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Le cercle des neiges (La sociedad de la nieve) – Juan Antonio Bayona – 2024

12. Le cercle des neiges - La sociedad de la nieve - Juan Antonio Bayona - 2024

Les héros sont immortels.

   8.0   Aussi talentueux est-il pour mettre en scène la catastrophe, sa façon de relier l’intime et le spectacle, le réalisme et le romanesque, il y a chez Bayona (au moins dans The Impossible et celui-ci) une propension à la manipulation qui me pose question.

     Bayona scande – dans son film, mais aussi en interview – sa volonté de réalisme, de coller davantage au réel, dont il serait légitime puisqu’il aurait épluché toutes les recherches liées au fameux crash du Vol 571, se serait entretenu avec des survivants, lu La sociedad de la nieve, le livre de Pablo Verci ou Miracle dans les Andes, celui de Nando Parrado. Très bien. Or on constate que ce réalisme n’est pas exempt de pompiérisme.

     L’exemple le plus flagrant se situe bien entendu dans ce choix de narration : c’est la voix (off) de Numa Turcatti (personnage absent du film de Frank Marshall, Les survivants, ou figurant, ce qui revient au même) qui nous guide. Il ne fait donc aucun doute qu’il a survécu. Or, pas du tout. Il meurt, au mitan du film grosso modo. Son corps participera à la réussite de l’ultime expédition. Si le sujet se situe ici pour Bayona (raconter cette fois l’héroïsme (du corps) des morts et moins celui des survivants) le récit lui, joue un peu la carte de la malhonnêteté. Quand bien même ce basculement de voix off impressionne, j’aime qu’on joue franc jeu, moi. Que ce personnage fasse partie des victimes mais qu’il soit choisi en tant que conteur, très bien, mais il faut qu’on soit clair dès le départ.

     Je retrouve donc par petites touches le Bayona manipulateur qui m’avait tant agacé dans The impossible, qui cumulait les artifices de ce genre : survivra, survivra pas, disparition, réapparition, deuil, retrouvaille. Quel intérêt de jouer sur cette corde là quand on a un matériau si riche, solide et puissant que les histoires vraies d’un tsunami ou un crash d’avion ? Dans Titanic, je sais d’emblée que le bateau va couler, que Rose va survivre, que Jack vraisemblablement va mourir. Et pourtant j’oublie tout car le film m’embarque, me fait oublier le réel : la fiction a gagné. Cameron joue mais ne triche pas. Bayona triche et ment. C’est mon premier imposant grief.

     Autre chose : il faut savoir que je suis un grand fan du film Les Survivants, adaptation hollywoodienne de 1993. Le film a ses défauts, ses mensonges, j’en suis conscient, mais son impressionnante intensité, aussi. J’ai grandi avec. Si Marshall se plaçait directement dans la roue de Spielberg – d’autant que Arachnophobie, son précédent film, était un produit Amblin – par sa forme, sa construction, son efficacité narrative, sa kyrielle de personnages, son ampleur romanesque, on constate que Bayona aussi – rien d’étonnant en soit, puisqu’il sort tout juste de Jurassic World, Fallen Kingdom. Je trouve le film très, trop Spielbergien, en un sens. Et donc forcément très hollywoodien dans sa mécanique. Un peu académique, quand bien même la musique de Michael Giacchino fonctionne toujours à plein tube sur moi – Me suis jamais remis de la bande originale de Vice-Versa.

     Alors oui, Le cercle des neiges se situe bien plus dans le réel (Fernando Parrado « dit Nando » survivant et auteur de l’ouvrage « Miracle dans les Andes » aurait dit qu’il trouvait l’adaptation de Bayona bien plus fidèle et proche de la réalité qu’il a traversée) ne serait-ce que parce qu’il se déploie, enfin, en langue espagnole, l’équipe de rugby étant de nationalité uruguayenne. Et pourtant je me sens bien plus proche, en tant que spectateur, de la version de Frank Marshall d’un point de vue réaliste, au sens où je l’entends : la caractérisation des personnages, les interactions, le soin apporté à nous faire croire en l’idée que ce groupe est une équipe, sur un terrain. Chez Bayona j’y crois moins. J’y vois un souci de reconstitution, certes, mais je ressens surtout la fabrication. Un peu à l’image du décor. Évidemment c’était plus cheap dans Les survivants (le budget est double ici) mais ça couvrait l’essentiel. Bayona se donne beaucoup de mal pour injecter du réel. Et parfois il y parvient brillamment au détour d’une idée magnifique : celle qui voit la première expédition vers la queue, réaliser que l’épave est invisible de loin, semblable à un rocher parmi d’autres, donc impossible à localiser pour d’éventuelles recherches par avions. Les plans d’ensemble sont ses plus belles réussites : la photo est très belle, par ailleurs.

