de la mer. Rien qui puisse le faire réagir sinon le carnage. Il est à la partie attendue de la satire. La partie immergée c’est tout le reste : La société de consommation, l’opportunisme scientifique, les secrets gouvernementaux, la bêtise de l’armée. L’Amérique en prend pour son grade.

     Comme d’autres grands avant lui, Dante réalise donc son galop d’essai chez Roger Corman, le plus pingre et prolifique des producteurs. Pingre mais peu scrupuleux. Il laisse libre Joe Dante dès l’instant qu’il y met du sien à savoir offrir du sang, des nichons, du sang sur des nichons. Dès le premier plan, avec ce panneau d’avertissement « No Trespassing » sur un grillage, filmé au moyen d’un travelling vertical, le film est déjà dans l’hommage. Pas à Spielberg ni à Hitchcock ni à Bava mais à Citizen Kane, d’Orson Welles, bien sûr. Dante le dit lui-même : « Quitte à s’inspirer du premier plan d’un film pour son propre premier plan, autant choisir le premier plan du meilleur film ». Dans le laboratoire, au tout début du film, parmi les bocaux en tout genre, une créature bizarre, sorte de bébé godzilla / iguanodon, déambule en stop motion. Je n’avais aucun souvenir de son apparition, ça m’a beaucoup perturbé. Les personnages ne la voient pas. Elle ne sert strictement à rien mais Dante avait à cœur d’intégrer un peu d’animation (Car il adore ça mais aussi parce qu’il avait à sa disponibilité Phil Tippett, qui travaillera plus tard sur L’empire contre-attaque, Indiana Jones ou encore Robocop, pas moins) afin de rappeler au public quel sorte de film il est venu voir. Bref, tout ça pour dire que Joe Dante est relativement libre, sitôt que ça ne coûte pas trop cher.

     Evoquons aussi ce qui saute aux yeux : Dante revendique d’emblée son inspiration pour Les dents de la mer. L’ouverture est presque un copié collé à la différence qu’ici, déjà, on quitte l’aspect carte postale du film de Spielberg : Point de hippies, de plage ni d’aube naissante. Deux adolescents traversent une forêt en pleine nuit, franchissent une grille interdite et trouvent un bassin. L’endroit est glauque, l’eau semble dégueulasse, mais ils y vont de bon cœur. Si la belle copie restaurée permet d’y discerner quelque chose, j’ai le souvenir qu’en VHS on n’y voyait strictement rien dans cette première séquence. Dante est plus fauché que Spielberg. Il garde cependant ce parti pris cher au père d’Amblin de ne jamais voir le(s) monstre(s) d’entrée. Tout se passe à la surface de l’eau : Le garçon se plaint d’avoir été mordu et aussitôt il est aspiré vers le fond. La fille s’égosille à son tour mais sa mort restera hors champ, Dante préférant nous offrir la lune que de gros nuages noirs viennent engloutir. On se dit forcément que Dante (dont c’est le tout premier film) refait Jaws en moins bien. Dans la scène suivante une femme est sur un jeu d’arcade. Le jeu s’appelle Jaws, évidemment. Mais il ne s’agit plus de combattre le requin : C’est elle qui joue le requin et elle doit dévorer des plongeurs. Ça dit deux choses : La première c’est que Dante a conscience d’être dans la roue de Spielberg, il l’affirme de façon à ce qu’on l’évacue. La seconde c’est qu’il est le sale gosse, son héritier mais son versant bis, plus politique, plus ingrat aussi. La musique en est l’illustration parfaite : On quitte la partition parfaite de John Williams pour un truc beaucoup plus informe, romantique et grandiloquent grâce aux envolées de Pino Donaggio. Et pourtant ça va plus loin qu’une simple version parodique de Jaws, c’est toute l’intelligence du bonhomme.

