Archives pour la catégorie Josh & Benny Safdie

Uncut gems – Joshua & Ben Safdie – 2020

05. Uncut gems - Joshua & Ben Safdie - 2020Frantic time.

   8.0   Quel bonheur de retrouver les frères Safdie qui plus est avec ce niveau d’inspiration, cette folie, ce jusqu’au-boutisme qui fait le sel de leur cinéma. Ce projet de film dans le milieu des diamantaires, les Safdie le tiennent depuis longtemps. Fut un temps ça devait même être incarné par Vincent Gallo. J’en rêvais, tant pis. C’était Robert Pattinson qui était la star métronome de Good time. Ici c’est Adam Sandler. Qui sera quasi de chaque plan. Il est exceptionnel.

     Uncut gems c’est leur After hours. Véritable odyssée (principalement nocturne) d’Howard, bijoutier new-yorkais, accroc au jeu (et aux petites arnaques) dont les dettes accumulées vont le voir assailli par des créanciers pas toujours très compréhensifs, au moment où il est sur le point de faire, dit-il, l’affaire du siècle : La réception d’une pierre précieuse éthiopienne dont il s’apprête à hériter du gain lors de sa mise aux enchères. C’est aussi le moment où il va rencontrer Kevin Garnett, célèbre basketteur des Celtics de Boston mais aussi la semaine où il doit fêter Pessah dans sa famille et assister au spectacle scolaire de sa fille. En filigrane, il est en instance de divorce avec Dinah, la mère de ses trois enfants et entretient une liaison plus ou moins secrète avec Julia, l’une de ses employées.

     Le film surprend dans son ouverture puisqu’il démarre en Ethiopie, dans une mine d’opale. Un mouvement de terrain blesse un minier pendant que d’autres font la découverte d’une pierre précieuse. C’est bien fichu, troublant, mais on se croirait plus dans le Blood diamond, d’Edward Zwick que dans un film des frères Safdie. Alors, par un zoom avant (très cheap) nous plongeons dans le bleu saphir de la pierre, le traversons pour en ressortir via un zoom arrière nous extirpant de l’image d’une coloscopie. Sans doute une manière kubrickienne (mais bien safdienne) de relier ce minéral préhistorique à Howard, notre bijoutier.

     C’est sans doute de mauvais goût qu’importe – A vrai dire j’ai eu un peu peur au départ, que le film soit cynique ou trop dans la farce, un peu forcé en somme. Entrer dans une opale et sortir d’un anus, c’est osé, mais ça laisse sceptique – c’est du Safdie pur jus et le film ne cessera de marcher sur cette corde raide, brouillant les frontières et les coutumes comme ils le font toujours, empruntant un joueur de NBA ici, nous faisant débarquer dans un concert de The Weeknd là. Je crois que c’est avant tout ce qui me séduit chez les Safdie, cette sensation qu’ils sont fidèles à eux-mêmes, de bout en bout. Informe ou pas, il y a une homogénéité. Des chemins de bifurque mais zéro compromis. C’est pas Joker, quoi.

     Il n’y a plus de limite, ne serait-ce qu’en nous collant à ce personnage, aussi insupportable qu’il va s’avérer attachant. En nous faisant entrer dans le quotidien d’un pauvre type qui jouit de son fiasco : S’il perd il trouve un moyen de ne pas mourir, s’il gagne il trouve un moyen de remettre son gain en jeu, en permanence. Que le film se termine comme ça sur son sourire figé, son dernier orgasme, c’est vraiment puissant. L’immersion est telle que cette dernière scène – qui vient clore cette démente séquence du match de basket – laisse vraiment sur le carreau.

     C’est un cinéma qui pourrait être un peu racoleur, tant il joue de sa mouvance épileptique, mais il y a toujours un élément bizarre, une tournure qu’on n’attend pas. Le rôle de la maîtresse d’Howard est probablement le plus beau du film là où ailleurs on l’aurait sacrifié, au profit de sa famille. Ici c’est le contraire. C’est elle qui fait des choix, qui disparait, réapparait, se fait tatouer Howard sur les fesses, lui donne un coup de main magnifique dans un moment délicat. Son dévouement est bouleversant.

     Et Uncut gems c’est aussi, comme souvent chez les Safdie, une ballade new-yorkaise et en l’occurrence dans le Diamond district. Quartier que l’on voit peu au cinéma, que les Safdie parviennent à traduire comme un lieu de possibles, dangereux, séduisant et frénétique. Un lieu entièrement fait pour leur personnage. Et pour leur cinéma.