     Le film me passionne sitôt qu’il invente quelque chose qui n’était pas dans l’autre film. Formel ou non. Sitôt qu’il effectue un pas de côté lui apportant une singularité dans le paysage du cinéma de catastrophe : Ce cut sur le cri de cet homme le soir, décédé le lendemain, ça c’est impressionnant. Le crash est très fort, techniquement parlant, mais il propose rien de plus que ce que Les survivants offrait : les sièges qui s’envolent, puis qui glissent les uns sur les autres façon accordéon, les nombreux débris, c’était déjà dans l’autre film – Reste qu’en intensité de crash, oui, on n’avait pas vu aussi puissant depuis l’ouverture de Lost. La scène de la double avalanche m’a en revanche terrifié. Curieusement j’ai retrouvé plein de choses du film de 1993, même techniquement : ce plan du fil de l’antenne, par exemple. Tout pareil. J’aurais aimé que le film s’intéresse davantage à leur quotidien, qu’il saisisse leur souffrance mais aussi leur complicité. Il y a une très belle scène d’imitation de cris d’animaux, par exemple. J’en voulais davantage. C’est d’autant plus frustrant que le seul moment vraiment léger du film (ils font des rimes chacun leur tour et se marrent) précède l’avalanche : C’est comme si Bayona craignait cette légèreté ou pire la condamnait.

     Autre chose : Pour un film qui dit davantage se soucier des morts, je l’ai trouvé un peu juste envers les victimes, justement et tout particulièrement les victimes féminines. Dans Les survivants j’ai été marqué au fer par cette femme qui crie et agonise lors de la première nuit, par la mère de Nando qui brille par son absence (elle meurt dans le crash, mais on en parle tout le temps), par la sœur de Nando, qui s’accroche puis décroche en permettant à son frère de rebondir, par Lilianna qui s’en ira durant la terrible avalanche. Dans Le cercle des neiges, où sont-elles ces femmes ? Où sont ces visages, plus globalement ? Je n’ai été ému par aucun visage. C’est à peine si je parviens à les différencier. Dans Les survivants, je me souviens parfaitement de Federico, Eduardo, Antonio, Roy, Tintin, Rafael, pour ne citer que des personnages plus secondaires. Je n’irai pas jusqu’à dire que les personnages ici sont interchangeables. A vrai dire je le disais, après mon premier visionnage. C’est peut-être vrai mais il s’agit surtout d’en faire des entités en survie, sur le même pied d’égalité. C’est une idée brillante, quasi abstraite.

     Il ne faut pas oublier de rappeler que le film est une démonstration technique, comme souvent chez Bayona. Pour le bon : ce qui impressionne ce sont les escarres, les gerçures, les peaux crasseuses brûlées par le soleil, les dents abîmées, voire qui se déchaussent, les infections variées, l’urine marron, les vêtements arrachés. Cette carcasse de cage thoracique. C’est criant de réalisme. Pour le plus discutable, disons : c’est un défilé de mouvements de caméra, de grand angle. C’est du cinéma grue, travelling, fisheye si on voulait être un peu méchant. Un cinéma grandiloquent à la Cameron. Cela peut irriter, mais si on accepte le voyage c’est fabuleux.

     J’ai l’air d’être un peu dur envers le film et pourtant j’ai adoré, je l’ai déjà revu. J’ai surtout été fasciné par son ambition romanesque assez grisante, qui a le mérite de me replonger dans cette histoire qui m’a toujours fasciné, au point où je me suis procuré le livre écrit par Fernando Parrado : Une merveille. Et le film tient admirablement sur la durée, pas un bout de gras.

     Son sujet, finalement, c’est moins la tragédie que cette idée paradoxale de miracle des Andes. C’est donc son rapport à Dieu. C’était déjà très prégnant dans Les Survivants, cette crise de foi, mais ici, on sent que ça lui tient à cœur à Bayona. S’il choisit Numa, comme conteur, c’est aussi parce que c’est celui qui au préalable se refuse à manger, celui qui n’a pu trouver d’accord avec son dieu. Le miracle c’est l’offrande des corps pour la survie des vivants. Le film devient précieux dans son rapport à Dieu tant il admet que Dieu se trouvait dans chacun d’eux. C’est un beau personnage en décalage, qui vise sans arrêt les cieux. Très malickien comme figure. Et c’est donc en partie grâce à lui si l’ultime expédition est une réussite. Grâce à son corps. Alors cette sensation d’être manipulé par un point de vue impossible s’évapore, la parole des héros est immortelle.

