L’enfer des six jours.
6.5 Entre l’affaire des tracts lancés dans la cour intérieure de l’université de Munich et son exécution dans la prison de Stradelheim, il se passe seulement six jours, durant lesquels Sophie Scholl, étudiante de vingt et un an est arrêtée par le rectorat, interrogée par la Gestapo puis condamnée par le tribunal. Le titre avait prévenu : Il retrace les derniers jours de sa vie. On ne verra donc pas grand-chose – sinon les préparatifs de cet ultime coup – du réseau résistant de la Rose blanche dont elle est l’un des piliers.
Sophie n’est pas la seule guillotinée ce 22 février, son frère Hans et leur ami et père de famille Christoph Probst la suivront. Mais dès l’instant qu’ils sont tous trois tenus à l’écart par le secret de l’instruction, nous ne verrons que le point de vue de Sophie, avant qu’elle ne les croise une dernière fois, le temps d’une cigarette partagée, avant de mourir. Entre-temps le film s’intéresse minutieusement à deux entretiens, essentiellement. Avant tout celui de Sophie Scholl avec un enquêteur de la Gestapo, faisant collisionner deux idéologies puissantes qu’il est impossible de faire cohabiter. Mais aussi celui de Sophie Scholl dans sa cellule, avec une prisonnière communiste. Et tout le film joue sur ces deux blocs étirés et découpés, sans vraiment parvenir à leur rendre la grâce tragique et la violence sourde qu’elles renferment. Tout est filmé bien trop platement. On sent que le sujet s’impose clairement sur la mise en scène, transparente dans le meilleur des cas, empruntée dans les moins bons – à l’image d’une utilisation musicale aussi inutile que sirupeuse. Néanmoins, moi qui connaissais mal cette tragique affaire et le rôle majeur dans la résistance allemande de cette femme, mais aussi de ce réseau, le film m’a passionné de la première à la dernière seconde.
Six jours, donc, entre le 17 février et le 22 février 1943. Ces dates, Rothemund nous les donne, elles sont chaque fois des chapes de plomb qui rapprochent nos trois membres de la Rose blanche d’une mort inéluctable. D’une part car c’est le régime nazi qui se dresse contre leur révolte, inutile donc d’aller chercher des embryons de suspense, on sait la violence radicale dont il a fait preuve même pour une simple diffusion de tracts, et on sait leur peu de considération pour le droit procédural donc rien d’étonnant à ne pas les voir respecter la durée de quatre-vingt-dix-neuf jours initialement prévue entre la condamnation d’un condamné à mort et son exécution.
D’autre part et c’est toute la fascination que le film essaie de creuser, Scholl ne sortira jamais du chemin qu’elle s’est imposé. Qu’elle nie, d’abord, ou qu’elle assume pleinement ensuite son statut de résistante dès l’instant que les preuves l’accablent, elle ne flanche pas, ne craque pas, garde son calme, préserve son éthique au point d’y tenter un improbable dernier coup qui serait de convaincre son interlocuteur nazi. Et c’est peut-être le seul point sur lequel Rothemund s’est octroyé des libertés : On a parfois la sensation que cet homme de la Gestapo est fasciné par l’aplomb de cette femme, qu’une admiration sous-jacente nait dans sa volonté de la faire sortir de ses gonds alors qu’il semble rapidement se rendre compte qu’il n’y parviendra pas. Ça n’ira pas plus loin, heureusement, le semblant de fiction s’arrête là, mais ce trouble a existé, ce trouble du fait divers que le cinéma voudrait déformer sans vraiment y parvenir. Voilà la deuxième plus belle idée de ce film, à mon avis. La première c’est le choix de Julia Jentsch. Elle est incroyable et sans doute justement parce qu’elle dégage à la fois une fragilité et une assurance et qu’elle parvient à les faire fusionner pour produire une force nouvelle, sorte d’invulnérabilité à toute épreuve qu’on voit rarement au cinéma dans une interprétation de ce genre.