Good time – Ben Safdie & Joshua Safdie – 2017

goodtime5-e1505903528316Nuit blanche à New York.

   7.0   Good time est le troisième long métrage des frères Safdie, désormais bien installés sur le devant de la scène mumblecore. Tellement estimés qui leur a été offert une place en compétition à Cannes cette année. S’ils sont repartis bredouille, il est important de dire que d’une part ce type de cinéma (américain) est rarement représenté dans la compétition officielle (Il a disons davantage sa place à la quinzaine) et d’autre part que Good time a bénéficié d’un appui considérable de la critique presse de goût.

     Robert Pattinson, bien qu’étant connu pour sa prestation de vampire monolithique chez Twilight, s’est révélé avec le temps cinéphile érudit aux choix de plus en plus radicaux : D’abord en jouant chez Cronenberg (Cosmopolis et Maps to the stars) puis chez Herzog, Corbijn et plus récemment James Gray. Parait-il même qu’il sera au casting du prochain film de Claire Denis. Soyons clairs : C’est bien lui qui impulse le rythme cardiaque de Good time, c’est lui qui le rend frénétique et qui l’apaise. Il est extraordinaire. C’est moins le cas de la bande originale, grossière, outrancière – Oneohtrix Point Never est à mon avis le musicien le plus surestimé de sa génération.

     Les références scorsesiennes qu’on lui a trop vite attribuées ne plaident pourtant en faveur du nouveau film des frères Safdie. De Taxi driver, il manque sans doute un peu de chair, d’After Hours on regrettera qu’il ne lui emprunte pas suffisamment sa folie. Quant à sa construction, étrange (comme à leur habitude) c’est aussi un parti pris qui peut s’avérer risqué : Le braquage initial, magnifiquement maladroit et foireux, est autant un sommet de suspense, d’angoisse et de promesses que la suite verra s’étirer cette descente aux enfers d’errants réprouvés, d’une langueur assumée, parsemée de mini coups de théâtre un peu cheap.

     Sans rien te cacher, j’ai même piqué du nez un moment et je suis intimement persuadé que ça fait partie du « triomphe » du film que de vouloir happé son spectateur dans ce voyage nocturne arythmique, jusqu’à parvenir à le plonger ici dans un éprouvant trip hallucinogène, là dans une léthargie urbaine presque agréable. Ou peut-être étais-je simplement trop fatigué, je ne sais pas. Quoiqu’il en soit, j’ai apprécié le double état contradictoire dans lequel Good time m’a plongé. Et du coup je ne suis pas certain que je pourrais le revoir, mais pas pour les mêmes raisons que je pourrais difficilement revoir Mad love in New York.

Mad love in New York (Heaven knows what) – Benny & Joshua Safdie – 2016

32. Mad love in New York - Heaven knows what - Benny & Joshua Safdie - 2016Les dieux de la rue.

   7.0   Les frères Safdie sont surprenants. Après la révélation que constitua Lenny and the kids, tous les curseurs semblaient les déloger de la scène mumblecore pour les voir faire de l’indé plus classique, c’est en tout cas comme ça que moi, je le voyais. Premier élément troublant, la durée de leur absence sur long métrage depuis Lenny and the kids : Six ans. Ils ont émergé de nulle part puis ils ont disparu des radars. Et ils sont revenus avec ce nouveau cru new-yorkais, une histoire de jeunesse et de drogue, d’amour fou et d’addiction. De loin, ça ressemble à du Larry Clark. De près, c’est toujours du Safdie pur jus. Avec quelques dysfonctionnement, chemins de bifurque, et c’est tant mieux.

     Comme pour leur précédent, ce film est exploité en Europe sous un titre sans rapport avec le choix original. Tout tient en ces mots : La folie, l’amour, New York. Ça résume assez bien le programme à quelques détails près : Il est aussi beaucoup question de drogue, des trottoirs, des junkies, de la mort. Car s’il s’agit d’une histoire vraie – Puisque les Safdie ont casté une jeune SDF, Arielle Holmes, pour un de leur projet (Un truc dans le milieu des diamantaires, avec Vincent Gallo, qui ne verra malheureusement jamais le jour), qui leur a raconté par écrit son histoire ; ils ont décidé d’en faire un film et de lui offrir son propre rôle – il est peut-être autant question d’un amour insolite et destructeur entre deux réprouvés de la grande pomme accrocs à l’héroïne que d’un virage cinématographique vers les terres de la fiction (Arielle devient d’ailleurs Harley à l’écran) ou qui du moins s’extraie du petit voyage autobiographique des frangins qui nous guidait jusqu’alors.