Jurassic world, Fallen kingdom – Juan Antonio Bayona – 2018

36. Jurassic world, Fallen kingdom - Juan Antonio Bayona - 2018Eviter l’extinction.

   6.0   Si Fallen kingdom manque singulièrement de point de vue et il faut je pense mettre ça sur le compte de Trevorrow, plutôt que sur Bayona qui fait ce qu’il peut avec le matériau narratif qu’on lui impose, il trouve des élans plus personnels dans la mise en scène, via quelques scènes clés – La bataille finale sur le toit du manoir, entre les gargouilles et la charpente en verre c’est un éclat d’horreur gothique qui redonne un peu de magie, de caractère à une saga trop souvent bien dans ses pantoufles – ou de vraies visions – La créature qui entre dans la chambre de la petite fille et la suit jusque dans son lit, le prélèvement sanguin sur le tyrannosaure endormi – qui ne sont certes pas aussi puissantes que celles de Spielberg mais suffisamment bienvenues dans ce qui avait tout pour être un décalque de Jurassic world.

     Au sein de cette relative bouffée d’air frais, il faut malheureusement en passer par du déjà-vu à l’image du nouveau super dinosaure (Indoraptor : Fusion de vélociraptor et d’Indominus Rex), du dispositif militaire qu’on nous ressert encore,  du milliardaire arriviste sur qui repose les artifices d’un scénario ultra balisé. Sans parler de la thématique de l’enfant clone évoquée mais pas du tout exploitée. Les personnages ne sont toujours pas très bien dessinés, même s’il sera par instants amusant de voir l’informaticien peureux et la paléo vétérinaire valeureuse former un chouette duo, apportant un vent de fraîcheur.

     La bonne idée narrative de cet opus c’est de recréer l’Extinction du Crétacé : Les dinosaures vivent paisiblement sur Isla Nublar mais l’irruption imminente d’un volcan menace de les exterminer. Si l’on retient peu de cette séquence catastrophe c’est probablement qu’elle en fait trop, syndrome post King Kong, de Jackson, cherche à contenter et les fans de Jurassic park et ceux de Jurassic world. C’est comme si Bayona avait laissé les reines à Trevorrow. En revanche cette séquence grandiloquente s’achève sur une image, celle que l’on retiendra d’un ensemble assez peu stimulant, un cri, celui d’un bracchiosaure sur une jetée, dévoré par les flammes et le nuage volcanique.

     La scène est déchirante. Et c’est sans doute parce qu’il s’agit du bracchiosaure, qui outre d’être le plus sympa d’entre tous, se paie le luxe d’être celui sur lequel l’original de Spielberg cristallise notre découverte, puisqu’il est le premier à s’offrir à nous, pleinement, de jour, aux personnages (Impossible d’oublier les yeux écarquillés, les bouches béantes et les mains tremblantes de Laura Dern & Sam Neill dans les voitures) et donc aux spectateurs. Bayona nous offre la même vision mais inversée cette fois, macabre : Les yeux des personnages sont gagnés par les larmes, au même titre que les nôtres. C’est une icône qui disparaît, un mythe qui s’effondre à nouveau, sauf qu’on est dorénavant là pour le voir.

     Comme le précédent il m’a fallu le revoir, mais je l’ai davantage apprécié cette fois, essentiellement parce que j’y vois un auteur derrière la caméra, Bayona, qui tente d’imprimer un peu de sa personnalité, de son univers mais qui forcément n’y parvient qu’à de rares instants, lors de jolies séquences éparses et la plupart du temps se fait dévorer par le monstre, le studio. On peut dire qu’il s’est passé quelque chose. La saga n’a pas retrouvé sa superbe, mais une certaine dose de promesse et d’attachement – Preuve en est que j’ai tout revu avec grand plaisir – ce qui ma foi, n’est déjà pas si mal.

The impossible – Lo imposible – Juan Antonio Bayona – 2012

1526922_10151892597837106_1553597554_nTrue story.

     2.0   Le film nous informe d’emblée qu’il est le récit d’une histoire vraie, pas “tiré de” ni “reprenant des faits réels” non c’est l’histoire vraie d’une famille victime du tsunami le 26 décembre 2004, en Thaïlande. La phrase d’accroche finit par s’effacer en ne laissant finalement clignoter seul l’aphorisme « histoire vraie » qu’on ne vienne pas dire que l’on n’était pas prévenu. Ce procédé nullissime porte déjà en lui la lourdeur et le mensonge. Lourdeur de sa sursignification et mensonge de sa supposée exhaustivité. Il ne me dit pas que c’est le récit d’une famille qui s’en est sorti, donc il me ment, me manipule.

