Publié 28 décembre 2022
dans Louis-Julien Petit
Pas top, chef.
3.0 Difficile de faire plus convenu, prévisible et passe-partout que le cinéma de Louis-Julien Petit. C’est du feel-good movie social, disons, comme si Toledano & Nakache s’étaient échoué dans celui de Ken Loach. Dans Discount (le premier film de son réalisateur) les personnages existaient, avaient quelque chose à raconter, n’étaient pas imputables à un trait de caractère ou une apparition. Dans le suivant, Les invisibles, tout sentait déjà le réchauffé du précédent, le rythme en moins, les petites vannes répétitives en trop. Le problème de ce cinéma (après avoir vu ces trois films) c’est qu’il semble déclinable à l’infini, selon la même construction, il suffit juste de changer l’univers : le supermarché dans l’un, le centre d’accueil dans le suivant et la cantine d’un foyer maintenant. C’est du cinéma micro-ondable, fait de vignettes, mi-aigres mi-tendres, entrecoupées de petits interludes clipesques. Et l’idée est bancale car on sent bien que le film chie sur les patrons et crache sur les émissions de télé-réalité culinaires ; et pourtant il donne finalement moins envie de venir en aide aux migrants que de regarder Top chef et/ou de diriger la brigade d’un restaurant étoilé. Sans parler de son ambition woke, dans l’ère du temps, de faire le portrait d’une femme cheffe de cuisine qui jouit qu’on l’appelle « cheffe ». N’est-ce pas un peu déplacé de voir plein de gentils migrants travailler pour elle et être tous très heureux de le faire ? Moi ça me dérange, mais j’imagine qu’on peut trouver ça mignon, divertissant. Car en apparence c’est un « téléfilm » plein de bonnes intentions, devant lequel on peut manger, étendre son linge ou aller faire pipi. Parfait entre un scrabble et une grille de sudoku, ou entre Des chiffres et des lettres et Questions pour un champion.
Publié 6 septembre 2019
dans Louis-Julien Petit
Les femmes de la rue.
4.0 Autant j’avais été séduit par Discount, le précédent film de Louis-Julien Petit – avec une troupe d’acteurs similaires d’ailleurs – car malgré sa facture de feel good movie banal le film faisait exister ses personnages. Là c’est le contraire, je trouve que tout est raté. Les personnages semblent sortir d’un catalogue. Ou plutôt ils ne sont pas si différents du précédent film, mais nettement plus stéréotypés ou mal incarnés, au choix. En effet, on a l’impression que nos employés de supermarché discount sont arrivés dans ce centre d’accueil pour femmes sans abri. Il faut d’ailleurs dire que le film choisi de mélanger des comédiennes professionnelles (Lamy, Masiero, Lvovsky, Lukumuena) avec des femmes ayant vécu dans ces centres d’accueil. Et ça ne fonctionne pas. D’autant que je vois le syndrome Polisse en permanence : Il faut de la vignette. Un peu de cynisme mais pas trop, un peu de virulence mais pas trop. Une scène touchante est systématiquement compensée par une scène truculente afin de passer du rire aux larmes et vice-versa. Et surtout, le plus désagréable là-dedans c’est l’obsession pour la petite vanne, qui fait rire les autres personnages (pour nous dire de rire aussi) ça n’arrête pas, c’est pénible. Bref, On n’a pas forcément envie d’en dire du mal, car il y a une envie d’éclairer les invisibles du monde, avec un regard chaleureux, mais le film en lui-même n’est vraiment pas terrible.
Publié 15 février 2016
dans Louis-Julien Petit
Rebelle.
6.0 Il y a une scène symptomatique de ce cinéma où la gérante du magasin discount convoque une salariée et lui vante les mérites d’un départ volontaire (trop de pression, retour aux origines, penser sa retraite) et où l’on découvre à mesure que son speech s’adresse à tous les salariés puisque d’un plan à l’autre, l’interlocuteur a changé. C’est facile mais ça donne le ton. Tous les personnages sont réduits à être des pions sur un échiquier. Et paradoxalement, ce qui est très beau dans le film de Louis-Julien Petit, c’est que tous ses personnages existent indépendamment des autres, ils ont tous une histoire, une motivation, quelque chose à raconter, jusqu’à celle jouant la gérante (Zabou Breitman) qui est clairement la méchante du film (au service d’un méchant plus grand, indomptable) mais l’est moins dès qu’on s’invite au sein de sa fragilité familiale. Ce n’est pas un grand film, mais je vais m’en souvenir. Disons que c’est davantage un examen de société, mais c’est fait avec panache, c’est finement écrit, bien joué (Masiero, Demolon et l’excellente Sarah Suco, ici au centre) tour à tout drôle et terrifiant, mais c’est surtout suffisamment corrosif pour être un film de son temps. Et ça n’a jamais la prétention bien froide de La loi du marché ou du dernier Jolivet, pour rester dans le plus ou moins même thème. Alors certes c’est assez impersonnel (On n’est pas chez Loach non plus) mais en tant que comédie populaire sociale et réaliste (au sens où son utopie doit forcément mal finir) c’est assez réjouissant. C’est un film qui donne envie de lever le poing un peu comme Ressources humaines de Cantet donnait envie de se rebeller tous ensemble. Et puis surtout, tu ne vas plus jamais à la caisse automatique d’un supermarché en sortant de là. Bref, c’est l’archétype du grand petit film. Et pour un premier film, c’est tout à fait honorable.