     Au passage, j’ai toujours trouvé ça bluffant d’un point de vue effets spéciaux, et c’est encore le cas aujourd’hui, quarante ans après sa sortie, alors que c’est fait avec rien : des moulures de piranhas agités sur des cordes à linge. La grande idée ce sont les huit images secondes, à la fois pour leur donner une vitesse surréaliste mais aussi pour faire office de cache-misère. Ça parait con mais c’est génial. L’attaque du radeau par exemple, c’est hyper angoissant. En fait ce qui le place au-dessus du lot c’est parce que Dante a conscience qu’il peut être ridicule de par son faible budget. Comme il en a conscience, il le compense par la suggestion, par la cruauté globale des attaques, aussi bien ici dans le carnage du camp d’été que dans celui du parc de loisirs, que là dans la mort brutale du pêcheur ou du papa sur son canoé. C’est cette compensation qui permet d’être choqué par ce que chaque séquence violente véhicule au point d’oublier que les piranhas sont en plastique et font des bruits de sifflet usé. On ne reverra jamais du si bon Z que dans Piranhas. Si tant est qu’on le classifie dans le Z – Spielberg lui-même, préférait le film de Joe Dante au film de Jeannot Szwarc, admettant que Piranha était la seule déclinaison valable à Jaws

     Il y a déjà dans le récit cette curieuse association entre une jeune détective et un alcoolique notoire, ce qui offre un beau buddy-movie très loin des renforts héroïques que le genre sait nous concocter – d’autant que c’est en partie de leur faute si les poissons monstres envahissent les rivières. Et si le film bascule parfois dans une outrance kitch à l’image de ces stridences à chaque apparition des piranha, il sait aussi être très émouvant comme lorsque cette petite fille déambule en larmes à travers les cadavres à la recherche de son père. C’est par moment vraiment violent, Piranha, quand on y réfléchit. Dans Jaws il y a cet enfant au matelas jaune qui se fait bouffer, plus ou moins hors champ. Tandis que là il y a une bobine entière avec des gamins en train de se faire déchiqueter dans un camp d’été. Mais on n’est pas dans le bis pur pour autant : Piranha un beau film sur l’adolescence, déjà, puisque le plus beau personnage du film est une jeune fille qui a peur de l’eau. Et un film diablement intelligent puisque, comme dans Les oiseaux, d’Hitchcock, il y a beaucoup de choses sous la surface. Oiseaux comme piranhas deviennent les métaphores d’une société recroquevillée dans la peur, l’orgueil et l’autorité, autant que ce sont des films fantastiques (un élément déréglé) virant au film de science-fiction (l’univers déréglé) : Dans l’un comme dans l’autre les monstres font presque figure d’extraterrestres. Il faut presque le voir comme un film de guerre.

     Joe Dante est un grand cinéphile. Et dès son premier film, pourtant fauché, il va aussi bien le véhiculer par des choix de mise en scène (à l’image de son ouverture) mais aussi le choix de certains acteurs. On ne va pas tous les citer, mais il convoque par exemple Kevin McCarthy, qui jouait dans L’invasion des profanateurs de sépultures, de Don Siegel. Il choisit aussi Keenan Wynn, dont il serait difficile de citer un film tant il en a tourné. Ou encore Dick Miller, qui tournera d’ailleurs presque dans chacun des films de Joe Dante par la suite. Ça prouve combien, Dante, dès son premier film souhaite rendre hommage au cinéma tout entier, sa passion. Et il y a Barbara Steele. J’avais complètement oublié que Barbara Steele jouait là-dedans. J’avais complètement oublié ce personnage, d’ailleurs. Primordial pourtant, jusque dans ce dernier plan comme un retour au Masque du démon, de Mario Bava. Steele là-dedans c’est le visage du Mal le plus insidieux, elle se confie sur une idylle avec le scientifique du laboratoire aux bestioles bizarres, avant de prendre des raccourcis pour des décisions que cette affaire de rivière contournée illustre à merveille.

