Archives pour la catégorie M. Night Shyamalan

Trap – M. Night Shyamalan – 2024

16. Trap - M. Night Shyamalan - 2024Mon papa le tueur.

   6.0   Cooper accompagne sa fille Riley, douze ans, voir son idole à un concert. Le lieu est quadrillé par des policiers. Pas si étonnant pour un concert de cette ampleur (un mix de Taylor Swift et Billie Eilish, incarnée par la fille de Shyamalan, par ailleurs) mais Cooper découvre très vite qu’ils sont là pour lui. En effet, Cooper n’est pas qu’un super papa – doublé d’un pompier volontaire – c’est aussi un serial killer, baptisé Le boucher.

     Aussi étrange que cela puisse paraître – Shyamalan nous ayant habitué à de grands twists en tout genre – le film ne fait pas de mystère sur l’identité de son personnage : on le devine au bout de cinq minutes (cette insistance à observer les forces de l’ordre) et on nous le dit clairement au bout de dix (il jette un coup d’œil sur son smartphone sur lequel on découvre un type attaché dans un sous-sol).

     Toute la première partie se déroule au sein de ce lieu accueillant le concert. Les écrans sont partout, des caméras de surveillance aux smartphones en passant par les nombreux écrans géants. Shyamalan s’amuse beaucoup. Sa mise en scène est virtuose, mais peut-être un peu cousue et si l’on pense à Brian de Palma, c’est peut-être davantage à Domino qu’à Snake eyes. Qu’importe, il trouve là ses meilleures inspirations depuis longtemps, à mon humble avis.

     À l’instar de celui de Split, le personnage de Trap aura donc continuellement une double identité permettant à Josh Hartnett de camper un double rôle savoureux. L’idée géniale est d’être systématiquement du côté du tueur, de s’identifier à lui, de vouloir qu’il s’en sorte tout en ne négligeant pas sa monstruosité : on sait qu’il séquestre des gens dans un garage, et il n’hésitera pas à pousser une dame dans un escalier ou à faire exploser la friteuse d’un fast-food au visage d’une jeune femme pour s’en sortir. Pourtant c’est un super papa. Et on aimerait bien qu’il le reste aux yeux de sa fille.

     En privilégiant cet unique point de vue, le film produit l’exact inverse d’une traque réaliste, renforcée par le caractère improbable de chaque scène. Cooper tente maintes fois de sortir mais se retrouve chaque fois repoussé vers la salle de concert, vers la foule. Jusqu’à ce qu’on en sorte et le film perd alors un peu de sa force de vertige. La dernière demi-heure me plaît moins.

Knock at the cabin – M. Night Shyamalan – 2023

01. Knock at the cabin - M. Night Shyamalan - 2023La cabane dans les choix.

   4.0   Tandis qu’ils passent leurs vacances dans un chalet isolé en pleine forêt, une jeune fille et ses parents sont pris en otage par quatre mystérieux individus armés d’outils, qui exigent d’eux un choix impossible permettant disent-ils d’éviter l’apocalypse : Sauver leur famille ou l’humanité. Comment avec un pitch pareil peut-on si peut surprendre, si peu porter d’intérêt à des personnages ?

     Avec ce très beau générique introductif et ces premières images en pleine forêt, d’une petite fille ramassant des sauterelles pour les mettre en bocal, les compter, leur donner des noms, des genres (elle tient un petit tableau très ordonné) et de sa rencontre avec un ogre, étrange mais doux, sorti tout droit des fougères, l’ouverture de Knock at the cabin promet un peu. D’autant que c’est une belle idée que de voir débarquer les intrus d’emblée, sans préambule. Et de voir un intrus massif en discussion avec une petite fille.  