     Le problème est en réalité très simple : Le film ne sait pas s’il doit raconter une histoire vraie en considérant le recul du spectateur sur l’événement, soucieux de connaître toutes les circonstances du drame afin de s’interroger, d’être dans un réel documenté (ce qu’avait plutôt réussi la mini-série à l’époque avec Tim Roth, Tsunami : The aftermath, de Bharat Nalluri) ou de servir un suspense en nous plaçant, comme le veut le genre, à égalité avec les personnages. D’emblée, cette hésitation me rebute. Mais passons alors outre cet énorme détail. Et prenons le film pour ce qu’il est, un film catastrophe, puisque tout le monde semble vanter les mérites de son caractère initiatique. La mauvaise blague. Rien que de l’écrire j’en ai la chair de poule. Raconter la survie d’une famille dans un évènement aussi tragique, en faisant croire qu’ils ne vont peut-être pas s’en sortir, quelle abjection quand j’y pense. Mais passons. C’est un film de genre. C’est un film de genre. C’est bon j’y suis, je l’accepte. En effet, c’est pas mal. La reconstitution est minutieuse, la scène de la vague impressionnante, la partie Naomi Watts fonctionne, bien que le fiston pleurniche beaucoup trop selon moi. L’espace crée avec cet hôpital de fortune surchargé est ce que le film réussi de mieux.

     Mais d’un coup, hop, tout s’effrite : alors que la mère semble être morte (tout du moins on nous le fait croire) le récit fait son bond parallèle tant attendu puisqu’on sait depuis le début que le père n’est pas mort. It was impossible je te dis, c’est Ewan McGregor. Et même si là-aussi on veut te le faire avaler, je ne vois pas Ewan Mc Gregor signer dans un film aux cotés de Naomi Watts pour seulement cinq minutes d’apparition à l’écran. Le pire n’est pas tant qu’il réapparaisse étant donné qu’on s’y attendait. Le pire c’est que toute la mise en scène s’intéresse à tout faire pour nous duper, nous balancer une transition comme Shyamalan crache ses twists finaux. Palme du plan le plus grossier de l’année : celui de transition où la caméra cadre d’abord des pas en nous faisant croire que ce sont ceux de l’enfant avant de remonter le buste et cadrer la silhouette du père. Bim.

     Mais le pire est à venir… le père est seul, au travers des ruines, il recherche activement sa femme et le fils qu’il n’avait pas dans les bras lors de l’impact, forcément. On nous laisse alors bien le temps d’accepter la mort des deux autres (comment peut-il ne pas les avoir à ses côtés ?) avant de les faire apparaître dans un énième plan twist, à travers le trou d’un plafond. C’est dégueulasse de faire ça. C’est-à-dire qu’être au même niveau que les personnages je peux essayer de l’accepter mais être en retard sur eux, là éthiquement, ça va trop loin. La suite est donc une suite de pertes/retrouvailles les plus improbables les unes que les autres. A un tel degré d’incohérence dans la somme de rebondissements que même dans un film de genre il est impossible d’y croire. Là, j’entends déjà les défenseurs siffloter en se frottant les mains pour rappeler que c’est possible puisque c’est une histoire vraie. Cqfd.

     Mais alors qu’est-ce que c’est que ce film si ce n’est ni la chronique d’un drame ni un film catastrophe ? C’est une esbroufe manipulatrice, rien d’autre. Quand on apprend enfin que la vraie famille est espagnole, la coupe est pleine. C’est Hollywood qui parle. Qui s’empare de tout. Et le réalisateur du somme toute correct (mais déjà américanisé dans l’âme) L’orphelinat tombe dans le panneau, en livrant ce truc malhonnête car inattaquable, devant lequel il faut pleurer sous peine d’être un sans cœur. Ça rappelle quoi sinon les infâmes propos de Roselyne Bosch à la sortie de son non moins infâme film La rafle ?

     Et le film ne lésine sur aucune lourdeur symbolique, à l’image de la canette de coca-cola. Frisson de la honte. Ou encore la nuit mouvementée de la mère avant le jour J parce que les signes, les prémonitions, tout ça. Classique de chez classique. C’est vraiment les gros sabots, je pense qu’il n’aurait pas fallu en montrer tant, tous les plans sous l’eau sont superflus et ridicules, par exemple. Et puis la musique mielleuse. Et puis ces plans interminablement complaisants sur des yeux embués de larmes, des bouches qui s’égosillent, mon dieu. Oublions vite.


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