Revoir le monde.
8.5 C’est l’histoire simple d’un homme qui sort de prison, après y avoir purgé une longue peine, dont la volonté première est de partir à la recherche de sa fille. Sur le chemin il lui achète une blouse et des bonbons, avant de traverser les cours d’eau, telle une âme errante, aux gestes précis, réapprivoisant en barque ou en marchant les lieux de son passé.
C’est le mystère d’une vie retrouvée. Mystère car il y a table rase du passé. Toute évocation est aussitôt stoppée. Argentino Vargas semble vouloir repartir de zéro, ne plus en parler, ne plus y penser. Lorsqu’un type lui en parlera furtivement, il lui répondra que tout cela est terminé, qu’il a oublié. On ne sera jamais si Vargas a fait le nécessaire pour oublier son crime où s’il le tiraille encore. Il y a des éléments qui permettent de penser qu’il est dans le remords, que ça le hante sans cesse.
Deux éléments : La toute première séquence du film, très aérienne, légèrement floue, où l’on distingue une nature luxuriante, on plonge littéralement dans la jungle, avant d’apercevoir deux corps recouverts de sang et les pieds d’un homme qui marche, une machette à la main. Etant donné que sur le plan suivant, nous voyons Vargas se réveiller, cela peut-être aussi bien vu comme une réminiscence douloureuse ou comme un simple cauchemar. Lisandro Alonso tient à rester complètement mystérieux sur les motivations et les sensations de son personnage. Puis le second élément concerne le dernier plan du film, libre d’interprétation, où la caméra s’attarde sur deux jouets dans la terre, un petit bonhomme footballeur et une roue de calèche, tentant de nous raconter quelque chose.
La force de ce voyage vers la retrouvaille tient à ce silence autour du passé de cet homme et c’est ce qui est formidable. On n’est même pas certain de ses réelles motivations. Alonso nous montre quelqu’un de très serein, en communion avec les éléments naturels, quelqu’un de très silencieux, comme s’il cherchait à se purifier, mais c’est aussi un retour à la vie violent, inquiétant. Une scène de sexe sans passion avec une femme du village. La mise à mort d’une chèvre, qu’il vide aussitôt avant de la ramener jusque chez lui, comme accompagné d’un présent.
Il y a une grande valorisation de l’espace chez Alonso, il en était déjà question dans son précédent film, La libertad. Les cadrages peuvent être assez serrés puis s’élargir soudainement, comme pour saisir le geste de l’homme, puis saisir l’espace dans lequel il se trouve, le tout dans un même plan. Cela est encore plus frappant dans ici justement, il y a une séquence absolument formidable à ce titre : L’homme est seul dans sa barque, filant le long du fleuve, s’engouffrant dans la jungle, la caméra vient saisir ses mouvements de rame avant de s’écarter jusqu’à ce que la barque soit hors champ, que l’on ait uniquement des arbres en vue, le bruit du vent afin de saisir cette aridité, cette humidité. Tout devient merveilleux, hallucinogène. C’est un voyage sensoriel auquel nous convie le cinéaste argentin. Il n’y a bien sur pas que ça, Alonso se penchant aussi sur le contexte économique de son pays, mais le laissant au second plan, dans le plus grand des mystères comme le reste de son film.
Los muertos (les morts) ce sont ceux que Vargas laisse derrière lui. Il faudra longtemps avant que l’on apprenne qui il a tué. Un paysan lui dit qu’il a tué ses frères, ce peut tout aussi bien être ses vrais frères comme des amis ou simplement deux argentins, frères peut signifier beaucoup. Un mystère de plus donc. Le plus intéressant n’est pas ce qu’il a fait, mais ce qu’il fait à l’instant présent. L’histoire n’est pas à raconter, elle est derrière lui. Ce que filme Alonso, c’est ce que jamais personne ne filme. On a souvent le droit aux sorties de prison puis directement les retrouvailles. Alonso filme la sortie de prison comme le prologue à ce qu’il vaut véritablement raconter : Le retour d’un homme dans le monde, mais justement sans la retrouvaille, son film s’arrête là. Qu’il soit heureux, mélancolique, impatient, plein de remords, en colère tout s’inscrit sur son visage, car il ne parle pour ainsi dire jamais, ou dans notre imagination, l’interprétation que l’on donne de ce visage, de ce regard, de ce corps traversant fleuves et forêts, dans une solitude extrême, comme apaisé par ces instants spirituels on ne peut plus intenses.