     C’est toute l’Amérique institutionnelle qui est visée. Parce qu’on est en pleine « guerre fraîche » dans la guerre froide, l’armée prend cher dans Piranha. Cette histoire de prédateurs marins lâchés pour infester les eaux vietnamiennes, qu’on a, sitôt son fiasco, continués de faire muter en secret en prévision d’une nouvelle guerre, c’est à la fois un beau terrain de science-fiction mais aussi une satire féroce de l’absurdité des projets gouvernementaux. L’armée, le gouvernement, sont les méchants du film, les piranhas ne sont que leurs instruments, pire ils souhaitent avant tout s’échapper et sont finalement plus intelligents qu’on le pense : Ils peuvent contourner des rivières sitôt qu’il s’agisse de rejoindre l’océan. La fin est aussi géniale que glaçante. Il n’y a plus de risque, nous dit-on, les monstres dentés sont morts avec la pollution de la rivière. Sauf que c’est Barbara Steele, avec ce ton glaçant et ses yeux de piranha, qui le dit. C’est presque la même fin que Matinee quinze ans plus tard avec les hélicoptères dans le ciel tout en faisant écho à la fin glaçante d’un sublime remake (d’un grand film que Dante adore) sorti la même année : Invasion of the body snatchers, de Philip Kaufman. Bref, Piranha est selon moi, bien plus qu’un simple aquatic monster movie, bien plus qu’une simple copie bis de Jaws.

Panic sur Florida Beach (Matinee) – Joe Dante – 1993

20. Panic sur Florida Beach - Matinee - Joe Dante - 1993Coming attraction.

   8.5   Si Gremlins et Piranhas font partie de mes madeleines incontournables dans la mesure où je les ai tous deux regardé en boucle entre mon enfance et mon adolescence, Joe Dante n’est pourtant pas l’artisan de ces deux seules merveilles. Il faut redécouvrir L’aventure intérieure. Il faut surtout voir Panic sur Florida beach, moins connu du circuit public et pourtant, n’est-il pas son (tardif) chef d’œuvre ? J’avais beaucoup aimé, déjà, en le découvrant il y a quelques années. En fait c’est immense, tout simplement. C’est son film le plus ample, couvrant les deux grandes obsessions de son adolescence : Son amour pour le cinéma bis et l’angoisse nucléaire. Key West devient ce carrefour, de peur, d’amour et de plaisir, accablée par la violence du réel (la crise des missiles de Cuba), libérée par son utopie illusoire (le cinéma sauve des vies, l’amour aussi).

     Laurence Woolsey est un cinéaste inspiré d’Hitchcock, son avatar de seconde zone : Les présentations, le cigare, les postures. Lorsque Matinee s’ouvre sur la bande-annonce de Mant ! (Le prochain rendez-vous horrifique du samedi, dans la ville de Key West) il n’est pas interdit de penser aux Oiseaux, ni de voir en son précédent une copie cheap de Psychose. Mais c’est aussi à William Castle que Woosley se rapproche, dans son appétit d’inventions, truffant ses films de procédés 4D (gérés à distance au moyen d’un système de trucages millimétrés) de façon à ce que l’écran et la salle entrent en fusion. C’est d’autant plus beau que William Castle a toujours été dans l’ombre d’Alfred Hitchcock. C’était le Hitchcock du pauvre, super connu des déviants mais connu des cinéphiles uniquement pour avoir produit Rosemary’s baby de Polanski. Lorsque le gamin de la station essence demande un autographe à Woosley il remercie Hitchcock, plus qu’un clin d’œil à Castle, forcément.

     Gene, 14 ans, discret, érudit, est inquiet pour son père, militaire de la base navale de Key West. En guise de consolation, il écume les séances de cinéma horrifique et attend vivement la venue de l’un de ses maîtres, le fameux Lawrence Woosley. Ce gamin c’est Joe Dante, évidemment. Matinee est ouvertement autobiographique, même si Dante a davantage l’âge du petit frère à l’époque où se déroule l’action du film. Sa grande originalité est d’être une projection aussi réelle que fantasmée de l’enfance de Joe Dante : La trouille du nucléaire avec la crise des missiles de Cuba croise l’amour pour le cinéma bis et l’amour tout court. Si Sandra tape dans l’œil de Gene c’est autant parce qu’elle a tenté de braver le dispositif de sécurité complètement absurde de l’établissement scolaire, que parce qu’elle est sa projection féminine rêvée, dans la mesure où ses parents semblent être des mordus de cinéma bis.  