     Or, une fois resserré dans sa mécanique de home invasion et donc de son huis clos dans un chalet, le film ne décolle pas. Il reste arrimé à ses petits sentiers balisés, campé dans ses pantoufles confortables avec sa structure répétitive très ennuyeuse. Ce qui pourrait à moitié suffire (après-tout, le réalisateur de Sixième sens n’est pas un manchot, il y a des plans, des idées ici aussi) si son apparence subversive n’était pas outrageusement rattrapée par des tendances bigotes, teubées et pro-conspirationnistes, déjà croisées dans son précédent film, Old. Qui par ailleurs était plus audacieux. Plus casse-gueule (et raté) aussi.

     C’est un film concept, en circuit-fermé. Le cinéma de Shyamalan n’a jamais autant évolué en vase clos, dans un monde, un cadre qui n’a jamais été si minimaliste que depuis deux films : Après la plage, voici le chalet. Pourquoi pas, après tout, si le film allait plus loin que son désir de high concept ? Mais Knock at the cabin est un film sans surprises, sans ambiguïté. Un film qui ne tente absolument rien, qui recycle en mixture Signes, Split, Phénomènes & Le Village.  Au sein duquel rien ne prend, rien n’émeut : Ni ce couple et leur petite fille. Ni ces « quatre cavaliers de l’apocalypse » (référence explicite puis carrément citée, l’enfer) qui s’excusent de tout. Ni ces cataclysmes variés qui se succèdent sur une simple télévision.

     Restent quelques idées de cadres, de plans, de gestion de rythme. Encore heureux. Le grand Shyamalan (d’Incassable) parait si loin. Inutile d’évoquer les scènes d’apocalypse, elles sont foirées, accompagnées d’effets spéciaux au rabais. Ni l’interprétation : Dave Bautista ne dégage rien, mais ça on le savait déjà depuis les Marvelleries et autres Snyderies. Rupert Grint pareil, d’autant qu’il était déjà de ce niveau en Ron dans Harry Potter. Jonathan Groff non plus, lui qui était si magnétique dans Mindhunter. Seuls les personnages féminins semblent exister un peu, mais trop vite sacrifiés. Le sacrifice c’est évidemment le sujet car c’est une histoire de croyance (l’un des quatre individus raconte une histoire, c’est en somme l’alter-ego du cinéaste) et donc de sacrifice : L’idée que le chalet finisse par flamber évoque un peu trop le final de l’ultime film de Tarkovski. Mieux vaut ne pas trop y penser.

     Il y a toutefois une idée intéressante, là-dedans, c’est le traitement de l’homosexualité, dans la mesure où elle n’est jamais le sujet, utilisée comme une tendance woke dans l’ère du temps. Elle intègre le récit via un des deux papas, à savoir celui qui a vécu la révélation de son coming-out à ses parents comme un traumatisme. Evidemment c’est hyper appuyé par un flashback « trauma » grossier, mais bien relayé par une double idée : D’une part grâce à un autre flashback, celui de la baston dans le bar, qui ne statuera pas sur l’origine de cette baston : l’homme du bar était-il homophobe ou est-ce le personnage qui l’a cru homophobe ? D’autre part via la venue des quatre cavaliers, dont la présence ne sera jamais reliée à une lecture homophobe. Bref, de ce marasme c’est ce qui m’a semblé le plus intéressant. Mais évidemment traité façon bourrin : l’homme du bar qui se révèle finalement être, par le plus grand des hasards, l’un des quatre étrangers, au secours.  

