Archives pour la catégorie Jordan Peele

Nope – Jordan Peele – 2022

16. Nope - Jordan Peele - 2022Get up.

   7.5   Le troisième long-métrage de Jordan Peele ne manque pas d’ambition, en embrassant les genres fondateurs de l’imagerie hollywoodienne, du western au film de science-fiction, en passant par la sitcom et l’elevated horror. S’il cite Muybridge (et sa décomposition chronophotographique du mouvement d’un cheval au galop) ce n’est évidemment pas pour rien : l’idée c’est aussi de brasser l’histoire du cinéma, de faire de Nope un film sur le cinéma.

     Il y a d’abord deux décors qui s’y réfèrent pleinement, deux décors de tournage : Celui d’une sitcom (avec son public) puis celui d’un film en studio (avec son fond vert). Il y a déjà une correspondance par aplats (aucune profondeur de champ) qui crée autant un troublant vertige qu’une frustration nette, dans la mesure où l’on vient voir un film de cinéma, à fortiori un film de Jordan Peele, dont on avait apprécié l’étonnant Get Out et le superbe Us qui, justement, parvenaient chacun à s’incarner dans l’espace, de jour comme de nuit.

     On retrouvera cette puissance du jour et de la nuit dans Nope mais la grande partie du récit se déroule dans deux autres espaces : Un ranch et un parc à thème. On y suit OJ & Em, frère et sœur, éleveurs de chevaux pour le cinéma. Leur crédo : Ils ne cessent de répéter que le jockey de Muybridge était leur ancêtre. Un jour, la vallée dans laquelle se situe leur ferme est attaquée par une mystérieuse présence dans le ciel. Leur père, le propriétaire du ranch, est tué mystérieusement, par une pièce de monnaie lui tombant droit dans l’œil. Plus tard, OJ découvre qu’un nuage n’a pas bougé dans le ciel. Est-ce un ovni ou un monstre ?

     C’est un film pétri d’idées, assez foutraque dans le fond, mais très limpide dans sa forme, qu’on apprivoise à mesure que cet étrange récit prend vie. On y retrouve du Shyamalan, aussi bien dans ses forces (visuelles, notamment) que ses faiblesses : Sa mécanique hybride, son inventivité éparse. A l’image de ces chapitres portant les noms des chevaux du récit. Plutôt des animaux, puisque s’y glisse celui du singe. Il y a une scène de traumatisme, très forte, mais qui ne fonctionne pas vraiment au sein du récit. Sans doute car elle touche un personnage (le gérant de parc d’attraction) clairement secondaire. Et pourtant j’en retiens principalement ses qualités. Comme le design de la créature : Sa façon de se mouvoir, de se transformer. C’est assez inédit. Et bien entendu, sa façon de filmer « la nuit ».

     Quoiqu’il en soit, il est rare de voir un film autant inspiré de Spielberg, sans qu’il fasse pour autant sous-Spielberg ou qu’il en soit écrasé : Sous ses allures de structure identique à celle des Dents de la mer (La longue installation puis la longue chasse au monstre) au point de le citer sur un personnage qui est clairement le miroir visuel de Quint, tournant la manivelle de sa vieille caméra comme Quint tournait celle de sa canne à pêche, Nope a vraiment sa propre identité, son rythme, son étrangeté. Une vraie gueule. Et ses défauts se logent probablement dans sa prodigalité, le film et donc son récit peinant à exploser pleinement.

     En définitive, Nope manque peut-être un peu d’incarnation et d’émotion – surtout lors de sa première heure, un peu laborieuse – mais clairement pas de mise en scène. Et ça tombe bien car ce n’est que ça, une pure déclaration d’amour au cinéma. Qui de par son cachet hybride et sa structure archétypale, parvient à offrir un vertige de cinéma, aussi ébouriffant que rafraichissant, qui plus est dans un paysage hollywoodien aussi peu investi des tentatives et un style visuel aussi inspiré.

     C’est son film le plus réussi à mon sens tant il se libère des quelques lourdeurs de ses deux précédents. Nope est un film très aéré, limpide, ça fait du bien.

Us – Jordan Peele – 2019

us-156128Peele à l’heure.

   7.0   (Nouvelle parenthèse dans mon voyage/festival de Mouk – J’en profite pour avouer que je commence à trouver le jeu long : Je ne suis décidemment pas fait pour m’imposer ce type de défi : être obligé à voir des films bien précis et parler de chacun de ces films, surtout lorsqu’il y autant de déchet dans une sélection. Là j’ai plutôt envie d’écrire sur les derniers films vus au cinéma (Bonello & Dardenne, j’y viendrai, évidemment) voire m’étaler sur deux de mes films préférés revus il y a peu (Profession reporter, Terminator 2) voilà pourquoi je me permets ce nouveau petit écart, afin d’évoquer deux (très) beaux films sortis récemment, deux films très justement encensés. Deux films qui dialoguent un peu entre eux, par ailleurs.)