     C’est un film très difficile, qui n’hésite pas à filmer ce macrocosme microscopique avec crudité, alternant de grands moments de malaise avec des apaisements divins, à capter ce climat de manque, de détresse, tout en bagarres pathétiques – Dont celle, magnifiquement ridicule, entre Ilya et Mike, sur le talus enneigé d’un  parc, entre les feuilles mortes – et tentatives de suicide ad nauseam. Jamais les Safdie, pourtant, ne visent le naturalisme. Il y a toujours dans leur cinéma quelque chose, un élément naissant, une fulgurance soudaine qui brise la tendance immersive pour en proposer une autre, alternative. D’un téléphone portable balancé éclot un feu d’artifice. En y réfléchissant, peut-être que cette image – Qu’on aurait fait publicitaire ailleurs – concentre tout le magma romantique et nihiliste du film.

     Ainsi, d’emblée le film s’ouvre sur un  défi de se donner la mort et se poursuit jusque dans un hôpital. Aux cris, larmes, insultes et bruits de la ville qui accompagnent le chantage amoureux, répond une chorégraphie électronique incroyable (Le puissant Phaedra, de Tangerine dream) unissant les corps d’Harley avec ces patients inconnus et ces infirmières mystère. Au passage, la musique d’Isao Tomita, reprenant nombreuses des mélodies de Debussy (Sur son album Snowflakes are dancing) est régulièrement utilisé ici et offre au film un flottement enfantin surprenant. Ce qui est très beau chez les Safdie et qui peut d’ailleurs être contre-productif c’est de constater combien le réel est masqué sous la fiction, qu’il n’est pas utilisé pour propulser la plus-value documentaire du film.

     On apprend donc qu’Arielle Holmes était sous méthadone pendant le tournage et qu’il y avait le risque qu’elle replonge ; On apprend aussi que le garçon (incroyable) qui joue Mike était en cavale et s’est fait arrêter quelques heures après la dernière scène qu’il avait à tourner. Il a pris un an. Et plus distinctement, le générique nous apprend la mort d’Ilya, le vrai dealer de l’Upper West Side, campé ici par la gueule bien cassée de Caleb Landry Jones, qu’on a récemment croisé dans Twin Peaks, the return. Tout chez les Safdie tend à déstabiliser, sans pour autant perdre la chair de leur récit, la beauté d’une rencontre, la douleur d’une retrouvaille. La valeur de plan change constamment, entre la longue focale et le cinéma-filature. Quoi de plus normal que de les voir aujourd’hui investir le cinéma de genre.

The black balloon – Ben & Joshua Safdie – 2012

23. The black balloon - Ben & Joshua Safdie - 2012Le voyage du ballon noir.

   3.0   Film concept un peu lourdingue qui me rappelle l’égarement d’Hou Hsiao Hsien avec son ballon rouge, dans lequel un ballon rescapé d’un bouquet envolé, vadrouille dans les rues, débarque dans des discussions, surprend des âmes solitaires, avant d’aller délivrer certains de ses compatriotes prisonniers d’une camionnette. Prétexte pour filmer la vie new yorkaise, une fois de plus, mais on ne reconnait pas vraiment l’urgence et la fougue du cinéma des frères Safdie. Aucun intérêt donc.

John’s gone – Ben & Joshua Safdie – 2010

22. John's gone - Ben & Joshua Safdie - 2010Sous les petites affaires, le chagrin.

   6.0   John’s gone représente parfaitement ce que les frères Safdie sont capables de pondre sur le registre court, en jouant sur l’imprévisibilité des rencontres. Le vendeur de rouleaux de printemps, les jeunes dénicheurs de vieilleries et même cette jeune femme, avec laquelle le film s’ouvre (C’est-à-dire qu’on peut penser qu’il s’agit de la petite amie du personnage principal, campé par Ben, as always) qui était en fait une relation d’un soir, sont autant de situations fragiles mais ouvertes sur une infinité de possibles. La cerise ici c’est évidemment le surgissement d’un background dans une soudaine crise de larmes. Les Safdie n’avaient pas encore travaillés ce type de situation et l’essai est transformé haut la main, tant il surprend autant qu’il se révèle d’une pudeur extraordinaire. C’est un moment déchirant, vraiment, alors que John et « ses amis » sont en train de mater un match de boxe à la télévision. Des surgissements il y en aura d’autres dans ce film : Le voisin malveillant lorsque John traite les cafards de l’immeuble ; Un arnaqueur au couteau ; Le singe. Ça dure vingt minutes et il y a des idées aux quatre des coins des plans, situations, interactions.

