Archives pour la catégorie Kelly Reichardt

Showing up – Kelly Reichardt – 2023

04. Showing up - Kelly Reichardt - 2023Sculpter l’envol.

   7.0   Je tiens Kelly Reichardt comme l’une des cinéastes vivantes les plus importantes. En marge, discrète, libre, minimaliste, attentive au temps, au mystère qui entoure ses personnages, elle donne à ses films un horizon sans égal. J’aime infiniment chacun de ses films depuis Old Joy, donc forcément il fallait qu’un jour je sois un peu déçu. Ce film me plait pour diverses raisons mais je crois sincèrement que Kelly Reichardt est dans une impasse, avec Showing up. Soit parce que la forme est trop scolaire (pour du Reichardt, s’entend), le sujet trop proche d’elle cette fois (elle nous a habitué à des formes et récits variés, pas forcément contemporains, d’ailleurs) soit parce qu’il y a une double lecture, artistique et familiale, dont la greffe ne prend pas vraiment. Peut-être que le canevas dans lequel il évolue est moins séduisant, aussi. Qu’importe, son cinéma me parle, ses plans, sa lumière me fascinent. J’ai parfois pensé à du Ira Sachs. J’aime bien cette histoire de pigeon blessé et d’eau chaude récalcitrante. J’adore ce chat, aussi. Bon, c’est un film archi rachitique, flottant, complètement down tempo (à l’image de la scène climax du vernissage, où il ne s’y passe RIEN mais c’est très beau), à la fois riche de sens et vide de forme, au sens virtuose du terme. J’imagine qu’on peut s’ennuyer ferme devant ce récit en forme de parenthèse, soit l’évocation de ce quotidien d’une artiste sculptrice qui travaille dans l’administration d’une école d’art tout en préparant son exposition. Je m’y suis jamais ennuyé, moi. Et plaisir chaque fois renouvelé, j’adore suivre Michelle Williams, sous la caméra de Kelly Reichardt. Mais il me manque quelque chose, pour y être aussi séduit, sensible, passionné qu’à l’accoutumée.

First cow – Kelly Reichardt – 2021

02. First cow - Kelly Reichardt - 2021Certains hommes.

   9.0   Kelly Reichardt revient au western, genre qu’elle avait subtilement fait renaître et à sa manière, avec La dernière piste (2011) qui s’intéressait tout particulièrement au quotidien des femmes d’un convoi dans l’Oregon de 1850.

     Si l’on sait qu’on va retrouver l’Oregon dans First cow et plutôt le début du XIXe siècle, le film surprend en s’ouvrant aujourd’hui : Point de barques voguant sur la rivière mais un immense cargo porte-conteneurs, qui traverse le plan. Un plan (long et fixe) qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Peter Hutton – auquel Reichardt, on l’apprend à la toute fin, dédie son film – spécialisé dans le landscape-art et qui consacra, entre autre, cinq films à l’Hudson river.

     Aux abords du fleuve, un chien renifle quelque chose. Une jeune femme s’approche et creuse. La jeune femme et le chien, c’est un peu le retour de Wendy et Lucy (2009).  C’était déjà l’histoire d’une amitié. Et déjà un genre codifié (le road-movie) perverti par le geste de Kelly Reichardt. Dans cette étonnante ouverture, tandis qu’elle creuse, la jeune femme découvre les squelettes de deux humains, allongés l’un à côté de l’autre. Le film peut sauter dans le passé, il a une histoire à raconter. C’est peut-être l’un des plus beaux flashbacks qui puisse nous être offert : Partir de ces squelettes, c’est comme partir du dessin d’une femme, dans Titanic.

     First cow fait le récit d’une rencontre et d’une amitié, entre King-Lu, voyageur d’origine chinoise poursuivi par des russes, et Figowitz dit Cookie, cuisinier qui fait partie d’un convoi de trappeurs. Exit le désert de La dernière piste, First cow se déroule intégralement en pleine forêt, le long d’une rivière, à proximité de Portland. Rapidement, les deux hommes vont naturellement faire équipe ensemble. Ils vivent de peu de chose et dorment dans une cabane de fortune. Et Reichardt filme ce peu de chose, glisse son objectif entre champignons et fougères, chouette et salamandre, bois et feuilles mortes.

