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Caniba – Verena Paravel & Lucien Castaing-Taylor – 2018

19. Caniba - Verena Paravel & Lucien Castaing-Taylor - 2018Mauvais sang.

   6.0   Entrer dans Caniba, c’est comme entrer dans Leviathan. Simplement, le cannibale a remplacé le chalutier. On quitte un monstre pour un autre. Sauf que filmer un monstre d’acier puis un monstre humain, un bateau puis un visage, ce n’est pas vraiment la même chose. J’attendais beaucoup de ce glissement de la part de ces deux cinéastes passionnants, qui m’avaient offert l’un des voyages cinématographiques les plus sidérants qu’il m’ait été donné de voir. Le cadre aussi est différent puisqu’aux recoins chahutés du Leviathan, entre filets de pêche et bacs à poisson,  répond un pur huis clos dans un appartement. D’autant que Caniba nous impose ce visage et souvent uniquement ce visage.

     Pas toujours puisqu’il y a aussi celui de son frère, que les cinéastes ne s’attendaient pas à voir mais qu’ils ont finalement décidé de filmer autant que celui d’Isei Sagawa, capter leur relation d’hier et d’aujourd’hui. Pas toujours car le film va dévier à quelques reprises, faire un pas de côté salvateur lorsqu’il nous convie à voir des vidéos familiales en noir et blanc, filmée en super 8 ; troublant lors d’un extrait pornographique dans lequel joue Isei Sagawa jeune ; déstabilisant lorsqu’ils vont tous deux feuilleter le comic horrifique (et publié ! Hallucination totale) de Isei Sagawa, dessinant son crime ; carrément dérangeant quand on va observer son frère Jun se faire des scarifications quotidiennes.

     Durant le débat, Véréna Paravel disait qu’elle se demandait qui avait bien pu filmer ces vidéos de famille notamment celles des vaccins chez les médecins. Qui filme ce genre de chose ? C’est vrai, c’est troublant. Et en même temps le parallèle est fort : Dans Léviathan et Caniba on se demande souvent qui filme ce que l’on voit. Qui filme, physiquement parlant ? Je crois que c’est ce qui me passionne le plus chez ce « couple » de cinéastes, ils ont inventé la caméra indépendante. C’est flagrant dans Léviathan avec ces GoPro disséminées partout sur le chalutier, ça l’est moins ici mais il y a un geste, une façon de filmer le(s) visage(s) qui semble si loin des standards documentaires, qu’on a le sentiment de voir le film en train de se faire, en permanence, par un voleur/glaneur d’images. Qu’il n’y ait jamais de questions posées aussi bien à Isei Sagawa qu’à son frère renforce évidemment cette impression. C’est comme si Jun filmait Isei et vice versa, en somme, c’est très étrange.

     Contrairement à Leviathan qui se vit plus qu’il ne s’analyse, Caniba est donc plus intéressant à interpréter qu’à regarder. D’ailleurs, si le projet tenait à cœur à Véréna Paravel (qui dit avoir été très perturbé par ces évènements qui se sont produits alors qu’elle n’avait que dix ans) elle nous a avoué ne pas avoir eu de réjouissances à se coltiner ces entrevues et ces écoutes. C’est pareil pour nous. Le film gagne par la distance qu’il installe. Sa distance, c’est le gros plan et le flou. Impossible de montrer cela autrement nous a confié la réalisatrice, avouant par la même occasion que le gros plan n’était pas l’unique régime de plans utilisé pendant le tournage. C’est le visionnage des rushs qui l’a imposé. C’est un choix de montage. Et Leviathan, déjà, ce n’était pas autre chose.

Leviathan – Lucien Castaing-Taylor & Véréna Paravel – 2013

12115808_10153633512417106_4380523952948892371_nAu cœur de la bête.

