Archives pour la catégorie Jonás Trueba

Septembre sans attendre (Volveréis) – Jonas Trueba – 2024

09. Septembre sans attendre - Volveréis - Jonas Trueba - 2024En attendant la fin de l’été.

   5.0   C’est une franche déception. Et pas tant parce que je n’y retrouve pas Trueba (Après tout c’est la continuité formelle d’Eva en août ou Venez voir, on reconnait son style, son rythme, ses obsessions) que parce que je trouve le film a la fois ampoulé et bourgeois.

      D’une part je trouve tout son discours théorique franchement irritant. Ce n’était déjà pas ce que je préférais dans la fermeture du film précédent mais c’était une fermeture, une sorte de clin d’œil au Goût de la cerise, disons. Mais là c’est présent en permanence : le film dans le film en train de se faire, le plan à reprendre, la discussion avec l’équipe de tournage. Je préfère quand Trueba la joue plus subtil quand il filme le personnage incarné par son papa. L’espace d’un instant il filme son papa. Et c’est très beau.

     L’autre problème pour moi c’est le fond. Alors d’accord c’est pleinement assumé – il y a notamment le jeu de la redondance autour de La Reprise de Kirkegaard, l’évocation de Bergman etc : c’est la comédie de remariage chez les bobos (qui citera Blake Edwards et Francois Truffaut) – mais j’ai vraiment la sensation de voir un couple (assez insupportable au demeurant) organiser leur séparation et passer le film à annoncer leur fête de séparation, pour finalement ne pas l’offrir. C’est vraiment petit bourgeois (alors de gauche, certes, car c’est un cinéma qui étale ses références, mais quand même) et assez peu courageux.

     Bon ce n’est pas très grave, j’aime encore plein de choses dedans et j’irai bien entendu voir les prochains Trueba.

Venez voir (Tenéis que venir a verla) – Jonás Trueba – 2023

13. Venez voir - Tenéis que venir a verla - Jonás Trueba - 2023Let’s move to the country.

   7.0   Le nouveau film de Jonas Trueba – dont j’avais adoré Eva en août, mon film préféré de 2020 – s’intéresse à deux couples de trentenaires, qui passent une soirée ensemble dans Madrid puis une journée ensemble dans la campagne. Deux parties, deux unités de temps qui seront espacées d’une ellipse de six mois. Dès le début il en faut peu à Trueba pour imposer son style, cadrant chacun des visages, individuellement, durant de longues secondes, le temps d’un concert d’un pianiste. Tandis qu’ils sont pourtant silencieux, cette séquence raconte beaucoup de chacun des personnages. C’est très beau. Ce qui l’est aussi c’est son ancrage dans l’actualité, cette façon qu’il a d’évoquer la pandémie (le temps qui passe, les bouleversements, les masques) sans en faire le sujet. Si le film m’évoque autant Hong Sang-Soo que Rohmer c’est moins une question de ton que de rapport aux lieux, l’importance de l’espace dans lequel évoluent les personnages. Et si le temps d’une scène dans un train, silencieuse encore, on entend « Let’s move to the country » de Bill Callahan, ce n’est pas pour faire joli : le récit s’en nourrit, les échos ne vont pas tarder à se faire entendre. « Let’s have a baby » peut-on entendre dans les paroles, un moment. Et c’est au cœur du film puisqu’au cœur de deux choix de vies opposées et de deux situations, deux temporalités, où la réalité de la grossesse s’est trouvée modifiée à six mois d’intervalle. La discussion, plutôt brève, entre les deux amies est un moment de grâce, absolument bouleversant. Et d’une manière générale, le film se permet de prendre son temps, s’octroie des instants de suspensions, alors qu’il s’étire sur un format étonnamment court (étant donné la possible envergure de son propos). La toute fin – une mise en abyme qui n’est pas sans évoquer Le goût de la cerise et bien d’autres films – me semble faire office de pirouette théorique de sortie un peu facile. Néanmoins j’aime l’idée que le relais se fasse sur un fou rire et pas celui de n’importe qui. N’y allons pas par quatre chemins : Itsaso Arano, te quiero.