     Pas de grande chevauchée triomphaliste chère au genre, Reichardt s’en tient à cette forêt ainsi qu’à ses deux personnages et leur petit commerce dangereux, de beignets, grâce au lait – qu’ils recueillent en cachette – de la première vache de la région, appartenant à un notable du coin. Pas de Scope non plus, forcément, la réalisatrice optant pour un format carré – comme elle le fit déjà pour La dernière piste – plus proche de l’humain, de l’intime. Un film doux sur un univers qui ne l’est pas – et un genre qui l’est habituellement encore moins : C’est peut-être ça, la touche Reichardt, une tendance à dégenrer, ici donc à déviriliser le western, jusqu’à lui enlever ses attributs majeurs : Le cheval et l’arme à feu. La seule scène de baston du film – borne habituelle du genre, là aussi – est contournée par la mise en scène : Reichardt préférant attarder son regard mais aussi celui de Cookie (donc le nôtre) sur ce nourrisson qu’on a laissé sur le comptoir d’un saloon.

     Si Kelly Reichardt construit un film doux et si elle s’éloigne des coutumes virilistes du genre, elle ne dresse pas moins le portrait d’une époque difficile, précaire et sur le point de changer. King-Lu incarne sans doute le personnage le plus pratique et lucide des deux, il sait que le monde change et sans doute par survie plus que par idéologie, il désire en faire partie. Et à mesure que ce petit commerce florissant prenne de l’envergure, le récit se resserre et crée une angoisse qu’on n’a même pas vu grimper. Alors on retrouve tout le talent de Reichardt, culminant dans son chef d’œuvre, Night moves, pour incarner le thriller, aussi minimaliste soit-il en l’occurrence : Voler le lait d’une vache et ne pas se faire prendre.

     Le film s’ouvre sur une citation de William Blake : « L’oiseau a son nid, l’araignée sa toile et l’homme l’amitié ». Et le film, pourtant riche, complexe, sur ce qu’il dit des pionniers et du capitalisme naissant, ne raconte rien d’autre que ça : Une amitié en tant que refuge, intemporelle. Un récit d’empathie et de solidarité cosmopolite, à l’image de cette scène où King-Lu négocie une traversée en canoé avec un amérindien, séquence qui n’est pas sans évoquer celle de La dernière piste. Mais on peut tout aussi trouver les échos de cette fraternité, de cette « amitié » chère à Blake, dans un autre film de Reichardt, le très beau Old joy (2007).

Certaines femmes (Certain women) – Kelly Reichardt – 2017

24. Certaines femmes - Certain women - Kelly Reichardt - 2017Dogs, quails and horses.

   8.0   On serait tenté de n’y voir qu’un film à sketchs, avec tous les défauts que le genre génère, pourtant Certaines femmes, qui fait le portrait de trois femmes sans les relier par la traditionnelle et usée fonction chorale, est tout sauf un film à sketchs, justement, puisque ces trois histoires, ces trois portraits forment l’histoire et le portrait du Montana, région dans laquelle s’ancrait le récit de « Both Ways Is the Only Way I Want It: Stories », de Maile Meloy, ce recueil de trois nouvelles que Kelly Reichardt choisit d’adapter.

     Qu’importe le « chapitre » la mise en scène est la même, les raccords visages/paysages aussi, de même que l’étonnante circulation des corps : leur déterminisme, leur posture, la façon de réinventer leur personnage. Entre le premier segment et le deuxième, un personnage revient, masculin campé par le trop rare James Le Gros. Et c’est Laura (Laura Dern, qu’on aimerait tellement voir davantage) qui fait le lien entre son premier et le troisième. C’est tout, inutile de davantage les entrelacer.