Old – M. Night Shyamalan – 2021

30. Old - M. Night Shyamalan - 2021Autant en emporte le temps.

   4.5   Pas lu la BD, mais le pitch est aussi génial que le film est décevant. Le début est pourtant prometteur, en installant le lieu et cette île paradisiaque, les personnages et ce couple en crise, puis quelques points importants du récit. Du pur Shyamalan. Puis tout s’écroule presque dès leur arrivée sur la plage. Presque car il reste ce pitch de frontière rocheuse qu’on ne peut traverser en sens inverse, façon L’ange exterminateur. Mais le lieu n’existe jamais, il est filmé n’importe comment. Les personnages n’ont aucune envergure et leurs réactions sont souvent incohérentes. Les acteurs sont tous mauvais, l’air hébété, même les bons : Que vient faire Vicky Krieps là-dedans, franchement ? Alors on peut retourner ces défauts en avantages puisque si le passage du temps est perturbé on peut se dire que tout le reste aussi, un peu à l’image de faire d’un film de vacances un pur cauchemar. Sentiment renforcé par l’avant-fin (qui aurait dû être la seule fin) dévoilant Shyamalan lui-même, en haut de la montagne, en train de remballer sa caméra, pas certain d’avoir réussi son geste expérimental. Mais le film tient malgré tout par l’originalité de son huis clos à ciel ouvert et de son pitch, le fait que le temps sur cette plage déserte soit accéléré, qu’une heure équivaut grosso modo à deux ans. L’occasion de voir grandir les enfants très vite, se développer rapidement les diverses dégénérescences, une grossesse ultra rapide, un corps de bimbo qui se transforme en monstre difforme, un tétanos précipité, etc. Idées qui tiennent sans doute du matériau d’origine. Et puis il y a le dernier quart d’heure, un twist tout pété, qui fait basculer le film dans le ratage total. D’abord car c’est amené n’importe comment, on y croit pas du tout. Ensuite car ce que ça dit des big pharmas est quand même très problématique par rapport à notre réel de crise sanitaire post confinement. Et si c’était le premier film antivax ? Alors ok, le film est dans l’air du temps, mais le dernier Dany Boon aussi, hein, si on va par-là, c’est juste qu’on préfère un décor de plage que celui d’un immeuble du XIe.

Glass – M. Night Shyamalan – 2019

27. Glass - M. Night Shyamalan - 2019Shyamalan superheroes story.

   5.5   Sceptique j’étais quant à l’évocation d’une suite à Incassable et Split, soient un film auquel je tiens beaucoup et un autre que je n’aime pas du tout.

     Sceptique je l’étais au sortir de la projection, tant Glass est longtemps davantage une suite thématique, esthétique, fonctionnelle de Split. Il n’y en a d’ailleurs que pour James McAvoy et les nombreux personnages qu’il incarne. David Dunn / Bruce Willis peine à exister là-dedans, quant à Glass / Jackson il faut du temps pour qu’il se réveille dans le récit. Il faut donc attendre pour que l’intelligence supérieure, le corps incassable et la bête schizophrène fonctionnent ensemble, que leurs appendices affectifs (La mère d’Elijah, le fils de David, la victime de Kevin) se croisent. Ce qui en soit n’est pas une si mauvais chose : les films de super héros qu’on nous balance à la pelle ces temps-ci, envoient systématiquement trop vite la purée, et se complaisent dans une débauche d’effets, de vannes de bébés et de combats aussi interminables qu’illisibles.

     Enthousiaste je le suis au fil des jours, tant je me rends compte que le film me reste en tête – et puis j’ai la sensation agréable qu’il m’a un peu échappé et qu’il regorge j’en suis persuadé de pistes théoriques passionnantes. Shyamalan fonctionne à sa manière, un peu à l’ancienne, laisse au film le temps d’infuser. Et il trouble la narration attendue : offre un premier affrontement Kevin/ Dunn donc Split/Incassable au bout de 20 minutes, avant de les enfermer dans un asile. Et d’un coup ça devient T2 ou American Horror Story (puisque tout se déroule là-dedans) face à un nouvel antagoniste, et l’on sent que le film se nourrit du cinéma 90’s et de la série d’aujourd’hui. C’est aussi ce qui fait sa faiblesse je pense.