Eva en août (La virgen de agosto) – Jonás Trueba – 2020

03. Eva en août - La virgen de agosto - Jonás Trueba - 2020Les lumières de sa ville.

   9.5   Depuis quand n’avais-je pas été à ce point ému, surpris et transporté par un film au cinéma ? Une éternité, apparemment.

     Eva en août est une magnifique relecture madrilène et inversée du Rayon vert, de Rohmer : Quand Delphine, qui souhaite quitter Paris pour l’été, se retrouve sans lieu de vacances, et voyage au gré de ce que ses rencontres lui proposent, Eva, ici, choisit sa propre ville afin de l’arpenter en touriste, déterminée à écouter ses envies, ressentir pleinement son authenticité, se réécrire.

     Lorsque le film s’ouvre, Eva est une page blanche. Dans un carton de présentation, tout juste on nous apprend qu’elle choisit de rester à Madrid pour les vacances, quand tous les madrilènes, par habitude, fuient les lieux. C’est un acte de foi : Se recentrer en choisissant de rester plutôt que de partir. Rester, mais rester autrement. En excursion dans son propre environnement.

     D’emblée, Eva visite un appartement qu’un ami lui prête pour le mois. Bientôt, elle demande refuge à une amie, lorsqu’elle se retrouve à la porte de son immeuble en pleine nuit, le premier soir. Elle n’a plus de chez elle. Elle choisit Madrid mais ce n’est plus son Madrid. C’est celui d’un univers parallèle.

     On apprendra par ailleurs peu sur elle, hormis au moyen de quelques bribes, notamment des retrouvailles et quelques dialogues, qui la rattachent au passé. On sait qu’elle est comédienne. On sait bientôt aussi qu’elle sort d’une rupture douloureuse. Mais la page blanche, systématiquement l’emporte, à l’image de ce journal, qu’elle tient, mais dont nous n’aurons jamais vraiment accès. Et c’est aussi dans ses rencontres que la page blanche se nourrit : Ses connaissances apparaissent puis disparaissent ; ses rencontres avec des inconnu(e)s restent.

     Vers la moitié du film, Eva est plongée dans l’eau contre son gré mais semble vite s’y accommoder, accepte cette plongée inopinée comme un baptême et une possibilité parmi l’infinité de possibilités qui s’ouvrent devant elle. C’est aussi cela Eva en août : La quête d’une osmose entre la solitude et l’ouverture à l’imprévu, aux autres, au monde.

     Itsaso Arana incarne Eva, mais pas seulement : Elle coécrit le film avec Jonas Trueba, son réalisateur. C’est elle qui porte tout le film. Qui fait vivre chaque plan, au gré des aventures de son personnage, de ses rencontres ou de ses retrouvailles.

     Pourtant, le film semble aussi faire le portrait plus universel d’une génération de trentenaires en pleine crise existentielle, questionnant en permanence leurs choix passés et à venir, leurs doutes et leurs regrets, qu’ils soient parents ou non.  

     C’est aussi un portrait de Madrid au mois d’août. Mais loin d’être celui d’une carte postale, plutôt celui qui capte sa respiration abstraite, qui s’attache aux trajectoires inattendues ainsi qu’aux petites choses quotidiennes que le cinéma trop souvent oublie.

     Le film est construit à la manière des meilleurs Rohmer, ceux qu’il réalisât durant les années 80 : Chapitrés par journée. Mais il est aussi jalonné par les fêtes populaires rituelles : San Cayetano, San Lorenzo, La fête de la vierge Paloma.

     « La vierge d’août » annonce le titre original. Car se retrouver c’est aussi retrouver sa virginité. D’ailleurs le film n’ira pas plus loin que le quinze août, jour de l’Assomption. Mais religion de côté, en philosophie existentialiste, l’assomption c’est surtout « l’acceptation lucide de ce que l’on est, de ce que l’on désire, etc ; acte de la liberté en tant qu’elle assume lucidement la nécessité, la finitude, etc ». C’est le leitmotiv d’Eva : Devenir une vraie personne. Autrement dit, faire corps avec ses propres désirs.

     C’est une déambulation touchée par la grâce, que je pourrais revoir/revivre sans problème tous les ans. J’en attendais beaucoup, on me l’avait tant conseillé. Mais c’est encore mieux que ce que j’en attendais. C’était aussi pile le moment pour moi de voir ça, assurément.


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silencio


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