Publié 9 janvier 2022
dans Kirill Serebrennikov
Il est difficile de ne pas devenir fou.
0.5 Il est rare de se sentir sale au sortir d’une salle de cinéma. A moins d’avoir ingurgiter du popcorn, évidemment. Ou à moins que le film soit un gros brulot de droite puant. Mais se sentir sale à cause des images d’un film, de son rythme, de son chaos, de son montage, de son magma sonore, c’est déjà plus rare. La dernière fois que j’ai éprouvé cela c’était en sortant d’Il est difficile d’être un dieu, d’Alexeï Guerman. Autre film russe, autre expérience insupportable qui n’était toutefois pas aussi boursouflée que le film de Serebrennikov : Il était total (on aime le voyage ou pas, moi pas) mais il n’y avait pas cette emphase (empruntée à Kusturica, Jeunet, Gilliam, grosso modo) qui traverse tout La fièvre de Petrov et qui vise moins au voyage qu’à un tour d’épate frénétique. Ce qui domine ici c’est cette impression de se faire gueuler dessus, cracher au visage et piétiner les yeux et les oreilles 2h30 durant – Ressenti 8h. C’est un film qui pue la pisse, la merde, le vomi, le sang, l’alcool et le cambouis. Alors c’est une expérience, certes, à la fois physique et mentale, dans le cerveau malade d’un type grippé. Et le film ne lésine sur rien non plus d’un point de vue formel : Plans séquences impossibles, changements de format, de point de vue, narration éclatée, irruption d’animation, un chapitre en noir et blanc, petites phrases choc dans le décor du type « La journée est merdique et toi aussi » ou « Comment vivre ensuite ? ». Dernière réplique du film prononcée par un personnage secondaire récurrent qui brise le quatrième mur et face caméra d’un ton rigolard balance « Faut payer le voyage, hahaha ». Tout y passe, jusqu’à l’écœurement. Même ses rares accalmies sont aussitôt compensées par un cri, comme pour ne pas te faire oublier que tu traverses l’enfer. Rarement vu un truc aussi satisfait de sa virtuosité malade. Rarement vu un film aussi nihiliste et misanthrope. Rien d’étonnant en soi, tant Serebrennikov règle ses comptes avec la Russie, territoire dont il est interdit de sortie, pour une douteuse affaire de détournements de fonds. Il est en colère et le cri. Mais on n’y est pour rien, nous. Franchement ça donne envie d’en finir avec l’humanité. Bref c’était horrible.
Publié 12 janvier 2019
dans Kirill Serebrennikov
Summer will be over soon.
6.5 Si je ne suis pas vraiment conquis par le versant hystérique du film (Le trop-plein de chaque plan, les fausses vidéos souvenirs pour combler, les imitations de pochettes de disques, les apparitions ridicules du personnage sceptique s’adressant face caméra avec ses pancartes « Tout ceci n’a jamais existé » ainsi que les dessins sans intérêt lors des séquences fantasmées) son versant romantique et mélancolique a eu raison de moi. Quand il n’est plus dans la démonstration pour ses fans de rock soviétique aussi amoureux d’influences anglo-saxonnes (Lou Reed, Iggy Pop, Talking heads) il trouve de belles inspirations, de belles suspensions (évoquant dans ses meilleurs instants le Jarmusch de Stranger than paradise) notamment dans le visage de Mike, insondable, avec son regard sans cesse caché sous de grandes lunettes noires. Ailleurs, cet amoureux transi qu’on délaisse aurait été violent ou bien aurait inspiré la pitié, lui c’est autre chose, il est d’une bienveillance absolue. Tout ce qui se joue entre lui, Natacha et Viktor – magnifique triangle amoureux – soit tout l’intime du film, quand il sort de son cadre collectif et de ses morceaux de bravoure, pour n’en garder que cette sève délicate, des silences perdus sous la pluie, des regards volés entre deux couloirs, des petites interactions du quotidien bref des émotions plus étriquées (Ce moment où Mike rejoint Natacha dans le lit en s’y glissant dans un silence magnifique) tout ça m’a beaucoup plu. Même plutôt ému. Bref, c’est un beau film musical, à la fois dans la lignée du Control, d’Anton Corbijn – Ce dernier me touchait davantage parce que Joy Division et parce que d’un point de vue mise en scénique c’est un film irréprochable, débarrassé des petites lourdeurs qu’on trouve dans Leto – et à la fois complètement éloigné des sirènes du biopic puisqu’il se concentre sur un été, aussi doux, solaire, élégiaque qu’il est aussi un peu politique puisque Kirill Serebrennikov demande à observer cet esprit de rébellion clandestin (On s’échange des disques sous le manteau) au sein d’un régime (les concerts contrôlés sinon censurés) soviétique de Brejnev des plus étriqué. Et j’allais oublier Irina Starshenbaum : La plus belle frange de l’année.