     Le problème de Glass et quand bien même il lui arrive régulièrement au détour d’une sidération (et cette excellente dernière demi-heure en fait partie) de nous extirper d’un ennui poli (le verbiage de Sarah Paulson, les transformations répétées de McAvoy, franchement ça m’a gonflé ; Et faudrait que je le revoie pour être sûr mais j’ai la sensation que les réutilisations de scènes (coupées ou non) des précédents films n’étaient pas utiles) c’est qu’il se déploie sous un vernis monochrome la plupart du temps, et quand il tente un changement de ton, ou de couleur (la scène où ils sont réunis tous les trois dans la même pièce, par exemple) c’est pour trop vite l’abandonner. Ça manque de quelque chose d’un peu original, qui ne donnerait pas l’impression que Shyamalan n’est pas en train de se faire dévorer par les mœurs sérielles où toutes les images se ressemblent.

     Encore une fois il faudrait que je le revoie pour lever ou non ces doutes. En l’état il m’en reste de belles choses quand même et notamment donc cette étourdissante, brutale et vertigineuse dernière partie entre affrontements et twists en tout genre. Mais bon, ça n’arrive jamais à la cheville d’Incassable.

Le dernier maître de l’air (The last airbender) – M. Night Shyamalan – 2010

20. Le dernier maître de l'air - The last airbender - M. Night Shyamalan - 2010Le cinquième élément.

   2.5   Kylian MBappé était donc, en 2010, déjà pressenti comme étant celui capable de manipuler tous les éléments. Franchement y a quelque chose, tu trouves pas ? Même l’âge colle. Même le synopsis wikipedia, si on l’adapte un chouia : « MBappé est un jeune garçon de cent douze ans, maître de l’animation offensive et réincarnation de Zidane, seul être capable d’apprendre à maîtriser tous les gestes du football. Il a la responsabilité d’empêcher l’antijeu de détruire la qualité technique et l’exaltation collective afin de rétablir l’équilibre dans le football. » Franchement. Non ? Bref, plus sérieusement, il s’agit donc de l’adaptation ciné d’une série d’animation. On raconte que Shyamalan a voulu faire ce film parce que sa fille était fan de l’univers en question. Ouai. Bon. Curieuse méthode. En résulte un truc foutraque, laid, ennuyeux, ni fait ni à faire. Et si les obsessions du cinéaste (les tourments de l’enfance, la poétisation de la mort, la convergence des éléments, la place dans l’univers) semblent émerger ci et là, elles sont trop souvent noyées sous un flot d’images disgracieuses, des dialogues ridicules et une construction hermétique. Même avec la bonne volonté du monde, difficile d’aller au bout.

Split – M. Night Shyamalan – 2017

11. Split - M. Night Shyamalan - 2017Boring beast.

   3.0   S’il semble constamment s’éloigner de ses premières amours et d’une certaine zone de confort en cherchant à exploiter tous les genres, il y a dans le cinéma de Shyamalan quelque chose qui systématiquement fait qu’on reconnaît ses films entre mille. C’est aussi le cas de Split. Pourtant, il en évoque surtout d’autres mais en nettement moins bien : Les flashbacks de Signes, la bête du Village, le huis clos de La jeune fille de l’eau. Ça me désole car je l’attendais vraiment – Après le très beau, très surprenant, très flippant The Visit – mais je suis pas loin de trouver ce dernier cru mauvais. Raté, pour rester poli. Je n’y vois qu’un truc chic et choc un peu lourd un peu chiant qui recycle les motifs qui ont fait la renommée de l’auteur couplé aux attentes formelles que le genre génère. Reste ce récit qu’ailleurs on aurait probablement traité grossièrement et que Shyamalan va dessiner à sa manière, un peu à contre-courant des modes hollywoodiennes. Je suis là aussi resté à quai. Rien compris à ce qu’il tentait de me raconter (Montage affreux) sinon l’impression qu’il l’avait déjà cent fois mieux raconté dans Incassable. Quand à la toute fin, c’est le morceau phare de son chef d’œuvre qui résonne j’ai d’abord été un peu gêné par cette facilité auto citationnelle pour ne pas dire auto parodique, avant que le dernier plan cameo ne légitimise son utilisation. Sorte de petit cadeau pour aficionado qui remplace ses twists d’antan mais qui m’apparaît avec le recul plus lourdingue qu’autre chose. Je sauve tout de même le dernier tiers du film, plus audacieux dans sa mise en scène (les couloirs, sublimes) et plus angoissant aussi. Mais globalement c’est une grosse déception.