     Si l’ouverture de Get out rejouait grossièrement Carpenter, Peele soigne davantage celle de Us, singulière première séquence, délicieusement inquiétante. Une jeune fille trahit la vigilance de ses parents inattentifs et se perd dans une fête foraine de Santa Cruz, déambule sur la plage et entre dans une pièce de miroirs où elle fera la rencontre de son double, affublé d’un sourire maléfique. La somme d’inspirations que cette séquence semble receler – Et qui sera de mise durant tout le film – ne contamine jamais son impact. Qu’on ère aux côtés de cette jeune fille sur la plage ou dans cette lugubre pièce aux miroirs, Peele crée un vertige, la tension est palpable, bien plus que dans le simili-Halloween de l’ouverture ratée de son précédent film.

     Ensuite, le film retombe un peu, demande à suivre une autre famille au moment de leur départ en vacances. On reprend la voiture, mais on ne heurte pas de cerf, cette fois-ci. On ne rencontre pas de flics douteux non plus. On est trente ans après cette ouverture glaçante, c’est elle, la jeune fille désormais maman, qui emmène ses enfants à Santa Cruz. Le film prend son temps, rejoint la plage, de jour cette fois, la famille rejoint une autre famille, des gens sympas mais un peu plus aisés qu’eux : La satire sociale se met progressivement en place. Puis vient la nuit. Le film s’envole littéralement lorsque cette famille afro-américaine bourgeoise doit affronter ses doppelganger maléfique, animés d’une colère de refoulé, habités d’un râle guttural en guise de voix, extirpés d’un monde souterrain. C’est comme si les sosies de Dale Cooper prenait source dans un univers inversé. Comme si Twin Peaks, the return croisait la route de Stranger things.

     Un peu partout, le film convoque le spectre de nombreux films, on pense à Shining, à Funny games, à Scream. Les codes du home invasion et du slasher sont parfaitement intégrés, digérés, mélangés. La comédie s’invite dans l’horreur et vice-versa avec un brio assez déconcertant – La séquence pivot chez les amis, sous Good vibrations des Beach boys ou Fuck tha police de NWA, est un moment inattendu, de pure jubilation et de terreur, unique et dingue. Il faut voir la maestria de la réalisation à l’intérieur de cette villa et aux alentours de cette villa – les différentes poursuites, sur la route, sur le lac – et surtout aimer se perdre dans ce déluge de doubles qui s’affrontent. Us a aussi le mérite d’être un beau film pour ses acteurs puisqu’ils incarnent tous un double rôle. C’est une (longue) séquence à l’image du film, qui fait beaucoup rire, mais qui effraie tout autant.

     Puis vient le temps de la vengeance quand la famille parvient à affronter et tuer ses doubles. Peele utilise des ressorts burlesques insensés – Le zodiaque, magnifique – tout en laissant infuser un certain malaise. Cette victoire du bourgeois cruelle et sauvage, façon La dernière maison sur la gauche, aurait fait une fin parfaite, amère, troublante. Mais Peele a plus d’une corde à son arc – et une de trop cette fois – et ne va pas s’en contenter. Tant mieux, tant pis. Tant mieux car d’une part ce virage est une promesse pour les films à suivre : Difficile de savoir jusqu’où Peele nous emmènera ; d’autre part car s’il y a une astuce de scénario qu’on n’avait pas envisagée c’est bien celle-là et c’est assez grisant en un sens, de savoir qu’un film puisse tenter et bifurquer autant, qu’importe qu’il réussisse ou non. Tant pis car il se vautre dans un déluge explicatif sans intérêt sur sa toute fin en sortant une allégorie sur l’absurdité de la croyance en l’égalité des chances – effaçant tout ce qu’il préservait de mystères – et surtout, semble prendre le pouvoir sur l’humilité du genre, souhaite viser plus haut là où la série B féroce suffisait tant – Roméro ne s’en privait pas, lui : Day of the dead, c’était puissant à tous niveaux, par exemple.

