We are not alone.
02/11/22.
8.5 Ce soir de Novembre 2022, l’amie avec qui j’étais me commande comme programme ciné-club du soir une « elevated rom-com » pour le dire grossièrement. Une comédie romantique pas trop conne, pour être précis. Aux deux extrémités du spectre cinéphile, je pense d’emblée à L’impossible Monsieur bébé ou La La Land, qui n’ont pas beaucoup de point commun. Je me rends compte surtout que je suis très nul pour trouver des films à classer dans tel ou tel genre. Ici on parlera j’imagine davantage de screwball comedy pour l’un et de comédie musicale pour l’autre. Qu’importe, je n’ai pas choisi de lui présenter le choix de ces deux-là. Le premier car je n’ai pas retrouvé mon dvd RKO, mais il doit bien être quelque part car aucun souvenir de l’avoir prêté ; Le second parce que pour des raisons personnelles, je n’ai plus du tout envie de le revoir. Alors j’ai pensé à deux teen-movie, sans doute que c’était ce dont j’avais besoin, moi. Deux films très différents, là encore – quand bien même chaque prod Apatow doit forcément quelque chose à John Hugues – mais deux films de lieux, l’un une fête foraine, l’autre une salle de colle. Adventureland, de Greg Mottola ou The Breakfast club, de John Hugues. Entre l’aspect potache de l’un et la dimension dramatique de l’autre, difficile de voir la comédie romantique là-dedans. Au tirage au sort, Mottola a perdu. On a donc vu The Breakfast club. Qui n’est donc pas du tout une rom-com, ou alors moins « elevated » qu’« abstracted ». Mais je vois un peu pourquoi je peux le glisser vaguement dans ce genre : La rom-com je n’y crois pas beaucoup, généralement, ou alors il faut que ce soit de la screwball pure façon Bringing-up baby, Le sauvage, African queen ou Six jours sept nuits – C’est plus facile de trouver des exemples après coup. Et la rom-com dans The breakfast club (deux couples se forment finalement) je n’y crois pas non plus mais j’ai la sensation que Hugues non plus et que cela participe à l’utopie globale de son film, qui sera l’heure de colle rêvée de tous (procédé par ailleurs repris maintes fois, jusque dans un épisode récent de Sex Education) où chacun s’ouvre à l’autre, où un groupe d’individualités sans rapport au préalable finit par se former, exister et donc pourquoi pas s’aimer. C’est un film passionnant car très bancal, parfois léger, limite cartoon, parfois grave, d’une violence sous-jacente assez terrible. Et on sort malgré tout avec le sourire. J’adore ce film, que je revoyais là pour la quatre ou cinquième fois.
Au départ c’est une banale journée de colle pour nos cinq trublions : Claire, Allison, Brian, Andy & John. Ou plutôt, comme chacun s’accorde à les voir : Princess, Basketcase, Brain, Athlete & Criminal.
Le jour se lève dans un lycée dont on ne voit pas grand-chose sinon son enceinte et quelques couloirs accueillant l’arrivée des cinq punis, en voiture ou à pied. Les parents si on les aperçoit ne sont que des pantins figurants.
Auparavant le film aura débuté par une curieuse voix off de l’un des élèves en question, synthétisant brièvement sur la valeur de cette punition et ce qu’elle engage comme réflexion collective. Nous n’apprendrons qu’au terme du film qu’il s’agit en fait de la dissertation groupée prise en main ce jour-là par Brian, le cerveau (son prénom est déjà une anagramme) comme il est vite catalogué par élèves et professeurs. Intello dirait-on chez nous.
Rien ne laisse pourtant présager cet élan collectif final. C’est toute la subtile beauté du film de John Hugues d’avoir créé cette bulle d’amitié improbable par l’entreprise de cette journée de colle tandis que rien ne semble à priori rapprocher les cinq adolescents perturbés.
The breakfast club joue sur une double dynamique de rapprochement. La libération par l’espace, occasionnant l’émancipation corporelle. Puis le confinement, générant la réunion spirituelle.
En premier lieu et afin que les discussions ne tournent plus autour d’un flot d’insultes, de méchanceté gratuite ou d’indifférence il faut briser le cadre, gicler de cette pièce géante, spatialement déstructurée – avec ses murs, ses étages et ses espaces blancs – et tisser une toile indécise mais séduisante à travers les couloirs. C’est une première ouverture. Au moment où le proviseur s’en va se faire couler un café.
A se lancer dans cette partie de cache-cache, le groupe se forme, tout du moins les dissensions de bas étage se dispersent, s’effacent. Cette solidarité en germe se confirmera plus tard lorsque l’un d’eux pourrait être balancé mais qu’ils n’en font rien. Le film s’amuse alors de ses transitions : pause repas jubilatoire, trêve fumette et défouloir dansant. On se cherche toujours mais avec beaucoup plus de jeu que de méchanceté.
Puis dans le resserrement, le film bascule, le temps d’une longue séquence, une discussion à cinq absolument bouleversante, en cercle, pendant dix-sept minutes.
Discussion durant laquelle chacun avoue tour à tour certaines de ses faiblesses et/ou le pourquoi de sa présence ici ce jour. La mise en scène utilise trois régimes de plans durant cette séquence phare : serrés, isolant les visages pour parfaire les individualités ; larges, d’ensemble, toujours le même par ailleurs où les postures de chacun créent une forme de bulle corporelle idéale ; travellings glissés autour de la bulle dès l’instant que l’un d’eux se confie plus longuement. La séquence oscille sur plusieurs terrains émotionnels. Proche de l’implosion, entre rires groupés et larmes franches, chacun y parle de sa solitude, du gouffre générationnel qui les sépare de leurs parents, de la quête de perfection, de maltraitance, de sexe, d’effet de groupe. Les parents ont beau être physiquement absents ils sont là partout, dans les évocations douloureuses de chacun. Ce sont les vrais méchants (dans l’ombre) du film. Vérités, extrapolations et mensonges se chevauchent pour ne laisser finalement qu’un profond malaise général, entre la colère et le trouble mélancolique de la peur d’être ce que l’on ne veut pas devenir.
The breakfast club donne envie d’être collé, de partager une punition de groupe, d’écouter l’autre, de ce confier à lui. Pour ne plus jamais être seul : Quand l’un évoque sa méchanceté pour que son père soit fier de ne pas avoir un loser de fils, l’autre enchaine sur sa peur panique de rapporter un zéro à la maison, au point de penser mettre fin à ses jours.
Après une si puissante échappée dramatique le film retombe avec élégance dans une belle légèreté où le guide (the Brain) s’en va conduire (la disserte pour cinq) les deux nouveaux couples d’amants improbables. Le film se clôt là-dessus, happy-end magnifique, sur un morceau de Simple Minds qui déjà ouvrait le film (et qui sera d’ailleurs repris en clin d’œil dans une comédie adolescente (qui m’est tout aussi chère, pour d’autres raisons) plus grasse quinze ans plus tard : American Pie) comme pour y accentuer son cachet irréel, son aspiration utopique.