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As I was moving ahead occasionally I saw brief glimpses of beauty – Jonas Mekas – 2000

14. As I was moving ahead occasionally I saw brief glimpses of beauty - Jonas Mekas - 2000Nothing is something.

   7.0   En 2000, Jonas Mekas, 78 ans au compteur, entreprend de monter les centaines d’heures filmées avec sa Bolex durant trente ans. Le matériau étant conséquent, il décide d’agencer ces images sans ordre, sans chronologie, à l’instinct, ne cherchant pas à créer de trame narrative mais en faisant le pari que cette somme de fragments agencés constitue une trame, la sienne, avec un sens qui lui est propre, du mouvement, des couleurs, étirés à l’infini dans un produit fini de cinq heures.

     On y voit beaucoup son appartement, les rues de New York, les dimanches à Central Park, ses enfants, le visage de sa femme, des chats, les fleurs, la neige. C’est une vraie déclaration d’amour à son monde, à sa famille et ses amis, ainsi qu’à tout ce qui accompagne son quotidien, des petites choses, des petits riens. Une pluie d’orages est suivie de la naissance d’un de ses enfants. Ici on cueille des fraises des bois, là on fait du canoé. Fêter un anniversaire, partager un bain. Tout est envisageable, dès l’instant que ces jaillissements de photogrammes deviennent souvenirs de fragments de beauté.

     C’est un journal filmé en forme de méditation extatique. Un film qui semble rappeler que l’important, le bonheur se capte dans le rien ou ce qui s’apparente au rien. Et d’un point de vue méta, c’est aussi sa vision du cinéma que Jonas Mekas dépeint, cet amour du geste, pas de la narration, cet amour de la banalité et non du suspense et du rebondissement.

     Pour accompagner ces centaines d’images parfois à peine perceptibles tant l’image coupe, saute, craque, virevolte sans cesse, Mekas y ajoute des sons, provenant souvent d’autres enregistrements. Parfois de la musique, brève, éclectique. Et de temps à autre il nous parle, comme si nous étions ses amis, nous spectateurs, intrusifs l’espace de cinq heures, dans son intimité filmée. On apprend notamment qu’il assemble ces fragments tard le soir, trente minutes avant le passage à l’an 2000, avoue-t-il un moment donné.

     Il y a douze chapitres, mais il pourrait y en avoir cent. Ou aucun. Ça dure cinq heures, mais ça pourrait tout autant s’étirer sur deux ou dix. La voix off semble parfois de trop, répétitive. Les intertitres, aussi. Car ils relèvent de son humeur à un instant donné. C’est comme l’entendre présenter constamment ses excuses pour ne pas avoir fait un film de cinéma comme tout le monde. C’est une profusion d’éclats instinctifs, qu’on prend, qu’on laisse.

     Ce qui est passionnant c’est de constater que bien qu’en partant d’images du réel le film ne déploie pas de réel, d’état d’esprit du réel mais plutôt celui du souvenir de ce réel : « Je ne filme peut-être pas la vie réelle, je filme peut-être juste mes souvenirs » dira Mekas. Car ces fragments ne révèlent rien de leur propre présent. Le bonheur est toujours éphémère, traversé par des instants de doutes, de douleur. Que le film s’échine à laisser hors-champ. C’est son programme : « Brief glimpses of beauty ».

     Un carton revient très souvent, notamment dans la dernière bobine : « Submergé par la beauté de l’instant, il ne se rappelait plus rien de ce qui avait précédé ce moment ». Comme si Mekas acceptait le temps du film, du montage du film, d’oublier les fragments de douleur, de les laisser se faire dévorer par la beauté. Fragments de paradis comme refus de la vue d’ensemble.

     Si l’idée d’un journal filmé dans lequel on ne verrait plus que les fragments de beauté passés me fascine énormément, je dois bien admettre qu’As I was moving ahead… convoque mes propres limites face au cinéma dit expérimental, face au régime d’images utilisées, surtout. Autant je peux passer des heures devant un Benning, à regarder des ciels, des lacs, des trains, autant ici le procédé filmique m’épuise beaucoup. Néanmoins je suis ravi d’avoir vu cela. Difficile d’offrir un film plus unique, personnel et radical que celui-ci.


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silencio


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