Diable rouge.
9.5 Août 2016.
Revu en BR cette madeleine absolue dans une édition qui ne comporte pas de Vost. Comme je connais le film par cœur j’aurais très bien pu le voir en Vo mais je me le suis refait en Vf et c’était très bien. Enfin là n’est pas le problème, je vais illico revendre cette merde car c’est impardonnable, scandaleux. D’autant qu’on peut voir le film en version russe sous-titrée coréen.
A part ça j’adore ce film depuis toujours, je le revois régulièrement sans problème. J’ai cette fois moins été marqué par l’évolution du personnage (Arnie Cunningham) qui se transforme en même temps que Christine retrouve ses couleurs, que dans sa propension à carrément fusionner avec elle jusque dans sa façon de s’habiller avec cette veste rouge et ce col en V et sa vulgarité naissante.
J’aime beaucoup l’idée qu’il devienne le méchant par procuration, que la voiture se serve de lui comme d’un nouvel hôte pour transmettre le Mal soit par la vengeance face aux petits cons dont il a toujours été le martyr soit par la jalousie, dans ce triangle amoureux avec son meilleur ami qui devient au fil du récit le vrai personnage principal, le gentil même s’il semble être à première vue son ami par pitié.
Il y a une frontière très ambiguë dans la narration et la caractérisation des personnages, quelque chose que Carpenter parvient admirablement à capter. J’ai lu le bouquin une fois il y a longtemps mais je ne me souviens plus si cette ambigüité est aussi marquée que dans le film. Et il y a cette drôle de fin qui sonne comme le triomphe du beau et de la normalité qui dégage un parfum troublant.
Carpenter aura réussi à injecter son cinéma autant dans la tradition du teen-movie (Le début pourrait presque évoquer un film de John Hugues) que dans le fantastique domestique traduit par Stephen King. Récemment je ne vois guère qu’It Follows pour lui ressembler, dans sa douceur comme dans sa violence, sauf que ce dernier se termine bien, à sa manière.
Mai 2020.
Enfin revu cette merveille dans des conditions idéales grâce à Carlotta et son édition collector (Je suis présentement plongé dans le bouquin qui l’accompagne, il est passionnant) et donc en version originale cette fois. Que dire de plus ?
Que l’action s’articule autour de peu de lieux, tous très précis, très marquants, très forts esthétiquement – Mais ce n’est ni une première ni une surprise, venant de Carpenter. Avant tout, il y a cette casse, chez Darnett, refuge d’Arnie qui va y relooker sa Plymouth Fury à l’aide de pièces détachées. Il n’y a pas une casse dans un film ou une série (Récemment dans Douze mille, de Nadège Trebal ; ou Love, deaths & robots chez Netflix) qui ne me fasse pas songer au film de Carpenter, qui aura bercé toute ma cinéphilie.
En fait, il n’y a pas un lieu (Dans Christine, mais, je me répète, ça vaut pour tous ses films) qui ne soit pas filmé avec amour, comme une terre à construire des mythes. La première rencontre entre la Plymouth Fury rouge sang et le timide lycéen Arnie Cunningham a beau se dérouler dans une vieille allée décatie, on se souvient de tout, des hautes herbes, de cette baraque en ruine, ainsi que ce vieil homme vêtu d’une étrange ceinture lombaire et titubant tel un bossu. Chez n’importe qui ça ne fonctionnerait pas, ça ferait cheap, on n’y croirait pas. Chez Carpenter, si. Tout est réuni pour un coup de foudre. Entre un garçon réservé et un bolide extravagant.
Chez les parents d’Arnie, en revanche, c’est le contraire : Le lieu change constamment, nos repères y sont malmenés afin que l’on s’identifie à lui, qui ne supporte plus d’y vivre ni de recevoir les marques d’autorité. Dans le salon, la cuisine ou dans la cour, il s’agit de faire corps avec lui, de se perdre dans un décor qu’il rejette et dans lequel il perd complètement pied face notamment à une mère dominatrice. Par ailleurs, dès l’instant que Christine empiète sur cette terre (Le jour de son acquisition, Arnie la stationne dans l’allée familiale) on la vire, elle n’est pas la bienvenue. Nous non plus en un sens, puisque nous somme un peu Christine : On l’a vu naître, on l’a déjà vu tuer. Et Arnie nous a adoptés.