Get Out – Jordan Peele – 2017

12. Get Out - Jordan Peele - 2017Devine qui va se faire lobotomiser.

   6.5   Film agréablement surprenant, dans la mesure où tout le foin qu’il traina lors de sa sortie me faisait redouter le truc de petit malin, flippant mais rattrapé par une morale bien dans l’air du temps, un Moonlight pour festival de Gerardmer en gros. Et en fait pas du tout. L’ouverture fait craindre le film qui va citer à foison puisqu’on est clairement du côté de chez Carpenter : L’image de la suburb, automnale, nocturne rappelle celle d’It Follows qui déjà dialoguait avec Halloween. Et puis je la trouve vraiment mal fichue cette ouverture, contrairement à celle, glaçante du film de David Robert Mitchell.

     Le film bascule alors dans le teen movie tout ce qu’il y a de plus banal. Rose embarque son petit ami Chris pour lui faire rencontrer ses parents à la campagne. Elle est blanche, il est noir. Sous l’ère Obama, rien d’anormal d’autant que c’est exactement ce que Rose dit à Chris pour le rassurer lorsqu’il lui demande si ses parents sont au courant qu’il est noir : « T’inquiète, mon père aurait voté une troisième fois Obama s’il en avait eu l’occasion » En gros. Un Devine qui vient diner (Jamais vu ce film mais suffisamment entendu parler pour rapprocher les deux pitchs) en 2017, quoi.

     Sur la route, ils appellent un pote, se font des blagues, ils sont mignons tout plein. Il y a une complicité. On se croirait dans un de ces épisodes de Girls quand les filles prennent le large vers la campagne, d’autant que c’est Alison Williams (Marnie dans la série de Lena Dunham) qui campe Rose. Il ne se passe pas grand-chose mais c’est un peu long donc il va forcément se passer quelque chose. Et bim, ils se prennent un cerf. La lourdeur du truc. Mais faut s’accrocher je te dis. D’autant que ce n’est pas uniquement destiné à faire sursauter puisque Chris va ressentir quelque chose d’étrange au chevet de ce cerf mourant, comme si dans son dernier souffle l’animal lui implorait de faire demi-tour. Mais c’est surtout dans le contrôle de police qui s’ensuit que l’étrangeté pointe vraiment son nez. C’est intéressant car c’est une séquence de racisme ordinaire (Le flic demande les papiers de Chris alors que ce n’est pas lui qui conduit) qu’on ne verra plus du tout ensuite. Ça ira tellement plus loin.

     Jordan Peele, dont c’est le premier long métrage, ménage ses effets et construit habilement son crescendo. Si dès le début rien n’est vraiment rassurant, on ne comprend pourtant pas quand ni comment ça va s’embraser. Et quand apparaissent les premiers dysfonctionnements, on ne mesure pas encore l’ampleur de la situation dans laquelle Chris (et d’autres noirs avant lui, qu’on a transformé en esclaves post-modernes, je n’en dis pas plus) est piégé. On pourra toujours critiquer nombre de parti pris, comme la scène de l’hypnose très Under the skin, ou la présence du frangin (Une gueule bien cassé, vu dans la dernière saison de Twin Peaks, notamment) inutilement over the top, ou le montage parallèle avec le pote de Chris, mais au moins Jordan Peele tente des trucs, à défaut de tout réussir.

     La séquence du basculement est très réussie car étirée dans un espace d’étrangeté qui se referme petit à petit sur le personnage. La belle famille fait une curieuse réception où Chris est observé comme un animal de foire hyper performant – Sa couleur, sa carrure, la longueur de son sexe, tout y passe. Ce qui me plait c’est de constater combien Chris a des réactions qu’on pourrait avoir, il est calme,  réfléchi, chose rare dans ce genre de film. Et lorsqu’il croit voir un garçon de Baltimore, il sert la pogne à quelqu’un qu’il ne reconnaît pas, qui ne parle plus sa langue, ne se comporte pas comme un gars du quartier mais comme un blanc. Le film bascule ici. Le type crie un « Get out » qui ressemble fortement au « Get back » muet du cerf mais qui évoque aussi le dernier plan de L’Invasion des profanateurs, de Philip Kaufman.

     Il faut du temps pour en arriver là (1 heure ?) pourtant on n’a pas vu le temps passer, on n’a rien vu venir. C’est ce qui me plait le plus dans Get out, il me surprend suffisamment pour me faire oublier ce que je suis en train de voir et les mécanismes qu’il va utiliser. Il nous a lobotomisé aussi, en quelques sortes. Et le mélange des genres fonctionne jusque dans son carnage final. Car le film est aussi très drôle et il se ferme là-dessus, dans un sauvetage absurde et jubilatoire alors qu’on attendait une sortie cruelle.


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