     Ce qui est très beau chez Joe Dante, en tout cas dans Matinee c’est qu’il se place constamment du point de vue de l’enfant ou bien des adultes qui sont encore des enfants – à l’image de Lawrence Woosley, forcément, mais aussi des parents de Sandra. Joe Dante c’est l’émerveillement avant tout. Mais c’est un émerveillement conscient du réel, conscient de la fabrication. La magie n’est jamais niaise chez Dante, tout est faux, chacun le sait. Les adultes, les autres ont perdu cet attrait pour la magie, ils se sont recroquevillés dans la peur, sont atrocement ridicules tous ensemble et se ressemblent tous, à l’image de la séquence du supermarché. Les enfants sont les spectateurs de cette horreur et de cette peur – cf la mère de Gene, coincée devant sa télévision, soit pour écouter les news de Cuba, soit pour revoir des images de son mari absent.

     Ce qui m’a toujours un peu dérangé chez Dante c’est son amour pour le cartoon et donc le penchant de chacun de ses films moins pour les incrustations animées (il en fait relativement peu) mais pour cette dynamique cartoon. On peut trouver ça dans l’effervescence de L’aventure intérieure, par exemple, mais surtout dans Gremlins 2 – qu’il me faudrait toutefois revoir. Le premier volet jouait moins sur cet amour pour l’animation burlesque que sur le cinéma horrifique, cinéma de créatures. Et Panic sur Florida beach est probablement celui de ses films qui s’en affranchit le plus, lui rendant hommage le temps d’une courte séquence durant laquelle Woosley dessine sur un mur de brique un chien qui prend vie. C’est très court, typique de Joe Dante, mais ça disparait aussitôt.

     Je pense qu’objectivement, pour ce qu’il traite du rêve de cinéma et de l’angoisse du nucléaire c’est son film le plus important, le plus passionnant. Il y a ce mélange de réel d’une Amérique paranoïaque et le pur fantasme de série B. Avec ce dénominateur commun qu’est la peur. Matinee est l’œuvre d’un cinéaste fasciné par l’espace d’interaction qui peut exister entre le film et le spectateur, persuadé qu’il est capable de briser cette frontière de la fiction – Ce qui se déroule dans le film évidemment, quand le balcon s’écroule sur les images de champignons nucléaires, ou plus simplement quand les sièges balance des décharges, les murs tremblent. En ce sens, l’ouverture de Mant ! nous plonge d’emblée dans une ambiance qui couplerait l’associable : La jetée, de Marker et Tarantula, de Jack Arnold. Une fois encore c’est cette curieuse combinaison qui rend la scène fascinante. Et tout le film tient là-dessus.

     La fin, somptueuse, marque aussi bien la fin d’une époque (le cinéma explose mais va se reconstruire) qu’elle ouvre sur un happy-end provisoire : Le retour des hélicoptères marquent le retour du papa (et le plan des ados sur la plage évoque une fin idyllique) et pourtant dans ce tout dernier plan, c’est l’hélico lui-même que l’on voit, un plan qui pourrait tout aussi bien marquer le début de la guerre du Vietnam. Ce dernier plan c’est quasi Apocalypse Now. Cette ambiguïté crée une autre passerelle : 1962 c’est la crise de Cuba mais c’est aussi un an avant l’assassinat de Kennedy. C’est toute l’Amérique qui s’apprête à changer. Autant que le cinéma de Key West. Autant que ces familles, ces gamins, cet état d’esprit. Si le film semble clairement dire qu’il vaut mieux se faire peur au cinéma, cette peur, encore abstraite, apparait bien réelle et palpable dans ce dernier plan d’hélicoptère.


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