La séquence d’ouverture est un modèle d’ambiguïté à tous les étages. Et l’utilisation musicale servira de passerelle temporelle : Le film est de 1983 mais il replonge dans le Detroit de 1957. Le morceau est pourtant sorti l’année précédente, mais il évoque le rock’n’roll des années 50. Puis Not fade away, de Buddy Holly, supplante Bad to the bone. On a atterrit en 1978 mais la musique est de 1957 à la différence qu’elle est interprétée dans les années 80. Difficile d’être plus éloquent pour démontrer qu’on peut faire du neuf avec du vieux. D’autant que c’est exactement ce qu’Arnie fera de Christine. La retaper. Carpenter retape les années 50 et s’auto cite : La banlieue de Rockbridge évoque beaucoup, comme un prolongement, celle, tout aussi banale d’Haddonfield, dans Halloween.
C’est aussi une affaire de transformation, Christine. L’adolescent Arnie mue complètement, mais il devient moins un homme qu’un monstre, sa timidité maladive se transforme en arrogante misanthropie. Son visage change, sa coiffure change, sa façon de parler aussi, de se déplacer. Il était réservé, inquiet, triste, renfrogné. Il prend de l’assurance, devient dragueur, souriant, orgueilleux. Ce qui m’a toujours beaucoup touché dans Christine, c’est l’idée de l’amitié brisée, entre deux amis qui en apparence n’ont pourtant rien pour être des amis : Arnie est le stéréotype geek, quand Dennis est plutôt celui du sportif. Le récit installe une amitié fantasmée pour mieux la broyer, c’est tellement violent.
Il y a une scène terrible au cœur du film, juste après que Christine se soit faite attaquée par la bande à Buddy Rupperton. Lorsqu’Arnie, alors jovial, au bras de Kassie, découvre l’épave de ce qui reste de sa voiture, qu’il avait mis des semaines à retaper, on partage le frisson de désarroi qui l’étreint. Il est rare de ressentir autant de tristesse qui parcourt un personnage et de ressentir cette émotion aussi forte que lui. Cette scène m’a toujours beaucoup ému et ça vient forcément de la vie que Carpenter lui donne, cette façon qu’il a de faire transparaitre l’amour qu’Arnie éprouve pour Christine. Je connais le film par cœur et je sais donc que cinq minutes plus tard elle se retapera d’elle-même – devant son homme : L’une des scènes les plus puissantes qu’ait offert Carpenter, en quelques plans de phares qui s’allument, flair bleu qui découpe la silhouette du garçon, spectateur admiratif du spectacle de la tôle qui se reforme, le tout précédé d’un légendaire « Show me » à te coller une rafale de frissons. Pourtant, ce moment m’a encore une fois laissé sur le carreau, aux côtés d’Arnie qui tente maladroitement de raccommoder un joint qui pendouille, avant d’insulter littéralement Kassie, tremblant de rage.
Lorsque Christine se venge violemment de Buddy Rupperton et son gang, quid de savoir si Arnie Cunningham est ou non au volant ? S’il accompagne (et guide ?) son ange-exterminateur ? « Est-ce que c’est Cunningham ? » dit l’un d’eux, comme s’il incarnait notre propre questionnement de spectateur. Le mystère reste entier, d’autant qu’Arnie apparaitra bien au volant d’icelle dans l’affrontement final. Reste que Christine apparait telle une figure du diable lorsqu’elle poursuit à faible allure Buddy qui semble tituber de fatigue dans la pénombre d’une route perdue. Et Christine achève de tuer les éléments gênants avec Darnell, qui tente aussi de la « violer » comme ce fut jadis le cas sur sa chaine de montage, mais sans doute aussi parce qu’il en sait trop : Il l’a vu revenir toute fumante de son équipée meurtrière.
La dernière scène du film m’a toujours un peu gêné. En fait je n’y ai jamais percé l’importance : Christine, pour moi, c’est avant tout Arnie Cunningham. Et ce serait George LeBay (le frère du vieil homme qui lui vend trois-cent dollars) si le film de leur histoire existait. Là je n’aime ni le ton (la musique de la radio de l’ouvrier qui fait davantage rire que frémir) ni le fait de rester aux côtés de Kassie, Dennis & Mr Junkins. Mais quelque part, je comprends : Le film s’était ouvert sur sa naissance à elle, il est logique qu’il se finisse sur sa mort. Le dernier plan est un pur final de Série B et rappelle, lorsque la carrosserie de Christine, pourtant recroquevillée dans un minuscule monticule de métal, se met à se plier, que le Mal ne meurt jamais.