     C’est là uniquement pour créer un flux circulaire, un peu abstrait, aucunement pour apporter un rebondissement insensé, d’autant que si chaque petite histoire se déroule sur un sol identique, elles ne s’articulent pas du tout sur la même temporalité : Quelques heures pour les deux premières, quelques semaines pour la troisième. On sait comment fonctionne Kelly Reichardt et c’est justement parce qu’elle ose ce dernier plan incroyable (Le film s’ouvre et se ferme comme des plans de deux films de James Benning : RR et Two Cabins, un train de marchandise et une fenêtre carré) et ne tombe pas dans une retrouvaille un peu artificielle (Mais on en rêve, évidemment, si on aime les romances au cinéma) qu’on l’aime autant, depuis maintenant cinq films, tous merveilleux.

     On dit trois portraits mais on peut tout autant dire quatre, puisque le personnage joué par Kristen Stewart n’existe pas pour servir celui joué par Lily Gladstone, au contraire, c’est dans leur fusion égale et maladroite que va éclore des suspensions incroyables à l’image de la balade nocturne à cheval. Quatre femmes et deux hommes, certes plus distants, mais qui viennent parfaire ce curieux portrait d’une Amérique aux édifications tenaces et aux ramifications complexes : La souffrance d’être femme dans les métiers du droit, d’être épouse et mère comblée, de tomber amoureuse.

     Aux déplacements forcés qui résidaient dans ses précédents films (une balade en forêt, un road-movie interrompu, une traversée du désert, la construction et les conséquences d’un attentat) Certain women choisit le quotidien, qui n’est certes pas immobile puisque guetté par la surprise, mais dont le mouvement est plus délicat à apprivoiser, plus complexe à identifier. Trois solitudes, pourtant très différentes, qui se répondent sur d’infimes petites choses et qui constituent le terreau féminin de cette ancienne terre de western, puis se collisionnent en une triple scène quasi similaire : Un abandon profond et trois regards bouleversants. Une indifférence qu’il faut encaisser, que la mise en scène va souligner d’une distance plus ou moins importante entre deux corps toujours séparés par une vitre.

     Mon seul regret c’est la durée : Si j’aime autant le cinéma de Kelly Reichardt c’est parce que ses films  prennent chaque fois le temps de s’installer, de capitaliser sur leur lenteur, de créer du vertige avec peu de choses. J’aurais tellement aimé qu’on en voit plus de Laura, de Gina, de Jamie. Toutefois, il manque un petit quelque chose au deuxième segment pour atteindre la beauté des deux autres, ce bien que cette affaire de grès et cailles soit absolument géniale. Toujours est-il, mais on le savait déjà, que dans la beauté de ses images, la puissante incarnation de ses acteurs, la discrétion de ses mouvements, ses élégantes trajectoires, le cinéma de Kelly Reichardt est le plus beau du monde. Vivement le prochain.

Wendy & Lucy – Kelly Reichardt – 2009

wendy_and_lucy07Voyage interrompu.

   8.5   C’est un road-movie pas comme les autres, puisque géostationnaire. Ce qui ne l’empêche pas d’être toujours en mouvement, de traverser des rues, des routes, des forêts, des voies ferrées ; D’entrer dans une épicerie, un garage, un commissariat, une fourrière, des toilettes de station-service. De croiser du monde. Wendy et son chien Lucy échouent dans un bled paumé de l’Oregon. Au départ, c’est une étape parmi d’autres, jusqu’en Alaska. Dormir puis repartir. Quand le film s’ouvre, on sait que le voyage ne s’est pas lancé d’hier. Les visages, les fringues, la voiture, une façon de marcher, d’errer, de se débrouiller. On apprendra plus tard que Wendy vient d’Indiana. Autant dire qu’elle a déjà traversé à minima six Etats.