La jeune fille de l’eau (Lady in the water) – M. Night Shyamalan – 2006

06. La jeune fille de l'eau - Lady in the water - M. Night Shyamalan - 2006L’effet aquatique.

   5.5   Etant donné que c’est l’un des films préférés de ma femme, je persévère, j’essaie de comprendre, j’espère y être embarqué autant que ça puisse être le cas de son côté. Lors de sa sortie, il y a plus de dix ans, je n’avais pas encore réévalué le cinéma de Shyamalan. J’avais trouvé le film osé, dans sa façon de jouer plein pot la carte du conte, mais à vrai dire il avait complètement glissé sur moi. En le revoyant quelques années plus tard, il m’avait séduit par sa poésie naïve et une certaine magie (fonctionnelle, probablement) qui m’avait échappé la première fois.

     Dans ma période « replongée dans le cinéma de Shy » (J’ai revu Incassable, je vais revoir Signes et surtout découvrir Split et rattraper Le dernier maître de l’air) je tenais à réessayer La jeune fille de l’eau. Sans doute parce qu’il est celui de ses films dont je garde en souvenir les plus belles images : Notamment la géométrie de cet immeuble résidentiel (Le film ne s’en extraie jamais) qui encercle une étrange piscine renfermant un passage vers un abri, ainsi que ces immenses loups recouverts d’herbe, ainsi que la pureté un peu malaisante dégagée par Brice Dallas Howard.

     Mais je suis un peu déçu. Car hormis sa quête première (Faire que la nymphe égarée rejoigne son monde bleu avec l’aide de personnes qui doivent chacun trouver leur rôle) je trouve le film un peu prisonnier de son aspect œuvre-rébus, balourd ou simpliste dans son écriture et les interactions entre ses personnages. Je trouve aussi qu’il gère mal ses mystères et sa dimension fantastique. Il manque du hors-champ, même s’il est vrai qu’il est souvent beau dans certaines de ses compositions de plans et qu’il a cette idée de faire que le monde soit réduit à cet immeuble résidentiel.

     Je n’y vois surtout que des personnages de conte pour enfants, avec cet aspect ludique de rôle changeant (J’ai souvent l’impression de jouer loups garous et aux villageois, en gros) mais il me manque un petit plus émotionnel, que Shy va tout de même débusquer avec son héros, campé par Paul Giamatti, qui s’est attribué le rôle de gardien (Après tout c’est le concierge de l’immeuble) avant qu’il se révèle guérisseur : Personnage bouleversant, puisqu’ancien médecin ayant perdu sa femme et son fils. Sans lui, ça fait un peu court, d’autant qu’il faut être solide pour accepter le personnage critique de cinéma dessiné maladroitement (antipathique, menteur, débile) ou un gosse qui interprète les codes sur ses boites de céréales.

     Mais ça fait pourtant partie du délire Shy d’accepter cela. Et l’enfant, une fois de plus, est le vecteur central, le moteur qui mène à la résolution. Qu’on apprenne que La jeune fille de l’eau est « l’adaptation cinématographique » d’un conte imaginé par Shy himself pour ses propres enfants ne fait que renforcer cette impression que l’auteur ne cesse d’utiliser, assez humblement à mon avis, le cinéma pour faire parler l’enfant qui est en lui. Rien qu’un conte pour que les (grands) enfants/candides continuent de croire et de rêver. Noble cause, en somme. Qui me fait sans doute aimer le film davantage rétrospectivement mais qu’importe.

