Les lumières de sa ville.
9.5 Depuis quand n’avais-je pas été à ce point ému, surpris et transporté par un film au cinéma ? Une éternité, apparemment.
Eva en août est une magnifique relecture madrilène et inversée du Rayon vert, de Rohmer : Quand Delphine, qui souhaite quitter Paris pour l’été, se retrouve sans lieu de vacances, et voyage au gré de ce que ses rencontres lui proposent, Eva, ici, choisit sa propre ville afin de l’arpenter en touriste, déterminée à écouter ses envies, ressentir pleinement son authenticité, se réécrire.
Lorsque le film s’ouvre, Eva est une page blanche. Dans un carton de présentation, tout juste on nous apprend qu’elle choisit de rester à Madrid pour les vacances, quand tous les madrilènes, par habitude, fuient les lieux. C’est un acte de foi : Se recentrer en choisissant de rester plutôt que de partir. Rester, mais rester autrement. En excursion dans son propre environnement.
D’emblée, Eva visite un appartement qu’un ami lui prête pour le mois. Bientôt, elle demande refuge à une amie, lorsqu’elle se retrouve à la porte de son immeuble en pleine nuit, le premier soir. Elle n’a plus de chez elle. Elle choisit Madrid mais ce n’est plus son Madrid. C’est celui d’un univers parallèle.
On apprendra par ailleurs peu sur elle, hormis au moyen de quelques bribes, notamment des retrouvailles et quelques dialogues, qui la rattachent au passé. On sait qu’elle est comédienne. On sait bientôt aussi qu’elle sort d’une rupture douloureuse. Mais la page blanche, systématiquement l’emporte, à l’image de ce journal, qu’elle tient, mais dont nous n’aurons jamais vraiment accès. Et c’est aussi dans ses rencontres que la page blanche se nourrit : Ses connaissances apparaissent puis disparaissent ; ses rencontres avec des inconnu(e)s restent.
Vers la moitié du film, Eva est plongée dans l’eau contre son gré mais semble vite s’y accommoder, accepte cette plongée inopinée comme un baptême et une possibilité parmi l’infinité de possibilités qui s’ouvrent devant elle. C’est aussi cela Eva en août : La quête d’une osmose entre la solitude et l’ouverture à l’imprévu, aux autres, au monde.
Itsaso Arana incarne Eva, mais pas seulement : Elle coécrit le film avec Jonas Trueba, son réalisateur. C’est elle qui porte tout le film. Qui fait vivre chaque plan, au gré des aventures de son personnage, de ses rencontres ou de ses retrouvailles.
Pourtant, le film semble aussi faire le portrait plus universel d’une génération de trentenaires en pleine crise existentielle, questionnant en permanence leurs choix passés et à venir, leurs doutes et leurs regrets, qu’ils soient parents ou non.
C’est aussi un portrait de Madrid au mois d’août. Mais loin d’être celui d’une carte postale, plutôt celui qui capte sa respiration abstraite, qui s’attache aux trajectoires inattendues ainsi qu’aux petites choses quotidiennes que le cinéma trop souvent oublie.
Le film est construit à la manière des meilleurs Rohmer, ceux qu’il réalisât durant les années 80 : Chapitrés par journée. Mais il est aussi jalonné par les fêtes populaires rituelles : San Cayetano, San Lorenzo, La fête de la vierge Paloma.
« La vierge d’août » annonce le titre original. Car se retrouver c’est aussi retrouver sa virginité. D’ailleurs le film n’ira pas plus loin que le quinze août, jour de l’Assomption. Mais religion de côté, en philosophie existentialiste, l’assomption c’est surtout « l’acceptation lucide de ce que l’on est, de ce que l’on désire, etc ; acte de la liberté en tant qu’elle assume lucidement la nécessité, la finitude, etc ». C’est le leitmotiv d’Eva : Devenir une vraie personne. Autrement dit, faire corps avec ses propres désirs.
C’est une déambulation touchée par la grâce, que je pourrais revoir/revivre sans problème tous les ans. J’en attendais beaucoup, on me l’avait tant conseillé. Mais c’est encore mieux que ce que j’en attendais. C’était aussi pile le moment pour moi de voir ça, assurément.