Quid pro quo dangereux.
6.5 On entre dans Le silence des agneaux aux côtés de Clarice Starling, imperturbable, plongée en plein parcours d’entraînement militaire à Quantico, dans une forêt du Tennessee. Point de serial killer ni de psychiatre cannibale encore, point de hurlements d’agneau ni de phalène à tête de mort, mais déjà une volonté de course poursuite doloriste (Les panneaux sur l’arbre : « Hurt, agony, pain, love it, pride ») et de respiration organique : Jodie Foster fait elle-même ce parcours, on le sent, elle souffle fort, sue à grosses gouttes. Puis soudain quelqu’un l’arrête, brise son élan téméraire méthodique et révèle sa timide fragilité. Ce n’est pas encore Lecter ni Buffalo Bill mais un sergent qui lui annonce une entrevue avec son supérieur. L’entrée dans le film se fait donc par l’accompagnement et la plongée : On ne quittera (presque) plus ni ce personnage ni l’ambiance sordide de cette affaire.
Incroyable de constater aujourd’hui à quel point ce film en préfigure des tonnes. C’est une matrice imparable. Une matrice de tant de films qui paradoxalement le vieillissent, appuient sur ce qui ne fonctionne pas très bien chez lui (scénario un peu mal fichu, esthétique limitée, construction attendue), les mauvais comme les bons : Je suis maintenant convaincu qu’un film comme Zodiac ou qu’une série comme Mindhunter terrassent Le silence des agneaux. Sur tous les points.
Je ne l’avais jamais revu à vrai dire. Découvert beaucoup trop tôt (par curiosité de braver l’interdiction) et le film avait laissé en moi un sentiment diffus mais désagréable, que j’étais incapable de relativiser : Une aura mythique, un imaginaire trouble mais puissant, au diapason du personnage Lecter, en somme. Ce sont d’ailleurs les scènes avec Anthony Hopkins qui m’étaient vaguement restées : Sa première apparition derrière sa cellule de verre, son arrivée muselé sur le tarmac de l’aéroport puis bien entendu la scène de la cage et son évasion masquée. Des images, ouvertement horrifiques ou conviant l’horreur, qui restent, indubitablement. Et pourtant, ce n’est vraiment pas ce qu’il y a de plus réussi dans le film, qui n’est jamais aussi beau que lorsqu’il colle à Clarice.
Alors c’est un bon film évidemment, la mise en scène de Demme est efficace, mais l’ensemble semble presque trop convenu, trop écrit aujourd’hui. Aussi bien dans ces longs dialogues indices / background entre Lecter & Clarice – qui cherchent tous deux à faire parler l’autre – que dans la quête du serial killer en action. True detective est passée par là, probablement. Plus grave, je n’ai cessé de me dire que Michael Mann et son chef d’œuvre Manhunter, avaient su proposer une vraie folie, une personnalité hors norme, à son adaptation du roman de Thomas Harris – Ne serait-ce que dans l’unique apparition du psychiatre ou de l’absolu fascination pour le tueur – tandis que Le silence des agneaux s’avère, bien qu’efficace, assez peu stimulant à tout point de vue si ce n’est quand il colle à son héroïne.
Formellement c’est assez pauvre. La musique, par exemple, est lourde. Les deux flashbacks n’ont aucun intérêt, sinon qu’ils soulignent ce que l’on a déjà compris. Et les grands lieux du film (La prison de verre, la cage de Lecter, la cave de Bill) sont assez décevants, on a la sensation que Demme ne sait pas trop comment les filmer : Créer ici l’impression qu’il n’y a pas de verre puis l’oublier, épater sur un plan de cage pour ne rien en faire, parcourir l’étrangeté d’une cave puis se gaufrer dans un banal train fantôme avec vision nuit à l’appui. Le film est un peu surestimé je pense.