Incassable (Unbreakable) – M. Night Shyamalan – 2000

05. Incassable - Unbreakable - M. Night Shyamalan - 2000Héros ordinaire.

   8.5   Le quatrième film de Shyamalan s’ouvre sur une scène glaçante : Dans les bras de sa mère, un nourrisson s’époumonent ; Pleurs semble t-il ininterrompus qui obligent un médecin à intervenir. Son verdict : le bébé est fracturé de partout, il est né ainsi, il s’est brisé les os dans l’utérus de sa mère. Pour un film qui se nomme Incassable, c’est un début des plus étranges. La scène suivante, dans un train est d’un autre acabit mais tout aussi marquante : Un homme (Bruce Willis) fait la connaissance de sa voisine de siège puis elle se dérobe, craignant la drague, avant que le train ne file au crash.

     Ces deux scènes se répondent. Il s’agit chaque fois d’un long plan séquence chargé, lentement, d’engager son personnage central dans le récit. L’une accompagnée d’un étrange miroir, l’autre prise dans l’embrasure de deux sièges de train. Il y a déjà cette dualité. On introduit les personnages mais de façon quasi opposée : L’un par sa douloureuse naissance, l’autre par sa vraisemblable mort. L’un au moyen d’un vertigineux dédoublement de l’image, l’autre à travers le regard d’un enfant. Il faudrait faire un dossier complet sur la thématique de l’enfance au sein du cinéma de Shy.

     Si l’on ne sait à priori, en deux scènes seulement, ce qui peut relier ces deux intrigues et ces deux entités, il est passionnant de constater, avec le recul, combien elles racontent déjà tout le film : l’enjeu de sa construction, son rythme indolent, sa mise en scène allégorique. Ce qui est très beau dans Incassable c’est sa multiplicité. Ce n’est pas uniquement un affrontement entre le bien et le mal, un (anti)héros et un méchant complexe, c’est aussi un beau portrait père/fils et une étonnante étude conjugale. L’éventuelle lourdeur de la démonstration (de force) est systématiquement brisée par la subtilité des interactions.

     Si j’avais gardé quelques forts souvenirs du film (Que je n’avais pas revu depuis près de dix ans, à l’époque de la sortie de Phénomènes, je crois) j’avais oublié combien il prenait son temps, combien chaque plan est précis et chaque situation hypnotique. Ce qui est rare dans le genre sclérosé des films de super-héros, il faut le dire. Du coup je n’ai pas arrêté de penser à un autre film, plus récent, français, qui jouait aussi avec les codes du genre sur un registre down tempo : Vincent n’a pas d’écailles. Ils ont au moins en commun de n’adapter aucun comic book.

     Incassable est aussi un formidable récit d’apprentissage. Et quoi de plus beau que d’apprendre à connaître sa vraie nature par l’entreprise d’une Némésis théorique qui souhaite identifier sa place sur terre ? S’il existe des cas de dégénérescence osseuse comme la sienne, pourquoi n’existerait-il pas de monstre opposé ? Si le twist final est important – et permet au film de retomber magistralement sur ses pattes – il n’est aucunement le facteur qui retournera le film en son entier. Il s’éloigne en somme de ce que Shyamalan avait créé un an plus tôt avec Sixième sens, dont les qualités certaines sont différemment disséminées.

     De cet apprentissage, l’auteur embraye un processus d’identification fort. Prendre Bruce Willis c’était pourtant pas gagné, mais c’est là que le pari se révèle audacieux : Bruce Willis est David, cet homme apparemment lambda, avec son mariage qui bat de l’aile et son travail alimentaire. Sauf que sa normalité masque une personnalité refoulée : C’est un super-héros qui s’ignore. Qui aura jadis abandonné sa passion sportive (Et l’on imagine combien il pouvait y être performant) pour une autre, amoureuse. Qui comme un symbole protège les autres, au quotidien, à son infime échelle puisqu’il est stadier. Le voir à plusieurs reprises au milieu de la foule, vêtu d’un immense parka noir lui offre déjà cette dimension héroïque – Comme lorsque le héros du film de Thomas Salvador enfilait sa tenue de plongée pour traverser l’Atlantique.