     Le carrefour que va constituer cet apparent lieu d’escale, autant sur le plan physique qu’initiatique ressemble fortement à celui dans lequel s’engage alors Kelly Reichardt, la réalisatrice, qui après les effluves d’errance forestière de deux amis paumés dans Old Joy, et avant le western étique que sera La dernière piste, choisit de mettre en scène ses propres doutes, son goût pour les espaces, les silences, son amour du plan fixe et des discrets travellings. C’est un cinéma qui se rapproche de celui de Gus Van Sant, versant Paranoid park et des frères Dardenne, versant Rosetta. Mais sans l’érotisation du premier ni la charge sociale du second. Enfin disons qu’il y a les deux mais de façon beaucoup plus simple et aléatoire.

     Le voyage statique de Wendy est rythmé par des rencontres, parfois douloureuses comme ce jeune employé de supermarché zélé, qui fait le nécessaire pour que la voleuse serve d’exemple et se fasse arrêter la contraignant à laisser Lucy seule, attachée dehors ; Ou comme ce vieux clochard, qui vient perturber son sommeil en lui crachant sa haine du monde, s’autoproclamant serial killer. Dans ce dédale de solitude, forcément guidé par l’inconnu donc la peur, Wendy rencontre un vieil homme, qui est gardien d’un parking privé vide. C’est lui qui lui demandera d’enlever sa voiture mais c’est aussi lui qui la guidera dans ses nombreux travers (Faire réparer son tacot, récupérer son chien…) n’hésitant pas à lui prêter son téléphone ni à lui proposer un peu d’argent. Et moins distinctement, Wendy croisera la route d’autres laissés pour compte (Routards post-hippies et Sdf recycleurs de canettes) et de simples guichetiers.

     Un film avec un chien c’est toujours un peu dangereux, alors si en plus le personnage le perd ça peut carrément devenir grossier. Ce qui est beau dans le film de Kelly Reichardt c’est que Lucy n’a pas vraiment le temps de devenir Lucy à l’écran puisque Wendy est très vite à sa recherche. C’est un vrai personnage pourtant puisque tout le récit tourne autour d’elle, mais c’est un personnage absent, entre les mailles d’une ville, dont on va traverser chaque parcelle, de simples terrains vagues jusqu’à un quartier résidentiel, qui ressemble enfin à l’Oregon du cinéma qu’on connait. Probablement un moyen accueillant pour accepter ce que ce petit bout de jardin entouré de grillages va nous dire.

     Si le film est si ténu, narrativement parlant, il n’en délivre pas moins une puissante évocation de la solitude, entre abandon trouble et rêves secrets d’ailleurs. Le film se déroule à Portland, terreau du cinéaste Todd Haynes, qui a produit les deux premiers longs de Kelly Reichardt. Et le film vient saisir quelque chose d’étrangement doux de cet étonnant paysage, une douceur brute, inquiétante et bienveillante à la fois. Et du haut de ses soixante-dix-sept minutes, procure cette paradoxale sensation d’angoisse mélodieuse. Et s’avère, grâce en partie à la présence d’une extraordinaire Michelle Williams, infiniment bouleversant.

Night moves – Kelly Reichardt – 2014

13.-night-moves-kelly-reichardt-2014-1024x576Les passagers de la nuit.

   9.5   Si d’emblée le sujet parait éloigné de l’épure narrative du cinéma de Kelly Reichardt, on constate très vite que Night moves est fait du même moule. Night moves c’est d’abord le nom de ce bateau, celui qui transporte autant le geste que son accomplissement. Et c’ est un film en trois mouvements, élaborant son récit autour de trois jeunes altermondialistes sur le point de faire sauter un barrage, en racontant méticuleusement les préparatifs, l’action puis ses répercussions, se focalisant essentiellement sur trois zones de suspense distinctes, symbolisant à elles-seules les trois grandes parties du récit : Acheter de l’engrais, Poser la bombe, garder le silence. C’est une suite de gestes où toute la mise en scène se résume en un minutieux découpage sans cérémonie, où la tension gicle de chaque plan, logée dans le moindre élément de décor. Lors de la fameuse nuit, c’est le bruit des eaux, ses clapotis, qui guident la bande-son.