Lenny and the kids (Go Get Some Rosemary) – Josh & Benny Safdie – 2010

17. Lenny and the kids - Go Get Some Rosemary - Josh & Benny Safdie - 2010Love streams. 

   8.5   Avec son titre original bien plus mystérieux, beau autant qu’il est incompréhensible, qui semble accompagner sa véritable identité, ainsi que celle du personnage principal, le film des frères Safdie est un objet curieux, fauché et ô combien stimulant. Il capte un quotidien, des regards, des gestes singuliers qui accentuent toute la marginalité de cette petite famille modeste, littéralement habitée par ce père de famille complètement à la ramasse, durant les quinze jours de l’année où il peut passer du temps avec ses gosses.

     Lenny and the kids ne révolutionne pas le mouvement, se contentant de répéter un schéma instauré par la vague new-yorkaise underground, héritée de Cassavetes. Car il y a beaucoup de Faces dans ces dialogues bordéliques, ces blagues, ces virages inattendus, qu’on doit appréhender dans un lieu généralement clos. Les extérieurs se bornent aux ruelles et trottoirs, comme c’était déjà le cas dans The pleasure of being robbed. Et parfois, on ira un peu plus loin, vers le nord, lorsque Lenny embarque ses gamins pour une virée instinctive ou sur un lac pour voir un pote faire du ski nautique.

     C’est pourtant bien sur leur terrain de prédilection que les Safdie trouveront leur meilleures inspirations : lorsque Lenny écume les trottoirs de Brooklyn avec ses gosses en marchant sur les mains ou bien lorsqu’il se fait agressé par un type (campé par Abel Ferrara) tentant de refourguer des boites de Cd ; ou à la toute fin, magnifique moment suspendu, avec ce déménagement improvisé qui emporte nos personnages sur l’autre rive, vers un hors-champ inconnu, un nouveau voyage, en nous laissant-là sur le quai de cette station du téléphérique de Roosevelt Island, le même que prenait Raymond Depardon dans New York N.Y., film dans lequel il témoignait de son impuissance à tourner un film sur New York. Et si les Safdie l’avaient réalisé, ce film sur New York ?

     Lenny & the kids suit une logique à laquelle il ne déroge pas : il prend des directions que l’on ne soupçonne pas, il tâtonne, il crée des situations qu’il est difficile d’interpréter. On dirait une impro de jazz. Il faut tenter de comprendre ce personnage, aimer voir ce père essayer et tant pis s’il échoue. Il y a une part de rêve dans tout ça, celui d’un homme resté gamin, qui saisi chaque instant comme un nouveau jeu. Si Ronald Bronstein incarne le père de Ben & Josh il hérite aussi sans doute beaucoup des deux auteurs, tant il semble vivre comme eux filment depuis leurs débuts. Le film évite l’écueil misérabiliste du réalisme et s’il s’ancre dans le réel d’un New York loin des cartes postales, c’est pour s’aventurer sur les terres du rêve, rejouer les motifs de l’enfance.

     C’est à tel point qu’on ne sait parfois pas si le rêve n’entre pas dans le réel et vice-versa. Deux exemples géniaux : Le moustique géant et le déménagement impromptu. C’est peut-être du fantasme. Ou peut-être est-ce juste une mise en scène pour les gosses. On ne sait pas trop. D’autres séquences resteront mystérieuses à l’image de la salamandre dans les paquets de céréales ; durant cette scène, je suis du côté des enfants, je crois à la présence de cette salamandre. Il n’y a pas que des longues scènes comme celle-ci, il y a aussi des petits riens, comme ces céréales dans un vivarium improvisé, une marche sur les mains dans les rues new-yorkaise, une partie de squash un peu dingue, un peu de temps passé dans une cabine de projection.

