8.5 Le polar urbain était en vogue dans l’hexagone durant les années 80. Il faudrait en écrire un bouquin. Mais Neige se démarque du reste, qui oscille entre plaisirs inavouables et sombres daubes. Comme Extérieur nuit, de Jacques Bral, autre belle exception, mais en beaucoup mieux, tant le film ne repose à aucun moment sur une performance de comédien. L’énergie dans le film de Bral était systématiquement contrebalancée par ces cabotinages de Dussolier et Lanvin, qui certes n’étaient pas désagréables mais nuisaient à l’ambiance poisseuse qui régnait dans ce Paris mélancolique. Une énergie du désespoir.
C’est cela que l’on retrouve dans Neige, une belle tristesse, non pas par compensation mais parce que c’est le lot de ces amitiés qui traversent les âges mais ne tiennent qu’à un fil. Quelque part, c’est du Rozier avec des flingues et de la dope. Pigalle, Barbès, le film est bruyant, se déroulant majoritairement en extérieur, dans une ambiance de fête foraine. J’ai rarement vu le Paris des années 80 retranscrit si bien à l’écran. Et puis c’est un film dépouillé, très simple. Une histoire de gens qui se côtoient chaque jour, dans la misère, le spectacle et la drogue.
Trois d’entre eux sont des amis de longue date. Anita est serveuse dans un bar minable. Willy est un ancien boxeur convaincu qu’il en a encore dans les gants. Jocko est pasteur charismatique dans un temple gospel. Un village à l’intérieur d’une ville. La drogue est pour certain ce qui les fait tenir – le film n’en fait pas l’apologie mais il traite le sujet du point de vue de celui qui souffre au quotidien, et la drogue lui permet d’occulter sa réalité. Un jour, Bobby, le dealer du quartier – un môme au look rasta que le film aura choisi comme personnage principal dans le premier tiers, observant ses déplacements, ses échanges selon une démarche quasi Bressonienne – est abattu par la police.
Tout s’effondre. Les plus démunis sont en manque, au bord du gouffre, du suicide. Même si ici, on meurt dans l’indifférence. Incroyable séquence où un garçon travesti titube littéralement sur le trottoir, incapable de surmonter la crise de manque dans laquelle il est plongé. Séquence tout droit sorti d’un Carax (qui en 1981, ne tourne pas encore). Les trois personnages amis décident de leur venir en aide à leurs risques et périls. Enfin pas tout à fait puisqu’ils ne vont pas se mettre d’accord, ils ne vont pas s’engager ensemble, c’est un décalage à la fois réaliste et mélodramatique, surtout qu’il est la cause d’une fin accablante, sèche et précipitée.
C’est un film étonnant dans sa construction, il n’y a pas vraiment de récit propre, tout paraît monté à l’arrache, écrit sur le tas, comme si la mort du dealer était une idée qui avait émergé en plein tournage. Et surtout c’est un film en mouvement perpétuel, qui saisit des points de fuite, des ambiances. C’est aussi informe qu’un film de Stévenin. J’aime énormément, c’est une claque inattendue, et je suis certain que ça se bonifie à chaque nouveau visionnage.