     Le récit s’articule sans jamais forcer quoi que ce soit, expliquer sa procédure ni appuyer certains éléments de scénario. Tout tient du présent. Pure alchimie sans concession avec son spectateur en qui la cinéaste fait une confiance aveugle. On entre ou pas dans sa respiration, à l’instar finalement de tous les films de Kelly Reichardt, depuis Old joy. La première partie, la plus longue, étirée, relâchée, n’est que mise en place sans rebond de l’action mais il faut longtemps pour que l’on discerne sa finalité. Le film nous familiarise avec le quotidien de Dena (Dakota Fanning) et Josh (Jesse Eisenberg), déjà plus ou moins associés dans leurs objectifs militants, avant de faire entrer un troisième personnage tardivement.

     Dans ce premier jet couvrant la moitié du film, ce sont les dernières heures avant l’accomplissement du geste qui nous sont contées. L’achat de l’engrais est son grand et unique vrai climax de tension magnifiquement mis en image. Et tout se déroule majoritairement sous un silence bien pesant. Au centre, c’est le barrage. La nuit est tombée, le moment est venu. Le silence a envahit la vallée. Un autre silence, différent de celui de jour. Un silence nocturne couvrant toute cette séquence d’une précision d’orfèvre melvilien. Autant dans son exécution prévue et accomplie que dans le bref obstacle – une sale histoire de pneu crevé, là-haut sur la route sillonnant la colline surplombant les eaux – qui momentanément pouvait faire échouer le dispositif. La séquence n’est pas en temps réel mais on a l’impression qu’elle l’est. La cinéaste est très forte pour parvenir à dilater à ce point la temporalité interne. Et la tension qu’elle y injecte ajoute à la pleine réussite de l’entreprise.

     La virée nocturne n’arrive à son terme qu’après un long plan fixe en voiture, cadrant des visages tendus, muets, où seules les respirations envahissent la bande son avant de s’atténuer et d’accueillir un léger bruit d’explosion hors champ puis après un contrôle de police sans imper, malgré les godasses pleine de boue de Josh et les premières crises de démangeaison de Dena. Une séquence de suspense en appendice, inattendue, d’une puissance rare.

     Ce n’est que lors de mon second visionnage que j’y ai vraiment prêté attention : le corps de Dena la gratte déjà, dans cette voiture, l’inquiétude la gagne immédiatement le geste accompli tandis qu’elle semblait plutôt tranquille avant l’exécution du plan. Premières crises d’urticaire discrètes avant de plus grandes bien après, la maculant de plaques, l’embarquant vers des sommets d’angoisse insondable.

     Le jour soudain supplantant la nuit agit autant comme vecteur libérateur qu’en tant que plongée inextricable dans une noirceur absolue. La nouvelle de la disparition d’un campeur fait disparaître les maigres satisfactions de réussite, sur lesquelles il ne faudrait pas trop compter sur Josh pour les célébrer tant il reste mutique et opaque jusqu’au bout. Son mutisme engagé se transforme d’ailleurs bientôt en dangereux silence. Et cet hermétisme permet justement de croire en ses brutales reconversions. C’est un homme d’action. Sans attachement. Sans émotion.

     La réussite de la nuit se perd dans la peur du jour. Trois piliers organisés, parfaits adjoints qui ne sont plus du tout complémentaires, ne se parlent qu’au téléphone (le troisième homme disparaît entièrement du champ avant même le contrôle de police), ne sont faits plus que de crainte, de tremblement, sans aucun échange de regard après de mécaniques appels de phares, précédant une brutale et inévitable altercation dans un hammam.