     Pour apprécier le cinéma de Shyamalan, il faut avoir envie d’y croire. On peut y déceler toutes les invraisemblances du monde : Comment Elijah peut-il élaborer cette quête à l’envergure complexe, avec cet état de santé sinon défaillant, pour le moins capricieux ? Quelle est la probabilité qu’il comble sa recherche en manigançant de « si faibles » catastrophes au regard d’une si dense population ? Comment la séquence pivot, du type ordinaire se révélant héros masqué extraordinaire, peut-elle si bien se dérouler et parvenir à tout illustrer ? On peut trouver la réponse dans l’hommage au genre lui-même : la mécanique huilée, fantastique, un brin binaire et antinaturaliste des récits super-héroïques. Mais pas seulement.

     Dans l’un de ces questionnements apparaît le point émouvant du cinéma de Shyamalan : Les enfants. Ce sont les enfants qui vont extraire David de la piscine et lui permettre d’achever sa (première ?) mission justicière. Quand le lendemain, le journal évoque l’évènement et parle d’un héros inconnu, il faudra un simple échange de regard entre David et son fils pour recréer le dialogue qui leur manquait terriblement. L’enfant est seul en mesure de comprendre les miracles, le merveilleux puisqu’il croit. Lorsqu’Elijah et David s’affrontent enfin et sans véritable affrontement (C’est aussi là-dessus que le film de Shyamalan est puissant) pour lui dire comment il a su trouver sa place et celle de son contraire, il dit « Because of the kids, they called me Mr Glass ». Rien d’étonnant à ce que l’autre personnage qui pousse David à prendre conscience de ses pouvoirs soit son propre fils.

     Il faut rappeler que les plans sont généralement très longs. Je pense surtout à ces lents travellings dont on pourra observer qu’ils sont diamétralement opposées suivant les situations : Se resserrent dès l’instant qu’on se évolue en cellule familiale, comme si l’évènement (Sa survie dans la catastrophe ferroviaire puis son acceptation de soi) permettait à David de retrouver une laborieuse mais progressive alchimie avec sa femme et son fils ; S’ouvrent carrément quand il est accompagné d’Elijah comme si petit à petit, il devait l’affronter et se détacher de son samaritanisme de façade.

     Dans leurs compositions Shyamalan opte pour des plans d’une plasticité qui reprend le schéma des comic book, au moyen notamment de fortes apparitions de couleurs, mais ils ne fonctionnent jamais dans l’agression, ils sont au contraire minutieusement disséminés. Plus évident encore lorsqu’Elijah tombe dans les marches qui mènent aux souterrains du métro : Si ses os se brisent inéluctablement, c’est sa canne en verre – qu’il lâche – que l’on va voir s’éclater en mille morceaux. Même chose pour le souvenir de David, quand Shy nous offre le sauvetage après l’accident de voiture : A peine le voit-on instinctivement froisser la tôle de ses mains. C’est à la fois terrible – ça peut même te coller quelques frissons – et complètement anti-spectaculaire. Donc à contre-courant, encore aujourd’hui –davantage aujourd’hui, oserais-je dire – plus de quinze ans après sa sortie.

After earth – M. Night Shyamalan – 2013

35.9Papa, où t’es ?