     J’aime l’idée du type irresponsable, auquel on s’attachera plus qu’aux autres justement parce qu’il est irresponsable tout en essayant d’être responsable. La séquence où Lenny donne des sédatifs à ses enfants pour qu’ils ne se réveillent pas lorsqu’il est au travail, c’est magnifique. D’une part on est dans l’incompréhension totale, puis finalement il y a une légitimité dans sa volonté de les préserver d’une solitude au réveil. C’est juste qu’il le fait très maladroitement, enfin un peu plus que ça d’ailleurs. Mais surtout, les Safdie vont tout miser sur le réveil des enfants. Il n’y a pas de contrecoup, c’est un visage directement ensoleillé et un climat de joie qui règne à nouveau, j’en avais les larmes aux yeux. Pas tant parce qu’ils se réveillent (on s’en doutait bien, même si avouons qu’on a un peu tremblé) mais parce qu’il les retrouve. Et c’est beau, ça débarque-là sans prévenir, un peu comme les larmes du garçon dans John’s gone.

     Les Safdie y ont mis du cœur à l’ouvrage puisque Lenny & the kids (Titre français puisque le titre original c’est Go get some rosemary et le titre de sortie aux Etats-Unis c’est Daddy Longlegs, c’est dire combien le film semble insoluble) est en majorité autobiographique. Dans ces deux enfants à l’écran (Qui sont en fait ceux de Lee Ranaldo, de Sonic Youth, qui fait aussi une apparition) il y a beaucoup de Joshua & Benny Safdie. D’un point de vue personnel, le cinéma des Safdie me touche beaucoup, je m’y sens bien. Je n’ai pourtant pas eu cette enfance là, loin de là, mais c’est un cinéma que j’adore. C’est comme si la séquence finale d’Une femme sous influence – où l’on voit Peter Falk courir après ses gosses dans l’escalier de la maison, les remonter, après qu’ils soient redescendus, jusqu’à répéter ce moment à n’en plus finir – se retrouvait toute entière étirée dans Lenny and the kids. J’aime l’énergie que le film libère.

     Je ne m’attendais plus à voir le film se terminer sur ce plan de téléphérique. Pourtant je m’en souvenais, mais le film est si puissant qu’il te fait tout oublier. Sortie sublime, par ailleurs, qui laisse planer de nombreux doutes, qui n’auront eu de cesse d’exister pendant toute la durée du film. Je ne parle pas des enfants, mais ils sont époustouflants, dans leurs mimiques, leurs gestes. Ils sont désordonnés, plein de rage, de rire. Comme leur père. Et c’est dans tous ces impromptus que je vois du cinéma. Improvisé et d’une totale liberté.

The Acquaintances of a Lonely John – Ben Safdie – 2008

15. The Acquaintances of a Lonely John - Ben Safdie - 2008Pigeon voyageur.

   5.0   Première réalisation de Benny, frère de Josh, The acquaintances of a Lonely John se démarque par un ton résolument plus absurde et une image plus distinguée. Cela n’empêche évidemment pas l’auteur de travailler à la manière du frangin, dans son rapport aux rencontres, son attirance pour les récits minuscules et cette impression de faux reportage. La majorité du court métrage se déroule dans une station service : John (Et à l’instar du grand frère, Benny joue dans son propre film) vient voir un ami pompiste, blagueur nonchalant. Benny n’est pas Josh, il ne crierait pas sur les automobilistes récalcitrants comme ce dernier le fait dans The pleasure of being robbed, il n’aurait pas envoyé de petit mot par la fenêtre (The back of her head) ou il ne se donnerait pas en spectacle sur une aide de repos (We’re going to the zoo) il est au contraire hyper effacé, qui plus est face aux ploucs infects qui croisent son chemin. Sorte de Woody Allen, la parole en moins. C’est attachant mais ça ne va guère plus loin à mes yeux. J’ai l’impression que Josh & Benny se sont trouvés et envolés dès l’instant qu’ils ont travaillé ensemble. Hâte de revoir Lenny & the kids.

The Pleasure of Being Robbed – Joshua Safdie – 2008

14. The Pleasure of Being Robbed - Joshua Safdie - 2008Sauvage innocence.

   5.0   Une jeune femme ère dans New York, vole plein de trucs, une grappe de raisins, un sac de billets, un sac de chatons, rencontre une amie dont elle a oublié le prénom (Très belle ouverture, qui symbolise à elle seule le processus filmique désordonné et approximatif des Safdie) avant qu’elle ne tombe sur un gars (Josh, encore lui) qui va l’aider à démarrer une Volvo (pas la sienne, évidemment, celle qui va avec les clés qui sont dans le sac volé) et vadrouiller dans Brooklyn au ralenti (Puisqu’elle ne sait pas conduire) avant qu’elle ne se fasse plus tard gauler dans un parc pour enfants alors qu’elle fouillait le sac à main d’une maman, avant d’accompagner, menottes aux poignets, ses geôliers au zoo de Central Park. Dis comme ça c’est absolument n’importe quoi. Et c’est bien n’importe quoi. Sorte de non-sens plein de petits rebondissements, situations relayées par d’autres, disparitions de personnages, répétitions des larcins. Du Safdie pur jus, vrai film de gamin.