     Night moves est un thriller post-moderne sans esbroufe ni dispersion, comme l’était La dernière piste, son western. Le cinéma de Kelly Reichardt, bien qu’il cite aussi, est unique, fait de minuscules soubresauts, d’élans dramatiques minimalistes. Un cinéma qui appartient moins à la contemplation qu’à une implication hypnotique. Qu’on soit ici dans un désert indéfini, poussant des carrioles ou là dans l’Oregon, en plein attentat éco-terroriste. C’est un cinéma du mouvement d’une simplicité biblique et d’une subtilité ahurissante qui fait écho aux grands films de casse, d’évasion, de voyages, protocolaires et/ou fantastiques, citons pêle-mêle Le cercle rouge, Le trou, Le salaire de la peur. L’orchestration d’un Melville, la précision d’un Becker, le déploiement dramatique d’un Clouzot. Auxquels on pourrait ajouter Mann. Ultime cinéaste de la nuit. Oui, rien que ça. Night moves, film de la nuit. Film rêvé.

La dernière piste (Meek’s cutoff) – Kelly Reichardt – 2011

35.3Somewhere.

   9.0   L’espace prend d’emblée une place importante. On est comme happé dès les premières secondes par ce petit groupe d’hommes et de femmes, dans l’Oregon de 1850, qui traversent une rivière. Il n’y aura pas un seul dialogue pendant un long moment, ou alors ce sont des mots perdus dans l’espace, que l’on ne distingue pas, mots capturés par les vents. Une femme effectue, accompagnée de son colibri en cage qu’elle protège au-dessus de sa tête pour ne pas le noyer, la traversée dans les eaux, pas tout à fait des rapides, mais une rivière qui s’amoncelle et disparaît tranquillement dans le désert au loin, plaines et collines ocres à perte de vue. L’eau ne menace pas encore mais c’est déjà un obstacle. Le film ne sera pas toujours silencieux, quelques dialogues disséminés ici et là, une prière, une attention, quelques discussions triviales et d’autres plus importantes, au sens où elles concernant ce voyage, enfin plutôt ce déplacement. On sait que l’on est dans l’Oregon mais l’on ne sait pas trop où l’on va. L’Ouest évidemment, c’est la conquête, mais rien de précis et très vite la piste disparaît, les hommes sont perdus – Un Lost sur la branche morte d’un arbre suffira. L’être humain qui se perd dans un espace est quelque chose de très beau et fascinant au cinéma. Gerry ou Zabriskie Point pour rester dans l’environnement désertique, le dernier étant par ailleurs davantage le reflet du film de Kelly Reichardt dans cette impression que l’on se déplace par ce que l’on n’a plus de place, qu’on n’est pas dans le monde mais au travers. Dans l’environnement clos il y avait Jeanne Dielman évidemment et cette sensation de perdition dès que la machine quotidienne rompait. Mais c’est bien la première fois que je vois ça transposé dans le genre Western, si l’on peut dire. Je ne suis pas grand connaisseur mais je sais qu’une chose m’a toujours perturbé dans ce cinéma là c’est le peu de regard que l’on porte sur la durée, la souffrance et l’espace dans ce qu’il a d’immense, de richesse plastique et sonore. C’est une traversée à l’infini. Vers un quelque part que l’on ne verra jamais. Les migrants viennent à manquer d’eau, les jours se répètent, les nuits sont fraîches et toujours rien à l’horizon qui donnerait signe d’une terre promise. Pas de lignes dessinées. La perdition est totale. On se déleste de quelques affaires comme cette chaise jetée par-dessus bord, témoin d’un déplacement, d’une histoire en marche ou d’absolument rien. C’est un cinéma extrêmement sec, peu bavard mais surtout doté de plans chargés de rien, donc de tout. Une femme qui lit un livre. Un homme qui observe au loin. Un enfant qui se repose. Et quelques fulgurances fondamentales dont un plan extraordinaire où les deux carrioles avancent en notre direction, avec toute la durée que cela suggère, avant de disparaître peu à peu dans un fondu enchaîné qui permet de les retrouver à l’horizon, tandis que l’effet nous donne l’impression de les voir traverser les nuages. C’est précis mais aussi plein d’idées lumineuses. C’est un voyage dans le désert d’une beauté incomparable.


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