   5.0   Bien qu’il faille être solide pour encaisser l’atroce esthétique qui irrigue parfois le film, notamment dans l’épave du cockpit dans lequel est cloitré le père ainsi que dans les nombreuses apparitions d’animaux, et dépasser tout le début du film, assez désespérant avec son seul credo de faire d’un fils un ranger, et outrepasser les jeux inexpressifs de l’un (Will Smith est toujours aussi mauvais, mais pire cette fois encore puisqu’il doit jouer un personnage qui intériorise la peur tendance « Portait d’un homme constipé » et que c’est quasiment toujours grotesque) comme de l’autre, si l’on réussit à faire abstraction de tout cela, il reste un joli conte, un récit d’apprentissage mêlé à une forte relation entre un père et son fils (hantés par la mort) joués qui plus est par Will et Jaden Smith, père et fils. Tout est bien entendu cousu de fil blanc jusque dans les flashback idéalement disséminés dans le récit, ainsi que dans la dose continue de rebondissements offerts, mais en tant que course en forêt (sur une Terre devenue hostile pour l’Homme à cause, notamment, de ses brutales variations de températures) le film remplit sa mission, proche dans le déroulement d’un jeu vidéo, avec les rencontres par palier (singes, sangsue, aigle et lions) et le manque d’oxygène (Une sorte de jauge vie mise à mal par un manque de capsules d’inhalation) jusqu’au boss final (l’Ursa, qui détecte la peur des Hommes à partir des phéromones) dont on parle en permanence, qui est d’ailleurs la base du trauma familial, donc qu’on attend à voir et exactement de cette façon là – Où enfin, Kitai, parviendra à s’effacer. Cette idée est passionnante dans la mesure où l’effacement se joue aussi pour Will Smith, tête d’affiche qui s’efface, blessé, pour guider son fils dans la mission – Un parti pris de hors champ pur eut été toutefois plus judicieux. Ça reste à mon sens mineur dans la filmographie de Shyamalan, qui joue un peu trop à ne pas faire comme Hollywood, trouve un bon tempo minimaliste et parfois sidérant (Le retour de l’aigle) tout en se noyant en permanence dans un montage parallèle balourd, mais c’est attachant, parfois émouvant et surtout loin d’être la bouse que je m’attendais à voir.

The visit – M. Night Shyamalan – 2015

18shya10Code inconnu.

   7.5   C’est un film formidable sur la famille disloquée, cabossée par le temps et les fêlures qu’il a engendrées : Un divorce provoque l’absence d’un père ; Une violente dispute jadis a créé des grands parents inconnus. C’est le point d’ancrage du film sans l’être, au sens où il se dilate et s’étoffe à mesure dans le récit. L’action prend donc place dans ce quotidien trivial, familier où des enfants rendent visite à papy mamy en pleine cambrousse pendant que maman coule quelques jours paisibles au soleil.

     Le procédé giga hype du found foutage pourrait briser cet élan mélodramatique, il vient au contraire l’endurcir dans sa dimension documentaire tout en l’élargissant sur deux genres se complétant à merveille : le comique et l’horreur. Données qui ont souvent agies de pair dans le cinéma de Shyamalan, mais rarement avec autant d’acuité et de liberté. Ainsi, quand l’aînée incarne, avec sa manie de tout filmer, une sorte de Raymond Depardon 2.0, son petit frère se rêve en Tyler the Creator bis. Quand la nuit, Mamy vire somnambule en se frottant sur les murs à oilpé, papy disparait dans la grange pour y déposer ses couches sales.

     J’avais un peu laissé Shyamalan de côté depuis deux films qui pour tout dire ne m’attiraient pas du tout. Mais là je retrouve à la fois celui de Sixième sens et de La jeune fille de l’eau. Film d’horreur et conte, masqué et dépouillé à la fois. Et tout fonctionne. Sa construction, son crescendo, ses bizarreries. Quant au filmage il s’avère en tout point passionnant – Avec un épilogue à lui seul merveilleux. Plus qu’un énième produit horrifique comme il s’en produit à la pelle, Shyamalan préfère construire de l’inconnu et de la peur en élaborant une toile domestique, ici une complicité entre un frère et une sœur ou la fragilité familiale dans ses enchevêtrements générationnels. Passionnant.

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