   10.0   La citation de Job d’entrée permet de poser autant que d’évacuer un sous-texte mythologique. On entre dans un monstre et on en réchappera dans une heure et demie. Le reste tient du voyage. Avec et contre le Léviathan, mythe ou non. On n’avait jamais vu un truc pareil. C’est le sentiment premier qui domine pendant et au sortir de cet objet colossal, qui plus qu’un documentaire sur un chalutier lâché au cœur de l’océan tient d’une proposition singulière, nouvelle, sorte de poème visuel et sensoriel traversé par des fulgurances horrifiques hors du commun.

     Leviathan n’est que plongées. Au sein de cuves qui dégoulinent de sang, dans les remous accompagné par les mouettes, côtoyant là d’immenses et terrifiants cirées rouges plein de flotte, caressant les nuques et tatouages des pécheurs. On décèle quelques voix mais le magma sonore provoqué par les machines les rend inaudibles. Un moment nous suivons une mouette qui s’invite à bord pour chiper quelques restes, je ne sais par quel miracle (le film en compte tellement) nous nous réfugions dans les plumes de l’animal avant de le laisser regagner les airs. C’est un instant incroyable. Il y a vraiment de la magie dans ce film.

     Le procédé de fabrication est aussi génial que casse-gueule : Une vingtaine de petites caméras sont dispatchées dans le chalutier, accrochées aux pécheurs ou prises dans les filets, installées sur des câbles ou libérées dans les eaux d’une cuve entre les poissons mourants venant cogner l’objectif. Les images sont le résultat d’un montage fascinant, deux mois en mer au large des côtes de New Bedford uniquement saisies dans la nuit, bleutée ou charbonneuse.

     Nuit éternelle où se fait ici le ramassage et l’ouverture des coquillages qui devient quelque chose de très méthodique, effréné, robotique. Le cauchemar se poursuit. Et un bourdonnement chaotique reste en continu, envahissant la piste son, secoué parfois par des cris indistincts, stridences en tout genre, grondement de machines, échappées liquides. Souvent, le bateau parait immense, parfois, comme lors de ce curieux plan de plongée, il est minuscule.

     Et il y a deux des plus beaux accouplements de séquences monstrueuses vu depuis longtemps : Sur le pont du bateau, deux hommes encapuchonnés découpent la raie, séparant les ailes de l’os central de façon mécanique, avec crochet dans une main, machette dans l’autre. Puis nous échouons avec les rebuts sur un sol trempé et vacillant avant d’assister, pendu sur la coque, à une cascade de viscères déversées en continu dans l’océan.

     Il y a aussi cet instant où l’objectif est balloté devant la proue du chalutier, véritable monstre vert voguant à travers de gigantesques murs d’eau. On ne fait que plonger et ressortir jusqu’à ce fondu étrange où le plan s’aventure dans une douche de pécheur avant d’en sortir par des fonds marins sidérants (Où sommes-nous, bons sang ?) puis de se laisser embarquer par un immense filet de pêche, qui prend soudainement l’aspect d’un grand masque sorcier gobant les coquillages et les étoiles de mer.

     Et là un plan interminable dans une cabine de repos sur un pécheur en train de s’endormir et l’on se balance soudain, au gré du mouvement du ressac, au ralenti comme dans un rêve, avant de plonger dans un dernier voyage, abstrait, sans ciel, sans fond, puis dans les airs parmi les mouettes. Le dernier acte et ses multiples aléas vertigineux est un truc fou, absolument fou. On voudrait que ça dure une éternité. Au point d’être ému par ce dernier vol de mouettes, au loin, à peine visible, post générique. L’adieu du monstre. De terreur et d’extase.

     On ne s’en remet pas si facilement. A tel point que je m’y suis replongé le lendemain, aussi compulsivement que le film peut l’être, afin de l’apprécier autrement, de le sentir à nouveau, redécouvrir un peu encore de sa folie, de cet ahurissant magma qu’il contient et crache sans scrupule. Il m’aura finalement manqué qu’une seule chose pour le vivre à sa peine mesure : le grand écran. Je remercie Arte – Une fois de plus – pour cette diffusion providentielle mais je garderai éternellement le regret de ne pas avoir fait cette puissante rencontre en salle, je n’ose imaginer le choc cosmique que ça doit être.


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silencio


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