     Josh Safdie passe donc au long métrage, mais le résultat n’est qu’à moitié satisfaisant : On retrouve la fraicheur et l’impulsivité de ses courts mais 1h oblige, un déséquilibre flagrant se ressent d’une séquence à l’autre, qu’il soit question de son étirement (Soyons honnêtes, j’aime beaucoup la scène de la Volvo volée, mais je ne vois pas trop l’intérêt de la faire durer si longtemps, sinon du remplissage complaisant) ou de sa revendication marginale (L’impression que Josh Safdie dépose la marque Safdie à chaque plan ou idée : la glissade sur le trottoir gelé, le sable sur le toboggan, le faux ours, le lit poulie…) voire de son éthique douteuse, consistant à être persuadé qu’on va s’attacher à Eleonore malgré sa nonchalance, son inconscience et sa malveillance. Je veux bien passer sur plein de traits de caractère insupportables, qui peuvent rendre le personnage antipathique au premier abord, mais y a des trucs je peux pas : Le vol du sac contenant un chien et quatre chatons, qu’elle va relâcher dans sa cage d’escalier pour le premier, ou jeter en chœurs sur son lit pour les chats, je trouve ça nul, pas drôle et totalement gratuit. A partir de là (C’est le tout début) je ne pouvais plus m’attacher à cette héroïne solitaire. Le film débute à peine et je la déteste déjà, c’est con. Ce sont les hasards des diverses rencontres jarmuschiennes qui sauvent le film pour moi. Et cette façon « mumblecore » de filmer New York et chaque situation, évidemment, mais ce sera nettement plus beau dans le film suivant.

The Back of Her Head – Joshua Safdie – 2007

12. The Back of Her Head - Joshua Safdie - 2007Neck window.

   5.5   On change radicalement d’espace ici puisque l’horizontalité imposée par le road movie de We’re going to the zoo se transforme en verticalité imposée par un immeuble. Quatre étages, quatre fenêtres dans une rue déserte. J’adore le pitch qu’on fait du film donc je vous l’offre aussi : « Un doux rêveur un peu timide vit au-dessus d’un vieil homme d’origine indienne qui vit au-dessus d’un anglais caractériel qui vit au-dessus d’une fille prisonnière de son couple. Du haut de sa fenêtre, le jeune homme peut seulement voir la nuque de cette fille, mais c’est plus que suffisant pour tomber amoureux. » Ça pourrait être un film de Carax ou de Jarmusch ou de Kieslowski mais c’est Josh Safdie aux commandes, autre as de la bricole. Ce film-là est moins beau que le premier, peut-être est-ce dû au fait qu’il est plus prometteur sur le papier, je n’en sais rien, mais il y a là encore un désir de relier des solitudes, de faire éclore quelque chose avec rien, peut-être même une histoire d’amour qui aura démarré sur la vision d’une nuque.

We’re Going to the Zoo – Joshua Safdie – 2006

11. We're Going to the Zoo - Joshua Safdie - 2006L’auto-stoppeur.

   6.0   Les prémisses du cinéma des frères Safdie résumées en ces quinze minutes légères et prometteuses. Le premier plan s’ouvre d’ailleurs dans une forêt, une femme vient pisser entre deux arbres. Il y a déjà volonté de « pisser » sur le cinéma hollywoodien formaté. We’re going to the zoo est un road movie fauché, léger dans lequel une femme et son petit frère ont quelques heures de route pour aller au zoo et prennent en stop un drôle de type (Josh himself) allongé sur le bord de la route. Voyage minuscule en sa compagnie qui se soldera par des quatre cents coups tout aussi fauchés que le film : Jouer à faire le mort, s’empiffrer de chips en conduisant, rouleau de PQ déroulé par la vitre arrière de la bagnole, faux resto basket. Au bout du compte, le zoo est fermé, mais on a trouvé un compagnon de route. C’est peut-être cela (que j’avais déjà trouvé dans Lenny and the kids, le seul Safdie que j’avais vu à ce jour et lors de sa sortie) le propre du cinéma des new-yorkais : la lose magnifique ou bénéfique sitôt qu’on fasse des rencontres. Le film est d’ailleurs dédié « à tous ceux qui aimeraient prendre les gens en stop ».


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silencio


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